2. LE JUSTE ET LE BIEN, LA COMPLEMENTARITE DANS LA
DIFFERENCE
Le domaine de l'agir es celui de a liberte et de l'autonomie
de la volonte du sujet suivant ses desseins. L'initiative de l'action ici, son
accomplissement et sa finalite sont naturellement determines par l'intension et
partant par le libre arbitre de l'individu. A priori, son entreprise ne
concerne que lui seul. Seulement, etant entendu que cet individu ne vit pas
hors de la communaute, il s'en suit que son action aura necessairement sur le
monde exterieur.
A ce niveau donc, commence le proces de l'action, et c'est a
ce niveau qu'on tente de juger de la valeur de l'action. Mais, en la matiere,
le premier proces est d'abord celui que nous nous faisons, car "la moralite de
nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-memes. S'il est vrai
que le bien soit bien, il doit etre au fond de nos cceurs, et le premier prix
de la justice est de vouloir qu'on la pratique"57. Au fond, la
decision d'agir moralement est une decision libre, du sujet qui consent a
ceuvrer pour le bien et la justice.
Il y a lieu ici de lever toute equivoque quant au role de la
societe et de ses institutions qui ne sont la que pour faire agir les hommes
selon la morale, mais qui n'ont pas a s'occuper de la conscience morale de
chacun. Il apparait ainsi que l'activite humaine qui prend sa source dans la
liberte du sujet ou du citoyen doit etre dans sa forme et son contenu conforme
a la regle du droit (qui definit ce qui est permis et possible de faire) d'une
part et d'autre part aussi, etre d'un bienfait certain pour soi-meme et pour
les autre.
L'action de l'homme etant action dans le monde, un monde regi
par des regles fixant a chacun des limites de son droit (cette limitation etant
la garantie de sa propre liberte), son action n'est alors juste que lorsqu'elle
se situe dans les limites de ce qui est permis. L'action juste se trouve etre
donc celle qui est conforme a la justice, a l'equite, elle est ce qui est
conforme a la volonte d'ordre moral. Est juste selon Kant, "toute action qui
peut ou dont la maxime peut laisser coexister la liberte de l'arbitre de chacun
avec la liberte de tout le monde d'apres une loi universelle"5 8.
A cet egard, la justesse d'une action nous renvoie donc a la
maxime de celle-ci, sans consideration de la fin qui est poursuivie. Elle pose
a cet effet, la question du comment l'action peut-elle etre menee ?
C'est en cela que le juste se distingue du bien, car celui-ci
est relatif a la finalite de l'action et repond a la question "en quoi cela est
bon ou mauvais ?" Le bien dans la materialite de son concept est ce qui est
agreable, avantageux et dans les sens de sa spiritualite, il se definit selon
Kant comme etant l'objet de la volonte (c'est-A-dire de la faculte de desirer,
determinee par la raison) ".
L'idee juste chez Kant du point de vue politique, sanctionne
toute decision ou action politique qui recueille l'assentiment de la majorite,
en prenant le soin de na pas "privilegier telle categorie de citoyens par
rapport a telle autre". Aussi, Kant soulignait-il expressement que "s'il est
seulement possible qu'un peuple y donne son assentiment, c'est alors un devoir
de tenir la loi pour juste, a
57 Rousseau, Emile de l'education, G.
Flammarion, 1966, p 373.
5 8
Kant, in Euvres philosophiques T03 ed Flammarion 19 85, p
479.
supposer meme que le peuple se trouve presentement dans une
situation ou dans une position de sa faMon de penser telles que, si on le
consultait la-dessus, il refuserait probablement son
assentiment"59.
Dans l'action juste, ce qui est recherche, c'est l'accord
possible entre ce que j'ai le droit de faire et le devoir de le faire en
conformite avec les principes communement admis et acceptes par tous. L'action
juste designe aussi chez Kant le "bien agir" qui ne "suppose pas une fin, mais
la loi qui renferme la condition formelle de l'usage de la
liberte"60. Autrement dit, le "le bien agir" suppose ethiquement une
loi dont l'essence rend possible le juste usage de la liberte.
Le juste et le bien ne sauraient etre consideres comme des
valeurs isolees l'une de l'autre dans une action, car "oil tout est bien, rien
n'est injuste"61. En effet, ce qui est bien, c'est ce qui est juste
et peut par consequent faire l'objet d'une regle de droit public. C'est en cela
sans doute que les constitutions republicaines disposent generalement que "tout
ce qui n'est pas defendu par la loi ne peut etre empeche et nul ne peut etre
contraint a faire ce qu'elle n'ordonne
H62
pas . Par consequent, l'action de l'homme etant action dans le
monde, il est appele a la circonscrire dans les limites des droits qui lui sont
reconnus.
