(b) VII.6.2. Le facteur politique
Depuis la période coloniale, les options politiques en
matière d'agriculture et de gestion des ressources naturelles ont connu
des évolutions pour répondre à plusieurs défis de
développement économique et social. La politique agricole du
Sénégal s'est longtemps articulée sur les performances de
la production arachidière. L'approche productiviste qui a fait du
Sénégal le premier pays producteur d'arachide a été
le soubassement de plusieurs options politiques qui vont de l'approche
socialiste, avec une forte implication de l'Etat qui a mis en place des
coopératives agricoles, à une libéralisation totale du
secteur en passant par la Nouvelle Politique Agricole.
Selon Gaye (2000), l'impact des politiques sur la production
agricole chez le paysan peut être étudié sur trois grandes
périodes.
- l'époque coloniale allant jusqu'en 1960,
- l'époque du Programme Agricole (PA) de 1960-80,
- la période des réformes structurelles avec
comme éléments marquants la Nouvelle Politique Agricole (NPA)
initiée en 1984-85, suivie du Programme d'Ajustement du Secteur Agricole
(PASA) à partir de 1995.
Pour compléter ce tableau, on note depuis les
années 2000 une forte approche programme (pour le maïs (Zea
mays), le bissap (Hibuscus sabdarifa), le manioc (Manihot
esculenta), le sésame (Sesamum indicum), etc.), avec
notamment l'acceptation du privé dans les transactions des produits
agricoles.
La stratégie des autorités coloniales a
été centrée sur la production de l'arachide (Arachis
hypogaea) pour l'exportation et l'importation de riz pour la consommation
(Mbodj, 1992, Gaye, 2000). L'arachide constituait l'élément
principal des revenus étatiques et du PIB. L'intervention publique
s'exerçait à travers les coopératives. Malgré leurs
multiples tares, elles sont devenues l'instrument principal de l'Etat
indépendant pour l'exécution des politiques agricoles.
La politique arachidière du Sénégal a
aussi consisté à un déplacement massif de
populations pour occuper les `terres neuves' qu'il faut défricher en
peu de temps et exploiter pour la production agricole. Le Saloum Oriental a
été ainsi le site par excellence de destination des
migrants de l'ethnie Sérère ou des agriculteurs de
la confrérie Mouride (Rocheteau, 1975 ; Garenne et Lombard, 1988).
La décision politique de coloniser les terres neuves
est consignée dans le deuxième Plan Quadriennal de
Développement Economique et social (1965-1969) qui a fait état du
besoin de déplacer une fraction de la population du bassin arachidier
dont la forte densité de population limiterait le développement,
et de la nécessité d'ouvrir à l'agriculture les
territoires inexploités du Saloum Oriental et du Sénégal
Oriental (Maymard, 1974). Il faut toutefois noter que le déplacement de
populations dans cette zone a débuté dans les années 1940
dans le secteur de Boullèle notamment, au gré de la mise en place
de la ligne de chemin de fer (Diouf, 2006). Deux options soutiennent cette
politique de colonisation :
- un mouvement migratoire ouolof, dit «spontané"
mais en réalité impulsé par des chefs
religieux de la confrérie Mouride;
- un mouvement migratoire organisé en faveur des
Sérères, populations connues selon le rapport pour leur bonne
qualité d'agriculteurs.
A l'époque plus de 200000 migrants devraient être
déplacés en 15 ans, mais le plan n'a pas été clair
sur l'organisation de cette migration. Ainsi, il y a eu beaucoup d'anarchie
dans l'installation des villages et très rapidement on a constaté
une forte dégradation des ressources naturelles forestières dans
la zone ainsi que les ressources pédologiques (Feller, 1977) et ceci
malgré un encadrement rapproché par les services techniques de
l'agriculture. L'Etat a auparavant réformé la législation
foncière (Loi 64-46 de 1964 portant Code Foncier) pour permettre aux
colons d'utiliser les `terres vacantes sans maître', qui sont
essentiellement dans les zones boisées, qu'il fallait donc
défricher. La progression n'était en définitive
limitée que par la présence de sols gravillonnaires ou
cuirassés, peu profonds ou l'existence de Forêts Classées ;
ces dernières seront sollicitées plus tard sous forme
d'empiètement ou de contrats de culture. Ainsi, l'arrivée de
migrants combinée à la croissance démographique naturelle
a entraîné une forte demande en terres de cultures qu'on ne
pouvait satisfaire qu'à travers de vastes opérations de
défrichement des formations forestières (voir chapitre 6,
Changement occupation du sol dans le Saloum Oriental).
L'intervention très poussée de l'Etat portait
aussi sur le contrôle du système de commercialisation, la
détermination des prix des principaux produits agricoles, l'octroi de
crédit pour les facteurs de production, et la réalisation des
infrastructures de base. Pour bien asseoir sa politique, l'Etat a eu pendant
cette période à instituer des structures d'encadrement et de
vulgarisation comme l'Office National de Coopération et d'Assistance au
Développement (ONCAD) et la Société de
Développement et de Vulgarisation Agricole
(SODEVA). Ces structures étaient des gouffres à
sous et les déficits enregistrés ont impacté tout le
système (Casswell, 1983).
Par une combinaison de la réalité du prix au
producteur sur le marché international (prix faible) et les charges pour
le paysan en termes de remboursement des prêts d'intrants, ce dernier se
retrouvait avec un revenu trop faible ne lui permettant pas d'investir.
Le fardeau des dettes accumulées par le système
coopératif, l'évolution défavorable des cours mondiaux de
l'arachide, ainsi que d'autres facteurs comme la hausse du prix du
pétrole, ont conduit l'Etat à entreprendre des réformes
structurelles. Ainsi, la Nouvelle Politique Agricole (NPA) centrée sur
l'autosuffisance alimentaire s'est fondée sur le principe de
désengagement de la puissance publique (Gray, 2002 ; Kaling, 2003). La
réduction des superficies cultivées en arachide et le
déclin du niveau d'équipement des exploitations agricoles sont
étroitement liés à la NPA caractérisée par
des restrictions en matière de crédit. Ces éléments
ont entraîné une forte vulnérabilité des populations
au moment déjà, où les prémisses de la
sécheresse des années 1970, commençaient à faire
ses effets sur la production agricole.
Au lieu de favoriser la durabilité de la production
agricole, la forte orientation mercantile de cette politique a plutôt
joué sur l'état d'esprit des populations locales tournée
vers le souci du gain. Les terres se sont alors rapidement
dégradées à cause d'un système de production qui
exclut l'arbre au champ. En plus le système d'un labour superficiel
(matériel agricole rudimentaire) réduit la fertilité des
sols en addition à l'exportation de la totalité de la plante
(gousse et foins), ce qui ne permet pas de compenser la baisse de
matière organique.
D'autres facteurs exogènes viennent renforcer cette
crise. On peut citer les crises du pétrole (1970-1972, 2005-2008) et
l'ajustement structurel qui ont fortement contribué à
l'accentuation de la pauvreté et de la vulnérabilité des
populations locales. En cherchant à répondre à ces crises,
les principales réponses sont souvent orientées vers l'extension
des terres agricoles pour répondre à la fois à la demande
de l'exportation et aux besoins de subsistance. La figure 99 montre l'extension
du bassin arachidier depuis 1900 (adapté du rapport Portères de
1952).
Figure 99. Evolution du bassin arachidier depuis
1900
1900
1925
1910
1937
Depuis 1960
Ces cartes sont reprises de Mbow et al. (2008) et ont
adaptées des cartes Protères (1952).
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Cette extension agricole s'est faite au détriment des
ressources forestières, de plus en plus confinées dans les
espaces de conservation comme les Forêts Classées et les Parcs
Nationaux.
La libéralisation totale du secteur pour des
agriculteurs non préparés à affronter la
réalité du marché a simplement déstructuré
la production arachidière. Récemment, l'Etat a initié des
programmes de production intensive du manioc, du maïs, du sésame,
du bissap qui apparaissent beaucoup plus comme des réactions
émotives qu'une base de politique agricole durable. Avec l'exposition
croissante aux avaries du climat et fluctuations imprévisibles des
produits du marché mondial, des initiatives ont été prises
comme le Plan REVA (Retour vers l'Agriculture) et la Grande Offensive Agricole
pour la Nourriture et l'Abondance (GOANA). Ces plans cherchent encore un
financement malgré les gros efforts de l'Etat d'impulser le processus
dans des délais très courts.
Au niveau local, on sent le développement de nouvelles
variétés comme le niébé et le sorgho fourragers, le
melon d'eau, qui parfois sont en association avec les cultures de mil permet
d'éviter l'envahissement des cultures par les adventices, tout en
améliorant les rendements par la fixation d'azote. Ces nouvelles
pratiques agricoles permettent d'assurer à la fois la production de
fourrage et de céréales.
Il apparaît ainsi que les populations rurales subissent
de façon prégnante les conséquences des options
politiques, facteurs importants de stress du fait de ses implications dans
l'accentuation de la pauvreté rurale. Ces facteurs politiques agissent
en même temps que des facteurs économiques.
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