V. La lutte et la prévention contre les formes
de discriminations
1. Les lois et les règlements
Il existe différents moyens de lutter contre les
discriminations. Les plus connus et les plus généraux passent par
le gouvernement et le Parlement par la promulgation
des lois. Le salarié a progressivement
bénéficié d'une protection accrue des droits de sa
personne et de ses libertés fondamentales.
Depuis 1992 le Code du travail interdit les restrictions
apportées par l'employeur aux droits des personnes et aux
libertés individuelles qui ne seraient pas justifiées par la
nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but
recherché.
a) Le harcèlement moral et sexuel
De ce mouvement de protection des droits fondamentaux du
salarié est née la notion de dignité du salarié. La
dignité du salarié a fait son apparition pour la première
fois dans la définition du harcèlement moral dans le droit du
travail. Sur le terrain pénal l'instauration du délit d'atteinte
à la dignité du salarié est une conséquence de ce
mouvement.
Avant d'avoir réglementé le harcèlement
moral le gouvernement français a prohibé toute forme de
harcèlement sexuel dès 1992. Le harcèlement sexuel
désigne les situations dans lesquelles un ou plusieurs individus sont
soumis à des propos ou des pratiques visant à les réduire
à leur identité sexuelle sans pour autant que ces propos ou
comportements soient par ailleurs considérés isolément
comme des délits. Les victimes sont généralement des
employés soumis aux sollicitations de faveurs sexuelles au travail sous
peine de sanction. De plus, le fait pour un supérieur
hiérarchique d'accorder des promotions en fonction d'avantages
personnels qu'il en tire, que ce soit en argent ou en nature, constitue en soi
au minimum une faute grave de la part de celuici, et éventuellement un
délit.
Divers pays comme la France reconnaissent le
harcèlement sexuel comme un délit réprimé par le
Code du travail et par le Code pénal. Lorsqu'il y a sollicitations de
faveurs sexuelles sous peine de sanction, c'est réprimé par les
articles L. 1153-1 et suivants du Code du travail définissant le
harcèlement sexuel. Lorsqu'il y a atteinte à l'identité
sexuelle et donc à la dignité du salarié, c'est
réprimé par les articles L. 1151-1 et suivants du Code du travail
définissant le harcèlement moral.
Lors des affaires portées devant un tribunal ou un juge
d'instruction, toute la difficulté consiste pour le demandeur à
apporter des éléments de preuves dans une
affaire de type « ni vu ni connu » qui se passe sans
témoin. Ces éléments concernent à la fois la
réalité de faits ou de paroles.
C'est là que se situe le problème juridique
concret du fait de l'absence d'élément matériel et de la
possibilité de quiproquos et de mauvaise interprétation de propos
ambigus.
Mais le législateur est intervenu pour renverser la
charge de la preuve. En effet depuis 2003 la victime n'a plus à
établir la réalité de son absence de consentement à
ces pratiques. C'est au harceleur présumé d'apporter des
éléments objectifs justifiant son comportement. La Cour de
cassation a même reconnu dans un arrêt de mai 2007 que l'usage d'un
SMS était de nature à établir la réalité des
faits, en l'occurrence, un message envoyé par le harceleur.
Toutefois, il existe une exception à ce principe. La
promotion canapé où une employée ou un employé
propose ses charmes en espérant grimper dans la hiérarchie n'est
pas considérée comme une situation de harcèlement sexuel
puisque dans ce cas il y a un consentement mutuel. Dans la pratique,
l'existence de relations sexuelles est facile à prouver alors que
l'initiative l'est beaucoup moins. Cela peut donc mener à des
complications si le salarié désire porter plainte.
Une loi de modernisation sociale sur le harcèlement
moral a suivi celle sur le harcèlement sexuel en 2002. Le
harcèlement moral est une conduite abusive au travail (gestes, paroles,
comportements) répétée ou systématique visant
à dégrader les conditions de travail de la victime. Ces pratiques
peuvent causer des troubles psychiques ou physiques mettant en danger la
santé de la victime. C'est un thème au croisement de plusieurs
domaines : médical, social, judiciaire, le monde du travail.