Le bien se rapporte aussi chez Kant a l'ordre de l'amour des
autres et le juste se rapporte a l'amour de l'ordre. Il s'agit donc d'un devoir
de l'homme d'aimer ses semblables et de veiller a ce que chacun n'outrepassant
pas ses droits afin que l'ordre soit preserve. A cet egard, chacun doit se
soumettre a la discipline de la raison en se pliant a ses devoirs et a ses
obligations car c'est la que se trouve la vraie maxime morale qui doit diriger
notre conduite.
Il est donc de notre devoir d'agi dans le sens du bien, de
veiller a ce que nos actions ne nous nuisent pas et ne nuisent pas aux autres.
L'obligation ou le devoir est une donnee inconditionnelle, en ce sens par
exemple qu'il ne suffit pas seulement de "faire du bien aux hommes par amour
pour eux et par bienveillante sympathie, ou d'être juste par amour de
l'ordre"63, mais de le faire par devoir. En fondant son action sur
une telle inclination, il y a de forte chance que cela ne soit possible la ou
cette inclination fait defaut.
Par consequent, il y a lieu que l'homme fasse violence sur
lui, se surpasse pour faire un saut qualitatif dans l'univers du rationnel, du
droit et du devoir, du
59 Kant, Theorie et Pratique, Paris Vrin 1990,
p 39.
60 Kant, (Euvres philosophiques (religion dans
les limites de la simple raison) ed 19 85, p 17.
61 J.J ROUSSEAU, Emile ou l'education,
Flammarion 1966 p 367.
62 Constitution du Burkina Faso, adoptee par
referendum du 2 juin 1991, titre I (des droits et devoirs fondamentaux) art5,
1er paragraphe
63 Kant, (Euvres philosophiques ed Gallimard 19
85, p 70 8.
juste et du bien. Cette aventure dans la positivite, est le
gage d'une vie en communaute sereine et saine, reduisant au mieux les conflits
entre les hommes. Il est de notre inter:t de comprendre que "faire le bien par
devoir alors que nous n'y sommes pousses par aucune inclination et qu'une
repugnance naturelle et presque invincible s'y oppose, voila bien un amour
pratique (...) qui reside dans la volonte"64.
Le domaine du public est celui de l'affirmation de soi dans la
diversite des "moi" en interaction, chacun suivant ses desseins personnels, ses
preoccupations propres. Mais cette affirmation de soi, pour autant qu'on veut
qu'elle soit en meme temps integration dans le corps social, se doit
d'être sous-tendue par des initiatives dont l'esprit et la lettre
s'inspirent des valeurs du bien et du juste. L'examen de ces deux notions, en
ce placant au centre du debat philosophique, fait resurgir le malaise qui
s'empare de plus en plus de la societe moderne. Il s'agit en effet, d'une
societe oii les valeurs se perdent et oii l'individu soumis aux urgences
quotidiennes et aux charges existentielles de la modernite, semble oublier qu'a
cote de ses droits, il a aussi des devoirs.
A ce titre donc, il doit sortir de sa subjectivite pour
s'objectiver dans la realite de `univers qui l'entoure a travers l'observation
d'une certaine ethique. L'individu est identifiable et reconnaissable que par
et dans l'action sur le monde. Cette action doit se reveler juste et bonne afin
qu'elle cesse d'être seulement une affaire privee pour devenir un bien
"socialise".
La disposition de l'homme a la justice et a la bonte est un
fait naturel, mais sa volonte d'ceuvrer en vue du juste et du bien en est une
autre. Pour y parvenir, l'humilite, l'amour de l'autre et de l'ordre sont des
prealables pour une conduite conforme a une disposition ethique. Celle-ci, meme
si elle n'existait pas doit etre inventee, car "elle doit exister parce que les
hommes agissent et elle est la pour ordonner et pour reguler le pouvoir
d'agir"65.
Il apparait en definitive que le domaine politique comme lieu
de realisation, de l'epanouissement et de la securite des citoyens, vise a
instaurer un ordre social dans le quel chaque citoyen puisse vivre en harmonie
avec les autres, se fonde sur la justice. Or, comme le dit Rousseau, "la
justice est inseparable de la bonte"66, en d'autres termes, le lieu
du politique est aussi celui de la realisation des valeurs.
64 Kant, Fondements de la metaphysique des
mceurs, Hatier, 1963 p 22
65 Hans Jonas. Privilege responsabilite. Ed
CEONF 1997, p.45
66 ROUSSEAU, Emile ou de l'education, ed
Flammarion, 1966, p 373.
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