Les activités anthropiques qui imposent les marques
les plus visibles sur la végétation sont surtout l'agriculture et
l'exploitation du bois. Leur influence sur l'évolution du couvert
végétal a été diversement documentée.
VIII.3.2.1. La régénération
post-culturale
Les champs abandonnés après récolte
connaissent eux aussi une activité dynamique. La vitesse de la
reconstitution qui s'opère est fonction du nombre de cycles culturaux
antérieurs. Un espace qui a été pendant longtemps
exploité verra son potentiel de régénération
réduit. Certains éléments de l'environnement
immédiat peuvent également avoir une influence sur la
reconstitution. C'est par exemple le cas de la présence sur les
jachères de certains arbres épargnés par un abattage
sélectif pendant l'activité agricole. Ces « orphelins de la
forêt » (Carrière, 1999) ont un rôle déterminant
dans la dynamique forestière. En effet, l'arbre au sein de
l'agrosystème crée les conditions favorables à
l'installation des essences ligneuses et facilite la
régénération du couvert forestier (Yarranton et Morrison,
1974)9.
Certains auteurs comme Carrière (1999)
considèrent que l'agriculture extensive traditionnelle basée sur
le système de cultures itinérantes ou essartage, joue un
rôle proche de celui des chablis dans la dynamique forestière.
Pour cet auteur, dans certaines situations, les perturbations induites par les
agriculteurs ne sont pas préjudiciables à la biodiversité
de la forêt, mais au contraire, elles en constituent un des
éléments. Cela s'explique par le fait que les agriculteurs en
aménageant les parcelles de cultures, épargnent un certain nombre
d'arbres pour diverses raisons comme la fertilisation pour le cas des
légumineuses. D'autres raisons expliquent la préservation des
arbres
dans les champs. C'est le cas des arbres fruitiers, des
arbres d'ombrage, des essences à valeur culturelle ou rituelle, des
éléments à valeur médicinale ou culinaire. Aussi,
une fois la parcelle abandonnée en jachère, ces arbres
dispersées favorisent ou accélèrent la reconstitution de
la forêt du fait qu'ils sont des portes graines et servent aussi de
perchoirs aux oiseaux et animaux grimpeurs qui s'y attardent pour manger ou
pour expulser leurs déjections. Aussi, les perturbations induites par
l'agriculture itinérante pratiquée en forêt dense humide
dans un contexte de faible densité démographique
présentent quelques caractéristiques semblables aux perturbations
naturelles. Plusieurs raisons expliquent cela :
· Les perturbations cycliques qui y sont pratiquées
correspondent à des éclaircies temporaires que le calendrier
agricole des terroirs autorise ;
· Le terroir agricole en mosaïque de phases de
jeunesse (construction, jeune jachère), de maturité
(jachère âgée) et de vieillesse (destruction par essartage,
retour à la culture) y constitue un facteur de maintien de la
biodiversité;
· Les perturbations fréquentes (temps de
jachère de 20-30 ans) tout comme les chablis loin de diminuer la
diversité biologique, y permettent plutôt le renouvellement ;
· La variabilité des intensités des
perturbations (faibles superficies défrichées, dispersion des
champs dans le terroir, courte durée des cultures, rotations
déclenchées avant la diminution de la fertilité des sols)
concourt également à un maintien de la biodiversité
globale et même parfois à un enrichissement par le biais
d'introduction d'espèces.
Toutes ces perturbations anthropiques améliorent la
forêt en tant que ressource utilisable pour l'homme et contribuent de
manière significative à la structuration en taches de la
forêt et donc au maintien de sa biodiversité à
l'échelle locale. Le maintien et surtout l'évolution de la
biodiversité s'expliqueraient par les changements climatiques et
écologiques (pénétrations de nouvelles espèces)
ainsi que par les facteurs historiques (sédentarisation des villages),
sociaux (évolution des maîtrises foncières, agencement des
cultures dans l'espace) et culturels (abattage ou non de certaines
espèces d'arbres culturellement valorisées). Dans une perspective
dynamique, on peut résumer l'action de l'agriculture itinérante
par une altération puis une reconstitution de la forêt, donc un
maintien de la biodiversité et une évolution de celle-ci à
travers l'histoire des populations et leurs activités de subsistance.
Kahn (1982) a étudié la reconstitution de la
forêt tropicale humide après culture traditionnelle
au
Sud-Ouest de la Côte d'Ivoire sur 14 jachères d'âges
différents (de 3 à 60 ans). Pour lui, la forêt
tropicale
humide se reconstitue par une série de stades successifs, chaque stade
étant le résultat
de l'installation, du développement et du
dépérissement d'un ensemble floristique qui facilite
l'installation et le développement du stade suivant. La théorie
de la reconstitution qui découle de cette étude établit
que le développement de la forêt passe par une série de 4
stades successifs:
· Le stade herbacé graminéen où la
végétation présente essentiellement les adventices surtout
graminéennes;
· Le stade à herbacées et sous ligneux qui
correspond aux cultures associées de manioc, taro, bananier...
