CHAPITRE II : RAPPORT DE CONJONCTION
Traditionnellement definie comme pouvoir du peuple, la
democratie comme pratique et theorie politiques, a connu une lente evolution a
travers les siecles. La premiere forme de la pratique democratique au sens de
technique de la conduite des affaires de l'Etat par le peuple lui-meme fut
rencontree dans la Grece antique. En effet, la Grece consideree comme "berceau
de la liberte politique" avait pratique la democratie au sens du pouvoir du
peuple par la mise en place d'une assemblee souveraine denommee ecclesia, qui
presidait a la definition des orientations generales de la politique de la
cite. Il s'agissait alors du type de democratie directe qui consistait a reunir
a l'agora le peuple pour debattre de preoccupations de la cite, proceder a la
designation des dirigeants et au vote des lois. Cependant, cette democratie
athenienne fonctionnait sur une base elitiste, c'est-A-dire que les categories
sociales les plus nombreuses, notamment les femmes, les meteques et les
esclaves etant exclus du jeu politique : elles n'etaient ni electrices, ni
eligibles.
Mais, la democratie comme doctrine politique s'etait
progressivement affirmee avec des theories comme Spinoza, Locke, Montesquieu et
Rousseau entre le XVII& et le XVIII& siecle2222. Leur pensee
politique est une sorte de denonciation et de refus de la pratique de la
politique absolutiste de l'ere medievale ou l'exercice du pouvoir politique
appartenait conjointement a la noblesse et clerge chretien. Ces auteurs
soutiennent alors que le meilleur regime, c'est la democratie. Elle concilie
l'autorite politique et la liberte du citoyen par le biais de la separation des
pouvoirs, des consultations regulieres de la volonte populaire, le respect des
droits et libertes des individus, etc. Toutefois, la mise en pratique de ces
differentes theories n'a veritablement commence a se concretiser qu'avec les
revolutions americaines et francaises. Mais, c'est la revolution francaise qui
a le plus eu d'echo a travers le monde, parce qu'elle a consacre le triomphe
des ideaux republicains par le renversement violent et spectaculaire de la
monarchie de l'epoque. Elle a eleve la liberte du citoyen au rang du droit
fondamental et par lA, elle confera a l'homme le pouvoir de se realiser par
lui-meme.
La revolution francaise offrira a l'humanite la declaration
universelle des droits de l'homme et du citoyen dont les references
essentielles sont, entre autres, la liberte, l'egalite, la justice, la
souverainete populaire. Cette declaration, faut-il le souligner reprend en ses
nombreux articles, quelques passages essentiels du contrat social de Rousseau
sur la liberte, l'egalite et la souverainete des citoyens. Il en est ainsi, de
l'article I qui stipule que "les hommes naissent et
22 · i
Je fats allusion ici aux wuvres ci-après : Traite de
l'autorite politique (Spinoza), Traite sur le gvt civil (Locke)
et L'esprit
des lois (Montesquieu).
demeurent libres et egaux en droits"23, de
l'article II qui stipule que "le principe de toute souverainete reside
essentiellement dans la nation"24, de l'article IV qui affirme que :
"la loi est l'expression de la volonte generale"25, etc. Il apparait
de ce fait que Jean Jacques Rousseau a eu une influence certaine sur les
acteurs de la revolution française, notamment au niveau de la
constituante. C'est en cela qu'il est considere comme un des pionniers de la
democratie liberale, laquelle (depuis le XVIIIi5me siècle),
faisant du bonheur commun la fin de l'action politique, concilie dans ses
fondements la morale et la politique, etablit des fins ethiques a l'action
politique.
1. DE LA DEMOCRATIE LLI BERALE CHEZ ROUSSEAU
Rousseau represente dans l'histoire de la pensee politique
l'antithese de Hobbes sur la nature et la legitimite du pouvoir politique. Ils
conviennent tous les deux, qu'avant la constitution de l'etat social, les
hommes auraient vecus dans un etat de nature ou etat d'inorganisation a cet
etat de nature.
Ainsi, pour Rousseau dans l'etat de nature, il y avait un
equilibre entre les besoins des hommes et leur satisfaction, parce que dans cet
etat, tout etait en abondance et il n'y avait pas de propriete privee. Dans cet
etat, l'homme etait un etre physiquement fort, resistant, moralement innocent,
car ignorant le mal. Il etait habite par le sentiment de pitie et pour toutes
ces raisons, il etait "libre, bon et heureux". C'est ce que Rousseau qualifie
comme une sorte d'enfance heureuse de l'humanite. Mais, cet etat de nature
disparaitra au profit d'une premiere forme de socialisation qualifiee de
"mauvaise socialisation".
Cet etat serait marque par l'apparition de la propriete
privee, qui engendra d'ailleurs la mefiance et les conflits entre les hommes.
