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L'idée d'univers de la science classique à  la cosmologie moderne.

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par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Diplôme d'études approfondies (DEA) 2006
  

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Section 3/ Le système Kant-Laplace : la théorie des « Univers-îles ».

Comme nous l'avons déjà noté dans les chapitres précédents, la révolution copernicienne a entraîné le déclin du cosmos des anciens en poussant les limites de l'univers à des dimensions indéfinies. L'univers fini d'Aristote sera donc substitué à un univers infini sans bornes. Cet espace infini qui, du reste stupéfiait Pascal, est aujourd'hui nommé l'espace interstellaire. L'espace interstellaire est comme son nom l'indique, l'espace qui se trouve entre les étoiles. Habité pour la plus part par les nébuleuses (du latin nebula qui signifie « brouillard »), l'espace interstellaire compose la grande partie de l'espace cosmique.

En effet, composées de nuages très confus, les nébuleuses ne se laissent généralement distinguer qu'au télescope. Cependant, malgré leur ressemblance apparente, les astronomes les classent en trois catégories.

La première catégorie regroupe les nébuleuses planétaires. Ces dernières sont improprement nommées « planétaires », à cause de leur forme sphérique qui leur donne une fugitive ressemblance avec les planètes. Ces nébuleuses sont des coquilles de gaz rejetés par des supernovae, c'est-à-dire des étoiles vieillies, instables. Ces nébuleuses mesurent en moyenne une année-lumière de diamètre, et leur masse avoisine le cinquième de celle du Soleil.

La deuxième catégorie est composée des nébuleuses dites par réflexion et par émission. Ces dernières sont des nuages de gaz et de poussières éclairées par des étoiles proches ; dont la plupart sont elles-mêmes des étoiles nouvellement condensées à partir du nuage qui les

environne. Ces nébuleuses mesurent jusqu'à cent années-lumière de diamètre, et peuvent contenir la masse d'un million de Soleils ou même plus. Enfin, on note la troisième catégorie qui compte, les nébuleuses dites elliptiques et spirales. Ces dernières sont en fait des galaxies à part entière, situées à des millions d'années-lumière. Leur diamètre peut atteindre pour les plus grandes, cent mille années-lumière et englober des centaines de millions d'étoiles. La découverte du monde des nébuleuses, a permis à l'homme d'étendre à des limites infinies, l'univers dans lequel il vit.

En effet, de même qu'il a fallu d'abord pour l'homme, reconnaître le Soleil au rang des étoiles, pour constater qu'il n'est pas au centre de l'univers ; de même il lui a fallu connaître la nature des nébuleuses pour se rendre compte qu'il vit dans un univers extragalactique, dont les limites restent enfouies dans les abîmes insondables de l'espace cosmique. La voie de cette recherche de l'univers extragalactique, a été tracée par des théoriciens de chambre parmi lesquels on retrouve, le philosophe Emmanuel Kant et le mathématicien Jean Henri Lambert. Après ces derniers suivront les noms d'un astronome amateur William Herschel et du célèbre mathématicien français, Pierre-Simon Laplace.

Connu du grand public pour ses travaux en philosophie, le succès des Critiques éclipse souvent la contribution de Kant à la cosmogonie. En effet, Kant arrive à la cosmologie par l'intermédiaire hasardeuse de Thomas Wright.. Cet auteur aborde dans son ouvrage un sujet à la mode en Outre-manche, visant à accorder la théologie et les avancées astronomiques. On se demandait en effet en Angleterre où peuvent bien se trouver l'Enfer et le Paradis si la Terre n'est plus au centre du monde. Des savants renommés se sont aventurés sur ce glissant terrain métaphysique. William Whiston (1667-1752) plaçait l'Enfer sur les comètes, obligeant ainsi les damnés à endurer alternativement une chaleur brûlante lorsque celles-ci s'approchent du Soleil et un froid glacial lorsqu'elles s'éloignent au-delà de Saturne.

