Section 9.05 Conclusion et discussions
Ce chapitre montre à la fois la complexité de
l'analyse dendrochronologique des échantillons tropicaux, mais aussi le
potentiel de cette méthode pour la datation de certaines espèces
et le suivi de la croissance des arbres. La mise en relation entre la
croissance des cernes et la pluviométrie montre qu'il n'est pas
aisé d'établir une relation significative. La raison est
liée à l'importance d'autres facteurs comme les feux de brousse,
l'ampleur des sécheresses, la compétition entre espèces,
la nature du sol et l'enracinement des arbres. Le caractère erratique de
la contribution de ces différents facteurs ne facilite pas le
développement de modèles ou la structuration de théories
robustes sur la croissance des espèces de savanes. Le rythme de
croissance des individus échantillonnés montre le plus souvent
une contradiction avec certaines théories écologiques qui
admettent que les jeunes plantes croissent plus vite que les adultes. Dans les
écosystèmes de savane, la croissance des arbres dépend de
la combinaison de plusieurs facteurs, dont certains sont favorables et les
autres sont des contraintes au développement des plantes. Ainsi, chaque
essence réagissant différemment aux nombreux facteurs qui
déterminent la croissance, il est donc nécessaire de les traiter
séparément et avec beaucoup de précautions.
Il y a des cas d'extrême difficulté de lecture
due à la densité de succession des cernes qui rend incertaine la
limite de chacun d'entre eux. Les travaux de Worbes (1995) soulignent que les
cernes annuels sont plus nets quand on a une année pluviométrique
monomodale et courte de 2-3 mois. Dans les écosystèmes où
les précipitations annuelles sont bimodales on a tendance à avoir
deux cernes (cas de l'Afrique de l'Est et de pays comme la Côte
d'Ivoire). Dans les zones équatoriales où la distinction des
saisons n'est pas nette, les cernes observés ne peuvent pas être
connectés à la variabilité du climat (Worbes, 2002). Dans
certains cas, la formation des cernes est liée à l'occurrence de
la crue qui, du fait de l'immersion permanente entraîne des conditions
d'anoxie qui réduisent l'activité racinaire, ce qui
entraîne une dormance du cambium (Worbes, 1995) du fait du déficit
d'eau. Les analyses de Daniellia oliveri par Tarhule et Hughes (2002)
montrent une présence de doubles cernes qui alternent avec les
séquences de cernes nets. Certaines difficultés liées aux
blessures sur les troncs ont été signalées par Worbes
(1995) et Tarhule et Hughes (2002). Avec l'impact de l'exploitation de l'homme
(bois, écorce, feux de brousse), certains cernes sont très flous,
ou incomplets.
Pour certaines espèces comme Isoberlina doka,
les cernes développés en période de sécheresse sont
très proches pour être discriminables. La sécheresse peut
entraîner aussi des déviations ou fusions de cernes qui
s'opèrent de façon irrégulière.
Les études en Afrique de l'Ouest de Tarhule et Hughes
(2002) révèlent que la potentialité d'utiliser les cernes
pour l'analyse de la croissance des arbres donne des performances variables
selon les espèces. Ces auteurs ont ainsi identifié trois
catégories d'espèces. Celles qui permettent d'avoir de bons
résultats comme Cassia sieberiana, Cordyla pinnata, Daniellia
oliveri, Isoberlina doka, Tamarindus indica, Acacia seyal et Gmelina
arborea ; et celles qui donnent des résultats passables comme
Afzelia africana, Burkea africana, Detarium microcarpum, Acacia
polyacantha, Boscia senegalensis, Prosopis africana, Pericopsis
laxiflorus.
Selon cette étude, il existe une liste d'espèces
qui ne permettent pas d'analyser de façon adéquate les cernes des
arbres. Dans ce groupe on note Lannea acida, L. microcarpa, L. velutina,
Sclerocarya birrea, Bombax costatum, Bauhinia rufesencs, Anogeissus leiocarpus,
Combretum glutinosum, C. micranthum, C. nigricans, C. paniculatum, Terminalia
laxiflora, T. macroptera, Diospyros mespiliformis, Hymenocardia acida,
Strychnos spinosa, Khaya senegalensis, Faidherbia albida, Acacia macrostachya,
Dichrostachys cinerea, Parkia biglobosa, Entada africana, Ficus sp.,
Pterocaprus erinaceus, Crossopteris febrifuga, Mitragyna inermis, Gardenia sp.,
Vitellaria paradoxa, Sterculia setigera, Vitex doniana et Balanites
aegytiaca.