· Le stade arbustif pionnier qui est
caractérisé par la présence de nombreuses espèces
secondaires et principalement Musanga cecropioides, Macaranga hurifolia,
Harungana madagascariencis. Ce stade disparaît par sénescence
et absence de régénération.
· Le stade préclimacique. Il met en place une
forêt secondaire qui précède la forêt climacique.
C'est le dernier stade avant la reconstitution complète de la
végétation.
Le schéma de la succession tel que
présenté par Kahn est à peu près comparable
à ceux élaborés par certains de ses
prédécesseurs en ce qui concerne la reconstitution de la
forêt tropicale humide. Celle-ci, une fois perturbée, tend
à se reconstituer à travers une série d'étapes qui
passent par les plantes herbacées, les arbres à croissance rapide
et à faible longévité, les grands arbres
héliophiles et enfin les arbres caractéristiques de la
forêt primaire qui sont constutiés essentiellement
d'espèces sciaphiles.
Aubreville (1947, cité par Kahn, 1982) distingue trois
phases dans le processus de reconstitution :
· la première phase ou genèse qui est
celle des espèces caractéristiques des forêts secondaires.
Les espèces en présence sont essentiellement héliophiles.
Elles s'élèvent à une taille située entre 15 et 20
m de haut ;
· la deuxième phase qui connaît la formation
d'un sous-bois comparable à celui d'une forêt
primaire.
D'autres espèces héliophiles encore plus grandes que les
premières dominent ;
· la troisième phase ou reconstitution de la
forêt primaire. Ici les espèces secondaires de
la
première phase ont disparu. Ce sont désormais les grands
arbres longévives qui dominent.
héliophiles, de la forêt secondaire jeune
constituée par des espèces à croissance rapide qui
éliminent par leur ombrage les arbres de la phase
précédente, la forêt secondaire haute qui présente
une voute qui tend à se refermer. Cette dernière phase est dite
préclimacique et renferme de plus en plus des espèces de la
forêt primitive.
Dans la partie septentrionale du Cameroun, Aboubakar Moussa
(1997) a déterminé les conséquences de l'exploitation des
espaces boisés ainsi que les risques qui en découlent. Il note la
réduction du couvert ligneux causée par les défrichements
culturaux croissants et la raréfaction de certaines espèces
ligneuses (Trichilia roka, Dalbergia melanoxylon). Aoudou (2001) a
observé une augmentation du recouvrement des ligneux, une
diversité de structures de la végétation en fonction de la
durée de l'abandon sur les terroirs anciennement habités et mis
en défens dans la Haute Benoué.
Dans la région autour de Mbalmayo, les
activités agricoles induisent la perte et/ou la réduction des
ressources ligneuses. Parfois elles provoquent la conversion de la forêt
dense humide en forêts secondaires. De plus, la réduction de la
durée de la jachère (moins de 5 ans) limite la reconstitution de
la forêt, d'où la présence permanente de Chromolaena
odorata dans les friches (Mbida Fils, Op. cit.).
La reconstitution de la forêt après
activités pastorales et agricoles a été
étudiée au Panama par De Walt et al (2003). Cette
reconstitution est plus rapide du point de vue de la structure que de la
composition spécifique car la structure de la forêt
exploitée est comparable à celle d'une forêt peu
perturbée 70 années après abandon.
VIII.3.2.2. La régénération
post-exploitation industrielle
Le prélèvement industriel du bois est à
l'origine de nombreuses perturbations au sein d'un massif forestier. En effet,
l'exploitation forestière cause presque toujours automatiquement des
dégâts collatéraux consécutifs par exemple à
l'abattage des arbres qui entraînent dans leur chute d'autres arbres
pourtant pas ciblés, à l'ouverture des routes et pistes de
débardage, au compactage et à l'exposition du sol... Les
répercussions écologiques de l'exploitation forestière sur
la végétation ont également été
étudiées. Ces répercussions varient en fonction du type ou
mode d'exploitation. Ainsi, les coupes rases ne présentent pas les
mêmes conséquences écologiques que l'exploitation
sélective qui est généralement considérée
comme un mode d'exploitation durable.
White et al (1994) et Asner et al. (2004)
ont montré que les conséquences de l'exploitation
sélective sur les peuplements forestiers étaient très
réduites comparativement aux autres modes d'exploitation. L'exploitation
forestière entraîne une ouverture importante de la canopée.
