Section 2/ Newton : l'univers mécanique.
Avant de voir l'achèvement par Newton de la
révolution copernicienne, il est important, comme dans toute
étude historique, de montrer l'apport que les
prédécesseurs de Newton ont apporté au grand
événement qu'est la découverte de la théorie de la
gravitation universelle. Parmi ces derniers il faut d'abord noter la prestation
du Danois Tycho Brahé qui est en fait le successeur le plus proche de
Copernic.
Ayant vécu de 1546 à 1601, Tycho Brahé
est reconnu comme l'autorité astronomique la plus éminente de la
seconde moitié du 16ème siècle. En effet,
malgré son génie et ses travaux révolutionnaires, Tycho
Brahé est resté un esprit classique. Comme on le sait,
Brahé n'est pas de ceux qui postulaient à la suite de Copernic,
le mouvement de la Terre. Ce dernier réfuta l'idée du mouvement
de la Terre, parce que selon lui la Terre est non seulement au centre de
l'univers, mais en plus, celle-ci est immobile.
Toutefois, malgré sa croyance à
l'immobilité de la Terre, Tycho Brahé concevait un système
d'univers qui, par sa structuration diffère aussi bien de celui de
Ptolémée que de l'univers copernicien. En effet dans le
système « tychonien », la Terre est de nouveau au centre d'une
sphère stellaire en rotation, où la Lune et le Soleil sont en
mouvement sur les mêmes orbites que ceux que leur assignait le
système de Ptolémée (autour de la Terre). Toutefois les
autres planètes sont fixées sur des épicycles dont le
centre commun est le Soleil.
A y regarder de prés, on voit que le système
tychonien n'est pas trop différent du système copernicien. Car en
ignorant les épicycles mineurs et les excentriques qui n'interviennent
pas dans les harmonies du système de Copernic, on peut transformer le
système tychonien en système copernicien en gardant simplement
fixe le Soleil au lieu de la Terre ; et cela parce que dans les deux
systèmes, les mouvements relatifs des planètes sont les
mêmes. Seul le mouvement parallactique des étoiles marque la
différence entre les deux systèmes, or celui-ci disparaît
si on étend considérablement la sphère des
étoiles.
Mais dés ses débuts, le système de
Brahé n'a pas convaincu beaucoup d'astronomes parce qu'il est
très difficile d'imaginer le mécanisme physique par lequel
pourraient se produire les mouvements préconisés par Brahé
; dés lors que le centre géométrique de l'univers n'est
plus le centre de la plus part des mouvements célestes.
Si ce système n'a pas convaincu les astronomes
néoplatoniciens qui, comme Kepler, avaient été
attirés par la grande symétrie que décrit le
système de Copernic ; il a néanmoins reçu un accueil
favorable chez beaucoup d'astronomes non coperniciens qui, tout en voulant
conserver les avantages mathématiques du système de Copernic,
trouvaient la nécessité de supprimer tous les
inconvénients physiques, cosmologiques et surtout théologiques
auxquels le système de Copernic pouvait occasionner. D'où l'on
peut dire, que le système de Brahé permettait d'établir un
compromis entre la tradition dépassée de Ptolémée
et la modernité de Copernic très peut coopérante.
Par ailleurs le nom de Tycho Brahé reste attaché
à l'histoire de l'astronomie, pour les différentes observations
que ce seigneur danois apporta dans ce domaine. En effet, si Copernic a
jeté le discrédit dans le géocentrisme
d'Aristote-Ptolémée, ce sera vraiment à Tycho Brahé
de mettre de l'eau dans le moulin de la cosmologie aristotélicienne. En
effet comme nous l'avons déjà souligné, la cosmologie
d'Aristote a pendant longtemps fondé sa caractéristique sur la
dichotomie établie au sein de l'univers. Cette dernière marque la
distinction de deux mondes fondamentalement caractérisés par leur
différence de nature, dans la mesure où l'un est changeant et
corruptible tandis que l'autre reste inchangeant, éternel et toujours
identique à lui-même. C'est Aristote lui-même qui notait
dans son Traité du ciel que, « Dans toute
l'étendu du passé, si l'on en croit les souvenirs que les hommes
se sont transmis les uns aux autres, aucun changement n'a été
constaté ni dans le dernier ciel considéré dans son
ensemble, ni dans aucune des parties qui lui sont propres.
