2. Une économie indirecte
La valorisation touristique du patrimoine favorise la
croissance économique en développant des activités
touristiques génératrices de recettes financières et
d'emplois directs, indirects et induits.
Anne Picq214 relatait en mai 2010 qu'il y avait :
(...) D'ores et déjà, en plus des 60
personnes employées par le Centre Pompidou-Metz, les concessions et
externalisations nécessaires au fonctionnement du musée
pourraient créer à elles seules 200 à 300 emplois.
»
Aujourd'hui, ce sont véritablement 60 personnes qui y
travaillent215 et qui sont donc des emplois directs. En revanche,
les emplois directs qui sont externalisés sont souvent précaires.
Ainsi, Phone Régie, société employant les
médiateurs ainsi que le personnel d'accueil procède quasiment
uniquement par contrats à durée
déterminée.216
Peut-on parler d'une classe créative
217 ou de cluster218 grâce à laquelle la
force de la ville découlerait de son dynamisme culturel et
artistique, lequel deviendrait le moteur de son
l'exposition ! Enfin, il faut penser également aux
boutiques, où l'on se retrouve parfois comme à Disneyland,
obligé de passer par l'espace boutique soit en entrant soit en sortant.
A titre d'exemple, on pense au Musée Jacquemart-André,
possédant au demeurant un magnifique hôtel particulier ; à
la Pinacothèque de la Madeleine qui annonce des collections permanentes
qu'elle emprunte pour une durée déterminée ; au
Musée Maillol qui devient un lieu d'exposition temporaire n'exposant
quasi plus d'oeuvres de Maillol et jusqu'à sa réouverture le
Musée du Luxembourg.
214 Cf. A. Picq, op. cit., p.46-49.
215 Cf. organigramme in Zoom n°4, l'agenda de
septembre à décembre 2011.
216 Source inédite.
217 Conceptualisée par Richard Florida, The rise of
the creative class : and how it's transforming work, leisure, community and
everyday life, New York, Harper business, 2002.
218 On reprend la définition donnée par Fabrice
Hatem in « Le rôle des clusters dans les politiques
d'attractivité », L'attractivité des territoires :
regards croisés, Actes des séminaires,
février-juillet 2007, pp19-21 où le cluster est conçu
comme « la présence, sur un même espace géographique
de taille relativement limitée, de firmes, centres de
recherche-développement, universités, organismes financiers
très
développement économique ? En 2002, dans The
Rise of the Creative Class, Richard Florida affirme que les dimensions
économiques et sociales d'un territoire sont liées à la
présence d'artistes (écrivains, acteurs, designers, architectes)
et de scientifiques (ingénieurs et intellectuels). Par
conséquent, les villes doivent se doter d'équipements et
d'infrastructures permettant d'attirer des travailleurs ayant ces
compétences. Peu à peu, d'autres ménages sont
attirés par la présence des artistes et l'image bohème
qu'ils confèrent au quartier. On parle alors de gentrification
ou d'embourgeoisement d'un quartier lorsque celui se métamorphose
socialement et sociologiquement. Dans cette phase d'embourgeoisement, on voit
généralement se développer des cafés et restaurants
branchés, des boutiques de designers locaux, des librairies
spécialisées, des galeries. Pour Metz, il semble encore difficile
d'évoquer un réel embourgeoisement d'un quartier
spécifique. D'une façon générale, on a vu des
galeries s'ouvrir récemment comme Toutouchic219 en septembre
2010, La Conserverie220 en janvier 2011, Modulab'221 en
mars 2011, même si certaines existaient déjà comme Faux
mouvement222 présente depuis 1983 ou encore Octave
Cowbell223 depuis 2002. Quelques librairies
spécialisées ont ouvert comme La cour des grands224 en
2006 ou Le carré des bulles225 en 2007. On peut aussi
remarquer que dans l'une des principales rues commerçantes de Metz, de
nouvelles boutiques plutôt haut de gamme ont ouvert leurs portes. On peut
supposer que la construction du quartier de l'amphithéâtre
permettra une revalorisation immobilière du quartier, puis
l'installation de ménages plus aisés. Le président de la
République a souhaité annoncer que :
« ~ » Ce qui se joue ici, avec l'inauguration de
ce musée, ce n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle renaissance
lorraine.226 (...)La Lorraine a beaucoup souffert toutes ces
dernières décennies des restructurations, des mutations, des
changements, le textile, la sidérurgie, les mines, le militaire. Metz,
Monsieur le Maire, on en parlait, une ville de garnison. C'était
certainement un élément de
compétitifs appartenant au même domaine de
spécialisation et organisés au sein de réseaux de
collaboration à la dynamique autonome, caractérisés par
une innovation continue et des transferts d'innovation aisés »
219www.letoutouchic.com/
220 www.cetaitoucetaitquand.fr/
221 http://modulab.fr/
222
www.faux-mouvement.com
223
www.octavecowbell.fr
224 http://lacourdesgrands.over-blog.fr/
225
www.aucarredesbulles.fr
226 Discours inaugural du président de la
république.
