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Cosmologie de l'émergence et pensée du chaos : au-delà  de la science classique..

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par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2005
  

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II-2 / Le temps retrouvé

Nos réflexions sur le temps sont presque toujours confuses, sans doute, parce que nous ne savons pas trop de quel type d'objet il s'agit. Au fait, Qu'est-ce que le temps ? Posée à chacun d'entre nous, la réponse à cette question paraît facile et évidente pour tout le monde. Une opinion courante nous incline à croire connaître le temps. Parce que nous sommes tous

30 Thrinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, Gallimard, 1991, p 107

familiers à ce concept, chacun semble comprendre de quoi il s'agit lorsque le mot temps est prononcé. Cependant, nul n'est en mesure de dire avec certitude ce que cette notion recouvre. Le temps est-il une chose ? Est-il une idée ? Est-il une apparence ? N'est-ce qu'un mot ? Existe-t-il vraiment ? Voici les différentes interrogations sous lesquelles se posent les difficultés, que suscite la notion de temps. Toutefois le sentiment de maîtrise et de sûreté qui semble nous habiter lorsque nous appréhendons cette notion, devrait suffire à résoudre une fois pour toutes les interrogations qu'elle soulève.

En effet, même si l'intuition du temps qui passe est un phénomène universel, la définition du temps semble être au-delà de nos capacités intellectuelles. Généralement posé comme l'une des questions fondamentales de la métaphysique, le temps se trouve à la croisée des chemins entre la physique et la métaphysique. Ce caractère ambigu et peu confortable de la notion du temps, inspira une célèbre boutade à Saint Augustin. Pour ce père de la théologie chrétienne, le temps est une création de Dieu au même titre que l'espace, d'où il le situait dans une dimension existentielle distincte de l'éternité que le contenait. Saint Augustin reconnaissait en fait que le temps est un absolu certes, mais quant à dire ce qu'il est au juste, ce théologien semble incapable de le savoir. Ainsi dans le livre onze de ses Confessions,il s'interrogea en ces termes : « Qu'est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus ! Et pourtant, je le dis en toute confiance, je sais que si rien ne se passait, il n'y aurait pas de temps passé, et si rien n'advenait, il n'y aurait pas d'avenir, et si rien n'existait, il n'y aurait pas de temps présent. Mais ces deux temps, passé et avenir, quel est leur mode d'être alors que le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent sans passer au passé, il ne serait plus le temps mais l'éternité. Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu'en passant au passé, quel mode d'être lui reconnaître, puisque sa raison d'être est de cesser d'être. »31

Ainsi, il semble que le temps soit rebelle à toute tentative d'explication. Son écoulement passe de manière si rapide, que l'homme se trouve dans l'incapacité de le saisir. Ne pouvant dès lors avoir la grappe mise sur cette notion complexe, l'esprit humain reste ballotté entre les différents instants qui composent le temps à savoir : le moment passé, le moment présent et le moment futur. Dans la vie quotidienne, le temps est perçu sous deux aspects qui recouvrent, d'une part, la notion de durée et, d'autre part celle d'orientation. En tant que durée, le temps a

31 Saint Augustin, Les confessions, Flammarion, Paris, 1964, p 264

à peu près la même signification pour tout le monde. Il définit dans ce cas, la quantité de durée séparant deux évènements. Par contre, conçu en tant qu'orientation, la notion de temps traduit l'irréductible flux de son mouvement. C'est par ce caractère, que nous pouvons, faire la distinction entre un moment présent et le moment passé qui l'a précédé, tout autant il en est de même entre un moment présent et celui qui va lui succéder.

Toutefois, il faut souligner que la notion de temps va revêtir, au cours de l'histoire de la philosophie, plusieurs interprétations, que nous allons ici retracer de manière très brève. Dans l'antiquité déjà, Parménide et après lui Platon considéraient le temps comme une entité immobile. Il est l'image mobile de l'éternité comme le disait Platon. Après ces derniers, Aristote va lui aussi s'intéresser à cette notion. Dans ses réflexions, Aristote définit le temps comme étant le nombre du mouvement selon l'avant et l'après. Le temps est une qualité, et il ne peut être saisi que par la mesure des durées perçues.