»1 Cette absence de souvenirs d'aucun changement dans le
monde céleste, amena Aristote à déduire
1 Aristote, Traité du ciel, Paris, Les
Belles Lettres, traduction Paul Moraux, 1965, livre I p 9
l'éternité de ce dernier et son
incorruptibilité. C'est ce qui justifie le fait que du temps d'Aristote,
l'apparition des météorites et des comètes était
située sous la Lune ; et ces derniers étaient
considérés comme des messagères désastreuses, du
latin « disastro », qui signifie né sous une mauvaise
étoile. Ce qui amena Aristote à faire de la
météorologie l'étude du temps qu'il fait.
Mais en 1572 précisément le 11 novembre, Tycho
Brahé observe dans l'espace céleste l'apparition d'une
lumière brillante en un lieu où jamais on n'avait observé
la présence d'une étoile. Il déduit de ce
phénomène qu'une nouvelle étoile venait de naître.
Or, si ce phénomène restait pour lui, la naissance effective
d'une Stella nova, le postulat aristotélicien de
l'immobilité des cieux devenait du coup caduc. D'où le monde
céleste serait à l'image du monde terrestre soumis au changement.
Tycho Brahé donne les preuves de la naissance de cette nouvelle
étoile en soutenant : « Qu'elle ne soit ni dans l'orbite de
Saturne [...] ni dans celle de Jupiter, ni dans celle de Mars, ni dans celle
d'aucune autre planète, cela est donc évident, puisque,
après un délai de plusieurs mois, son propre mouvement ne l'a pas
fait progresser d'une minute de l'endroit où je l'ai vue la
première fois, ce quelle aurait dû faire si elle se trouvait dans
une orbite planétaire. [...] Cette nouvelle étoile n'est donc
située ni [...] en dessous de la Lune, ni dans les orbites des sept
astres errants, mais dans la huitième sphère, parmi d'autres
astres fixes. »1
Cette preuve va remettre de l'eau dans le navire de la
cosmologie d'Aristote, qui désormais, va très mal, et sonner le
glas du postulat de l'immuabilité céleste. Il se passe donc
incontestablement quelque chose de neuf sous le Soleil, mais aussi
au-dessus.
Mais étant donné que changer d'habitudes n'a
jamais été chose facile, beaucoup de ceux qui défendaient
encore l'idée d'Aristote refusèrent de croire, en affirmant que
ce nouveau corps observé est situé, non pas dans le monde
supralunaire, mais plutôt dans celui qui est au-dessous de la Lune.
Cependant cinq ans après l'apparition de la Stella nova, Tycho
Brahé va apporter de nouvelles preuves des changements dans le monde
supralunaire. Car à partir de 1577, il fera une succession
d'observations de comètes qui traversent les fameuses sphères
d'Aristote (1577, 1580, 1585, 1590, 1593 et 1596). Ces différentes
découvertes vont permettre aux successeurs de Tycho Brahé, de
rompre définitivement avec la tradition aristotélicienne.
D'où il s'agira de construire un nouveau terrain intellectuel, où
les différentes observations pourront trouver une explication
cohérente.
1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du
cosmos de l'antiquité au big bang, Hachette Littératures,
1992, p 72
Après Tycho Brahé, son assistant du nom de
Johanus Kepler (1571-1630) va pousser ou plus précisément,
traduire en théories les observations de son maître, qui
n'était en fait qu'un piètre théoricien.
