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Cosmologie de l'émergence et pensée du chaos : au-delà  de la science classique..

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par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2005
  

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III- 3 / Le Flou Quantique

Le paradigme de la science classique a assisté au début du 20ème siècle, à un des véritables bouleversements qui ont conduit à son effondrement. La mécanique newtonienne, cette science par laquelle il était possible de prédire le mouvement de tout corps, va vivre au 20ème siècle l'un des plus mauvais épisodes de sa gloire. En effet, si Poincaré avait présenti à la fin du 19ème siècle, les failles de la mécanique classique, ce fut la mécanique quantique qui sonna véritablement le glas du déterminisme sur lequel basée la science classique.

Née historiquement le 14 Décembre 1900 avec les travaux de Max Planck sur « le rayonnement du corps noir », la physique quantique, d'abord considérée par les scientifiques comme un problème mineur, va pourtant bouleverser tout l'avenir de la physique. Cependant, avant d'entreprendre quoi que ce soit, essayons de définir au préalable, qu'est-ce que la physique quantique ? Pour répondre à cette question, proposons à ce propos la définition qu'en a donnée Richard Feynman. Pour ce grand théoricien, « La mécanique quantique est la description du comportement de la matière et de la lumière dans tous leurs détails et en particulier, de tout ce qui se passe à l'échelle atomique. A très petite échelle, les choses ne se comportent en rien comme ce dont vous avez une expérience directe. Elles ne se comportent pas comme des ondes, elles ne se comportent pas comme des particules, elles ne se comportent pas comme des nuages, ni comme des boules de billard, ni comme des poids sur une corde, ni comme rien que vous avez jamais vu. ».74

Cette définition de Feynman, au-delà de son apparence quelque peu énigmatique, marque très bien la rupture établie avec l'avènement de la physique quantique. La physique quantique est apparue à la suite des travaux de Max Planck sur la théorie du rayonnement du corps noir. Pour rappeler le problème, il faut souligner que la théorie du rayonnement était une des difficultés qui avaient le plus de problème aux scientifiques du 19ème siècle. Le problème qui a conduit à la naissance de cette nouvelle science, vient d'un constat longtemps établi en physique. En fait, on avait constaté que, si l'on considère une enceinte chauffée à une température constante, les corps matériels contenus dans cette enceinte émettent et absorbent

74 R. Feynman, cité par Stéphane Déligeorges in Le monde quantique, Seuil, 1985, p 7

du rayonnement au point qu'il finit par s'établir un état d'équilibre dans lequel les échanges d'énergie entre la matière et la radiation restent constantes.

C'est en fait ce phénomène d'échanges d'énergie, qui a posé problème aux physiciens. En effet, pendant longtemps les scientifiques ont cherché, chacun avec sa théorie, à expliquer le mécanisme de ces échanges d'énergie entre matière et radiation. La première théorie due à Gustav Kirchhoff, s'appuie sur les principes de la thermodynamique et stipule que la composition de ce rayonnement dépend uniquement de la température qui règne dans l'enceinte considérée. A la suite de cette proposition, le physicien Autrichien Ludwig Boltzmann a démontré que la densité totale du rayonnement émis, est proportionnelle à la quatrième puissance de la température mesurée. Ces travaux seront suivis par d'autres théories qui, malgré leur particularité, affirmaient toutes que l'émission aussi bien que l'absorption de la lumière par la matière se font de manière absolument continue.

En fait, c'est à cette thèse classique que Max Planck va radicalement s'opposer. Ce physicien Allemand propose d'admettre que, l'émission d'énergie lumineuse par un corps doit se faire de façon discontinue, c'est-à-dire par valeurs discrètes qu'il nomma « quanta ». En effet Planck va poser comme postulat fondamental de la physique quantique, l'hypothèse qui consiste à dire que : « La matière ne peut émettre l'énergie radiante que par quantités finies proportionnelles à la fréquence. »75. Ce facteur proportionnel, nous dit De Broglie, est une constante universelle, ayant les dimensions d'une action mécanique : c'est la fameuse constante h de Planck. Ce fait poussa le physicien Allemand à énoncer en guise d'équation de la physique, que, l'énergie du rayonnement est égale au produit de la constante h, par la fréquence de l'onde radiante v ; d'où l'équation E=h v. en effet souligne Stéphane Déligeorges, « Pour chaque énergie de rayonnement (E) et pour chaque fréquence (v) de ce rayonnement, il existe une certaine constante h, tel que, si l'on divise E par v (E/v), on obtient toujours « h » ou 2 « h » ou 3 « h ». En somme, du fait de cette constante de proportionnalité, il ne peut se produire de rayonnement pour d'autres quantités d'énergie qui ne soient des multiples entiers de h. C'est un peu comme si le rayonnement, donc l'échange d'énergie, était formé de boules. Des boules de plus en plus grosses au fur et à mesure que s'élève la fréquence, donc que l'on va de l'infrarouge à l'ultraviolet. »76. Cette nouvelle conception de la discontinuité du rayonnement, constituera l'un des véritables balbutiements de la physique quantique.