En effet, Thomas Wright contrairement à ces prédécesseurs pro coperniciens, va prêter à l'univers la forme d'une bulle dans laquelle le Soleil est encastré. Il avance que l'aspect sous lequel se présente la voie lactée, est fonction de la perspective selon laquelle nous considérons sa surface étoilée. Pour mieux comprendre la conception de Wright, notons la remarque que lui fait Timothy Ferris. Ce dernier affirme à propos de Wright que : « Son cosmos creux ressemble à une orange vidée de sa pulpe, avec le Soleil et les étoiles dessinés sur l'écorce. Wright signale que l'aspect de bandeau d'étoiles de la Voie lactée vient peut-être de l'angle de vue commandée par

la place que nous occupons à l'intérieur de la coque étoilée : en regardant le long d'une ligne tangente à la sphère, nous percevons beaucoup d'étoiles -la Voie Lactée-, nous en distinguons moins si nous considérons plutôt le rayon de la sphère. »1

Kant s'empare de cette argumentation dont il ignore les antécédents pour émettre l'hypothèse, que le Soleil appartient à un système stellaire aplati : une galaxie dirions-nous aujourd'hui. Armé de cette idée précaire, notre astronome de chambre va ajouter à ses hypothèses, les observations de l'astronome Français Pierre Louis Moreau de Maupertius faites sur différentes nébuleuses elliptiques dont la nébuleuse d'Andromède visible à l'oeil nu. De là Kant supposera que l'univers est composé de plusieurs agrégats d'étoiles en forme de disque, et il se pourrait que les nébuleuses elliptiques soient d'autres « galaxies » d'étoiles semblables à notre Voie lactée.

C'est ainsi que le philosophe Allemand note dans un passage du Traité du Ciel : « Si un système d'étoiles fixes se rapportant dans leur position à un plan commun, ainsi que nous avons esquissé la Voie lactée, est si éloigné de nous que toute connaissance des étoiles particulières dont il se compose ne soit plus perceptible, plus même au télescope ; si son éloignement est à celui de la Voie lactée dans le même rapport que celle-ci à la distance du Soleil par rapport à nous ; en deux mots, si un tel monde d'étoiles fixes est contemplé à une distance aussi incommensurable par l'oeil de l'observateur qui se trouve en dehors de ce monde, ce monde-ci, considéré selon un angle étroit, apparaîtra sous un petit angle comme un espace éclairé d'une faible lumière et dont la figure sera circulaire si sa surface se présente directement à l'oeil, et elliptique s'il est vu de côté. La faiblesse de la lumière, la figure et la grandeur perceptible de son diamètre distinguerons un tel phénomène, lorsqu'il se présentera, des autres étoiles qui sont vues séparément. »2

Par ses considérations sur les nébuleuses, on peut considérer Kant comme étant le père de l'univers extragalactique, car il est l'un des premiers à réaliser que les formes apparemment rondes, ovales ou linéaires que l'on observe chez les nébuleuses, sont tributaires de l'angle choisi pour les observer. Pour montrer comment l'univers a pu sortir de la matière primitive réduite à son état le plus simple, Kant remplit l'espace de particules matérielles primitives distribuées chaotiquement, bien avant l'existence du système solaire. Ces particules, différentes par la taille et la densité, abandonnent leur équilibre initial pour s'agglomérer autour des particules plus

1 Timothy Ferris, Histoire du cosmos de l'antiquité au big bang, Paris, Hachette-Littératures, 1992, p 152

2 Emmanuel Kant, Histoire générale de la nature et traité du ciel, Vrin, 1984, p 74, § 3

massives, débutant ainsi la formation du Soleil. Pour éviter que la nébuleuse ne s'effondre complètement sur le centre, Kant introduit une force de répulsion, sans dire vraiment d'où elle sort. Il postule qu'elle agit uniquement à courte distance pour contrarier le mouvement initial d'agglutination, et imprimer une déviation latérale à certaines particules. Ces dernières, qui se mettent alors à circuler autour du Soleil, créent les planètes et donnent une forme aplatie au système solaire.