Comme on le sait l'univers héliocentrique de Copernic
n'a pas tout au début résolu le problème du mouvement des
planètes. En effet, malgré la transposition, faite par Copernic,
du centre de l'univers de la Terre au Soleil, l'astronomie n'avait pas pu
écarter totalement les idées de Ptolémée dans
l'explication du mouvement des planètes. En rappel, nous devons retenir
que face à ce problème, Copernic lui-même s'était
servi des épicycles, des excentriques et des équants (concepts
que l'on doit à Ptolémée) pour résoudre les
apparences que l'on constate dans l'observation. Ce recours à ces
concepts, était en fait ce qui indignait Kepler qui, on le sait,
était convaincu que, la décentralisation de la Terre et la
centralisation du Soleil étaient en mesure de résoudre
définitivement le problème des planètes. C'est ainsi que
dans son ouvrage intitulé L'Astronomie nouvelle
(1609), Kepler, faisant recours aux seules méthodes mathématiques
développées dans le De revolutionibus de Copernic, tente
de résoudre le problème des planètes, et cette fois-ci en
l'abordant sous un autre angle.
En effet, Kepler remarque qu'en remplaçant les orbites
des planètes par des figures géométriques en formes
d'ovale, les désaccords avec l'observation variaient suivant un ordre
mathématique. De là, il se mit à étudier la
régularité des désaccords. Il découvrit que l'on
pouvait réconcilier la théorie de l'héliocentrisme avec
les observations du mouvement des planètes, si celles-ci se
déplaçaient sur des orbites elliptiques avec une vitesse variable
régie par une loi simple. C'est à partir de ce moment que
l'astronome allemand établit deux lois qui constituaient la solution
finale au problème des planètes. Ces lois stipulent pour la
première que « les planètes se déplacent suivant
des ellipses dont le Soleil occupe l'un des deux foyers ». La seconde
loi quant à elle, complète la description contenue dans la
première. En effet, cette dernière montre que « la
vitesse orbitale de chaque planète varie de telle sorte qu'une droite
qui relie la planète au soleil balaie, dans l'ellipse, des aires
égales en des temps égaux ».
A partir de ces deux lois, on constate dans l'observation que
« Lorsqu'on substitue les ellipses aux orbites circulaires de base
commune à l'astronomie de Ptolémée et à celle de
Copernic, et la loi des aires à la loi du mouvement uniforme autour du
centre ou d'un point situé prés du centre, on voit
disparaître la nécessité des excentriques, des
épicycles, des équants et des autres éléments ad
hoc, autrefois introduit dans la théorie par les
prédécesseurs de Kepler. Pour la première fois,
une
courbe géométrique simple et une loi de vitesse
unique était suffisante pour prédire les positions des
planètes ; pour la première fois, les prévisions
étaient en accord précis avec les observations. »1
C'est ainsi que Kepler rendit l'astronomie héliocentrique viable,
avec six ellipses qui révèlent tout à la fois
l'économie et la richesse implicite de l'innovation introduite par
Copernic.
Kepler n'a abouti à cette découverte que parce
qu'il a, contrairement à Copernic, traité la Terre comme une
simple planète, d'où il faisait passer le plan de toutes les
orbites par le centre du Soleil. En plus de ce fait, il faut dire que Kepler,
en tant que néoplatonicien convaincu, croyait fermement que les lois
mathématiques simples sont à la base de tous les
phénomènes naturels et que le soleil est la cause physique de
tous les mouvements célestes. En fait, à l'instar de bon nombre
de néoplatoniciens de son temps, Kepler, était convaincu que le
Soleil jouait un rôle important dans le mouvement des planètes ;
d'où il décrivait celui-ci comme, le corps qui, seul,
paraît propre, en vertu de sa dignité et de sa puissance à
faire mouvoir les planètes sur leurs orbites, et digne de devenir le
séjour de Dieu lui-même, pour ne pas dire du Premier moteur.
Par ailleurs, Kepler croyait aussi que les planètes
sont poussées sur leurs orbites par les rayons d'une force motrice,
qu'il nomma l'anima motrix, qui elle-même émane du
Soleil. Ces rayons dont il croyait limités au plan de
l'écliptique dans lequel toutes les planètes se meuvent, devaient
propulser les planètes en fonction de leur position par rapport au
Soleil. Il en déduit donc que le nombre de rayons solaires qui
touchaient, une planète et la force correspondante qui la propulsait
autour du Soleil, diminuaient à mesure qu'augmentait la distance de la
planète au Soleil. D'où il conclut que, lorsque la distance de la
planète au Soleil doublait, il y aurait deux fois de rayons de
l'anima motrix qui toucheraient la planète, et la vitesse
orbitale diminuerait de moitié.