Cette conception aristotélicienne va presque valoir jusqu'au XVII ème siècle. A cette époque, le développement de la mécanique amorcé d'une part par Descartes, et d'autre part par les travaux de Galilée sur la chute des corps, va se poser comme le point de rupture avec la physique traditionnelle. Des études sur le mouvement ont radicalement modifié la conception du temps depuis Aristote. A l'époque de celui-ci, il était réductible à la qualité et irréductible à la quantité ; ce qui n'est plus le cas. En effet, tout le 17ème siècle va, avec le paramètre du mouvement, reprendre la conception de Saint Augustin et montrer, que le temps n'existe que par le changement qui s'opère dans le mouvement de l'être. C'est dans cette mouvance intellectuelle, que peuvent être classés des auteurs tels que Newton, Leibniz, Kant, Hegel et même dans une certaine mesure Henri Bergson. Cette époque marque la dichotomie entre la notion de temps abstrait,et celle de durée sensible.

C'est avec Newton, que nous allons assister au véritable rejet du temps vulgaire et empirique, et épouser l'idée d'un temps abstrait, absolu et mathématique. Le temps devient une notion homogène, indépendante de toutes les choses qui peuvent s'y dérouler. A cette période, même acceptant l'idée que les évènements se déroulent dans le temps, ces derniers ne l'influencent nullement. Pendant la même époque, Leibniz, celui-là même qui a été l'adversaire et le concurrent intellectuel le plus en vue de Newton, postulait que le temps est de l'ordre des choses successives. Il n'a pas de sens en dehors des phénomènes. A côté de ces deux conceptions, s'ajoutent celles de Kant et de Hegel. Selon Kant, le temps est une forme à priori de la sensibilité, une condition préalable à toute expérience. Quant à Hegel, il met

l'accent non pas sur le temps en tant que tel, mais sur la manière avec laquelle il se manifeste, manière qu'il appelle la temporalité. Hegel définit le temps comme étant le passage du passé à l'avenir à travers le présent. Il est ce mouvement qui, dans la réalisation du phénomène, oppose en les niant, les diverses phases d'évolution de l'être. Le temps est à la fois ce qui pose et oppose l'être à sa propre réalité.

Pour finir cette brève histoire de la pensée du temps, il importe de noter l'impact de la pensée de Bergson. En effet, Bergson oppose le temps à la durée. Selon lui l'opposition entre le temps et la durée, peut se comprendre par le fait que la durée, en tant que phénomène mental, traduit la conscience que nous avons de l'écoulement du temps. Celle-ci est strictement distincte du temps qui lui, traduit la projection de cette durée dans l'espace physique. Le temps est de ce fait un flux irréversible, il est créatif parce qu'il est toujours gros

de l'avenir. Il nous est donné de lire sous la plume de Bergson, « Le temps est invention ou iin'est rien du tout. Mais du temps-invention la physique ne peut pas tenir compte, astreinte

qu'elle est à la méthode cinématographique. Elle se borne à compter les simultanéités entre les évènements constitutifs de ce temps et les positions du mobile T sur sa trajectoire. Elle détache ces évènements du tout qui revêt à chaque instant une nouvelle forme et qui leur communique quelque chose de sa nouveauté. »32. Par cette citation Bergson énonce, l'incapacité pour la science de considérer le temps dans son mouvement de flux irréversible. Cette incapacité a conduit la physique à substituer la notion de temps-invention par celle de temps-longueur, ce qui justifie la conception réversible que cette science soutenait à l'égard du temps. La notion d'irréversibilité était donc étrangère à la science.

L'irréversibilité est devenue objet d'étude scientifique, à partir du 19ème siècle, plus précisément avec l'avènement de la thermodynamique. Définie comme étant la science qui étudie les propriétés de la chaleur, la thermodynamique a en fait vu le jour avec les travaux de Sadi Carnot, publiés en 1824 sous le titre de Réflexions sur la puissance motrice du feu. En effet, Carnot montre dans cet écrit que « La puissance motrice de la chaleur est indépendante des agents mis en oeuvre pour la réaliser ; sa quantité est fixée uniquement par les températures des corps entre lesquels se fait en dernier résultat le transport du calorifique. ». Carnot avait pour ambition première de voir comment on pouvait améliorer le développement et la vitesse des machines à vapeur, dont l'industrie était en plein essor en ce temps. En fait, il

32 H. Bergson, L'évolution créatrice, PUF, 1941, p 341

montre qu'il est impossible de construire un engin qui pourrait transformer en travail, l'énergie calorifique fournie par une seule source de température uniforme.

