3. DE L'ASSUJETTISSEMENT A LA CITOYENNETE
L'analyse precedemment faite sur l'absolutisme monarchique de
Hobbes laisse entrevoir que la doctrine du totalitarisme fait de l'homme en
tant qu'"être politique" un sujet plutot qu'un citoyen. Nous entendons
par citoyen, tout individu reconnu juridiquement comme membre d'une communaute
politique donnee, jouissant de tous ses droits et auquel incombent aussi des
devoirs dans les limites des charges qui sont les siennes. Il s'agit alors
d'une personne etablie dans sa dignite et dans la plenitude de ses facultes a
participer activement a la gestion des affaires publiques.
Le statut du citoyen se trouve donc lie a la constitution
republicaine, comme regime fonde sur le droit en tant qu'expression de la
volonte generale. Il s'agit donc d'un regime ou la souverainete appartient au
peuple comme ensemble du corps politique constitue de tous les citoyens
jouissant de la faculte deliberative sur toutes les questions relatives a la
vie publique.
L'Etat republicain peut ainsi fonder un regime democratique
qui repose sur la responsabilite des citoyens contrairement aux regimes
totalitaires ou la responsabilite repose sur le seul monarque. C'est a ce
niveau qu'on peut situer toute la difference conceptuelle qui existe entre
citoyen et sujet. Le premier est un acteur sur la scène politique de sa
communaute ou il joue son role en toute liberte et en toute responsabilite,
tandis que le second est un passif, car soumis a la volonte du monarque a qui
il doit obeissance et devouement sans aucune garantie de ses droits.
Historiquement, la conscience d'être citoyen est apparue
pendant la revolution francaise et elle traduisait la volonte de sortir de
l'ancien regime monarchique base sur l'assujettissement du peuple. Aussi, quand
on parle de sujet, c'est souvent en reference a un monarque ou a un souverain
detenant le pouvoir absolu et auquel tous les membres de la communaute sont
statutairement soumis.
Hobbes definit les sujets en ces termes : "je nomme sujets de
celui qui exerce la souverainete tous les citoyens d'une même ville et
même les compagnies qui composent une personne civile sous
ordonnee."20 En d'autres termes, Hobbes designe par sujet, toute
personne statutairement appelee a rendre toute sorte d'obeissance a un
monarque. Mais au dela, de cette definition du sujet par Hobbes, trois
conditions particulières permettent de determiner le statut politique
des personnes comme citoyens ou sujets dans un regime donne. Il
20 Hobbes, Le citoyen, G. Flammarion, 1992.
s'agit notamment de la source de l'exercice de souverainete, du
respect et des garanties des libertes politiques et du mode de choix des
gouvernements.
3.1 De la source de l'exercice de la souverainete.
La reconnaissance d'un regime politique comme totalitaire ou
democratique repose en grande partie, mais non exclusivement sur les conditions
d'exercice de la souverainete. En effet, le regime totalitaire ou despotique se
caracterise par le fait que la souverainete est detenue et exercee par un
individu en la personne du monarque. Entre ses mains sont concentres tous les
pouvoirs et aucune autre volonte ne peut s'opposer a la sienne. Or, dans un
regime democratique, la detention et l'exercice de la souverainete sont devolus
au peuple dont la volonte est au dessus de toute autre volonte particuliere. Il
s'en suit ainsi dans le premier cas, que le peuple est constitue de sujets
comme personnes qui dependent de la volonte absolue du monarque. Dans le
deuxieme cas, le peuple est constitue des citoyens comme personnes qui ne
dependent que d'eux-memes a travers leur volonte exprimee. Dans le premier cas,
la source de la souverainete reside dans le monarque, dans le cas, elle repose
sur la volonte generale des citoyens.
La souverainete populaire reconnue comme "inalienable" par
Rousseau fonde la legitimite du pouvoir politique. C'est donc le passage de la
source de la souverainete du monarque au peuple qui marque la fin de
l'assujettissement et le commencement de la citoyennete. Le peuple se liberant
du joug et de la tyrannie d'un seul, se donne l'opportunite de participer
librement a la prise en charge de son propre destin, s'investir resolument dans
la vie publique. C'est dans le meme esprit de responsabilite qu'Alain Tourraine
concoit la citoyennete : "c'est dans la participation a l'ceuvre commune du
corps social que l'individu se forme, domine ses passions et ses interets,
devient capable d'agir rationnellement". Or, une telle conception ne cadre
nullement avec un systeme ou le peuple n'a aucune initiative.
En effet, dans ce système le peuple reste et demeure
soumis aux initiatives unilaterales du monarque dont les actes politiques
visent parfois a soigner plutôt son image et sa grandeur que le
bien-être du peuple. Par contre, dans le regime democratique, les hommes
sont plutôt responsabilises comme citoyens jouissant des droits de
s'autogouverner. C'est donc la question de la libre participation des hommes a
la conduite des affaires de la cite qui oppose fondamentalement les doctrines
d'essence totalitaire et la democratie : le premier cas de non participation
les reduits en sujets ; le deuxième de participation en fait des
citoyens.
C'est le lieu donc d'insister sur le respect et la garantie des
libertes politiques.
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