On voit donc que Kepler avait presque au bout des doigts, la
solution du mouvement des planètes. Mais comme il n'a pas su aller
jusqu'au bout de ses idées, ce sera à un autre astronome, cette
fois-ci un Anglais, que la Nature révélera ses secrets. Nous
voulons ici parler de Newton. Mais avant d'arriver à Newton,
arrêtons-nous un tout petit peu sur son prédécesseur
Galilée, qui lui aussi a participé à l'effondrement du
cosmos d'Aristote Ptolémée.
Comme il a été pour Kepler, le nom de
Galilée ne rentrera dans l'histoire de l'astronomie qu'après les
différentes découvertes qu'il a faites dans ce domaine.
Galilée fait partie de ceux qui
1 Thomas Kuhn, La révolution copernicienne,
Fayard, 1973, p 251
ont subi le pouvoir réprimant de l'inquisition.
Né le 15 février 1564 à Pise (Italie) vingt ans
après la publication du De revolutionibus de Copernic,
Galilée a hérité de son père Vincenzo Galilei, d'un
esprit mordant, d'un penchant pour la controverse et d'une défiance
spontanée vis-à-vis de toute autorité. Muni de lunettes
astronomiques, l'astronome de Pise a pour la première fois,
montré que la Lune, jadis considérée par les
aristotéliciens comme lisse parce que composée d'éther,
avait la même structure que la Terre. En effet, lorsque Galilée a
pointé ses lunettes sur cet astre, il observa que celui-ci, «
n'est pas entouré d'une surface lisse et polie, mais qu'elle est
accidentée et inégale, et tout comme la surface de la Terre,
recouverte des hautes élévations et de profondes cavités
et anfractuosités. » 1
Après la révélation du relief de la Lune,
Galilée va pointer son instrument en direction de Jupiter. En observant
cette planète, Galilée y décela quatre corps qui, comme
notre Lune gravitent autour de cette planète géante. Il conclut
de cette observation que Jupiter constitue un système solaire
copernicien en miniature, ce qui prouve par ailleurs que l'existence de corps
satellites autour d'une planète n'est pas propre à notre
planète. De là, Galilée y voit « Un argument
[comme il le dit lui-même] aussi beau qu'élégant à
même d'apaiser les doutes de ceux qui, tout en acceptant d'un esprit
tranquille la révolution des planètes autour du Soleil dans le
système copernicien, sont profondément gênés par le
fait que seul la lune tourne autour de la Terre. Certains ont cru pouvoir
rejeter cette structure de l'univers comme impossible. Mais désormais
nous n'avons pas uniquement une planète en rotation autour d'une autre,
toutes deux parcourant une grande orbite autour du Soleil ; nos propres yeux
nous montrent les quatre astres [plus exactement les satellites, terme
forgé par Képler] qui encerclent Jupiter comme la Lune encercle
la Terre, cet ensemble effectuant une grande révolution autour du Soleil
en l'espace de douze ans. »2
Après Jupiter, Galilée va examiner la blanche et
brillante Vénus. Il constate que cette planète suit des phases
semblables à celles de la Lune, et qu'elle semble beaucoup plus grande
quand elle est en phase croissante que lorsqu'elle est presque pleine.
L'explication qu'il donne de ce constat, est que la planète tourne en
orbite autour du Soleil, et non autour de la Terre, car lorsqu'elle
apparaît en croissant, elle se trouve plus prés de la Terre que du
Soleil, tandis que lorsqu'elle est petite elle passe de l'autre
côté du Soleil. Ces observations planétaires seront suivies
d'autres concernant les étoiles invisibles à l'oeil nu. Ces
dernières vont l'amener à
1 Emile Namer, L'affaire Galilée,
Paris, Gallimard-Julliard, 1975, p 56
2 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de
l'antiquité au big bang, Hachette Littératures, 1992, pp
90-91
affirmer contre Aristote que les étoiles ne sont pas
accrochées à la surface de la sphère stellaire, mais
plutôt distribuées loin dans l'espace cosmique.