Sûr de cette idée, Carnot énonce sous forme de propositions, deux principes scientifiques, qui seront retenus comme étant les principes de la thermodynamique. Le premier principe postule que la chaleur et le travail sont deux formes équivalentes de l'énergie. Quant au second, plutôt issu de ses observations, il postule qu'une machine thermique ne fonctionne que si elle rétrocède un minimum de la chaleur reçue d'une source chaude, à une source froid. Ce second principe, recevra plusieurs formulations équivalentes desquelles on peut noter la formule simplifiée que Kelvin énonce en ces termes : « La chaleur va spontanément du chaud vers le froid. »

Énoncés depuis 1824, ces deux principes de la thermodynamique connaîtront avec Clausius une formulation plus simple. En effet, Clausius montre que la fonction des paramètres du système nommée par ailleurs entropie, c'est-à-dire la mesure du désordre contenu dans un système ; augmente toujours au cours du temps jusqu'à atteindre sa valeur maximale à travers laquelle, le système reste dans un état d'équilibre thermodynamique.

Étendus à tout l'univers, les principes de la thermodynamique tels que reformulés par Rudolf Clausius, présument pour le premier que l'entropie du monde est constante, et pour le second que l'entropie du monde tend vers un maximum. Au-delà de ce que nous venons de noter, Clausius montre aussi que dans un système isolé, constitué de deux fanges à températures initialement différentes, il est impossible que la plus froide transmette de la chaleur à la plus chaude, sans une intervention extérieure. Il y a donc selon lui, une irréversibilité dans les échanges de chaleur entre des corps à températures différentes. En effet souligne Clausius, lorsque deux corps de températures différentes passent par échanges de chaleur, de leurs températures initiales à des températures plus ou moins semblables, ces derniers ne pourront plus rejoindre leurs températures initiales. Ce transfert est irréversible.

Cette affirmation de l'irréversibilité va rendre certains esprits perplexes. Elle sera la cause de plusieurs controverses, dont les plus hardies ont été, selon notre avis, celles soutenues dans les années 1874 et 1876 par William Thomson et Loschmidt. En effet, les interrogations qui intriguaient les esprits de ces derniers, consistaient à se demander : comment peut-on expliquer le fait qu'une dynamique réversible puisse engendrer à l'échelle macroscopique des processus irréversibles ? On se souvient que cette question avait aussi été

l'énigme que Ludwig Boltzmann s'était proposé de résoudre. Ce dernier voulait expliquer l'irréversibilité des processus thermodynamiques, en des termes réversibles tels que décrits par la dynamique classique. En effet, Boltzmann montre que dans une population nombreuse de particules, l'effet des collisions peut donner un sens à la croissance de l'entropie, c'est-àdire à l'irréversibilité thermodynamique. Il affirme que l'effet des collisions, modifie les positions et les vitesses des particules contenues dans un système isolé.

Par ailleurs, Boltzmann postule que le mouvement des collisions, décroît de façon monotone au cours du temps, jusqu'à atteindre un minimum. Une fois ce minimum atteint, il se réalise au sein du système, une distribution des positions et des vitesses des particules, qui dès lors restent constantes parce que ne pouvant plus être modifiées par de probables collisions ultérieures. Cependant, contraint par de multiples objections, venant essentiellement des défenseurs de la dynamique classique, Boltzmann va finalement renoncer à son projet d'explication de l'irréversibilité. Il supposera en définitive que l'irréversibilité ne renvoie pas aux lois fondamentales de la nature, mais à notre manière grossière, c'est-à-dire macroscopique, de la décrire. Selon lui « A chaque évolution dynamique correspondant à une croissance de l'entropie, l'égalité entre cause pleine et effet entier permet de faire correspondre l'évolution inverse, qui la ferait décroître : c'est l'évolution qui restaurerait les « causes » en consommant les « effets. » 33 Après l'échec de Boltzmann, la physique va se tenir à cette interprétation dynamique, qui en fait, détruit le caractère irréversible du temps.

Cependant, quelques années après les travaux de Boltzmann, Einstein va formuler la théorie de la relativité dite restreinte qui va au fil des années enchanter le monde de la science. Avant Einstein, on pensait que le temps objectif était fixe, toujours le même. On pensait que seul le temps subjectif était variable, dépendant de l'état d'esprit de la personne qui l'observe.

