C. La ville carte-postale, effacer les
stéréotypes pour en recréer d'autres
Le patrimoine et les musées ont une valeur de
contemporanéité239 (Gegenwartswerte) qui
correspond au présent, aux valeurs d'usage et artistiques qui en sont
faites. Un monument constitue l'emblème, ou l'un des emblèmes, de
l'identité locale, l'image dominante dans la représentation de la
destination. Si la cathédrale St Etienne de Metz était
déjà l'un de ceux-ci, le Centre Pompidou-Metz en devient un. Mais
le Centre Pompidou-Metz met également le riche patrimoine de la ville en
avant. C'est un élément investi par la population qui lui procure
un « sentiment d'appartenance "240, qui fait qu'elle se
reconnaît comme telle, au travers de ce patrimoine identitaire.
L'équipe du Centre Pompidou-Metz a d'ailleurs bien compris cette
nécessité d'appropriation du patrimoine en venant faire chercher
aux habitants une flèche « Centre Pompidou-Metz, c'est par
là " et aux commerçants des autocollants : « Bienvenue au
Centre Pompidou-Metz ". A ce titre Jean-Christophe Castelain en faisait
état avant méme l'ouverture du site :
« Sur place, on se rend compte à quel point un
tel équipement culturel peut avoir un effet d'entrainement sur l'image
de la ville et, en retour, sur la fierté des Messins. Déjà
ces derniers viennent le dimanche en famille observer l'architecture,
très identifiable, sans être révolutionnaire, du
bâtiment. »241
Certains habitants ont attribué des sobriquets au
Centre Pompidou-Metz, le plus célèbre restant celui de la maison
des Schtroumpfs. Ce n'est pas forcément mauvais signe, souvent les
surnoms sont le premier signe d'adoption par les habitants.
On peut percevoir une certaine conscience du
phénomène pour l'équipe du Centre Pompidou-Metz qui,
dans le cadre de Constellation, a fait des commandes photographiques. La
photo du « touriste " de Nicolas Pinier 242 illustre bel et
bien
239 A.Riegl, Le culte moderne des monuments, Le Seuil,
1984.
240 Cf. M. Gellereau, « Mutations et stratégies de
valorisation patrimoniale : les identités multiples des territoires ",
p.26.
241 CASTELAIN, Jean-Christophe, « Centre Pompidou-Metz: Mise
en bouche avant ouverture. ", L'OEil no. 616, Septembre 2009.
242 Cf. annexe 6.
l'appropriation préalable des habitants ainsi que la
réussite touristique quasi assurée avant l'heure.
Ce patrimoine est constitué par sa valeur d'existence,
c'est-à-dire la valeur symbolique que lui attribue la population (en
termes d'identité, d'embellissement des lieux et de sens de
l'histoire) 243. Une des caractéristiques du monument est
qu'il a une action sur la mémoire. Cette mémoire est collective.
La mémoire a besoin de repères spatiaux pour nous rattacher aux
autres et par la même, retrouver des éléments du
passé. Cette mémoire est aussi créatrice :
« [Elle] ne conserve pas le passé, mais elle
le reconstruit à l'aide des traces matérielles, des rites, des
traditions qu'il a laissés, et aussi à l'aide des données
psychologiques et sociales récentes, c'est-à-dire avec le
présent ».244
Il y a une « valeur de non-usage " attribuée au
patrimoine à savoir la transmission du bien aux
générations futures.245 Ce qu'Henri-Pierre
Jeudy246 déplore car, on ne rêverait plus à
l'époque suivante qu'en s'obsédant à lui léguer un
patrimoine
La rentabilité d'un monument est objectivement
mesurable par les chiffres, mais aussi par des retombées plus
immatérielles, difficilement quantifiables. Il existe des «
bénéfices non financiers " à savoir les
bénéfices en termes d'image. 247 L'image est à
la fois véhiculée par les médias mais aussi grâce au
tourisme. Les hebdomadaires et les magazines de loisirs peuvent
également être profitables à ce genre
d'événements dans la mesure où ils peuvent, par une
rubrique ou un supplément « voyage " inciter à des
séjours autour des expositions.248 Désormais
même Elle, Marie-France mais aussi des journaux plus
sérieux parlent de Metz avec des articles comportant « 5 bonnes
raisons d'aller à Metz ".
Par les flux qu'il va entraîner, l'arrivée de ce
nouveau bâtiment va nécessairement avoir un impact sur les
habitants. Outre leur participation endogène à
l'événement que
243 Cf. V .Patin, op.cit, p.135.
244 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la
mémoire, Paris, Félix Alcan, 1925. Collection Les Travaux de
l'Année sociologique. P.160
245 Cf. V. Patin, op.cit, p.135.
246 Cf. La machine patrimoniale.
247 Cf. C. Origet Du Cluzeau, « Le patrimoine comme
détonateur du développement local ", p.20-22
248 Cf. J.M Tobelem, Musées: gérer autrement.
Un regard international, p. 138.
constitue l'ouverture qui peut leur conférer une
certaine fierté confortée par un sentiment identitaire qui les
fédère ; le métissage et les échanges
résultant du tourisme peut leur donner (ou redonner) un regard neuf sur
la ville et sur eux-mêmes. Ni le regard des touristes, ni celui des
habitants ne sont neutres. Pourtant, là où le touriste
découvre un élément spécial auquel il appose une
valeur249, l'habitant y voit un élément anodin de son
quotidien. Le touriste arrive chargé d'un imaginaire250 qui
le conditionne par des représentations collectives - souvent
idéalisées - ou personnelles du lieu. On pense ainsi à ce
passage des villes invisibles, d'Italo Calvino :
« Pour ne pas décevoir les habitants, il
convient de faire l'éloge de la ville telle qu'elle est sur les cartes
postales et de la préférer à celle d'à
présent, mais en ayant soin de contenir son regret des changements dans
des limites précises : le voyageur doit reconnaître la
magnificence et la prospérité de Maurillia251
maintenant qu'elle est devenue une métropole, si on les compare à
ce qu'était la vieille Maurillia provinciale, ne compensent pas une
certaine grâce perdue, laquelle cependant ne peut se goliter qu'à
présent sur les vieilles cartes postales, tandis qu'auparavant, avec
sous les yeux la Maurillia provinciale, on ne voyait qu'à vrai dire rien
de cette grace, et on en verrait aujourd'hui moins que rien, si Maurillia
était restée telle quelle, et en tout état de cause la
métropole a cet attrait supplémentaire qu'au travers de ce
qu'elle est devenue on peut repenser avec nostalgie à ce qu'elle
était. »
En tout cas, une chose est sûre :
« Aujourd'hui, le Parisien sait que Metz existe,
autrement que par son club de football. Dans cinq ans, il prononcera
correctement le nom de la ville. Et dans dix ans, il l'aura visitée.
»252
249 Ce que Nathalie Heinich (article « exposition dans
Encyclopédie Universaelis) dénomme pour les expositions,
la fonction esthétique.
250 Cf. J-Paul Seloudre, « Les fonctions du regard
touristique. Peut-on parler d'une « médiation touristique » ?
» pp.67-82
251 Calvino Italo, Les villes invisibles, Points, 1984,
p.39.
252 Marion Weber, « Centre Pompidou-Metz, un an
déjà... »La plume culturelle, mardi 21 juin.
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