I-2/ Déterminisme et négation du temps
« Tout est donné » ! Voici de
manière très brève comment se résume la profession
de foi à laquelle procédait la science classique. Dans ses
interrogations philosophiques, Leibniz se demandait Pourquoi y a-t-il quelque
chose plutôt que rien ? Cette question qui se trouve à la
croisée des chemins empruntés par la philosophie et la science,
constitue la pierre philosophale sur laquelle repose toute réflexion sur
le monde et sur tout ce qui le compose. Nombreux sont les auteurs qui ont
tenté d'apporter une réponse à cette question, mais en
vain. Leibniz lui-même, n'a pas pu répondre de façon
satisfaisante à cette interrogation qui en fait, a plus trait au domaine
de la métaphysique, qu'à celui de la science. Pour
répondre à cette question, Leibniz a fait appel à
l'argument philosophique connu sous le nom de la théorie des causes.
Fondée sur le principe de la providence divine, la théorie des
causes tente d'expliquer l'existence de tout phénomène, par la
reconstruction de la chaîne des causes qui l'ont provoqué ; et
cela par le principe que toute chose a nécessairement une cause qui lui
est antérieure.
Cependant, considérée sous cet aspect, cette
question pourrait nous conduire vers une impasse ; du fait qu'on aura toujours
besoin de remonter de manière infinie à une cause toujours plus
lointaine. Ce risque avait déjà été mesuré
par Leibniz. En effet pour ne pas tomber dans cette voie qui pourrait conduire
à l'incrédulité, Leibniz pose la nécessité
d'arrêter la chaîne des causes à un principe premier cause
de toute chose et qu'il nomme par conséquent Dieu. Cet argument d'ordre
métaphysique va revêtir aux yeux des penseurs du XVIII
ème siècle, une importance capitale. En fait, la
science classique va reprendre la théorie des causes pour assoire d'une
part, la croyance qu'elle avait du déterminisme universel, et d'autre
part pour combattre l'existence du hasard, jadis considéré comme
le signe de
11 Prigogine et Stengers La nouvelle alliance,
Gallimard, 1986, p 81
l'irrationalité. L'illustration en a été
faite par la remarque de Louis de Broglie dans un texte paru en Février
1977 aux annales de la fondation qui porte son nom. Ce dernier écrit
dans ce texte, « La recherche de la causalité est une tendance
instinctive de l'esprit humain. Elle consiste à admettre que les
phénomènes qui se manifestent successivement à nous ne se
succèdent pas au hasard, mais dérivent les uns des autres,
étant reliés entre eux par des liens tels que chacun d'eux est la
conséquence nécessaire de ceux qui l'ont
précédé. »12
La conséquence épistémologique d'une
telle affirmation, consiste à dire, comme l'a toujours cru Hegel, que
rien de nouveau n'arrive dans la nature ; le réel est un et toujours
identique à lui-même. De là, nous pouvons conclure que le
devenir n'existe pas, car pour que des liens de causalité puissent
s'établir il faut que la nature soit inchangeante, éternelle ce
qui, autrement dit, revient à soutenir que le temps même n'existe
pas. C'est à une telle conclusion que la science a abouti au
XVIIIème siècle, lorsqu'elle défendait avec
rigueur, la conception épistémologique du déterminisme
universel.
Pour mieux comprendre les enjeux d'une telle
considération, nous essayerons dans ce chapitre de voir à travers
l'histoire des sciences, deux des grandes disciplines scientifiques qui
sous-tendent cette conception. Il s'agit notamment de la dynamique classique,
et de la théorie de la relativité inventée par Einstein.
En effet, ces deux disciplines soutiennent, dans leur fondement, une conception
négatrice du temps, et réduisent celui-ci à un
comportement réversible qui se traduit
phénoménologiquement par la production du même par le
même.