En effet, les travaux d'Einstein sur la relativité ont pour conséquence, non seulement le fait que le temps objectif est variable, sinon en plus, qu'il est impossible de définir le temps objectif. Le temps est relatif et varie en fonction de la vitesse et des champs d'accélération locaux que sont par exemple, la gravitation, les changements de vitesse ou de direction etc. Pour cette raison, on ne peut jamais parler de simultanéité dans l'univers. Entre autre conséquence, il y a le fait que par la théorie de la relativité, Einstein remplace l'espace plan de la géométrie euclidienne, par un espace courbe. Tout comme l'espace, le temps est aussi

33 Prigogine et Stengers, Entre le temps et l'éternité, Flammarion, 1992, p27

élastique. Il s'étire ou se raccourcit selon le mouvement de l'observateur. Dès lors, le temps unique et universel soutenu par la physique newtonienne, est remplacé par une multitude de temps individuels, tous différents les uns des autres.

Après ses succès réalisés avec la relativité restreinte, Einstein va en 1915 porter un nouveau coup dur à l'encontre de la mécanique classique. En effet, Einstein montre par la formulation de la relativité générale, qu'espace, temps et matière ne peuvent exister séparément. Ils forment tous ensemble une seule réalité indivisible. Einstein montre par la théorie de la relativité générale que l'espace-temps varie suivant la quantité de matière présente aux environs. Autrement dit, il montre que la présence de la matière déforme l'espace qui, lui-même par sa courbure, ralentit plus ou moins le temps. En définitive, il faut dire qu'en niant la simultanéité absolue du temps, Einstein pose la possibilité de l'affirmation d'une distinction entre l'avant et l'après. L'irréversibilité n'est plus limitée à un phénomène mental, elle n'est plus le signe de notre ignorance face à la réalité.

Pour revenir à notre notion d'irréversibilité, il faut dire que c'est avec la science de la thermodynamique, que l'irréversibilité a intégré les champs de la science. Parti originairement de la chimie, le concept d'irréversibilité va petit à petit conquérir tous les domaines de la science. Dans le domaine de la chimie, Jean Joseph Fourier montre, dans sa théorie de la propagation de la chaleur dans les solides, que le flux de la chaleur entre deux corps est proportionnel au gradient de température entre ces deux corps. Cette loi au caractère irréversible, sera confirmée et consolidée par l'énonciation du second principe de la thermodynamique. Il est possible de dire, que c'est le second principe de la thermodynamique qui a introduit la notion du temps dans le domaine scientifique. Toutefois, il faut signaler tout de même que l'image de l'irréversibilité temporelle, a au cours de l'évolution de la science connu différentes interprétations.

Tout d'abord, le temps s'introduit avec l'idée de la croissance continue de l'entropie. Originairement formulée par Clausius, la croissance de l'entropie se fait sous la forme d'une évolution qui se dirige progressivement vers l'homogénéité et la mort thermique. Dans ce cas, le temps produit certes, une asymétrie de forme, mais cette dernière finit par s'annuler sous une nouvelle forme d'équilibre, où le système retrouve son identité. Avec le temps cette idée sera abandonnée. En effet, lorsqu'on a découvert par les travaux de Hubble, Penzias et Wilson, que l'univers était en expansion, on commença à comprendre que l'univers n'est pas un système fermé, mais qu'il est au contraire ouvert vers le futur. Dès lors, la science va

réintégrer le second principe de la thermodynamique, en y montrant l'émergence d'ordre qui se traduit dans l'univers par la production de nouveauté.

Désormais, on montre que l'entropie augmente continuellement, sans atteindre un état d'équilibre final. Car tout en s'amplifiant, le désordre de l'univers crée dans certaines localités, des poches d'ordre qui se manifestent à l'échelle macroscopique par l'apparition des formes nouvelles. En guise d'illustration, nous recouvrons « L'entropie devient ainsi un indicateur d'évolution, et traduit l'existence en physique « d'une flèche du temps » pour tout système isolé, le futur est la direction dans laquelle l'entropie augmente. »34

Avant de continuer, arrêtons-nous un peu, et expliquons ce que signifie la notion de flèche du temps. C'est le physicien Anglais Arthur Eddington qui a équipé le temps d'une emblème : la flèche. Tirée de la civilisation de la Grèce antique, la mythologie grecque attribuait la notion de flèche à Eros, le dieu de l'Amour, généralement représenté comme un enfant fessu et ailé qui blesse les coeurs des hommes de ses flèches aiguisées. En effet, Eddington va reprendre cette belle image de la mythologie et l'adapter à la science. La flèche du temps ne symbolisera plus le désir amoureux, mais plutôt le sentiment tragique que nous éprouvons tous d'une fuite inexorable du temps. Pour les physiciens, la flèche du temps se traduit par l'irréversibilité de certains phénomènes physiques, comme par exemple la chute d'un coco du haut d'un cocotier vers le sol. Ce mouvement est dit irréversible parce qu'on a jamais vu, et on ne l'imagine même pas, un coco quitter la terre, où sa chute l'a conduit, résister à la pesanteur pour rejoindre la place qui était la sienne sur le cocotier. Ce phénomène digne d'un miracle, même s'il s'avère possible dans l'entendement d'un fervent croyant à l'omnipotence de Dieu, est radicalement impossible à l'égard des lois physiques.