Après avoir montré contre les arguments
anti-coperniciens, la preuve de la rotation de la Terre sur son axe, la
tâche qui attend Galilée consiste à remonter les obstacles
aristotéliciens brandis contre le mouvement de la Terre. Parmi les plus
défendus, on retrouve les interrogations suivantes : si la terre tourne
sur elle-même, pourquoi, une flèche lancée en l'air ne file
pas vers l'ouest ? Pourquoi la terre qui bouge se conduit-elle comme si elle
était immobile ?
Pour répondre à ces questions, il faut avoir une
compréhension très poussée des concepts de gravitation et
d'inertie, d'où Galilée va sans tarder, se mettre à
étudier ces concepts.
Et comme il était de coutume au 16ème
siècle que pour établir une nouvelle science, on avait besoin de
passer par une critique de la science aristotélicienne, parce que ce
dernier avait déjà pensé sur presque tous les domaines du
savoir de l'époque ; Galilée va lui aussi, pour fonder sa
physique, revisiter la physique d'Aristote. Or, concernant les lois du
mouvement, Aristote affirmait que les objets lourds tombent plus vite que ceux
qui pèsent le moins. Ce jugement de bon sens, Galilée l'avait,
dés ses années préparatoires à Pise,
soupçonné d'absurde. Car se disaitil, dans le vide où la
résistance de l'air n'influe pas, une plume doit tomber aussi vite qu'un
boulet de canon.
Ne disposant d'instruments pour créer le vide,
Galilée teste ses hypothèses en employant des plans
inclinés pour lâcher des poids rouler le long de ces plans. Cette
méthode, tout en ralentissant l'allure qu'adopteraient les poids en
chute libre, permet d'observer plus commodément que ces derniers
subissent tous une accélération à peu prés
identique. C'est ainsi qu'il écrit dans son ouvrage intitulé,
Discours et démonstration mathématique concernant deux
nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements
locaux : « Si Aristote a raison d'affirmer qu'une grande pierre se
meut, par exemple, avec huit degrés de vitesse et une petite avec quatre
degrés, il s'ensuivra, si on les attache, que l'ensemble se mouvra avec
une vitesse inférieure à huit degrés. Or, les deux
pierres, réunies, forment une pierre plus grande que celle qui se
mouvait avec huit degrés de vitesse, et la plus grande se meut par
conséquent moins vite que la plus petite, ce qui va contre votre
supposition. Vous voyez donc comment, si vous supposez
qu'un mobile plus grave se meut plus vite qu'un mobile moins
grave, j'en conclus, de mon côté, qu'un mobile plus grave se meut
moins vite. »1
Toutefois, Galilée ne réussira pas à
élucider totalement la question du mouvement inertiel, ni même les
lois de la gravitation. Ce sera à Newton que sera réservé
ce privilège. Quant à Galilée son entêtement
à faire accepter le copernisme par l'autorité de l'Eglise, va lui
coûter en 1633 la condamnation par le tribunal de l'Inquisition, à
finir sa vie sous résidence surveillée dans sa villa prés
de Florence où il mourut en 1642 .
Cependant la mort de Galilée ne mettra pas fin aux
débats sur le copernisme, elle va plutôt ouvrir, si l'on peut le
dire ainsi, la voie royale à la synthèse de tous les
problèmes soulevés par la révolution copernicienne. En
effet, dans l'année où mourut Galilée, va naître le
Prince de la science moderne, Isaac Newton. Né le 25 décembre
à Woolsthorpe en Angleterre, Newton est celui qui va
définitivement seller, et la physique classique et la vision moderne du
monde, en synthétisant les lois terrestres de Galilée et les lois
célestes de Képler. Newton va contre l'argument
aristotélicien, qui stipulait que le mouvement des corps
dépendait de leur composition élémentale, montrer que tous
les corps obéissent à une seule loi de mouvement ne
dépendant pas de la composition élémentale de leur masse.