La dynamique classique, parce que c'est d'elle que nous allons
parler en premier, constitue la partie de la mécanique qui étudie
les relations entre les forces et les mouvements. Elle a gagné à
partir du XVIII ème siècle une importance capitale,
dans le dispositif des nouvelles sciences émergeantes. En effet, c'est
grâce aux différentes théories confortées par la
pertinence de leurs résultats, que la physique classique a, sous la voix
de Leibniz, considéré la dynamique comme étant le
modèle d'intelligibilité de la science. La raison d'une telle
idée résulte du fait que, les lois de la dynamique, en tant
qu'elle permettent de rendre compte et des phénomènes terrestres
et de ceux du monde céleste ; étaient considérées
comme absolues, éternellement vraies.
En effet, d'après la mécanique de Newton, quand
on connaît l'état d'un système physique, à savoir
ses positions et ses vitesses, à un instant donné aussi
appelé instant initial, on peut en
12 Louis de Broglie, La physique nouvelle et les
quanta, Flammarion, 1937, pV
déduire son état à tout autre instant.
Selon Newton, pour tout système donné, les forces sont à
chaque instant déterminées par l'état du système
à cet instant. Il en déduit la conséquence, que
connaissant l'état d'un système à l'instant initial, le
calcul de sa variation au cours du temps peut être établi. Cette
conception qui a soutenu ce grand monument de la pensée universelle
qu'est la mécanique newtonienne, connaîtra avec Laplace une
formulation élégante et célèbre.
En effet, dans son Essai philosophique sur les
probabilités publié en 1814, Pierre Simon Laplace
écrit ceci : « Une Intelligence qui, pour un instant
donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est
animée et la situation respective des êtres qui la composent, si
d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données
à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des
plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne
serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait
présent à ses yeux. L'esprit humain offre, dans la perfection
qu'il a su donner à l'astronomie, une faible esquisse de cette
intelligence. »
Cette citation aux résonances quasi
théologiques, suscite diverses questions. Quelle place le
déterminisme laisse t- il au libre arbitre de l'homme ? Quelle place
laisse-t-il au temps et à l'évolution de l'univers ? La nature
est-elle condamnée, depuis son existence, à une hybridité
structurale ? Peut-il arriver que le monde change ? A toutes ces questions la
science classique répond par la négative et montre que l'Univers
est identique à lui-même. L'évolution de l'univers se
produit par un comportement réversible, ce qui rend possible sa
compréhension par l'esprit humain.
Cette manière étrange par laquelle le XVIII
ème siècle concevait la science est très
fréquente dans l'histoire des sciences. La science disait-on est le
royaume de la nécessité, elle a pour but de mettre au jour les
lois d'airain qui gouvernent la réalité dans sa
totalité.
Deux raisons peuvent expliquer ce rapprochement de la science
au règne de la nécessité. La première raison est
celle qui se lie à la thèse aristotélicienne selon
laquelle il n' y a de science que du général. Car, dans la
tradition aristotélicienne, ce qui est général est aussi
nécessaire. La deuxième raison d'une telle conception se lie au
fait que le discours scientifique, parce qu'il est souvent conçu sous le
modèle du raisonnement mathématique, ne procède que par
démonstration ; c'est-à-dire par un enchaînement de
différents raisonnements qui ne laisse place à aucune
incertitude.
Dans la dynamique classique, connaître les
données d'un système, c'est en prédire l'avenir. Par ce
fait, la dynamique postule qu'il existe dans l'Univers, une identité
intrinsèque entre les différents états d'un système
physique. En effet, soutenant à la suite de Kant l'idée du temps
absolu, la science classique défend que le temps est inchangeant, il est
donné une fois pour toute. Dès lors, le devenir tel que
pensé par la dynamique classique, voudrait dire « ce qu'une
évolution dynamique a accompli, une autre évolution
définie par le renversement des vitesses, peut le défaire et
restituer une situation identique à la situation initiale.
»13
On voit se dessiner à travers cette idée de
Prigogine, la conception réversible du temps, qui en fait, se traduit
par la structuration homogène des phénomènes. La
conséquence d'une telle idée résulte du fait que selon la
physique classique, l'Univers, parce qu'il a été crée par
Dieu, reste immuable et statique. Tout est donné une fois pour toute,
notre univers n'évolue pas, il est éternel, et le temps,
même s'il existe, n'a aucune influence sur son
homogénéité.