Pour revenir à notre idée de départ, qui nous a conduit à la notion de l'entropie, attardons nous un peu sur la thermodynamique. Comme toutes les sciences, la thermodynamique a aussi eu une histoire. En effet, le développement de la thermodynamique s'est fait suivant trois étapes différentes que sont : la thermodynamique d'équilibre, la thermodynamique linéaire et la thermodynamique de non équilibre.

Dans la thermodynamique dite d'équilibre, la production d'entropie est nulle à l'équilibre. Cette thermodynamique correspond aux systèmes isolés et fermés. Quant à la thermodynamique dite linéaire, la production d'entropie est dans ce cas faible, de telle sorte

34 Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance Gallimard, 1986, p 189

qu'il est possible de décrire des comportements stables et prévisibles. Ce qui caractérise cette thermodynamique dite linéaire nous dit Prigogine, c'est que quelque soit sa situation initiale, le système considéré atteint finalement un état déterminé par ses conditions aux limites. Sa réaction à un changement de conditions, devient elle aussi prévisible. Enfin ,nous allons pour finir avec cette distinction, voir le cas de la thermodynamique non linéaire. Aussi appelée thermodynamique de non équilibre, la thermodynamique non linéaire se caractérise par le fait que, « la production d'entropie continue à décrire les différents régimes thermodynamiques, mais elle ne permet plus de définir un état attracteur, terme stable de l'évolution irréversible. i5. Loin de l'équilibre, la stabilité du système ne peut en aucun cas être prédite par ses conditions initiales. C'est donc avec la thermodynamique de non équilibre, que la notion d'irréversibilité va jouer son plein rôle.

Dans la thermodynamique non linéaire, les structures dissipatives vont occuper une place fondamentale dans la forme de l'évolution du système. La structure dissipative se définit comme étant un ensemble chimique, qui se maintient et s'organise en dehors de l'équilibre thermodynamique. Contrairement à la manifestation du second principe de la thermodynamique lorsqu'il est appliqué à un système fermé, la structure dissipative représente un système ouvert, caractérisé par le fait qu'il est constamment traversé par un flux de matière et d'énergie, ce qui lui permet de diminuer son entropie et de s'organiser.

En effet la notion d'irréversibilité diffère en fonction que nous passons de l'interprétation d'un système isolé fermé, à celui d'un système ouvert comme celui représenté par une structure dissipative. Dans un système isolé, l'état d'équilibre auquel aboutit l'évolution progressive du système est un état stationnaire, ce qui représente un cas particulier de la thermodynamique. Dans un tel cas, l'équilibre thermodynamique s'explique par le fait que l'entropie ne varie pas au cours du temps. Tandis que dans les processus dissipatifs, loin de l'équilibre, la variation de l'entropie à l'intérieur du système thermodynamique se constitue de deux manières : «...l'apport « extérieur » d'entropie qui mesure les échanges avec le milieu et dont le signe dépend de la nature de ces échanges, et la production d'entropie, qui mesure les processus irréversibles au sein du système. »36. Ce qui veut dire que l'état d'équilibre correspond au cas particulier où les échanges, avec le milieu ne font pas varier l'entropie. De cela il en ressort que la production d'entropie est par conséquent nulle.

35 Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard, 1986, p 212

36 Prigogine et Stengers, Entre le temps et l'éternité Flammarion, 1992, p 49

Nées de l'instabilité, les structures dissipatives, intrinsèquement régies par une série de bifurcations, se caractérisent par leurs capacités à créer le désordre. Toutefois, lorsque ces structures sont posées dans des conditions de non équilibres, ces dernières constituent une source d'organisation. Pour mieux comprendre cette idée, considérons les explications faites dans ce sens par Prigogine et Isabelle Stengers concernant le système dit de tourbillon de Bénard. En effet, ces deux scientifiques montrent que « Les cellules de Bénard constituent un premier type de « structure dissipative », dont le nom traduit l'association entre l'idée d'ordre et l'idée de gaspillage et fut choisi à dessein pour exprimer le fait fondamental nouveau : la dissipation d'énergie et de matière, généralement associée aux idées de perte de rendement et d'évolution vers le désordre, devient, loin de l'équilibre, source d'ordre ; la dissipation est à l'origine de ce qu'on peut bien appeler de nouveaux états de la matière. »37

