Les forêts ne sont pas des entités statiques ou
immuables. Elles connaissent une évolution permanente, un
perpétuel processus dynamique même en dehors de toute intervention
humaine. Des études sont par exemple formelles sur l'évolution
des forêts tropicales à travers le temps.
VIII.3.1.1 La dynamique induite par les fluctuations
climatiques passées
Les changements radicaux des climats dans le temps et dans
l'espace ont toujours laissé des héritages importants sur le
relief, mais aussi sur la végétation qui a du s'étendre ou
se rétracter pour survivre. Les forêts tropicales ont par exemple
connu une évolution provoquée par les grandes fluctuations
climatiques intervenues au cours du Quaternaire (Figure 2). Les surfaces
actuellement occupées par les forêts n'ont pas toujours
été celles que nous connaissons aujourd'hui. De nombreuses
recherches fondées sur l'étude des matières organiques des
sols (MOS) et sur des analyses polliniques ont montré que les
forêts tropicales ont connu plusieurs fluctuations au gré des
changements paléoclimatiques. Elles ont été soumises
à d'importantes transformations de la biodiversité et à
une modification de leur distribution dans le temps et dans l'espace. Les
forêts tropicales se sont adaptées aux changements climatiques en
fluctuant c'est-àdire en entrant dans un processus dynamique. En
périodes climatiques humides, elles sont en phase d'extension. Par
contre, en périodes sèches, elles régressent pour assurer
leur survie dans les zones refuges qui ont conservé une humidité
suffisante.
Au Cameroun par exemple, pendant les périodes
sèches du quaternaire, la végétation a migré vers
les zones refuges comme le pourtour de la zone
côtière...5 C'est à partir de ces zones refuges
que s'est développée la reconquête une fois que le climat
est redevenu favorable. De nombreuses autres recherches ont montré que
les forêts tropicales ont régressé et se sont
fragmentées durant le dernier maximum glaciaire il y a environ 20 000
ans (Maley, 2001, Giresse et al, 2004). Entre 23 000 et 15 000 ans BP on a
observé un retrait de la forêt au profit de la savane du fait de
la baisse de la pluviosité. Entre 10 000 et 4 000 ans BP, on note une
forte extension de la couverture forestière à l'ouest de
Yaoundé consécutive à une phase climatique humide (Giresse
et al, 1994). A partir de 2500 ans BP les forêts d'Afrique centrale ont
subi des destructions importantes provoquées par une phase climatique
sèche. Les formations savanicoles vont s'étendre durant cette
période. Depuis environ 1500 ans BP, la rehumidification a
entraîné la reconquête de la forêt sur la savane
(figure 2)
5 Polycopié Cours UE Géo 422 :
Dynamique des espaces forestiers et risques, année 2007-2008.
Figure 2 : La reconstitution de l'évolution de la
végétation au cours du Quaternaire au Sud Cameroun, le cas du lac
Barombi Mbo (Kumba) (Giresse et al, 1994)
D'autres travaux de reconstitution menés en Afrique
centrale atlantique ont formulé les mêmes
hypothèses.
Trois périodes apparaissent : le début de
l'Holocène6, humide et forestier ;
l'Holocène
supérieur plus sec, constitué de mosaïques
forêt-savane ; enfin, depuis environ six
siècles, la période actuelle à nouveau
plus humide (Schwartz, 1997)7. L'histoire de la forêt
tropicale au Quaternaire est donc celle d'une dynamique constante liée
aux fluctuations climatiques et qui s'est traduite par des transgressions et
des régressions de la forêt sur la savane. Mais la dynamique de la
forêt n'est pas que passée. Aujourd'hui encore, la forêt est
en continuelle évolution. Cette évolution est par exemple
contrôlée par des chablis au sein des peuplements forestiers.
VIII.3.1.2 La dynamique causée par les chablis ou
la régénération naturelle
Pour Riera et al. (1990), le chablis correspond
à la perturbation provoquée par un arbre tombé au sol.
Avec la mortalité des arbres, on le considère comme le moteur de
la sylvigénèse car il est à l'origine de la
régénération ou du rajeunissement graduel de la
végétation. Dans les chablis, la mort des individus
âgés offre l'opportunité à d'autres espèces
de se développer et de se reproduire, faisant de la forêt une
mosaïque où cohabitent des phases de jeunesse, de maturité
et de vieillesse. En effet, la chute d'un arbre en forêt causée
par des vents violents ou des fortes pluies provoque l'ouverture de la
canopée. Cette situation entraîne une modification des conditions
microclimatiques avec une intensité de lumière plus forte qui
parvient au niveau du sol. De nombreuses espèces surtout
héliophiles profitent de cette ouverture et des changements induits pour
entreprendre leur régénération. Selon Riera et al
(1990) ou Kahn (1982), les espèces qui interviennent dans les processus
de régénération ainsi enclenchés sont
classées en trois groupes (figure 3) :
· Les espèces pionnières qui peuvent
germer facilement lorsque la lumière est intense. Elles participent les
premières à la reconstitution de la végétation.