La science classique est étrangère à
l'idée de l'évolution de l'univers. En effet, depuis la
publication des équations différentielles de Newton la physique
classique a été habitée par l'idéal d'une
maîtrise et d'une compréhension de l'univers dans sa
totalité. Or, une telle croyance, parce qu'elle cherche à
globaliser l'univers, ne peut être compatible avec l'idée
d'émergence et de changement. En effet si l'on acceptait l'idée
que l'univers est en perpétuelle évolution, alors le physicien
serait incapable comme le note Alexandre Kojève, de connaître les
lois de l'évolution d'un monde qui change totalement d'aspect d'un
moment à l'autre. L'avenir ne peut pas être prévu par lui
s'il diffère complètement du passé.
On peut dire à partir de là que c'est parce
qu'ils rêvaient d'une maîtrise du réel, que beaucoup de
scientifiques ont préféré nier la réalité
effective du temps, liant celui-ci à l'expression d'une illusion de
notre esprit, ou bien à notre ignorance.
C'est sous cet angle que Einstein, dans une de ses
correspondances où il fait état de ses convictions
philosophiques, écrit à Michèle Besso en ces termes
« Pour nous autres physiciens, convaincus, la distinction entre
passé, présent et futur n'est qu'une illusion, même si elle
est tenace. » On voit que Einstein croit lui aussi au temps
réversible, d'autant qu'il affirme à l'instar de Newton que le
monde est statique et inchangeant dans sa structure profonde. Par son attitude
qui consiste à limiter le devenir à une simple
répétition du même, la physique classique a, par
l'influence de la dynamique classique, fini par désenchanter le
13 Prigogine et Stengers, La nouvelle
alliance, Gallimard, 1986, p 105
monde. Car en refusant tout caractère changeant
à l'univers, la physique newtonienne a fait de la nature un être
divin, en somme une contre-nature. C'est pourquoi Prigogine et Isabelle
Stengers ont déduit dans La Nouvelle alliance, que le monde de
la dynamique est un monde « divin » sur lequel le temps ne
mord pas, d'où la naissance et la mort, sont exclues à jamais.
En niant l'irréversibilité du temps, la physique
classique s'est trouvée partagée entre deux
réalités : une réalité
phénoménologique marquée par
l'irréversibilité du temps, et une réalité
théorique dans laquelle touts les moments demeurent identiques. Cette
dichotomie entre l'observation phénoménologique
irréversible, et la formulation réversible des lois de la
dynamique, a été l'un des véritables paradoxes qui ont
animé Ludwig Boltzmann lorsqu'il entreprit ses travaux scientifiques. En
effet, Boltzmann a tenté de réaliser en physique ce que Darwin a
eu à faire dans le domaine de la biologie : expliquer
l'irréversibilité thermodynamique par les lois de la dynamique.
Ludwig Boltzmann montre dans ses travaux sur la thermodynamique que, dans une
population nombreuse de particules, l'effet des collisions peut donner un sens
à la croissance du désordre, c'est-à-dire à
l'irréversibilité thermodynamique. De là Boltzmann affirme
que l'effet des collisions modifie les vitesses et les positions des particules
contenues dans le système considéré.
Par cet effet donc, le mouvement des particules
décroît au cours du temps jusqu'à atteindre un minimum
à partir duquel une nouvelle distribution des positions et des vitesses
des particules se réalise. Une fois cette distribution faite, les
particules ne peuvent plus être modifiées par des collisions
ultérieures nous dit Boltzmann.
Cependant, Boltzmann sera confronté dans son ambition,
à plusieurs objections venant de la part des scientifiques encore
dominés par la conception dynamique. Sans passer en revue toutes ces
critiques, nous allons ici retenir des objections les plus retenues contre ce
projet de Boltzmann. La première objection liée au
théorème de « récurrence »
développé par Henri Poincaré, postule nous dit
Prigogine que, « Tout système dynamique finira toujours,
après un temps assez long par passer aussi près que l'on veut de
la position initiale. »14. Cette obligation s'oppose donc,
à l'augmentation spontanée de l'entropie soutenue par Boltzmann.