75 Louis de Broglie, La physique nouvelle et les quanta, Flammarion, 1986, pp111-112

76 Stéphane Déligeorges, « La catastrophe ultraviolette », in Le monde quantique, Seuil, 1985, p 25

Cette nouvelle branche aura pour objet, de déterminer le comportement de la matière dans le domaine de l'infiniment petit. Dans ce domaine du monde atomique, les choses ne se comportent pas comme celles que nous observons dans notre monde. En effet dans monde des phénomènes observables, il est possible de déterminer le mouvement de certains objets dés lors que nous avons une certaine valeur de leurs conditions initiales. Cette conception déterministe caractérisant la mécanique newtonienne, ne sera pourtant pas valide lorsqu'on essaye de l'appliquer aux objets quantiques. Dans ce monde, les objets, par leur nature à la fois ondulatoire et corpusculaire, ne peuvent plus être localisés de façon rigoureuse. La preuve de cette affirmation réside dans les travaux que Schrödinger a fait en la matière.

En fait, c'est le physicien Autrichien Erwin Schrödinger qui apporta la justification de ce fait, lorsqu'il tenta de déterminer dans les années 1925 l'onde de choc engendrée par la collision entre un électron et un atome. Ce dernier a montré par expérience que, lorsqu'un électron est mis en collision contre un atome, il devient impossible de déterminer la direction que cet électron empruntera après le choc. Schrödinger a montré en effet qu'après la collision, l'électron peut repartir dans n'importe quelle direction : d'où il établit une équation par laquelle on peut déterminer l'onde de choc. En fait cette fameuse équation de Schrödinger, détermine la probabilité avec laquelle nous pouvons retrouver l'électron dans une direction donnée plutôt que dans une autre.

A la suite de Schrödinger, un autre physicien du nom de Max Born va montrer que cette probabilité est égale au carré de l'amplitude de la fonction d'onde. Ce qui veut dire selon ce dernier que, les chances de rencontrer l'électron, sont plus grandes aux sommets de l'onde, et plus petites à ses creux. Cependant le plus étonnant dans tout cela c'est que, même aux crêtes de l'onde, on ne pourra jamais avoir la certitude que l'électron sera au rendez vous. Il est visible que, dans le monde des atomes, la certitude ennuyeuse et le déterminisme contraignant de la mécanique classique sont bannis. Dans ce domaine de l'infiniment petit, entrent en jeu l'incertitude stimulante et le hasard libérateur de la mécanique quantique.

Malgré les résultats auxquels leurs découvertes les ont conduits, ni Schrödinger ni De Broglie, déterministes, tous deux, ne furent très satisfaits de la tournure probabiliste qu'empruntait leur invention. Pourtant, dans l'année qui suivit la découverte de Max Born, en 1926, un autre physicien Allemand du nom de Werner Heisenberg apporta encore de l'eau dans le moulin de l'indéterminisme. En réfléchissant aux rapports qui pouvaient exister entre l'objet observé et l'observateur, le jeune Heisenberg aboutit à une conclusion remarquable.

Cette dernière consistait à dire que le flou est inhérent au monde subatomique, et que rien ne pouvait le dissiper. En effet, Heisenberg a montré qu'il est impossible de mesurer à la fois la position et la vitesse d'un électron, et cela en raison de la lumière qu'on utilise pour l'éclairage.

