Section 16.03 VII.3. Complexité et
portée pratique de l'adaptation
L'adaptation est une notion très complexe. Elle
relève d'interactions complexes entre les facteurs de
vulnérabilité (facteurs humains et physiques) et les
éléments de réponses (économiques, techniques,
sociale, politiques) structurées par les populations.
Plusieurs modèles conceptuels ont été
proposés pour caractériser la vulnérabilité et
l'adaptation. Le modèle développé par Huq et Reide (2002)
montre des interrelations complexes entre l'adaptation et les facteurs qui
l'influencent.
Figure 93. Diagramme de l'adaptation (Huq et
Reide, 2002)
D'autres modèles simplifiés ont
été proposés par Adejuwon et al. (2001);
Burton et al. (2001); Olmos (2001); Adger et Brooks (2003); Thomas
et al. (2005) ; Burton et al. (2002) ; Winograd (2006) mais ils
ont tous en commun une vision transversale qui fait intervenir des facteurs
humains et physiques montrant essentiellement que l'adaptation est un facteur
dynamique qui a commencé bien avant et qui est en mutation
perpétuelle dans le temps et dans l'espace. C'est grace aux ajustements
des pratiques des populations aux nouvelles conditions
environnementales que les populations du Sahel ont
été résilientes aux différentes modifications du
climat. Ces mutations sont elles-mêmes fonction de la dynamique des
facteurs structurants qui sous-tendent la vulnérabilité (facteurs
climatiques, économiques, politiques, environnementaux, ..) et des
capacités des systèmes d'apporter des réponses
adéquates.
Dans la CCNUCC, il existe deux formes d'adaptation qui
impliquent deux types de stratégies. Le premier consiste à
prévenir les interférences graves des activités humaines
sur l'atmosphère avec la concentration de gaz à effet de serre,
il s'agit là de l'atténuation. Le second
consiste à minimiser la vulnérabilité des
sociétés humaines et des écosystèmes aux
changements climatiques par les processus d'adaptation. Dans
les deux cas, il est nécessaire de mesurer l'impact des changements
climatiques pour dimensionner l'effort sur la forme d'adaptation choisie. Les
enjeux pour des pays comme le Sénégal se situent au niveau de la
réduction de la vulnérabilité. Selon Burton et al
(2002), il existe un dilemme entre l'effort d'atténuation et celui
d'adaptation. Selon cet auteur, plus l'impact est important plus l'effort
d'atténuation l'est; mais plus l'effort d'adaptation est grand pour la
réduction de la vulnérabilité, moins il sera urgent de
réduire les émissions de GES. Il faut équilibrer entre les
efforts d'atténuation et ceux d'adaptation en utilisant une approche
appropriée.
Dans la même lancée, Burton et al.
(2002) et Winograd (2006) ont essayé de proposer un canevas
permettant d'harmoniser l'approche d'évaluation de la
vulnérabilité en simplifiant la prise en compte des relations
entre les différents facteurs. La figure 94 insiste sur la mise en
relation dynamique entre les impacts et la vulnérabilité pour
mieux appréhender les formes d'adaptation, plus particulièrement
celle dite autonome et qui relève des populations affectées.
Figure 94. Liens entre Changements Climatiques,
Adaptation et Atténuation (Burton et al., 2002 ; Huq et
al., 2003).
Dans la plupart des cas, le climat n'affecte les
sociétés humaines qu'indirectement par la modification des
conditions et du milieu de vie. Pour les sociétés humaines
dépendantes des ressources naturelles pour leur survie, les effets des
changements climatiques sont à la fois directs et indirects puisque ces
sociétés ne se donnent pas de marges de manuvre pour
d'éventuelles modifications des conditions climatiques.
L'adaptation peut prendre plusieurs formes. Selon Adejuwon
et al (2001), les adaptations communautaires sont invariablement des
réponses réactives aux stress issus des changements climatiques
sans interventions des services publics. Parallèlement on peut avoir une
série de mesures structurelles à travers la mise en ~uvre de
stratégies nationales visant à réduire au
Sénégal la vulnérabilité des populations dans
plusieurs domaines :
- agricole (exemple GOANA, REVA),
- forestier (projets pour satisfaire les besoins en produits
ligneux)
- stress hydrique (bassins de rétention, Projet Sectoriel
Eau, amélioration des systèmes d'irrigation) ;
- niveau de revenu des populations (microcrédits,
subventions, diversification des activités de production) ;
- social (dynamique organisationnelle, éducation,
santé) ;
- démocratique (bonne gouvernance, démocratie
interne), etc.