La symétrie du temps, celle-là même qui caractérise les systèmes d'équilibre, est brisée dans la thermodynamique de non équilibre. Dans les systèmes loin de l'équilibre, les fluctuations que subissent ces derniers, font apparaître une diversité d'états stables possibles. Lorsque ces états stables atteignent au cours de leur organisation leur seuil critique, ils introduisent au sein même du système, un élément irréductible d'incertitude. Poussé jusqu'à un tel niveau d'organisation, le système adopte, en fonction de la nature des fluctuations, l'un des états macroscopiques possibles.

Un tel processus est ce que l'on nomme en physique une bifurcation, qui se définit comme étant le point critique à partir duquel un nouvel état de la matière devient possible. C'est ce processus qui régit en fait, toutes les formes d'évolution observées dans la nature, allant de la formation des étoiles et galaxies à l'apparition de l'homme sur Terre. Ainsi apparaît-il, que c'est avec le développement de la physique des processus de non équilibre, que l'irréversibilité sera réellement considérée comme un phénomène naturel. Longtemps reléguée dans le domaine de la phénoménologie, la notion d'irréversibilité n'est plus une propriété introduite par notre ignorance ; mais révèle plutôt la marque de la réalité. Autrement dit, ce n'est pas nous qui produisons l'irréversibilité en ce sens qu'elle serait le fruit de notre imagination, mais c'est elle qui nous a produit en ce sens que nous sommes ses enfants. Prigogine écrit, « L'irréversibilité ne peut plus être identifiée à une simple apparence qui

37Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard, 1986, pp 215-216.

disparaîtrait si nous accédions à une connaissance parfaite. Elle est une condition essentielle de comportements cohérents dans des populations de milliards de milliards de molécules. » 38

L'affirmation en des termes scientifiques de l'irréversibilité, va donner à la physique une nouvelle orientation. Désormais la science va concevoir la flèche du temps, sans pour autant réduire celle-ci au caractère approximatif de notre description de la nature. En effet, ,contrairement à la physique classique qui, basée sur la dynamique newtonienne, limitait la nature à des observations réversibles, la physique moderne nous montre que la nature présente à la fois des phénomènes réversibles et des phénomènes irréversibles; seulement ceux qui sont irréversibles forment la règle de la nature, tandis que les autres n'en sont que de rares exceptions, qui ne s'appliquent qu'à quelques cas particuliers.

Autre fait important, c'est que l'irréversibilité, longtemps liée à la production de désordre, va petit à petit, et surtout avec l'avènement des structures dissipatives, se poser comme étant une condition à l'émergence d'ordre. On reconnaît maintenant avec le développement de la thermodynamique des processus de non équilibre, que l'irréversibilité mène à la fois au désordre et à l'ordre. Ainsi « Nous pouvons affirmer aujourd'hui que c'est grâce aux processus irréversibles associés à la flèche du temps que la nature réalise ses structures les plus délicates et les plus complexe. La vie n'est possible que dans un univers loin de l'équilibre. » 39. Dire que la science de la thermodynamique a fini par remettre en cause le fameux postulat de l'ordre, longtemps soutenu pas la science classique, n'est pas une aberration.

En effet, contrairement à la science classique qui affirmait que l'univers était rigoureusement ordonné dans son essence même, le second principe de la thermodynamique, postule que l'entropie - la mesure du désordre - de l'univers doit toujours augmenter vers un maximum. Cet énoncé révolutionnaire peut paraître à certains égards, contradictoire à la réalité, en considération selon l'organisation et la complexité de notre univers. Cependant, il n'en n'est rien de tout cela. L'organisation de l'univers est bel et bien conforme avec le second principe de la thermodynamique. Car la thermodynamique n'interdit pas, qu'en certains endroits particuliers et privilégiés, l'ordre s'installe, que les structures s'organisent, que la complexité se construise, que la conscience émerge. Sans l'existence du désordre, l'univers ne connaîtrait aucun coin d'ordre, et il n'y aurait aucune vie, pas moins la moindre