L'ouvrage de Kant publié en 1755, n'ayant pas fait long feu à cause de la faillite de son éditeur, sera vendu pour rembourser les dettes ; cause pour laquelle le monde n'entend guère parler de cet ouvrage. Mais, étant donné que les grandes idées ne disparaissent jamais éternellement, l'idée de l'univers extragalactique va resurgir sous la plume de son compatriote Allemand, Jean Henri Lambert. Ce dernier, dans son recueil d'essais intitulé Les lettres cosmologiques, va reprendre le même thème en avançant que le Soleil se trouve sur l'un des bords d'un système stellaire en forme de disque, la Voie lactée, et qu'il existe d'innombrables voie- lactées. Lambert précise qu'il est arrivé à cette idée en contemplant longuement le ciel étoilé. C'est ainsi qu'il écrit dans un passage de ce livre : « Je m'asseyais devant la fenêtre, et alors que les objets de la Terre se dépouillaient de tout ce charme qui retient l'attention, le ciel étoilé, lieu digne de contemplation entre tous, demeurait encore là pour moi. [...] Prenant mon essor sur la lumière, je montais en flèche à travers l'espace des cieux. Je n'arrivais jamais assez loin et sans cesse grandissait le désir de poursuivre toujours au-delà. Plongé dans ces réflexions, je me représentais la Voie lactée. [...] Cette arche lumineuse, qui s'étire tout autour du firmament et décore le monde, tel un anneau constellé de pierres précieuses, suscitait en moi étonnement et émerveillement. »1 Ces rhapsodies cosmologiques de Kant et Lambert permirent à l'esprit humain de s'ouvrir les portes de la richesse et de la profondeur de l'univers. Cette idée née de Kant, passera dans l'histoire de la cosmologie sous le terme « d'Univers-îles ».

Concernant la notion « d'Univers-îles », il est à noter que deux écoles de pensée sur la nature des nébuleuses elliptiques ont marqué le 19ème siècle de leur empreinte. La première, nommée la théorie des « Univers-îles » de Kant et Lambert (même si l'expression est de Kant), soutient que notre Soleil est une des innombrables étoiles d'une galaxie, la Voie lactée, et qu'il existe beaucoup d'autres galaxies, telles les nébuleuses spirales et elliptiques que nous apercevons par delà d'immenses gouffres d'espace.

1 Cité par Timothy Ferris, Histoire du cosmos, Hachette-Littératures, 1992, p 156

Quant à la seconde école de pensée, elle es connue sous le nom de « l'hypothèse cosmogonique ». Cette théorie affirme en effet, que les nébuleuses spirales et elliptiques, proches de nous et relativement petites, correspondent à des tourbillons de gaz qui se condensent pour former des étoiles. Cette hypothèse propre elle aussi à Kant, est attribuée au mathématicien français Pierre-Simon Laplace qui, détails à l'appui, suggère dans son Traité de mécanique céleste que le Soleil et son cortège de planètes s'étaient peut-être coagulés à partir d'une nébuleuse tourbillonnante. Chacune de ces deux idées est, à certains égards, correcte. Car, on le sait de nos jours, quelques nébuleuses sont, en effet, des nuages de gaz générateur d'étoiles, mais aussi que les nébuleuses elliptiques et spirales constituent bien des galaxies d'étoiles.

La vraisemblance partielle de chacune de ces idées, va pousser les scientifiques, par une intuition justifiée, à croire qu'une unique théorie doit être en mesure d'expliquer tous les types de nébuleuses, ce qui mena à une confusion intense.

Dés les débuts de cette entreprise de recherche, les observations vont sembler témoigner en faveur de l'hypothèse cosmogonique. La découverte due à William Parsons, révèle que certaines nébuleuses elliptiques affichent une structure spirale. En effet lorsque avec son télescope à réflexion de prés de deux mètres, il observe les galaxies spirales, les descriptions qu'il en fait vont immédiatement concourir à appuyer l'hypothèse cosmogonique, et donc l'idée que les étoiles se forment par condensation de tourbillons gazeux. Par ailleurs en 1880, Isaac Roberts prend en Angleterre des photographies qui, elles aussi vont renforcer cette supposition en montrant que la plupart des galaxies elliptiques sont en réalité spirales.

Cependant, c'est surtout en 1890 lorsque James Keeler de l'observatoire de Lick en Californie, montre sur ses clichés qu'il existe énormément de galaxies spirales dans l'univers (lui-même les estime à cent mille dans le seul champ d'observation du télescope de Lick), qu'on s'est rendu compte, que vu la multitude de Soleils qui illuminent la Voie lactée, il paraît plausible d'estimer à plus de cent mille le nombre de systèmes solaires. D'où l'on voit à nouveau cette hypothèse cosmogonique créditée.