Les formes d'adaptation communautaires sont les plus
difficiles à réussir du fait de la pauvreté chronique de
certaines communautés. Que l'adaptation soit une initiative directe des
populations ou initiée par l'Etat, elle est toujours un processus
complexe pas exclusivement et nécessairement lié aux changements
climatiques. D'autres déterminants peuvent influencer la
vulnérabilité des populations en plus des changements
climatiques. On peut citer les plus apparents que sont les politiques de
développement mal adaptées (ajustement structurel) et la
dynamique des prix de produits de base sur le marché international (prix
de l'arachide, prix du pétrole, prix du cacao) (Adger et Brooks, 2002).
La figure 103 donne une idée simplifiée du concept d'adaptation
en Afrique (Mbow et al., 2008). Les formes d'adaptation
planifiées peuvent être réactifs (pour les chocs et les
stress) ou anticipatif pour contenir des impacts prévus des changements
climatiques.
Un aspect important de la vulnérabilité et de
l'adaptation est sa dimension historique. L'analyse dans le temps est non
seulement un regard sur les formes d'adaptation du passé, mais aussi une
analyse de la façon dont un groupe social projette de construire son
avenir et d'en mesurer l'adéquation par rapport aux défis
annoncés par la tendance actuelle. Le recours au passé peut se
faire grâce aux profils historiques utilisés par les sociologues,
mais aussi à la revue de la littérature et des archives qui
capitalisent des réponses que chaque communauté a pu
développer face à des problèmes environnementaux.
L'ouverture vers le futur est moins évidente et n'est basée
à l'heure actuelle que sur un développement de scénarios
ou de modèles conceptuels du genre « si. alors » sans beaucoup
de certitude vu le caractère dynamique et quelque peu aléatoire
de l'adaptation (plus on s'ajuste au système, plus on le maîtrise
et moins on devient vulnérable). Sur ce plan, certains
spécialistes proposent l'approche par analogie qui veut qu'on cherche
des conditions similaires des manifestations des changements climatiques dans
le passé ou au niveau d'autres groupes sociaux contemporains et
identifier les stratégies (les bonnes) ayant permis de survivre aux
conditions difficiles liées au climat (Adger et Brooks, 2002).
Là-dessus, la dimension culturelle (réceptivité des
technologies colportées, barrières culturelles), pourrait
constituer un problème dont il faut tenir compte.
Il existe une grande variété dans les formes
d'adaptation, mais dans bien des situations où la
vulnérabilité est très avancée (état de
pauvreté extrême), les solutions sont difficiles à
envisager dans des formes d'adaptation autonome. Dans des conditions de
pauvreté, les formes d'adaptation qui accrochent plus les populations
sont celles où le retour à l'investissement se fait dans un
très court terme, du fait de l'urgente nécessité à
trouver une
solution de survie. L'auto adaptation peut être
entravée par certaines barrières notamment financières
(microcrédit), institutionnelles/juridique (police forestière,
décentralisation) ; ou le manque d'expertise pour le
développement de l'innovation locale (capacités techniques).
C'est pour ces raisons, en grande partie, que l'adaptation des populations
locales porte sur des solutions simples à bénéfice
immédiats. Parfois, cette préférence pour les solutions
à action rapide dévie les populations locales des perspectives du
long terme. Et quand le court terme l'emporte, on peut engager des alternatives
qui mettent en péril les ressources dans le long terme (« advienne
que pourra »). C'est ainsi qu'on a souvent vu des populations s'adonner
à la collecte de ressources forestières notamment le bois de
valeur et les fruits. Les bénéfices qu'on peut en tirer incitent
à une exploitation aussi démesurée que non
planifiée et dans un temps assez court. Cette situation entraînant
alors un épuisement rapide de la ressource. La
vulnérabilité qui a été atténuée en
apparence pendant un court terme devient encore plus cruciale parce que la
ressource sur laquelle on s'est basée est vite dilapidée. C'est
pour cette raison que les plans d'aménagement et de gestion sont
essentiels à la gestion des ressources naturelles.
Chaque groupe social a eu à faire face dans le
passé à des défis environnementaux qui ont
nécessité des formes d'adaptation variables en nature et en
engagement communautaire. Il s'agit donc d'une construction sociale
influencée par des dynamiques politiques et institutionnelles (Adger
et al., 2003).
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