38 I. Prigogine, La fin des certitudes, Odile Jacob, Paris, 1998, p 12

39 Prigogine, La fin des certitudes, Odile Jacob, Paris 1998, pp 31-32

trace de l'établissement d'une conscience. C'est ce que Trinh montre lorsqu'il écrit : « L'ordre que représente la vie sur Terre n'est possible que grâce au désordre plus grand que crée le Soleil en convertissant les atomes d'hydrogène en énergie, lumière et chaleur. Toutes les structures de l'univers, galaxies ou planètes, doivent leur existence à deux facteurs : l'expansion de l'univers et la création de désordre par les étoiles. L'expansion de l'univers est essentielle pour refroidir le rayonnement fossile et créer un déséquilibre de température entre les étoiles et l'espace qui les entoure. Ce déséquilibre permet à son tour aux étoiles de se transformer en machines à fabriquer du désordre. Celles-ci rejettent leur lumière chaude désordonnée dans la lumière plus froide et plus ordonnée qui les enveloppe. Le désordre se communique de la lumière chaude à la lumière froide, le désordre total augmente et des coins d'ordre peuvent surgir sans violer la deuxième loi de la thermodynamique. »40. Ainsi donc, la complexité et l'organisation peuvent spontanément surgir dans un univers en expansion et inventeur de nouveauté. Dès lors, l'hypothèse du Dieu horloger, qui a inspiré les travaux de Leibniz et Newton, ne semble plus être nécessaire.

Avec la physique moderne et plus précisément avec les avènements de la théorie de la relativité, de la cosmologie moderne et de la thermodynamique, la pensée du temps revêtira un nouveau visage. La découverte de la flèche du temps voyageant vers la même direction, va faire voler en éclats l'image réversible que la physique newtonienne avait donné à la notion de temps. L'irréversibilité ne se limite plus à déterminer le monde microscopique, elle permet aussi à expliquer notre univers, de sa naissance présupposée avec le big bang à sa structure actuelle. Observant la complexité et la diversité des structures du réel, nous pouvons en conclure l'idée d'après laquelle : « Il est nécessaire à la cohérence de notre position que la flèche du temps, la différence entre le rôle joué par le passé et par le futur, fasse partie de la cosmologie puisqu'elle constitue un fait universel, partagé par tous les acteurs de l'évolution cosmique. »41

Pour clore ce chapitre nous allons après avoir révélé la problématique liée à la pensée du temps, essayer de voir les enjeux qui restent liés au problème de son commencement. Dans le chapitre huit de son ouvrage intitulé La fin des certitudes, Prigogine posait cette question en ces termes : le temps précède-t-il l'existence ? En effet dit Prigogine, si notre univers a une origine et un commencement situés dans le temps, ce temps auquel correspond cette origine,

40Trinh xuan thuan, La mélodie secrète, Gallimard, 1991, pp 303-304 41 Prigogine, La fin des certitudes, Odile Jacob, Paris, 1998, p 221

ne devrait-il pas lui aussi avoir logiquement existé à un moment donné qui correspondrait à son commencement.

A ce propos Saint Augustin, ce théologien dont la pensée du temps avait bouleversé l'esprit, considérait que le monde n'a probablement pas existé dans le temps, mais avec le temps. Selon cet homme de l'Eglise, le monde et le temps sont co-existentiels, d'où il les situ en un lieu hors de l'existence de Dieu. Dieu, en tant qu'il transcende le temps, se situe en dehors du temps, il est éternel. La question de l'origine du temps, se trouve donc à point nommé entre la réflexion philosophique et les déductions scientifiques.

Poser la question de savoir où commence le temps, revient à se demander la question tant débattue en science, qu'est celle de l'âge de l'univers. En effet, jusqu'à nos jours, aucune théorie scientifique n'est en mesure de déterminer avec précision l'âge de l'univers, même si on sait que la cosmologie contemporaine fixe celui-ci dans une tranche comprise entre dix et vingt milliards d'années. Il y a toujours une incertitude qui reste attachée à toute tentative d'approximation de cet âge. La théorie de la relativité, celle-là même qui sert de base à la cosmologie moderne, se heurte, dans sa tentative de reconstruction des premiers moments de l'univers, à une limite au-delà de laquelle rien n'est donné ; mieux encore, une limite où rien ne peut être connu de manière scientifique. Ce milieu dit-on, correspond à un milieu quantique très dense au point que toutes les hypothèses de la relativité perdent pied. Ce milieu a selon les physiciens une densité de l'ordre de 1096 kg m1-3, densité qu'on s'accorde à nommer en terme scientifique, densité de Planck, en référence au physicien Max Planck. En remontant le temps, ce lieu d'incertitude correspond au temps évalué à 10 - 43 secondes, c'està-dire aux tous premiers instants qui ont suivi le big bang.