Il s'instaura alors une situation non viable ou les interets egoistes se
brisaient les uns contre les autres, malgre les multiples lois et reglements
que les Etats adoptaient pour instaurer l'ordre. La situation allant en
s'empirant, l'Etat a son tour devint mefiant vis-a-vis des citoyens qu'il
tendait d'ailleurs a brider davantage. C'est en ce moment que la necessite de
trouver une nouvelle forme de societe s'imposa. Il s'agissait d'une societe ou
la nature raisonnable et libre de l'homme soit respectee tout en tenant compte
du besoin historiquement incontournable de l'organisation sociale. Tel fut
l'objet essentiel du contrat social de Rousseau.
C'est donc a partir de ce moment que Rousseau s'attela a chercher
cette forme d'association par laquelle "chacun s'unissant a tous n'obeisse qu'a
lui-
23 F.M Walkins, L'ere des ideologies :"les
revolutions francaise et americaine offraient la liberte non pas a une seule
nation mais a toute l'humanite" Nouveaux Horizons, p 89.
24
Rousseau Du Contrat social, ed sociales 19 80, p12.
25 Ibidem.
meme et reste aussi libre qu'auparavant"26. Il
trouva la solution en ce que chacun aliene sa liberte, non pas au profit d'un
seul (monarchie) ni de plusieurs (aristocratie) mais de tous (la democratie).
Cette alienation de la liberte de chacun au profit de tous, s'effectue a
travers un contrat social par lequel l'homme se reconcilie avec sa propre
nature d'être libre et fonde l'etat social. L'Etat issu de ce contrat
social devint l'incarnation de la volonte generale, "un corps collectif et
moral". Avec cet etat, chaque citoyen accepte de faire un exercice civilise de
sa liberte en echange d'une garantie de cette meme liberte.
Le contrat social reposera sur la soumission a la loi dictee
par chaque citoyen au travers de la volonte generale definie comme lieu de
rencontre des volontes individuelles, altruistes, celles orientees par la
raison et visant le bien commun. Des lors, l'individu ne peut protester contre
une decision prise par la collectivite a laquelle il a des l'origine fait
remise de son independance individualiste. Il s'agit donc de l'Etat contractuel
qui protege les libertes individuelles contre les abus d'autrui. Soulignons a
ce niveau, que l'Etat ne tire sa legitimite que du respect de la volonte
generale et pour etre efficace, il doit se donner les institutions necessaires
pour recueillir cette volonte. A cet effet, Rousseau louait la democratie
directe a l'image des ecclesias grecques ou des cantons suisses, oil les
citoyens exprimaient directement a travers des debats publiques leur volonte.
Il s'agit la pour Rousseau, de la meilleure forme de democratie au detriment de
la democratie representative ou parlementaire.
L'important ici, c'est qu'au-delA du choix de forme, la
democratie realise A l'oppose du totalitarisme, la reconciliation de l'Etat et
du citoyen. Elle offre, en plus une vision plus optimiste de la nature humaine.
Elle croit notamment en la capacite de l'homme a realiser le bien public. Par
ailleurs, Rousseau croit en la faculte de l'homme a vivre en paix avec ses
semblables selon les normes ethiques et rationnelles : "c'est l'homme agissant
selon les règles morales consultant sa raison et non plus son
instinct"27 qui est le citoyen en democratie. Le but de la
democratie vise a une forme de gouvernement oil l'Etat exerce son autorite dans
le respect des libertes des citoyens tout en garantissant a chacun les
mêmes droits fondamentaux. La democratie tant a valoriser la tolerance,
preconiser le respect de la liberte individuelle et prevenir toute politique
arbitraire par la separation des pouvoirs et le recours aux consultations
electorales.
L'investiture du pouvoir a laquelle procède le peuple
est le fait d'un contrat : chacun dans ses rapports avec l'autre et avec le
pouvoir, accepte la limitation de certains de ses droits propres et reconnait
chez autrui et dans le pouvoir les droits correspondants. Si les citoyens ne se
reconnaissent plus dans
26 26. J.J. ROUSSEAU, op cit, p.21
27 J.J. ROUSSEAU, op cit, p 21.
le pouvoir parce que celui-ci ne reflète plus leur
volonte, ils seront tentes de suspendre leur confiance a ce pouvoir lui Ctant
ainsi toute legitimite.
Le contrat suppose donc des engagements et des devoirs
auxquels les uns et les autres ont souscrit et qui doivent etre respectes, meme
si c'est a l'encontre de certains interets personnels.
La morale commence là oii l'autorite du devoir s'impose
a tous et que chacun etant conscient de ce fait s'efforce de la respecter. En
tout etat de cause, la democratie comme aboutissement d'un contrat originel ne
saurait remplir toutes ses promesses de liberte, d'egalite et de justice, que
lorsque des institutions idoines fonctionnent regulièrement.
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