fierté mais qui peut penser que dans un monde qui
bouge comme le nôtre, nous pouvions garder la même organisation
militaire. Il a fallu faire des choix. Des choix qui ont été
douloureux pour votre département et pour votre ville, puisque c'est
presque un tiers des effectifs, si mon souvenir est exact, qui seront
transférés. Je dois dire que je veux rendre hommage aux
élus, toute tendance confondue, et à la population. On a
essayé de bâtir une réponse à cette restructuration.
Cest tout à fait lié à ce que nous sommes en train
d'inaugurer, parce que ce musée qui est un acte culturel fort, est en
même temps un élément d'une politique stratégique de
développement. »
Cependant, comme le préconise Fabrice Hatem227
:
« Il faut se garder, cependant, de l'illusion
consistant à voir dans les clusters la solution définitive aux
problèmes actuels de reconversion, de développement et
d'attractivité des pays industrialisés. La croissance de
l'économie ne se réduit pas à celle des activités
à haute valeur ajoutée. Celles-ci ne sont pas toutes
fondées sur l'innovation. Il existe des cas nombreux où cette
innovation n'est pas réalisée au sein de réseaux de
coopération, mais par une entreprise totalement isolée. Ces
réseaux de partenariats peuvent relier des entreprises qui ne sont pas
nécessairement proches géographiquement. A l'inverse, la
proximité géographique, même au sein d'un cluster
dynamique, ne garantit pas nécessairement le développement de
relations de coopération étroites entre firmes. Toutes ces
raisons expliquent sans doute pourquoi tant de clusters autoproclamés
par les autorités de développement territorial, et soutenus par
d'importants budgets publics, n'ont finalement pas fait preuve dynamisme
escompté. »
Par ailleurs, il existe des retombées beaucoup plus
importantes que les recettes directes de l'exploitation du musée. Elles
concernent les recettes des dépenses effectuées à
proximité de ce dernier, « la valeur d'usage directe
»228du musée. Ces dépenses s'appliquent entre
autre à l'hébergement, la restauration, aux commerces -
excepté les ventes associées aux droits d'entrée - aux
activités de loisirs, aux transports et aux services. Ce sont des
retombées économiques induites par l'événement.
227 Fabrice Hatem, op.cit. p.21.
228 Cf. V. Patin, op.cit, p.135.
Sans oublier toutefois les répercussions
économiques pour les finances locales de cette fréquentation
touristique, à savoir les parkings, les taxes prélevées
sur les opérateurs touristiques et les commerces (taxes de
séjour, taxes professionnelles) dont les collectivités locales
sont bénéficiaires. Il est évident que si la ville impulse
un événement culturel générateur de recettes
importantes pour l'économie locale, elle entend que commerçants
et opérateurs du tourisme y participent. Ces derniers ont tout
intérét à s'allier à la ville pour permettre ces
chiffres d'affaires, dans leurs avantages propres et pour la ville, par effet
dérivé.
L'importance des consommations connexes et des
bénéfices indirects sur la ville croît d'autant plus si
l'offre locale est adaptée à l'offre culturelle.229
D'où la nécessité pour les acteurs
économiques de la ville de travailler en collaboration avec l'office de
tourisme qui reste, souvent, le premier interlocuteur avec le touriste en lui
fournissant à la fois la documentation sur les offres culturelles et les
possibilités d'hébergement et de restauration.
Pour Alain Steinhoff, président de la
fédération des commerçants de Metz, l'enjeu est d'inciter
ceux qui iront visiter le Centre Pompidou à s'aventurer ensuite au
centre-ville.230
Pour cela, la chambre de commerce et d'industrie de la Moselle
a organisé des stages de langues pour les commerçants, des
ateliers de traduction des menus pour les restaurateurs et lancé la
création de guides et de répertoires touristiques. Cependant, on
note toujours une difficulté des Français à parler une
langue étrangère, qu'elle qu'elle soit. Globalement, ce sont
assez peu de cartes qui sont à minima en 2 langues. Trop peu de serveurs
font encore l'effort de parler dans la langue de leurs interlocuteurs. La ville
compte beaucoup, il faut le dire, sur le tourisme pour redorer son image. En
2010, Thierry Dufossé, patron de l'Hôtel de la Citadelle (seul
quatre-étoiles de la ville), estimait que le Centre allait lui permettre
de « capter une nouvelle clientèle internationale».
