1-2) Illustrations du phénomène : le cas de
Ni putes ni soumises et les débats sur le voile et la
laïcité :
En effet, que penser d'organisations comme Ni putes ni
soumises qui, outre leurs bonnes intentions, ont, comme le rappelle
Tevanian (La République du mépris) «
bénéficié, à une vitesse déconcertante, d'un
accès quasi illimité aux grands médias, et d'un immense
soutien politique et financier de la part des pouvoirs publics " alors que,
« dans le même temps, d'innombrables associations beaucoup plus
anciennes, expérimentées et ancrées dans les quartiers,
tentaient en vain de se faire entendre et soutenir ".
Aussi, le problème ne réside pas tant dans le
fait que le gouvernement et les médias mettent en avant une association
plutôt que d'autres, mais plutôt dans le fait que l'organisation en
question présente une vision bien arrêtée de la
réalité. Cette réalité, pour Ni putes ni
soumises est, comme l'avance Tevanian, celle d'une France divisée,
à deux visages. D'un côté « la France " laïque,
républicaine, moderne, égalitaire et émancipée "
qui est blanche de peau, qui vit dans les centres-villes et qui
bénéficie des acquis du combat féministe ». De
l'autre, « la France des " quartiers ", soumise à la " loi de la
cité ", mélange de machisme traditionnel hérité de
parents immigrés et d'intégrisme musulman promu par les " grands
frères " ".
Or, dans cette conception du monde « c'est bel et bien
toute une population qui se trouve stigmatisée et renvoyée du
côté du mal " et « on a beau dire que les
"intégristes" ne représentent pas "l'immense majorité des
musulmans, respectueux de la République", à la minute
d'après on parle de la tyrannie des "grands frères" dans leur
ensemble, ou de l'"omerta" qui règne sur les viols collectifs, autrement
dit, d'une complicité de l'ensemble de l'entourage. "
Encore une fois, et suite à ce constat, on ne peut que
s'interroger sur les rapports de force existant entre médias et
politiques. Si une association, qui n'est pas forcément la mieux
placée pour se faire la porte parole des problèmes des banlieues,
est présentée comme telle dans les médias, c'est bien
qu'il y a une faille quelque part.
Ni putes ni soumises, à la base totalement
inconnue et fraîchement implantée, est parvenue en quelques mois
à jouir d'une présence médiatique démesurée
et à être présentée comme le porte-étendard
de ce qui se fait de mieux en matière d'action sociale dans les «
quartiers ".
En l'occurrence, il semblerait qu'avoir
bénéficié d'un soutien politique ait été
gage de visibilité médiatique. Gela ramène donc à
deux hypothèses : soit les politiques étant par nature
médiatiquement visibles, ont, en apportant leur soutien à
l'association, braqué les projecteurs sur elle ; soit les politiques, en
ayant une influence sur les médias, ont réussi à imposer
leur poulain sur la scène médiatique.
Le problème étant, dans tous les cas, que cette
organisation en connivence avec le politique soit désormais, dans l'oeil
des téléspectateurs, l'interlocutrice unique sur les sujets de la
banlieue ou des violences faites aux femmes. A partir de là, il devient
facile d'imaginer comment un parti politique peut instrumentaliser une cause
sensible aux yeux du public, et donc, potentiellement génératrice
de voix.
Goncernant la polémique du voile, beaucoup affirment
que c'est une « fausse question ". C'est le cas de l'essayiste et militant
associatif Pierre Tevanian qui se demande dans Le Voile médiatique,
un faux débat si la question du voile à l'école n'a
pas « été inventée par les journalistes et les
politiques " ?
Selon lui, les termes du débat ont été
posés de manière tellement vague et confuse que l'on est
rentré dans une discussion sans fin, hors de propos, « autoris[ant]
un climat général de racisme anti-musulman " et surtout,
occultant complètement les conséquences possibles, comme
l'exclusion scolaire.
« Personne, en tout cas, n'a jamais soutenu qu'il fallait
exclure et déscolariser les fashion- victims qui,
en se "sapant " ou en se maquillant ou en se décolletant "trop",
"aliénaient" leur subjectivité au "culte de la beauté".
Comment dès lors, interpréter cet excès de
zèle herméneutique lorsqu'il s'agit d'un foulard, que ce
foulard est dit "islamique" et qu'il est porté par des descendants
d'immigrés ou de colonisés ? Comment nommer autrement que par
le mot racisme cette n-ième inégalité de traitement,
toujours au détriment des mêmes ? »
Pierre Tevanian, La République du
mépris
Or, en premier lieu, le rôle du journalisme n'est-il pas
de faire preuve de pertinence ? Les nombreux journalistes, les nombreuses
rédactions relayant sans relâche cette actualité durant
presque une année entière, sans réussir à en
expliquer clairement les tenants et les aboutissants, ont-ils fait preuve de
cette pertinence ?
Pour Tevanian, c'est là le coeur du problème :
la façon dont médias et politiques « ont imposé
l'idée [...] absurde selon laquelle la présence de quelques
élèves portant un foulard dans certaines écoles
était en soi problématique ». D'ailleurs, son jugement est
sans appel, puisque pour lui « ce sont bien les grands médias qui
ont élevé « le voile [...] au rang de "problème de
société" authentique », non pas forcément de
manière consciente mais simplement en « multipli[ant] les
émissions ou les articles [...] consacrés au sujet ». En
effet, les sondages réalisés à la même
période montrent que les préoccupations des Français
étaient bien loin de cette « problématique » du voile.
En revanche comme premières préoccupations l'on retrouvait le
chômage, le système social et le pouvoir d'achat,
thématiques clefs sur lesquelles les gouvernements successifs cherchent
sempiternellement à détourner l'attention du public.
« La priorité à droite » Caricature
réalisée par Large le 27 janvier 2010
De leur côté, certains politologues
spécialistes de l'islam, comme Olivier Roy, pensent que des
débats tels que celui du voile à l'école ou de
l'identité nationale n'ont en réalité qu'un seul but :
celui de séduire un certain électorat.
Poussant la réflexion encore plus loin, Alain Gresh
(journaliste et auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient) défend
que la stigmatisation d'une religion au travers de débats publics peut
également servir de prétexte à la justification de budgets
militaires élevés, ou de certaines décisions
politiques.
Au fond, l'ultra-médiatisation de débats comme
celui sur le voile et les ascensions fulgurantes de certaines organisations
comme Ni putes ni soumises illustrent parfaitement les relations de
bon voisinage qu'entretiennent médias et politiques. Bien d'autres
exemples ont déjà été fournis en la matière
c'est pourquoi point n'est besoin de s'attarder plus sur le sujet. En revanche,
il faut le noter, la collusion entre les médias et la sphère
politique est un aspect clef de la thématique de l'image de l'islam dans
les médias français.
Dessin satirique (réalisé par Large) mettant en
avant l'absurdité du débat instauré sur l'identité
nationale.
Outre les relations pour le moins nébuleuses
qu'entretiennent parfois journalistes et politicien(ennes), il y a un aspect
encore plus important à prendre en compte dans la thématique que
nous traitons : celui de la capacité du professionnel de l'information
à faire preuve d'un esprit le plus impartial possible.
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