Potentiel et dynamique des stocks de carbone des savanes soudaniennes et soudano- guinéennes du Sénégal( Télécharger le fichier original )par Cheikh Mbow Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Doctorat d'état en sciences 2009 |
IV.5. Résultats de la simulationPour structurer les paramètres de base, on a combiné les données de la littérature et les données collectées dans le cadre de ce travail. Les stocks moyens de carbone de la ligne de référence au niveau des sols et de la litière ont été ajustés en se basant sur les travaux de Elberling et al. (2002); Touré (2002); Batjes (2003); Manlay et al. (2004); Tieszen et al. (2004); Gray (2005); Farage et al. (2007); Nsabimana et al. (2008). Pour la biomasse sur pied, les données de terrain et les résultats de Brown (1997); Moura-Costa et Stuart (1999); Woomer et al. (2004); Barbosa et Fearnside (2005); Lufafa et al. (2008) ont servi de base pour renseigner le modèle. En se basant sur les valeurs par défaut du modèle on a accepté la répartition de la biomasse pour la savane boisée (30% feuilles, 50% bois ; 20% racines) ; pour la savane arborée ou arbustive (25% feuilles, 45% bois : 30% racines), pour les formations herbacées (60% feuilles, 10% ligneux ; 30% racines) ; pour l'agriculture (50% feuilles ; 10% ligneux ; 40% racines). Ces valeurs peuvent être mieux ajustées, mais on s'est basé pour la définition du ratio de la biomasse racinaire sur les valeurs IPCC concernant le « Root/Shoot ratio » (rapport biomasse racinaire/ biomasse sur pied) (IPCC, 2003). Les données sur les températures maximum et minimum, l'humidité des sites, la concentration de CO2 dans l'air (370 ppm) ont été ajustées. La donnée de base du modèle est l'assimilation du CO2 atmosphérique. Ce paramètre est rendu dans le modèle par la PPN qui en constitue la porte d'entrée. Les valeurs de PPN ont été obtenues par analyse de données satellitaires (MODIS). Les PPN annuelles de 2000 à 2006 ont été acquises à partir du serveur http://daac.ornl.gov/NPP/npp home.htm; et les moyennes de PPN de différentes formations ont été appliquées. Le format MOD17A3.A2000. Sahel_subset_npp_1km a été téléchargé et le Sénégal échantillonné. Les valeurs moyennes de PPN sont calculées en utilisant des polygones représentatifs des formations ciblées. Les différentes simulations ont concerné (voir figure 67) des savanes soumises aux feux de brousse (simulation 1 et 2) ; des savanes exploitées pour le bois (simulations 2 et 4) ; des terres de culture mises en jachère (simulation 5) ; des zones boisée aménagées dont le bois est utilisé pour les besoins d'énergie (simulation 6) ; des savanes pâturées (simulation 7 et 8) ; et des formations de savanes boisées/forêts claires transformées en terres agricoles. Ces choix de scénarios sont inspirés des cas fréquents de situations qu'on rencontre dans les écosystèmes étudiés ; Il est possible de diversifier les cas et combiner les facteurs mais l'interprétation des résultats devient plus délicate à faire. Figure 67. Courbes de variation du carbone dans les différents réservoirs selon des scénarios de perturbations en cours dans les écosystèmes de savane (durée de la simulation = 100 ans)
(a) IV.5.1. Analyse des résultats de la simulationLes deux premières simulations (1 et 2) permettent d'analyser l'impact des feux de brousse au niveau des savanes. Les feux de brousse constituent un phénomène récurrent, quasiannuel et qui affectent les savanes chaque saison sèche. Les feux affectent ces écosystèmes directement par la consommation de biomasse et indirectement par la modification des processus écologiques comme le cycle de l'eau, les cycles biogéochimiques, les échanges d'énergie et de matière entre les composantes de l'écosystème et surtout par la décomposition de la matière organique entraînant une forte libération de carbone, etc. Les travaux antérieurs (Kuhlbusch et Krutzen., 1995; Fearnside, 2000; Mbow et al., 2000; Mbow et al., 2003; Nielsen et al., 2003; Saarnak et al., 2003; Zhang et al., 2003; Mbow et al., 2004; Barbosa et Fearnside, 2005) ont montré le rôle important joué par les feux dans les savanes. Il faut toutefois noter que, l'impact du feu dépend de plusieurs facteurs : intensité du feu, types de formations végétales affectés et leur état de dessiccation ; conditions météorologiques et topographiques, etc. La simulation 1 montre un feu d'intensité moyenne sur une savane arborée mais qui survient tous les trois ans. Pendant les premières années, les stocks de