Avec le développement de la Spectroscopie, l'astronomie va bénéficier d'un outil qui va très rapidement hausser cette branche du savoir au rang des sciences architectoniques. Mais concernant notre idée des « Univers-îles », il faut noter que les premiers résultats rapportés par les astronomes, ont pendant un temps renforcé l'hypothèse cosmogonique, réfutant ainsi la théorie des « Univers-îles ». Et cette attitude est principalement favorisée par l'astronome

William Huggins qui, en 1864 note après une observation faite sur une nébuleuse pointée au hasard que : « [...] L'énigme des nébuleuses était résolue. La réponse, venue à nous dans la lumière même, disait : pas d'agrégats d'étoiles, mais un gaz lumineux. Des étoiles auraient donné un spectre différent, étant donné la séquence observée pour notre Soleil et des étoiles plus brillantes ; il est claire que la lumière de cette nébuleuse avait été émise par un gaz lumineux. »1 En effet, comme Huggins n'observa, au moyen de son télescope, aucune raie pouvant déduire la présence d'étoiles, il conclut, et cela de façon prématurée, que les nébuleuses ne comportent pas d'étoiles. Ce qui s'avère faux, si l'on sait aujourd'hui qu'il existe plusieurs sortes de nébuleuses.

Toutefois l'idée de Huggins sera quelques années plus tard reprise derechef par Harlow Shapley. Ce dernier va lui aussi soutenir l'hypothèse cosmogonique au détriment de celle des « Univers-îles » dans son étude consacrée aux Céphéides. Les Céphéides sont en fait des étoiles massives à très grande brillance qui, pour l'astronomie permettent de mesurer les distances au sein de l'espace interstellaire ; voire intergalactique.

En effet, Shapley va se servir de ces « phares cosmiques » pour montrer d'une part que le Soleil n'étant pas relativement proche des amas globulaires composés de céphéides, ne peut occuper le centre de notre galaxie ; dans la mesure où la Voie lactée renferme en son centre une multitude de ces amas globulaires qui, en fait sont responsables de la blancheur du centre de notre galaxie. D'autre part, cet astronome va en mesurant les distances de notre galaxie étendre celle-ci à des distances surestimées. Car il englobe dans la Voie lactée, les nuages de Magellan qu'il prenait pour les composantes de la voie lactée et beaucoup d'autres nébuleuses. D'où ce dernier donna à la voie lactée l'appellation de Big galaxy, c'est-à-dire La Grande galaxie. Dés lors, contre tous ceux qui soutiennent l'idée des « Univers-îles », Harlow Shapley répliquera, qu'il faudrait pour avoir quelque chance avec les « Univers-îles » qu'il rétrécisse considérablement son système galactique.

La théorie des « Univers-îles » va ainsi sombrer partiellement dans le mépris scientifique. Ce sera en fait Edwin Hubble qui, après Herbert Curtis va en 1924 réhabiliter l'idée des « Universîles ». Ce dernier rétorque à Shapley qu'il a découvert dans la nébuleuse d'Andromède une Céphéide de brillance variable. Cette dernière se trouverait selon Hubble à environ un million d'années-lumière contrairement aux cinq cents mille années-lumière soutenue par Shapley. Or, si cette distance est avérée, cela voudrait dire qu'Andromède est suffisamment au-delà de la Big

1 Cité par Timothy Ferris, in Histoire du cosmos, Hachette, 1992, pp 173-174

galaxy de Shapley. Hubble va ensuite découvrir d'autres Céphéides dans d'autres galaxies, ainsi que des novae et des étoiles géantes. C'est le cas des galaxies Messier 31 et NGC 6822. Et après la mort de Edwin Hubble en 1953, les astronomes découvriront d'autres corps célestes tels que les Quasars (découverte que l'on doit à Sandage et Thomas Matthews), qui en fait correspondent aux noyaux de jeunes galaxies distantes au moins un milliard d'années-lumière.

Ces découvertes ont donné le coup de grâce à la théorie des « Univers-îles ». et c'est ainsi que fût donnée, la preuve expérimentale d'une idée cosmogonique vieille de plus de deux siècles.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille