Chapitre II : Les incidences jurisprudentielles et
doctrinales.
Après avoir fait l'analyse de la loi nationale et des
instruments universels et régionaux des droits humains relatifs au
mariage d'enfants, il convient maintenant de voir comment est ce que les juges
appliquent la loi en d'autres termes quelle interprétation ils en font,
restrictive ou extensive et quel en sera le point de vue de la doctrine ? Ce
qui nous amène à voir d'une part, les incidences
jurisprudentielles (section I) et de l'autre, les incidences doctrinales
(section II).
Section I : Les incidences jurisprudentielles.
Même si nous étions confrontés à
une difficulté liée à la rareté de la jurisprudence
(paragraphe I) par ailleurs, nous avons finalement pu en trouver, même si
le nombre de décisions n'est pas assez consistant, ce qui nous permettra
de faire l'analyse de la position des juges (paragraphe II).
Paragraphe I : Les difficultés pour trouver la
jurisprudence.
Les difficultés liées à la rareté
de la jurisprudence résultent de deux situations qui ont
été relevées par les praticiens du droit autrement dit les
magistrats euxmêmes, mais malgré ce constat, ils sont impuissants
pour apporter des solutions à ces difficultés, car en tant que
magistrat du siège la loi n'a pas mis à leur disposition des
moyens juridiques pour pallier à ces situations.
D'une part, la situation liée à la rareté
de la jurisprudence est favorisée du fait que dans la
société sénégalaise les individus n'ont pas la
culture de saisir les juridictions pour le règlement des contentieux.
Surtout si ceux-ci portent sur des situations taboues et risquent de
créer des malaises dans les relations parentales ce qui est le cas ici,
des problèmes qui résultent des mariages précoces, car le
plus souvent ces mariages sont conclus entre proches parents d'une même
famille (mariage entre cousin et cousine) ou entre les descendants d'amis qui
veulent prolonger leur lien
d'amitié à travers ce mariage, qui est souvent
conclu de manière précoce. Par suite, l'entretien que nous avons
eu avec le Président du Tribunal départemental de Kanel ;
12le constat fait chez nos parents « Hall Pulaar
»13dont la tradition est de marier leurs filles à un
âge très bas et ils continuent encore à perpétuer
cette tradition nuisible. Et quelle que soit la gravité des
difficultés qui peuvent résulter de ces mariages précoces
même s'il y a décès de la fille à la suite des
relations sexuelles précoces qu'elle a eu à entretenir avec son
mari ils ne saisiront jamais les juridictions. Si cette situation est
combinée avec le fait que le juge ne peut pas s'autosaisir et que le
parquet et ses services de recherche n'ont pas pu faire correctement leur
travail ; il sera très difficile d'avoir des décisions relatives
aux mariages précoces au Sénégal.
Et d'autre part, il est important de souligner que cette
situation est également favorisée par le constat que nous avons
fait après avoir eu un entretien avec le Président du Tribunal
départemental de Tambacounda.14 Il faut préciser que
la situation est différente de celle que nous venons de voir plus haut.
Ici la principale cause qui favorise les difficultés relatives à
la rareté de la jurisprudence est toute simple, les individus se marient
de manière religieuse ou coutumière précocement et ces
mariages ne sont pas constatés devant l'autorité
compétente à savoir l'officier de l'état civil. Par
ailleurs, puisque la répudiation est interdite en droit
sénégalais quand des problèmes surviennent au sein du
couple et qu'ils veulent divorcer les époux sont obligés d'aller
devant le juge qui régularise d'abord le mariage afin de pouvoir
prononcer le divorce entre eux, qui avaient célébré leur
mariage précocement. Il existe des situations où des
époux qui s'étaient mariés précocement vont devant
les juridictions afin de régulariser leur mariage après que la
femme ait conçu ou a atteint l'âge requis pour se marier en
l'absence de contentieux dans le couple. Dans la majeure partie des situations
les époux vont devant les juridictions à cause des
difficultés conjugales ; afin que le juge régularise le mariage
et prononce le divorce. Au demeurant, il est important de rappeler le contenu
de l'article 142 alinéa 4 du Code de la famille qui dispose que : «
lorsque l'un des époux n'avait pas l'âge requis,
12 Le juge Oumar Sall.
13 Ethnie qui habite le long du fleuve
Sénégal.
14 Le juge Kane.
la nullité ne peut être invoquée
après qu'il ait atteint cet âge ou lorsque la femme a
conçu, à moins que l'action ne soit intentée par la femme
elle-même. » La mise en oeuvre de cette disposition oblige le juge
à régulariser les mariages même s'ils étaient
célébrés de manière précoce chaque fois que
l'on se trouve dans l'une des situations décrite à l'article 142,
alinéa 4 du Code de la famille. Ce qui avait amené le
Président du Tribunal départemental de Tambacounda à
affirmer que : « dans les cas cités par l'article 142 alinéa
4 du Code de la famille ils (les juges) sont sous le couvert de la loi pour
régulariser les mariages précoces. »
Après avoir surmonté les difficultés
liées à la rareté de la jurisprudence, à notre
avis, il est important d'analyser la position des juges à travers les
quelques arrêts que nous avons pu obtenir.
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