Selon ce dernier, l'augmentation continue de l'entropie permet de comprendre et
de pouvoir expliquer l'évolution du système, qui se manifeste par
l'apparition de nouvelle forme.
14 Prigogine et Stengers, Entre le temps et
l'éternité, Flammarion, 1992, p 98
A cette objection, viendra s'ajouter une autre qui elle, est
seulement liée à une expérience de pensée.
Malgré son caractère purement hypothétique, la seconde
objection suppose que l'inversion des vitesses d'un système permet
d'observer le parcours de celui-ci suivant une trajectoire opposée.
Contraint par ces deux objections, Ludwig Boltzmann va se résigner en
abandonnant son projet d'explication de l'irréversibilité
thermodynamique, et s'accommoder à la description dynamique qui
jusqu'alors était la seule reconnue. D'ailleurs, il finira par affirmer
à travers une formule devenue célèbre : « Au sein
de l'Univers dans son entier, les deux directions du temps ne peuvent
être distinguées exactement comme, dans l'espace, il n'y a pas de
haut ni de bas. » Pour finir avec ce point concernant la dynamique
classique, nous rapportons de Prigogine le propos suivant : « Du point
de vue de la dynamique, devenir et éternité semblaient
s'identifier. Tout comme le pendule parfait oscille autour de sa position
d'équilibre, le monde régi par les lois de la dynamique se
réduit à une affirmation immuable de sa propre identité.
»15
Après avoir discuté de la négation du
temps telle qu'entreprise par la dynamique classique, nous essayons de voir
comment la théorie de la relativité, cette science rivale de la
mécanique classique, niera à son tour
l'irréversibilité du temps.
La relativité et la mécanique quantique sont les
deux théories qui ont entraîné l'effondrement de
l'idéal de la science classique. En effet, fondée sur les
principes de la causalité et du déterminisme universels, la
physique classique postulait la possibilité de prédire tout
phénomène dès lors que sont connues ses conditions
initiales. La raison d'une telle proposition se justifie par le fait qu'en
mécanique classique, on admettait l'existence d'un temps absolu,
variable pour tous les observateurs ; et cela pour tous les systèmes de
référence considérés. De plus, la physique
newtonienne affirmait que la distance qui sépare deux points dans
l'espace a également un caractère absolu et doit par
conséquent avoir donc la même valeur pour tout observateur. Ces
deux propositions scientifiques ont pendant très longtemps,
été à la base des principes de la physique classique.
Cependant des le début du XXème
siècle, une révolution spectaculaire va se produire dans le
domaine de la physique : il s'agit de la théorie de la
Relativité. Découverte en 1905, la théorie de la
relativité de Einstein, montre qu'il n'est plus possible de
considérer indépendamment les coordonnées d'espace et de
temps. Désormais, il est nécessaire selon
15 Prigogine et Stengers, Entre le temps et
l'éternité, Flammarion, 1992, p 22
Einstein de considérer un continuum à quatre
dimensions, d'où la notion d'Espace-temps née avec la
géométrie de Minkowski.
Cette révolution qui ouvre une nouvelle ère
à la physique s'est particulièrement établie à la
suite de deux énoncés qui consistent d'une part à dire,
que la vitesse d'aucun corps n'égale celle de la lumière, et
d'autre part que la vitesse de la lumière dans le vide est une
constante, indépendante de la vitesse de propagation. A partir de ces
deux énoncés Einstein affirmera contre Newton que le temps, loin
d'être une entité absolue, varie suivant la vitesse de
déplacement de l'observateur. Il n'existe plus un temps absolu valable
pour tout système physique, mais une variété de temps,
tous spécifiques à leur observateur.