carbone diminuent assez rapidement, pour ensuite rester stable pour le reste du temps. On remarque la variation parallèle du carbone de la litière et de la biomasse après chaque feu ; alors que le carbone du sol est moins sensible à ces variations événementielles dues aux feux. Pour la simulation 2 (a, b), on a essayé de voir l'impact d'un brOlis sévère et de faible intensité sur des formations de savane boisée (plus dense) sur un pas de temps de 3 ans. Il apparaît que la chute des stocks de carbone est spectaculaire pour les feux intenses, y compris pour le carbone du sol. L'intensité du feu fait varier significativement les stocks de carbone de tous les réservoirs. Ainsi à défaut d'empêcher les feux, il faut aller dans le sens d'utiliser des feux de moindre intensité, qu'on désigne sous le vocable `feux précoces'. Il s'agit de feux contrôlés dans des conditions d'humidité et de charge de biomasse bien précises. Les feux de forte intensité désigne ici les feux tardifs en milieu de saison sèche (figure 68). Figure 68. Intensité des feux de saison sèche dans le Parc National du Niokolo Koba (Sud est Sénégal) Les simulations 3 et 4 concernent les coupes (exploitations) de bois dans les formations de savane. L'exploitation forestière est un des facteurs les plus puissants et les plus manifestes de la dégradation des savanes. Les besoins en bois, pour satisfaire la demande d'énergie, le marché du bois de service et du bois d'uvre, constituent une rubrique importante que ne peuvent supporter les formations forestières. La frénésie de l'exploitation dépasse assez souvent la capacité des écosystèmes. Au Sénégal, les besoins d'énergies sont largement satisfaits à partir des formations forestières. La dégradation de ces dernières a suscité plusieurs stratégies comme le reboisement, les bois de village, les plantations en régies, les plantations privées, la mise en défens, etc. Ces initiatives prises par le service forestier n'ont pas empêché un développement rapide des défrichements et des coupes (déforestation). La déforestation est ciblée par le protocole de Kyoto comme une importante source de carbone, mais aussi une solution à l'atténuation du CO2 atmosphérique si des mesures adéquates sont prises. Plusieurs études portant sur les changements d'occupation du sol (Grepperud, 1996; Giese et al., 2003; Lambin et al., 2003; Reenberg et al., 2003; Tappan et al., 2004) montrent des tendances de dégradation dont l'impact sur les stocks de carbone est sans équivoque (figure 69). La simulation 3 montre une formation de savane bien aménagée, dont l'exploitation est mise en adéquation avec les stocks de bois disponibles. Les stocks de carbone de la biomasse sur pied, de même que ceux du sol sont légèrement affectés. Par contre, la simulation 4 montre une situation de surexploitation. Pendant l'intervalle sans exploitation, la végétation a tendance à repartir, mais le retour de l'exploitation ramène les quantités de carbone à un niveau très bas. Il apparaît ainsi, que la mise en adéquation entre l'exploitation et le potentiel ligneux est une voie salutaire pour préserver non seulement l'équilibre des formations en question (Ravindranath et al., 2001; Riedacker, 2004; Sambou, 2004) ; mais aussi pour améliorer la contribution de ces écosystèmes à l'atténuation du taux de carbone atmosphérique. Figure 69. Exploitation du bois énergie au Sénégal Oriental La troisième catégorie de simulation porte sur les terres dégradées. Les scénarios retenus ici, portent sur une perspective de reconstitution ou de réhabilitation. Les terres dégradées peuvent prendre plusieurs formes. Nous en retenons deux: une jachère qui devient savane, ou une terre dégradée mise en défens mais soumise aux feux et à l'exploitation de bois. On constate que les terres dégradées ont un potentiel de reconstitution assez rapide, mais la vitesse de reconstitution du carbone du sol est plus lente que celui de la biomasse (simulation 5). Le carbone du sol semble se reconstituer moins vite et peut faire 3 fois moins le carbone de la biomasse selon la simulation 5. Une jachère en reconstitution diffère ainsi des savanes par le taux de carbone du sol qui y est moins important ; les rapports sont inversés en savane (carbone du sol plus important que le carbone de la biomasse, simulations 1-2-3-4). C'est pour cette raison que dans la plupart des jachères, le cycle de retour s'est raccourci, à certains endroits du Sénégal, à cause de cette impression de reconstitution du milieu