231
Avec une surface d'exposition aussi importante et une
proximité forte de l'euro-région, on espère beaucoup de
visiteurs étrangers. Metz- Francfort se fait désormais en 2h30
en
229 Cf. J.M Tobelem, Musées: gérer
autrement. Un regard international, p.139.
230 Nicolas Bastuck et Claire Guillot « Le Centre sera-t-il
une manne pour la région ? Les acteurs économiques de Metz, et
aussi les musées et les lieux de création de la grande
région, espèrent profiter de l'arrivée de l'espace
culturel », Le Monde Spécial Centre Pompidou-Metz, mardi,
11 mai 2010.
231 Ibid.
voiture, entre trois et quatre heures en train ; Metz-
Sarrebruck nécessite environ une heure de trajet, la liaison ter liaison
est régulière, de même que pour Metz - Luxembourg que l'on
peut réaliser en quarante minutes. Bruxelles est à 2h30 de route.
Comme le dit Laurent Le Bon, non sans humour,
« Metz n'est pas la Sibérie. Il faut seulement
84 min de Paris en TGV. D'ailleurs le reproche inverse peut être fait,
d'être trop bien placé car trop proche de la gare et finalement
l'aller-retour se fait dans la journée et les visiteurs n'iraient pas
voir la ville de Metz. On a là un cas assez rare en Europe d'une
institution aussi proche de la gare. Une des raisons de ce succès est la
chance d'avoir cette disponibilité. »232
D'ailleurs, contrairement à ce que l'on aurait pu
penser, 61% des visiteurs en provenance de la région parisienne passent
une nuit à Metz et 55% de la totalité des visiteurs du Centre
Pompidou-Metz se rendent en centre-ville pour consommer. 233 En
outre, si les attentes des politiques et des conservateurs ambitionnaient
d'accueillir des touristes étrangers, on peut s'étonner, car la
fréquentation est française à 85%234,15% de
visiteurs sont étrangers dont 32% viennent du Luxembourg, 21% de la
Belgique et 20% d'Allemagne235.
Par nos observations physiques au cours de notre stage pour
préparer la Nuit Blanche à Metz, on constate la présence,
certes minoritaire, de quelques asiatiques et de quelques russes. En
écoutant les gens parler, si l'on est peu étonné
d'entendre parler l'allemand qui a toujours été une seconde
langue avec le luxembourgeois à Metz, on peut noter la présence
de plus en plus d'anglophones.
L'office de tourisme enregistre une progression des demandes
de 62%, une hausse des visites guidées de 25%, La hausse de consultation
du site web de l'office de tourisme s'élève à 72% et les
produits de séjour (excursions, weekend) se sont vus multiplier par
deux. 236 Le chiffre d'affaire des restaurants de la ville augmente
de 5 à 30%. Comme l'annonce le site de la Chambre de Commerce et
d'Industrie, il faut rester prudent car la restauration bénéficie
plus que l'hôtellerie de l' « effet Pompidou ».
232 Interview Laurent Le Bon , réalisée le 16
février 2011, à Metz.
233 Centre Pompidou-Metz, Première bougie et nouveau
souffle, Le journal des entreprises, vendredi 6 mai 2011.
234 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
235 Marion Weber, « Centre Pompidou-Metz, un an
déjà... »La plume culturelle, mardi 21 juin 2011.
236 Philippe Marque, « Metz tient son effet Pompidou »,
mercredi 11 mai 2011.
Le directeur de Novotel se dit par exemple satisfait :
« Nous avons ici une clientèle d'affaires
très importante en semaine, mais depuis un an on voit une
clientèle « loisirs » arriver dès le mercredi.
»
Il constate également une hausse de rassemblements annuels
de grandes sociétés. 237 Certains, estiment que tout le monde
doit en faire plus :
« Quand Laurent Le Bon annonce 250 000 visiteurs pour
la deuxième année, je trouve que ce n'est pas assez ambitieux par
rapport aux 800 000 de la première année. Nous devons tous nous
donner les moyens d'y croire pour que Metz soit à la fois une ville
touristique et une ville d'affaires. »238
Metz pourra, à terme, devenir une ville d'affaires
lorsque la construction de son palais des congrès sera achevée.
Nous pouvons après ces considérations, tirer quelques
conséquences en termes de symboles pour la ville.
237 Pascal Chauveau, directeur de l'hôtel Novotel
interrogé par La Semaine, jeudi 19 mai 2011.
238 Christophe Duffosé, chef du restaurant Le Magasin aux
vivres interrogé par La Semaine, jeudi 19 mai 2011.
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