Sans nous étendre outre mesure sur la théorie de
la relativité, il est important de souligner au passage que cette
dernière, de même que la mécanique quantique ; soutiennent
à l'instar de la dynamique classique, une symétrie du temps
traduite par caractère réversible de leurs équations. La
remarque faite à ce propos par Prigogine est édifiante. En effet,
ces deux auteurs soutiennent : « Malgré leur caractère
révolutionnaire, il faut reconnaître qu'à cet égard
[celui du temps] la relativité et la mécanique quantitative sont
toutes deux les héritières de la tradition classique : le
changement temporel y est conçu comme réversible et
déterministe. »16
En dépit de la rupture que sa théorie a
apporté en physique, Einstein est resté un esprit classique,
malgré la mouvance moderniste de son temps. Accepter selon lui que
quelque chose de nouveau advenait dans le monde, revenait à remettre en
cause aussi bien la puissance divine, que l'idéal de la
rationalité. Car l'émergence de nouveauté est selon lui le
signe d'une création imparfaite. Or pensait-il, si Dieu est tout
puissant, il ne peut pas ne pas créer une nature achevée,
d'où tout est donné depuis la création :
l'évolution de l'univers n'est qu'une illusion de l'esprit humain.
Ce qui intriguait le plus Einstein, c'est qu'en acceptant
l'évolution de l'univers, la physique serait amenée à
renoncer à son idéal, qui réside dans la croyance
d'atteindre un jour la connaissance complète de l'univers. Si l'univers
est changeant cela signifierait que le déterminisme est inadapté,
et qu'il faudrait laisser une place à l'incertitude et à
l'indéterminisme. Ce qui selon lui est non seulement contradictoire avec
l'image de la rationalité, mais aussi et surtout avec l'idée de
l'omniscience de Dieu.
16 Prigogine et Stengers, Entre le temps et
l'éternité, Flammarion, 1992, p 123
Parallèlement à la théorie de la
relativité, la mécanique quantique elle non plus ne rompt pas la
symétrie du temps, établie par la dynamique classique. En effet,
on affirmait dans la mécanique du point mobile, que tout mouvement
devient prédictible, à n'importe lequel de ses moments, une fois
que sa vitesse et sa position sont connues avec précision. Or Heisenberg
a montré que de par l'expérience, que dans le domaine de la
physique subatomique, il est impossible pour un électron observé,
d'avoir à la fois et sa vitesse et sa position. Dans ce domaine de
l'extrêmement petit, pour observer un atome, on a besoin
nécessairement de la lumière. Or, en projetant sur l'atome des
grains de photons de lumière, l'impact de ces grains, crée sur le
comportement de l'atome une perturbation qui se manifeste soit par la variation
de la vitesse de ses électrons, soit par la variation de leur position.
Ce climat d'indétermination totale fait que, lorsque la vitesse est
connue avec précision, la position demeure absolument inconnaissable ;
ce qui en ressort le principe d'incertitude formulé par Heisenberg. Par
ce fait, la mécanique quantique réhabilite la notion
d'indéterminisme longtemps combattue par la physique, d'où cette
nouvelle théorie scientifique ce positionne aux antipodes de la
mécanique classique.
Toutefois, il faut dire que, comme la mécanique
classique, la mécanique quantique est réversible. Car de la
même manière que la mécanique classique postule
l'équivalence des descriptions individuelles en termes de trajectoires,
la mécanique quantique elle aussi suppose un équilibre des
descriptions en termes d'ensembles statistiques. Nous pourrons dire que
l'équation de Schrödinger, définissant la fonction d'onde,
est réversible et symétrique par rapport au temps, de la
même manière que l'équation de Newton.
En effet, dans la mécanique quantique, lorsque la
fonction d'onde est connue à un instant quelconque, et les conditions
aux limites déterminées, il est possible dès lors calculer
la fonction d'onde à n'importe lequel des instants aussi bien du futur
que du passé. C'est pour cette raison que Prigogine a pu dire :
« ...L'équation de Schrödinger est réversible par
rapport au temps, exactement comme les équations classiques du
mouvement. Lorsque nous remplaçons t par -t l'équation reste
valable. Nous devons seulement remplacer ø par son complexe ø*.
»17. En résumé, retenons l'idée que,
les théories de la Relativité et de la mécanique quantique
étaient étrangères à la notion de
l'irréversibilité temporelle, qui ellemême est liée
à la conception de l'évolution de l'univers, idée encore
inédite pour la science.