Newton continue son argumentation en affirmant que la masse est dotée
d'inertie, c'est-à-dire d'une tendance à résister au
changement dans l'état de mouvement. Telle est en fait la
première loi de Newton. Cette dernière postule que : «
Tout corps persévère dans l'état de repos ou de
mouvement uniforme en ligne droite (rectiligne) dans lequel il se trouve,
à moins que quelque force [...] ne le contraigne à changer
d'état. »
A cette première loi, va succéder une
deuxième qui elle, reste liée à l'impulsion de mouvement
subie par un corps immobile, ou à la variation de vitesse de mouvement
ou de direction. Dans de tels cas de mouvement, Newton explique que ces
phénomènes sont dus à l'intervention d'une force dont il
nous dit, qu'elle est égale à l'accélération de la
masse au cours du temps. De cette loi, Newton va tirer une troisième qui
assure que l'action d'une force sur un corps, doit nécessairement
aboutir à une réaction de ce dit corps égale et contraire
; d'où il affirmera que : « À toute action est toujours
opposée une réaction égale. »
1 Galilée, Discours sur deux nouvelles
sciences, Traduit par Maurice Clavelin, Armand Colin, 1970, p 54
Trois siècles plus tard, en 1980, le pape Jean-Paul II
ordonne que le procès de Galilée soit réexaminé. A
la cérémonie organisée en l'honneur du centenaire de la
naissance de Einstein, il déclare que Galilée a souffert entre
les mains des hommes et des institutions de l'Eglise. Il ajoute à ces
propos que toute recherche poursuivie de manière vraiment scientifique
ne peut jamais s'opposer à la foi, car les réalités
religieuses et profanes trouvent leur origine dans le même Dieu.
Ces idées à la limite révolutionnaires
vont susciter des débats et une controverse animés
particulièrement par Leibniz et la cartésienne Académie
royale des sciences française. En effet dans Les principes
mathématiques de la philosophie naturelle publiés en 1687,
Newton écrit que les particules matérielles s'attirent les une
les autres par une attraction qui se propage dans le vide, en l'absence donc de
support matériel.
C'est précisément à cette notion «
d'attraction à distance » que vont s'opposer les
détracteurs de Newton. Pour les cartésiens, le principe
d'attraction à distance suscite le retour aux discours irrationnels qui,
pour eux devaient à jamais disparaître du domaine de la science ;
d'où ces derniers accueillirent les idées de Newton avec
suspicion. D'ailleurs Newton lui-même avait pris conscience du fait que
sa théorie pouvait troubler certains esprits. Ce qu'il ne manquera pas
de confesser à son ami Bentley dans leur correspondance du 25
février 1693. Dans un extrait de sa lettre, Newton avoue : «
Qu'un corps puisse agir à distance sur un autre dans le vide, sans que
rien n'explique par quel moyen cette force est transmise, est pour moi une
absurdité si grande qu'à mon avis, quiconque possède une
compétence en matière de philosophie ne pourra jamais y
céder. » C'est ainsi que Newton, aussi inductionniste qu'il a
pu être, ne concevait pas le mécanisme de l'attraction sans
l'assistance permanente de Dieu dans les affaires planétaires.
Autrement, attirés les uns par les autres, les corps célestes,
des planètes aux étoiles, finiraient par s'agglutiner. Pour
éviter une telle catastrophe cosmique, Newton suppose que Dieu doit
contrebalancer la gravitation et maintenir les astres à leur place.
Leibniz qui a plus d'un compte à régler avec
Newton, exploite ce point faible de la théorie de la gravitation. Contre
Newton donc, Leibniz va affirmer que Dieu avait créé le meilleur
des mondes possibles, capables de se gouverner tout seul, et n'avait
guère besoin de se mêler du fonctionnement de la nature. Dieu a
tout prévu, dira-t-il, il a remédié à tout par
avance. Il y a dans ses ouvrages une harmonie, une beauté
préétablie. Dés lors, ce dernier va accuser Newton d'avoir
osé imaginer un Dieu incompétent ; ce qu'il explique en ces
termes :
« Sir Isaac Newton et ses sectateurs, ont encore une
fort plaisante opinion de l'ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de
remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d'agir. Il n'a
pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine
de Dieu est même si imparfaite selon eux qu'il est obligé de la
décrasser de temps en temps par un
concours extraordinaire, et même de la raccommoder
comme un horloger son ouvrage, qui sera d'autant plus mauvais maître
qu'il sera obligé plus souvent d'y retoucher et d'y corriger.