liée au couvert végétal. Les études sur le carbone des jachères confirment cet important potentiel de stockage de carbone (Hashimotio et al., 2000; Tschakert et al., 2004; Wood et al., 2004; Vagen et al., 2005). Certains auteurs (Lufafa, et al., 2008; Takimoto et al., 2008) soulignent la présence importante des arbres en zone de jachères ; lesquels peuvent initier le retour des cycles d'échanges entre la biomasse et le sol. C'est pour cette raison d'ailleurs que les pratiques agro-forestières sont vivement encouragées pour les terres caractérisées par une perte significative de fertilité (figure 70). Les arbres font remonter les nutriments non accessibles aux plantes cultivées et entretiennent une fertilisation organique par les chutes et la décomposition de feuilles (Mbow et al., 2008). Figure 70. Pratiques agroforestières dans le bassin arachidier (gauche, Faidherbia albida) et dans le Saloum Oriental (droite, Cordyla pinnata) La simulation 6, par contre est une savane qui dans un premier temps est exploitée pour son bois tous les 7 ans pendant les 25 premières années. L'atténuation des prélèvements même avec une présence de feux de moindre intensité permet par la suite de conserver l'essentiel du carbone des différents réservoirs. Cette simulation montre que malgré le passage des feux et la collecte de bois de chauffe (d'intensité moindre), la productivité de l'écosystème est relativement bonne. La simulation 6 montre qu'un écosystème qui n'est pas continuellement exploité même avec un passage régulier des feux de moindre intensité peut jouer un rôle important dans le stockage de carbone. Les simulations 7 et 8 traduisent l'influence du pâturage au niveau des stocks de carbone (figure 71). La simulation 7 montre une importante activité pastorale après 25 années dans une savane arborée. Le carbone de la biomasse est fortement réduit et se stabilise rapidement si la charge animale n'a pas augmenté entre temps. Le carbone du sol est aussi réduit mais pas avec la même ampleur que celui de la biomasse. Si la pression du bétail est constante, ce type de formation peut se maintenir en l'absence d'autres facteurs de dégradation. Par contre, une formation herbacée faiblement pâturée dans des conditions de bonne pluviométrie et sans intervention d'autres facteurs de dégradation, peut mener à une reconstitution des stocks de carbone (Hary et al., 1996). Ainsi la question du pâturage se pose en termes de charge ou de pression du bétail. Figure 71. Pression du bétail dans la zone de Kaffrine (gauche, photo, A. Reenberg) et les parcours de transhumance au Sénégal Oriental (droite) La dernière simulation (simulation 9) est une reconstitution d'un défrichement agricole dans une savane boisée (figure 72). Ces types de situations sont souvent rencontrés dans la zone d'étude avec l'avancée du front cotonnier et du front arachidier. Ces spéculations nécessitent une coupe rase des arbres au niveau des champs. Des pratiques de brûlis, de coupes ou de mortalités provoquées des arbres finissent au bout de quelques années par dénuder des formations végétales relativement denses. Figure 72. Elimination de l'arbre du champ pour les cultures de rente. Ces différentes simulations montrent les importantes
quantités de carbone des sols de la végétation (Archer et al., 2004). Le carbone du sol est le résultat des différents échanges de matières végétales entre les plantes et le sol. La végétation devient ainsi le moteur de la dynamique du carbone dans les différents réservoirs de ces écosystèmes. Si la végétation est bien conservée, le carbone de l'écosystème se reconstitue assez vite ; par contre la dégradation de la végétation nuit, directement aux autres réservoirs dans des délais plus ou moins courts. C'est une des raisons pour lesquelles le Protocole de Kyoto n'a pas rendu éligible le carbone du sol, mais juste le carbone de la végétation qui est très vulnérable aux modifications d'utilisation des terres. Ces simulations permettent ainsi d'apprécier la dynamique de la végétation et surtout le test de scénarios. Lesquels, peuvent être complexes (plusieurs combinaisons possibles) et requièrent beaucoup d'informations in situ pour bien ajuster les simulations. Parallèlement, IPCC a, dans le cadre des méthodes approuvées et du guide des bonnes pratiques sur la foresterie, développé des méthodes de calcul de la dynamique du carbone des écosystèmes pour la comptabilité du carbone des projets MDP. Ces méthodes approuvées sont à l'heure actuelle (septembre 2008) au nombre de 10 avec une méthode consolidée : http://cdm.unfccc.int/methodlogies/ARmethodologies/approved ar.html. Ces méthodes d'élaboration introduisent la notion d'additionalité et leurs méthodes de calcul. Un des aspects importants de ces méthodes approuvées est la prise en compte des fuites. Les fuites sont non seulement les prélèvements sur la biomasse mais aussi les dégagements de GES liés aux activités du projet. Le facteur climatique peut renforcer ou contrer ces processus humains. Dans le modèle CASS les facteurs écologiques sont pris en compte à travers le module `Environmental Multipliers' que sont essentiellement la température, l'humidité, la fertilisation et la saisonnalité. (b) IV.5.2. Conditions environnementales et synthèse du carbone Dans le cadre des changements climatiques, des modifications sont entrevues au niveau du cycle de l'eau, de la température, et des concentrations de CO2. Ces éléments affectent la photosynthèse et donc le processus de stockage de carbone des plantes. Le Sénégal fait partie des zones arides et semi-arides caractérisées par une forte variabilité des précipitations. Les pluies annuelles ont fortement diminué pendant les quarante dernières années. Un léger mieux est noté au cours des 10 dernières années avec une augmentation des pluies de forte intensité pendant le mois d'aoflt. La réduction des précipitations entraîne un stress hydrique qui réduit l'efficacité de la photosynthèse. La réduction de l'humidité du sol influe directement sur l'ouverture des stomates des plantes qui, en réduisant leur transpiration atténue la fixation du carbone et sa diffusion dans la plante (Rosenberg et al., 1983). L'eau constitue alors un facteur limitant dans la production de biomasse. Les températures globales ont aussi augmenté. Au Sénégal, les données des stations synoptiques montrent une hausse de près 1° C depuis 1980 (chapitre I). La photosynthèse n'est pas significativement affectée par les variations de températures dans les marges normales d'adaptation de la plante. Mais avec de fortes variations de température, la respiration de la plante est très affectée. Les arbres tropicaux (plantes C3) sont plus sensibles aux variations de températures que les plantes C4 (herbacées) qui peuvent assimiler plus vite d'ailleurs quand les températures augmentent. Avec le réchauffement de la terre, un stress thermique plus important devrait être noté sur les plantes C3 (Rosenberg et al., 1983). Aussi, l'accroissement des températures peut augmenter la respiration au niveau des sols et des racines, et favoriser une décomposition rapide de la litière. Il s'en suivra naturellement de plus grandes émissions de CO2 dans l'atmosphère. Les concentrations de CO2 atmosphérique sont en constante augmentation. Dans le chapitre I nous avons montré que le CO2 augmente en moyenne de 1,4 ppm/an. Théoriquement, en augmentant la concentration de CO2 atmosphérique, la fixation du carbone par les plantes augmente ; mais faudrait-il que les autres conditions de température, de lumière et d'humidité soient réunies. Des essais de Rosenberg et al. (1983), montrent une augmentation linéaire de la photosynthèse avec l'augmentation du CO2 atmosphérique entre 220 et 400 ppm. Les plantes C3 (arbres tropicaux) supportent plus l'augmentation de CO2 que les plantes C4 (les Poaceae). Les plantes C3 augmentent plus leur photosynthèse que les plantes C4 dans le cas d'une augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique. Ces différences ont été notées dans des serres dont l'air ambiant a été enrichi en CO2. D'autres facteurs comme le vent et des turbulences ont été évoqués comme pouvant influencer la productivité des plantes. Le vent a essentiellement un effet mécanique à travers les distorsions sur la physionomie des formations. Il faut aussi noter que la température, l'humidité ou le taux de carbone du sol influent sur la respiration des plantes (dégagement de CO2). La respiration dépend de la température qui influence le processus d'oxydation de l'humus, l'activité métabolique de la flore et de la faune, et enfin la respiration des racines. L'humidité du sol, quant à elle, est un facteur déterminant dans le processus de décomposition de la litière. Ainsi, les modifications de ces paramètres dans le cadre des changements climatiques entraînent d'importantes mutations dans les échanges biogéochimiques entre formations végétales et atmosphère. |
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