17 Ilya Prigogine, La fin des certitudes,
Odile Jacob, Paris, 1998, p 164
Par ailleurs, à côté de ces trois
théories scientifiques que sont, la dynamique classique, la
relativité et la mécanique quantique, il existe une autre
conception, cette fois-ci philosophique, qui elle aussi s'oppose au
problème de l'irréversibilité : il s'agit du principe de
raison suffisante.
Ainsi formulé par Leibniz, le principe de raison
suffisante se fonde sur la théorie des vérités. En effet,
Leibniz distingue deux sortes de vérités, les
vérités dites nécessaires et les vérités de
faits, aussi appelées vérités contingentes. Les
vérités nécessaires, aussi appelées
vérités logiques, sont celles dont l'opposé est de non
contradiction. Quant aux vérités dites de faits, elles sont
contingentes. Ces dernières parce qu'elles déterminent le monde
des phénomènes, sont changeantes. Ce qui importe dans
l'étude de ces vérités, c'est le fait qu'elles ne
permettent pas une analyse exhaustive, en raison de l'idée que nous
pouvons toujours expliquer un fait par le rapprochement à son
état antérieur, et cela en remontant la chaîne des causes
qui s'étend à l'infini.
Les vérités logiques du fait de leur
nécessité, n'ont pas besoin d'être expliquer, elles sont
éternellement vraies. Ces vérités sont de l'ordre
métaphysique d'où Leibniz fait la distinction entre le domaine de
la métaphysique et celui des autres savoirs, lesquels portent sur les
vérités de faits. Nous avons dit ci-dessus que les
vérités de faits ont besoin pour être justifiées de
remonter toujours la chaîne des causes qui les ont occasionnées.
Cependant, pour que l'étude du monde physique ait un sens, il faut, nous
dit Leibniz établir un début à cet enchaînement des
causes, d'où la justification du principe de raison suffisante. Ce
principe philosophique pose l'existence de Dieu comme étant une
substance nécessaire. En tant que cause de la série des faits,
celle-ci ne lui est pas pour autant inhérente : en d'autres termes elle
la contient seulement en puissance.. Pour étayer son argumentation,
Leibniz affirme au paragraphe 37 de la Monadologie. « Il faut
que la raison suffisante ou dernière soit hors de la suite ou
série de ce détail des contingences quelqu'infini qu'il pourrait
être. »18
En effet, le principe de raison suffisante énonce
l'équivalence entre la cause « pleine » et l'effet «
entier ». Traduit en termes scientifiques, le principe de raison
suffisante montre l'impossibilité d'établir la distinction entre
l'avant et l'après dans l'évolution d'un phénomène.
Selon ce principe, tout ce qui existe à une cause, et c'est en fonction
de cette cause qu'il se manifeste dans l'existence. L'effet est en toute
logique contenu dans la cause.
18 G.W. Leibniz, Principes de la nature et de la
grâce suivi de la monadologie, Flammarion, 1996, p 250
Par conséquent, pour comprendre l'univers, il faut se
mettre dans la position de Dieu avant la création. Selon Leibniz Dieu
avant de créer l'Univers, avait dans son entendement divin toutes les
manifestations potentielles de celui-ci ; et par son décret divin, il a
fait passer l'univers de l'étape de simple possibilité à
une existence réelle. L'essence donc de l'univers lui est
préexistante. A partir de ces positions à la fois
métaphysiques et théologiques, Leibniz va déduire que du
point de vue physique, tout ce qui est, a sa raison d'être.
La conséquence d'une telle affirmation, consiste
à dire que dans l'univers, tout est explicable et intelligible. Ce qui
amène Leibniz à dire, « Rien n'arrive sans qu'il soit
possible à celui qui connaît assez les choses de rendre une raison
qui suffise pour déterminer pourquoi il en est ainsi et non autrement.
» 19
Or, affirmer la correspondance entre la cause et l'effet,
laisse entendre que le monde réel ne souffre pas du devenir, ce qui
autrement dit, voudrait signifier que l'univers tout entier échapperait
aux rides du temps. Cette idée est en fait conforme à la
pensée Leibnizienne selon laquelle, le monde évolue suivant le
décret divin qui l'a fait exister.
19 G.W Leibniz ...idem , 1996, p 228
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