»1
Ne voulant pas polémiquer avec Leibniz, Newton laissa
à son élève et ami Samuel Clarke la tâche de
répondre à Leibniz. Dans une de ses lettres au philosophe
Allemand Clarke réplique et dit : « L'idée de ceux qui
soutiennent que le monde est une grande machine qui se meut sans que Dieu y
intervienne, comme une horloge continue de se mouvoir sans le recours de
l'horloger, cette idée, dis-je, introduit le matérialisme et la
fatalité, et sous prétexte de faire de Dieu une Intelligence
Supramundana, elle tend effectivement à bannir du monde la Providence et
le gouvernement de Dieu (...). Un roi qui n'intervient pas dans son royaume,
n'est pas digne d'être roi. »2 Ces
allégations de Clarke ne peuvent laisser indifférent Leibniz qui
rétorque : « Il vaut mieux dire comme moi que Dieu est
Intelligentia Supramundana, que d'insinuer comme vous qu'il est Intelligentia
Mundana, c'est-à-dire l'âme du monde, ce qui conduit droit au
Panthéisme. »3 On voit ainsi comment un
débat qui portait a priori sur des hypothèses
scientifique, a tourné sur la conception de l'idée de Dieu. Par
ailleurs, ces arguments, si étranges puissent-ils nous paraître
aujourd'hui, étaient redoutables à l'époque. Car d'une
part Leibniz avait, par ses critiques renforcé la barrière
séparant Newton des cartésiens, tandis que d'autre part il a
incité certains à réfuter la théorie de la
Gravitation de Newton. Toutefois, cette querelle avec Leibniz n'est qu'un arbre
qui cache une forêt dense. Car, il se profile à l'horizon une
controverse autrement plus rude avec les cartésiens, querelle qui ne
deviendra virulente qu'après la mort de Newton. En effet la
cartésienne Académie royale des sciences française (et
plus particulièrement Fontenelle qui était à
l'époque son Secrétaire perpétuel), rejette l'attraction
newtonienne sous prétexte qu'elle peut réveiller les vieux
démons de l'irrationalité. En fait pour mieux combattre la
théorie de Newton, ces derniers avaient établi un
parallélisme entre Isaac Newton et William Gilbert, un Anglais qui
postulait l'existence d'une âme dans la matière, âme qui se
manifeste par l'attraction mutuelle entre deux aimants. Pour les
cartésiens, l'attraction newtonienne de la matière par la
matière relève de cette même logique. Même s'ils
reconnaissent l'élégance de la mécanique céleste
des Principia, les cartésiens refusèrent tout compromis
avec les newtoniens ; d'où ils exigèrent des preuves
expérimentales pour valider la physique newtonienne.
1 Cité par Arkan Simaan, in L'image du
monde de Newton à Einstein, Paris, Vuibert-Adapt, 2005, p11
2 Ibid
3 Ibid
Les débats sur la physique de Newton vont perdurer
jusqu'à la fin du 17ème siècle, date à
laquelle Laplace va lever le voile de la gravitation universelle et clore le
débat sur la mécanique newtonienne. En effet dans son
Traité de mécanique céleste qui est en fait un
monument d'analyses scientifiques, Laplace va faire le point sur les
problèmes célestes de son temps ; de la théorie de la
perturbation des planètes aux mouvements des marées, en passant
par la rotation de la Terre et le mouvement de la Lune. Laplace va ainsi donc
expliquer la stabilité du monde à l'aide des seuls principes de
Newton. Ce qui donna la validité expérimentale de la
mécanique de Newton. En un mot, Newton et Laplace ont parachevé
la révolution astronomique amorcée par Copernic.
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