A cause de ces deux entraves épistémologiques, la science ne peut plus parler de l'origine de l'univers. Cette question dont on a voulu faire l'objet de la cosmologie, se rebelle et réclame son incompatibilité avec toute tentative de conceptualisation. En effet, nous dit Marc Lachize-Rey « Nous sommes clairement dépourvus du cadre conceptuel permettant de parler d'une éventuelle naissance, d'une création de l'univers. Le processus fondateur de l'univers, s'il en existe un, n'a pu se dérouler dans le cadre de l'univers puisqu'il a abouti, précisément, à créer ce cadre. Il n'a pu se dérouler dans le temps puisque l'existence du temps implique déjà celle de l'univers. Imaginer le contraire conduit vite à des paradoxes, d'ailleurs reconnus depuis longtemps. S'il y avait eu quelque chose (ne serait-ce que le temps) avant le « début » de l'univers, l'univers eût été déjà là, par définition. Il ne se serait

donc pas agi de son début. Si l'on veut aborder ces concepts, il faut se placer d'un point de vue « hors du temps ». Mais la science - et c'est peut-être sa barrière la plus fondamentale - ne peut rien nous dire de l'intemporel. » 42. L'origine du temps n'est donc pas l'objet de la science, d'où celle-ci ne devra s'occuper que de son commencement.

La question du commencement du temps se retrouve en filigrane dans toute l'oeuvre de l'astrophysicien anglais Stephen Hawking. En effet, fasciné par la question des origines, cet homme a tourné son oeuvre entière autour des thèmes des origines, des singularités, du temps, et dans une certaine mesure du caractère inévitable des lois qui décrivent l'univers. Même en relativité générale, cette science qui contrairement à la théorie gravitationnelle, s'occupe des champs à très haute énergie, le temps perd toute signification lorsque nous remontons vers une singularité comme le big bang. Avec la forte densité de la matière et sa température infiniment chaude, l'espace-temps compris dans un tel milieu quantique devient infiniment courbe. Or, écrit Hawking « Et comme toutes les théories scientifiques actuelles sont formulées sur une base spatio-temporelle, ces théories aussi cessent de s'appliquer à ces singularités. Si bien qu'à supposer qu'il y ait des évènements antérieurs au Big bang, on ne pourrait pas prédire à partir de ces évènements l'état actuel de l'univers, parce que la prédictibilité serait rompue au moment du Big bang. »43

A partir de là nous pouvons qu'il n'est pas non plus possible, de déterminer ce qui s'est passé avant le big bang, en partant de la connaissance des faits qui l'ont succédé. L'existence où non d'évènements antérieurs au big bang est purement métaphysique, en ce sens que même s'ils ont existé, ils n'ont aucun effet sur l'état actuel du monde. C'est ainsi que l'on peut affirmer avec Stephen Hawking, que le temps a commencé avec le big bang. Et la fin du temps, si elle est un phénomène possible, adviendra avec l'avènement de ce que l'on appelle par opposition au big bang, le big crunch ce qui signifie la grande implosion. Un tel phénomène de la fin du temps sera identique à celui que l'on observe aux alentours des trous noirs. En effet, un trou noir est une région de l'espace qui reste invisible aux observateurs lointains, parce que le champs de gravitation y est suffisamment intense au point que rien ne puisse s'en échapper, pas même la lumière.

Pour clore cette idée de l'origine ou du commencement du temps, essayons de voir ce qu'en dit Alain Bouquet. Ce physicien écrit, dans la présentation qu'il a faite à l'ouvrage,

42 Klein et Spiro, Le temps et sa flèche « A la recherche du temps cosmique » Flammarion, 1996, p 92

43 S. Hawking, Commencement du temps et fin de la physique ?, Flammarion, 1992, p 104

Commencement du temps et fin de la physique ? de Hawking, ceci : « Au moment du Big bang, le temps est créé en même temps que l'espace et l'énergie, et inversement, c'est pour cela qu'il perd son sens près d'une singularité. Dans un univers dépourvu de singularité grâce à une « régularisation » quantique aussi bienfaisant qu'hypothétique, ce problème-là ne se pose plus. Tous les points de l'espace et du temps sont aussi réguliers les uns que les autres, il n'y a plus d'instant privilégié, distingué des autres. »44

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard