L'Afrique centrale qui intègre le bassin forestier du
Congo présente, après le bassin de l'Amazonie, la deuxième
plus vaste étendue contiguë de forêt tropicale humide.
Celle-ci occupe une surface d'environ 2 millions de km2 (Mayaux et
al, 2006)1. Plus particulièrement, les forêts du bassin
du Congo réparties entre le Cameroun, la RCA, le Congo, la RDC, la
Guinée Equatoriale et le Gabon, constituent par endroits de vastes
espaces ininterrompus considérés comme des «forêts
frontières» (WRI, 2000). Ce nom attribué par le WRI
désigne les zones forestières primaires suffisamment grandes pour
que l'écosystème reste intact à long terme. Elles
constituent donc un réservoir génétique pour les
espèces animales et végétales et un important bassin de
stockage de CO2. On y compte près de 400 espèces de
mammifères, 1000 espèces d'oiseaux, 200 espèces
d'amphibiens, 300 espèces de reptiles et plus de 900 espèces de
papillons (Duveiller et al 2007). Ici, l'accroissement de la
population, les difficultés économiques, l'ouverture des fronts
pionniers, les besoins en bois d'oeuvre et l'émergence des
opportunités de marché en Asie en l'occurrence sont à
l'origine de la forte pression que l'on observe sur ces forêts. Pour les
pays d'Afrique centrale essentiellement pauvres, l'exploitation
forestière représente une part très importante des revenus
d'exportation (Hall et al 2002). Celle-ci est la cause d'un taux de
déforestation annuel estimé à 0.21% et de
dégradation de près de 0.15% (Duveiller, op.cit.). Même si
à l'échelle régionale cette déforestation est peu
importante comparée à celle observée dans d'autres zones
(Afrique de l'Ouest par exemple ou Asie du Sud est), il est à craindre
des répercussions importantes sur les forêts du bassin du
Congo.
Du fait de son appartenance à cet ensemble, le
Cameroun présente sur sa partie méridionale une importante
couverture forestière estimée à 22 millions d'hectares par
la FAO (1998), soit environ 45 % du territoire national. Avec cette superficie,
il est placé au deuxième rang des pays forestiers africains
après la République Démocratique du Congo. L'espace
forestier camerounais représente un volume total en bois de 4 milliards
de m3 soit 12,6 % des forêts denses tropicales mondiales
(Ngoufo, 2005). La grande richesse de cette forêt en essences
exploitables en a vite fait un enjeu économique. Ainsi, les
activités d'exploitation forestière du Cameroun commencent au
début du XXè siècle sous la colonisation allemande.
Letouzey (op. cit.) situe les origines de ces activités à partir
de 1906. Elles se développent d'abord en zone côtière avant
de gagner
1 Mayaux P., Defourny P., Devers D., Hansen M.,
Duveiller G.2006. «Cartographie et évolution du couvert forestier
en Afrique centrale», Etat des forêts d'Afrique centrale
.PP 80-89
progressivement l'intérieur à la faveur de la
multiplication des voies de communication, surtout le chemin de fer. Cette
exploitation s'est poursuivie sous la période franco-britannique. Au
lendemain de son indépendance, le Cameroun comme tous les autres pays en
voie de développement présente une économie
essentiellement fondée sur le secteur primaire. Cette économie
est d'abord développée grâce aux produits agricoles de
rente comme le cacao et le café. Le pétrole prendra le relais par
la suite du fait de l'effondrement des prix des grands produits agricoles sur
le marché international. Avec la crise économique de la fin des
années 80, la forêt apparaît comme un capital plus important
dont il faut profiter pour assurer le développement économique et
social. Pour l'Etat et les exploitants forestiers, la forêt constitue une
importante source de dévises. En effet, le Cameroun est devenu le
deuxième grand exportateur africain de bois après le Gabon et en
tire une partie importante de son PIB. Selon la Direction des forêts, les
recettes forestières sont passées de 36,3 milliards en 1984-1985
à 53,4 milliards de francs cfa en 1993. Les recettes fiscales
dérivées sont elles aussi passées de 4,5 milliards
à 8 milliards dans la même période. Mais cette
participation au PIB s'est malheureusement accompagnée d'une
dégradation de la couverture végétale c'est-à-dire
un ensemble de changements progressifs introduits dans les forêts,
changements parfois difficiles à déceler et à quantifier.