C'est d'ailleurs à cela qu'elles doivent leur nom. Leur croissance est
rapide et leur durée de vie courte (3 à 30 ans) ;
· Les cicatricielles ou nomades. Elles germent à
la lumière et ont une durée de vie plus longue que les
espèces pionnières (100 ans). Elles doivent leur nom à
leur capacité à cicatriser les forêts perturbées ou
à leur isolement les unes des autres. Leurs plantules se
développent facilement lorsque la luminosité est
intermédiaire entre la pleine lumière et le sous-bois;
· Les espèces structurantes ou dryades. Elles ont
une croissance lente et une longue durée de vie. Leur présence
à l'état mâture confère au peuplement un
caractère ancien et une certaine stabilité. Les espèces
structurantes ont une croissance lente et une durée de vie longue.
7 Cité par Henri Puig, 2001, La
forêt tropicale humide, Belin, 448 P. P.29
Figure 3 : La dynamique de la
régénération naturelle de la forêt dense tropicale
(adapté de Kahn, 1982)
Ces différents groupes d'espèces se relaient
après une perturbation au sein du peuplement forestier pour reconstituer
la végétation. Le maintien de la biodiversité dans les
forêts tropicales est en partie du à ces phénomènes
de perturbations cycliques que sont les chablis qui maintiennent la
biodiversité tout en la faisant évoluer. Le résultat de
cette dynamique à l'échelle d'un peuplement végétal
est qu'il n'existe pas une uniformité dans la structure et la
composition de la forêt. Celle-ci constitue désormais un
assemblage où cohabitent des unités élémentaires
différentes par leur architecture et leur composition floristique. Ces
unités élémentaires sont considérées par
Oldeman (1990, cité par Blanc, 1998) comme des éco-unités
c'est-à-dire des unités de végétation ayant
commencé leur développement au même moment et sur la
même surface à la suite d'une perturbation.
La forêt est en équilibre dynamique, son
renouvellement étant assuré par la modification
successive de
petites taches (Bormann et Likens, 1979 cités par Carrière,
1999). On aura ainsi
des unités mâtures composées de
grands arbres, des chablis en phase de croissance et de
cicatrisation, des unités de dégradation.
Toutes ces unités juxtaposées forment la mosaïque
forestière, expression proposée par Aubreville. Cette
mosaïque selon Oldeman est l'ensemble d'éco-unités à
différentes phases de développement et caractérisant
différents stades de la succession. On assiste ainsi à une
régénération cyclique de la forêt. La perturbation
naturelle n'est pas toujours synonyme d'érosion ou de perte de la
biodiversité. Car, le maintien de la biodiversité dans les
forêts tropicales est en partie assigné au phénomène
de perturbations cycliques que sont les chablis qui maintiennent la
biodiversité et la font évoluer.
VIII.3.1.3 La dynamique des marges ou des
interfaces
Un autre aspect de la dynamique végétale est
celui qui concerne les mouvements à la limite des biomes ainsi que nous
l'avons évoqué plus haut en ce qui concerne le balancement de la
limite forêt savane au quaternaire.
L'évolution de la zone de contact forêt savane a
longtemps marqué les études de biogéographie et de
botanique. De nombreux termes ont été employés pour
signifier cette évolution des marges dans un sens comme dans l'autre:
transgression, recul, avancée, reconquête, afforestation,
emboisement, savanisation, invasion. Certains précurseurs de la
phytogéographie tropicale comme Aubreville traitaient
déjà, au milieu du siècle dernier, de l'évolution
de la ligne de démarcation entre la forêt et la savane en parlant
par exemple du "recul des lisières de la grande forêt
guinéenne et équatoriale" (Aubreville, 1948 cité par
Youta, 1998)...
Au centre Cameroun, la dynamique spatiale de la forêt
sur sa lisière a été étudiée par Youta (Op.
cit.). Son étude établit l'avancée de la forêt sur
la savane, prenant ainsi à contre pied les tenants de la thèse de
la forêt figée ou en recul. Cette première approche de la
dynamique fondée sur l'évolution spatio-temporelle et même
floristique renvoie à la dynamique des marges ou écotones en zone
de contact forêt-savane. Elle s'appuie généralement sur la
superposition diachronique des images satellites ou des photographies
aériennes. La structure horizontale de la végétation est
donc étudiée à travers une comparaison des états du
couvert végétal à différentes périodes.
Certaines recherches ont tenté d'appréhender
l'évolution de la forêt dans ses aspects fonctionnels, sans
intervention humaine. C'est le cas des travaux de Kouob et Sonke
(2001)8 qui étudient la mortalité, le recrutement et
l'accroissement en hauteur et en diamètre des arbres à
l'intérieur de la réserve du Dja, sur deux transects permanents
entre 1993 et 2000. Ici, le comportement des individus est étudié
à l'intérieur des placettes ou des transects. Ces
différentes approches de la dynamique nous intéressent peu du
fait qu'elles ne sont pas strictement liées aux activités
humaines et à l'exploitation forestière plus
particulièrement.