Nous notons cependant, à travers les analyses faites
dans ce travail que quelques unes des espèces jugées comme peu
utiles pour l'analyse dendrochronologique, ont un réel potentiel pour la
datation et l'analyse de la croissance des cernes : il s'agit de Combretum
glutinosum, Terminalia macroptera, Acacia macrostachya et Pterocaprus
erinaceus. La différence avec les autres auteurs peut être
liée à la nature des sites étudiés et les
différences dans le déroulement des saisons
pluviométriques. En effet dans de nombreuses zones tropicales on observe
deux saisons des pluies qui font que les cernes annuelles sont difficilement
décelables ; ce n'est pas le cas des zones soudaniennes et
soudano-guinéennes.
Une autre source de différence sur les résultats
s'articule autour de la méthode d'analyse. Tarhule et Hughes (2002) ont
utilisé des échantillons par carottage qui présentent
moins de détails que les disques prélevés sur des troncs.
Mais il est évident que la plupart des espèces de savanes
citées dans leur travail présente des niveaux de
difficultés variés, pour l'analyse dendrochronologique. Selon
Tarhule et Hughes (2002), les Caesalpiniaceae donnent souvent de bons
résultats.
Cependant, Worbes, (2002) a donné un tableau
détaillé qui évalue la discrimination des cernes en
fonction de la position de ces derniers par rapport au centre du tronc. Il en a
conclu que certaines espèces comme Pterocarpus erinaceus, Swartzia
sp., Annona sp, ont des cernes nets, alors que d'autres comme
Spondias mombin, Ceiba pentandra et Cordia sp, ne permettent
aucune analyse dendrochonologique avec les technologies actuelles. Entre ces
deux extrêmes on a des espèces qui sont datables malgré
quelques difficultés.
L'une des difficultés de la dendrochronologie tropicale
réside selon Worbes (2002) sur l'asynchronie phénologique des
espèces. Certaines espèces perdent les feuilles de façon
prématurée et d'autres tardivement. La présence de
feuilles sur l'arbre est un indicateur de la dynamique de la
photosynthèse qui est la base de l'assimilation et de la production de
biomasse. Les travaux de Chhin et Wang (2008) montrent aussi que pour les
écosystèmes boréaux la croissance des cernes dépend
de l'activité de production foliaire qui s'initie une année et se
développe l'autre année. Donc une année bien pluvieuse se
traduit par une forte croissance des cernes, mais une année après
(décalage temporel). Les analyses que nous avons effectuées,
montrent l'absence de corrélation entre les précipitations
annuelles ou mensuelles avec la croissance des cernes. Un déplacement
des données de cernes d'une année n'aide pas pour autant. Donc
l'hypothèse du décalage peut être valable mais ne
correspond pas systématiquement à une année ou un à
nombre d'année précis. Chhin et Wang (2008) ont essayé de
corréler les précipitations à la superficie des bandes de
cernes, mais dans le cas des savanes, l'irrégularité des
tracés des cernes rend cette option très délicate à
opérer.
Dans les analyses, on a aussi testé la relation entre
la croissance des cernes et les précipitations du mois d'aoflt. Le
résultat n'est pas différent de celui avec les
précipitations annuelles. La raison est que les précipitations
annuelles sont très largement dépendantes des
précipitations du mois d'aoflt. La température n'étant pas
un facteur limitant sous les tropiques, cette donnée n'a pas
été testée dans cette analyse.
Pour obtenir une bonne interprétation des cernes dans
les écosystèmes de savane, il faudra faire une analyse mixte de
plusieurs espèces, à plusieurs ages pour atténuer
l'anastomose des cernes due aux facteurs évoqués.
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