Dans le domaine subatomique, pour déterminer la position exacte d'un corpuscule, nous devons employer une radiation dont la longueur d'onde devra être d'autant plus courte que nous désirons plus de précision. Mais du fait de l'existence d'un quantum d'action, sous forme de boules de radiation, il se passe un phénomène étonnant. Car plus nous diminuerons la longueur d'onde de la radiation exploratrice, plus nous augmenterons sa fréquence et par ricochet l'énergie de ses photons, qui par leur mouvement, influeront irrémédiablement le comportement du corpuscule à étudier. Ce qui veut dire que plus nous chercherons à déterminer la position du corpuscule, plus sa vitesse de mouvement nous échappera. Nous pouvons dire que l'observation perturbe la réalité en rendant incertaines les conditions initiales. C'est ce résultat, appelé « principe d'incertitude », qui remit complètement en cause les bases de la physique classique. C'est ainsi que nous pouvons affirmer que : « Les atomes imposent une limite à la connaissance. Nous ne pourrons jamais mesurer à la fois vitesse et position aussi précisément que possible. Le « principe d'incertitude » de Heisenberg oblige à sauter à l'eau et à choisir. L'incertitude est inhérente au monde des atomes. Quoique nous fassions pour accroître la sophistication de notre instrument de mesure, nous buterons toujours contre cette barrière élevée face à la connaissance. Le flou quantique envahit le monde subatomique, chassant le déterminisme si bien chanté par Laplace. La Nature nous demande d'être tolérant et de renoncer au vieux rêve humain du savoir absolu. Ce degré de tolérance est défini par un nombre appelé « constante de Planck ». Heisenberg nous dit que le produit de l'incertitude sur la position par l'incertitude sur la vitesse ne peut jamais être inférieur à la constance de Planck divisée par 2ð. ».77

Toutefois, il faut noter que l'indétermination ne veut pas dire imprécision. Car chaque grandeur caractéristique des éléments atomiques, peut être mesurée si elle est prise séparément. Seulement, si nous voulons mesurer simultanément des grandeurs conjuguées d'éléments quantiques, alors il est impossible de descendre au dessous d'une certaine limite. L'indétermination est ainsi une caractéristique propre à la mécanique quantique qui, fait qu'on peut indiquer précisément les limites du domaine de validité de la connaissance possible. Ce

77 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, pp 335-336

principe fondamentalement indéterministe heurtait profondément Einstein qui, déterministe convaincu, ne pouvait accepter que des phénomènes puissent être réellement aléatoires. Il résumait sa pensée par une phrase célèbre : »Dieu ne joue pas aux dés ». En effet, dans la lignée des physiciens et mathématiciens du 17ème et 18ème siècles, Einstein était persuadé que le monde était ordonné, d'où il ne pouvait nullement être soumis au hasard.

Einstein est l'un des pères fondateurs de la mécanique quantique. Cependant, malgré l'apport considérable que ce génie de la science a apporté dans l'élaboration de cette nouvelle théorie, Einstein a, pendant presque toute sa vie, combattu avec ferveur les principes sur lesquels repose cette science. Esprit à la fois réaliste et empiriste dans son essence, Einstein n'a pas manqué, au nom du déterminisme, de renoncer à la conception probabiliste à laquelle la mécanique quantique semblait être attachée. En effet, dans sa correspondance du 07 Septembre 1944, à Max Born, Einstein a pu écrire : « Nos espérances scientifiques nous ont conduits chacun aux antipodes de l'autre. Tu crois au Dieu qui joue aux dés, et moi à la seule valeur des lois dans un univers où quelque chose existe objectivement, que je cherche à saisir d'une manière sauvagement spéculative. [...]. Le grand succès de la théorie des quanta dés son début ne peut pas m'amener à croire à ce jeu de dés fondamental, bien que je sache que mes confrères plus jeunes voient là un effet de la fossilisation. On découvrira un jour laquelle de ces deux attitudes instinctives était la bonne. »78

Selon Einstein, une théorie physique digne de ce nom ne pouvait être probabiliste dans ses fondements. Ce dernier considère que, la nécessité d'une description statistique devrait, pour être comprise, être déduite des principes plus fondamentaux s'appliquant à la description de l'état des systèmes individuels. Cependant, malgré tous ses efforts, il ne réussit jamais à prouver que le principe d'incertitude était faux. Aujourd'hui nous constatons, qu'il y a une contradiction entre les principes de la physique microscopique, basés sur la mécanique quantique où le hasard semble jouer un rôle majeur, et les principes de la physique macroscopique, basés sur le postulat déterministe de la mécanique newtonienne.

78 Einstein, cité par Michel Paty, in Le monde quantique, Seuil, 1985, p 52

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