La FAO utilise l'expression « dégradation forestière »
pour désigner « les changements de catégorie de
forêt affectant négativement le peuplement ou le site, et
abaissant ainsi sa capacité de production de biens et/ou de services
»2.
L'exploitation forestière pour le bois d'oeuvre est
ainsi considérée comme un facteur de dégradation des
forêts denses. Cette dégradation est qualitative et peut
entraîner la disparition des porte-graines de certaines espèces
parmi les plus prélevées, mettant en cause les
possibilités de régénération naturelle. La
forêt dense camerounaise a ainsi été marquée par son
intense exploitation qui devait se traduire par des modifications parfois
difficilement perceptibles. En même temps, l'exploitation
forestière a été citée parmi les causes de
déforestation3.
2 FAO cité par Tsayem, 2002.
3 Le concept de déforestation,
qui diffère selon les auteurs, signifie ici la diminution ou la
perte de la biodiversité de la forêt. Pour Puig (2001), le concept
renvoie à la transformation du couvert végétal d'un
état « naturel » à un état artificialisé
qui peut entraîner la perturbation du fonctionnement de
l'écosystème. Pour la FAO, la déforestation «
implique la disparition durable ou permanente du couvert forestier ainsi
que le passage à une autre utilisation des terres (...). Elle inclut
aussi les cas où la surexploitation et la modification de
l'environnement affectent la forêt de façon telle qu'elle ne peut
maintenir un couvert arboré dépassant le seuil de 10 %
» (FAO, 2001, cité par Tsayem). Pour la FAO, le terme
déforestation « exclut spécifiquement les zones
où les arbres ont été enlevés par exemple pour en
exploiter le bois et où la forêt devrait se
régénérer soit naturellement, soit avec l'aide de mesures
sylvicoles ». En d'autres termes, la déforestation est la
transformation ou la conversion des forêts en d'autres types de couvert,
plus ou moins dépourvus de végétation ligneuse (Tsayem,
2002).
En 1980, le rythme de déforestation au Cameroun
était estimé à 80 000 ha par an par la FAO. Entre 1980 et
1995, près de 2 millions d'hectares de forêt ont disparu (WRI,
2000). L'évolution du couvert forestier entre 1990 et 2000 indique un
taux de déforestation de 0,9% au Cameroun, soit le maximum absolu dans
la sous-région Afrique centrale (FAO, 2001 cité par Makon Wehiong
et al, 2005). L'espace forestier sud-camerounais est désormais
considéré comme un "hot spot", un espace présentant un
risque majeur de déforestation (Mayaux et al, 2003).
La région de Mbalmayo n'a pas échappé
à cette ruée sur les ressources ligneuses de la forêt. Avec
la construction de l'embranchement de chemin de fer
Mbalmayo-Otélé terminé en 1927 et l'aménagement
d'un quai fluvial sur le Nyong en 1934, l'arrondissement connaît une
forte exploitation forestière doublée d'une importante
activité agricole qui ont fortement contribué à amenuiser
et à dégrader son espace forestier. Il a par exemple perdu 54 786
ha de forêt entre 1952 et 1985, soit un taux de déforestation
annuel de 2,9 % (Mbida Fils, 1999). De nombreuses entreprises (COCAM, ECAM
Placages, IBC, PK...) se sont très tôt installées dans la
région et ont écrémé les forêts alentour.
Leur activité n'a pas été sans dommages pour le couvert
végétal car elle a modifié forcément la physionomie
des forêts tout comme la composition floristique des peuplements
végétaux. L'exploitation commerciale du bois constituant une
grande menace pour l'intégrité des forêts (Verbelen, 1999),
elle soulève forcément des problèmes écologiques
qui reposent sur la problématique de la préservation des
écosystèmes forestiers et la conservation de leur
biodiversité. C'est de ce constat que nait la nécessité de
s'interroger sur le scénario de l'évolution de ces espaces
abandonnés par les exploitants forestiers.