Dans les forêts africaines peu denses, Abebe et Holm (2003)
considèrent que cette ouverture est de l'ordre de 10%. Pour Cannon
et al. (1994) elle peut atteindre jusqu'à 75% dans les
forêts denses à Dipterocarpaceae d'Asie du Sud-Est. L'ouverture
correspond essentiellement aux trouées d'abattage et aux chablis
liés aux dégâts d'abattage et dans une moindre mesure
à l'ouverture des pistes de débardage. Elle n'entraîne pas
de fractionnement majeur des massifs mais des trouées passagères
(Asner et al. 2004).
Palla (2000) qui a évalué l'impact de
l'exploitation forestière sur les ressources naturelles à la
périphérie du Dja révèle une grande secondarisation
de la forêt. Elle montre une forte réduction des effectifs de
certaines espèces parmi les plus prélevées de même
qu'une raréfaction des arbres de diamètre supérieur
à 65 cm. L'étude montre aussi un faible impact de l'exploitation
forestière sur la diversité spécifique et une modification
notable de la structure de la forêt de par la diminution de la surface
terrière des arbres à dbh > 70 cm.
Malcolm et Ray (2000) ont étudié la
reconstitution de la forêt sur les routes principales et secondaires, les
pistes de débardage, ayant servi à l'exploitation du bois au
Sud-ouest de la République Centrafricaine. Le réseau des routes
et pistes a été comparé à des portions de
forêt relativement intactes 12 et 19 ans après exploitation. Ils
arrivent à la conclusion que les effets écologiques sont plus
perceptibles sur les routes principales et secondaires dans la mesure où
la densité des plantes du sous-bois est plus grande sur ces routes qu'en
forêt non exploitée. De plus la diversité et la richesse en
espèces sont faibles sur routes principales, moyennes sur routes
secondaires et importante sur pistes de débardage et en forêt non
exploitée. Les routes principales et secondaires présentent
après exploitation une structure forestière modifiée avec
un sous-bois dense et très peu de plantules.
La régénération des espèces
commerciales a été étudiée 14 mois après
l'extraction du bois dans une forêt sèche en Bolivie par
Fredericksen et Mostacedo (2000). La densité, la composition
spécifique, la croissance des plantules ont été
étudiées sur les différents points d'impact de
l'exploitation (routes, pistes de débardage, parc à bois...) et
comparés à un site non exploité. L'étude
révèle une forte densité et un accroissement rapide des
arbres sur les sites où les sols ont
été fortement perturbés (parc à
bois, routes) car ici, l'exposition à la lumière et la
perturbation du sol réduisent la compétition avec les autres
plantes.
Akamba (2000) relève que la causalité directe
entre exploitation forestière et dégradation du couvert
végétal n'est pas évidente du fait de la présence
des recrûs forestiers dans les secteurs déjà
exploités tout comme la présence de petits îlots de
forêt au sein des faciès de dégradation au sud du Nyong et
Mfoumou. A partir d'une évaluation écologique basée sur le
comptage et la mesure du dbh des essences, elle observe que les zones
intensément exploitées se caractérisent par l'absence des
espèces de catégorie exceptionnelle.
Hall et al (2003) ont étudié les effets
de l'exploitation industrielle sur la forêt en République
Centrafricaine en procédant à une comparaison entre une parcelle
vierge et deux parcelles respectivement de 6 mois et de 18 ans
post-exploitation. Ils arrivent à la conclusion que l'exploitation
sélective a très peu d'influence sur la diversité
spécifique même si elle modifie la structure de la
végétation. Cette perturbation de la structure de la forêt
pourrait limiter la régénération des principales
espèces exploitées.
Les travaux de Makana et Thomas (2005) montrent que
l'augmentation de l'intensité de la lumière liée à
l'exploitation sélective ne favorise pas significativement la
germination des graines de certaines espèces exploitées comme le
Sapelli. En revanche, la croissance des plantules (hauteur et diamètre)
semble favorisée dans les trouées d'exploitation par rapport au
sous-bois (près de deux fois plus rapide)
Au total, les travaux précédents montrent que
l'exploitation d'une forêt influence son fonctionnement et son
évolution en modifiant surtout sa structure et sa composition
floristique. Dans les chapitres suivants, nous voulons voir si ces conclusions
s'appliquent également à notre zone d'étude. De plus, au
stade actuel des recherches, il reste à déterminer (1) en combien
de temps et (2) dans quelles conditions d'exploitation industrielle une
parcelle de forêt exploitée peut retrouver sa composition
floristique et sa structure initiale. Cela passe par la mise en application
d'une technique qui fait intervenir les démarches de la
géographie, de l'écologie et de la botanique.