La violence au travail est un phénomène
préoccupant partout dans le monde et en forte progression. Les
entreprises et les pouvoirs publics ont été conduits à
prendre des mesures pour la prévenir et tenter de la réduire.
Dans les entreprises, on fait de plus en plus souvent appel aux services de
psychologues, de soutien psychiatrique après avoir créé
dans les années 1970 les directions des ressources humaines (DRH) qui
ont remplacé les services du personnel.
Depuis un certain nombre d'années, la violence au
travail et ses répercussions sur la santé font l'objet
d'études menées par les médecins du travail et les
psychiatres. Ils témoignent des pathologies nouvelles qui touchent
aujourd'hui toutes les catégories de salariés, de
l'employé aux cadres. La souffrance au travail concerne aujourd'hui
toute la hiérarchie.
Le harcèlement moral est un délit en France
prévu et réprimé à l'article 222-33-2 du Code
pénal. Les sanctions en sont un an d'emprisonnement et 15000 euros
d'amende. L'article L. 1152-1 du Code du travail en donne cette
définition : << Aucun salarié ne doit subir les agissements
répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou
pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son
avenir professionnel ».
Une conséquence du harcèlement au travail peut
être le burnout. Ce syndrome d'épuisement professionnel est une
maladie caractérisée par un ensemble de signes, de
symptômes et de modifications du comportement en milieu professionnel.
Des modifications physiques ou mentales sont observées chez les
victimes. Le diagnostic de cet état de fatigue classe cette maladie dans
la catégorie des risques psychosociaux professionnels et comme
étant consécutive à l'exposition à un stress
permanent et prolongé.
En 1969 H.B. Bradley est la première personne à
désigner, dans son article << Community-based treatment for
young adult offenders », un stress particulier lié au travail
sous le terme de burnout. Ce terme est repris en 1974 par le psychanalyste
Freudenberger dans ses études des manifestations d'usure
professionnelle. Par burnout il faut comprendre une mort par surcharge de
travail.
Pour ces premiers observateurs, le syndrome
d'épuisement professionnel vise principalement les personnes dont
l'activité professionnelle implique un engagement relationnel important
comme les travailleurs sociaux, les professions médicales ou les
enseignants. Cette notion a prévalu quelque temps et a marqué
durablement la conceptualisation du phénomène et l'orientation
des premiers travaux de recherche.
Mais les connaissances accumulées depuis ces
premières observations ont conduit à étendre les risques
de manifestations d'un syndrome d'épuisement professionnel à
l'ensemble des individus au travail. Actuellement toute personne ayant plus ou
moins de responsabilités au sein d'une entreprise ou d'un service peut
être victime de burnout. L'étude de ces catégories
professionnelles a conduit ces chercheurs à considérer les
confrontations répétées à la douleur ou à
l'échec comme des causes déterminantes dans les cas de
manifestation de ce syndrome d'épuisement professionnel.
b) L'égalité professionnelle et les quotas
á) Les femmes
Tout au long du 20e siècle différents
mouvements comme les féministes ont fait pression sur les gouvernements
successifs pour renforcer l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes. La loi du 22 décembre 1972 pose ainsi le principe
de l'égalité de rémunération pour un même
travail ou un travail de valeur égale. La loi du 4 juillet 1975 interdit
aux employeurs de rédiger une offre d'emploi réservée
à un sexe, de refuser une embauche ou de licencier en fonction du sexe
ou de la situation de famille sauf motif légitime. C'est en 1976
qu'apparaît la notion d'égalité de traitement
à travers la directive européenne du 9 février
qui vise à passer d'une égalité formelle à une
égalité réelle. La directive contraint les Etats à
prendre des mesures afin de supprimer toutes les dispositions discriminatoires
envers les femmes et contraires au principe de l'égalité de
traitement.
Les gouvernements se sont penchés sur les conditions
d'emploi des femmes. Pour ce faire la loi Roudy de 1983 a imposé aux
employeurs de rendre un rapport annuel sur la situation comparée des
conditions d'emploi des femmes et des hommes. Toujours est-il que cette
obligation n'a été suivie que par moins de la moitié des
employeurs. L'information communiquée était par ailleurs trop
globale pour donner du sens à des études chiffrées.
Par exemple lorsqu'une entreprise présente le salaire
moyen des femmes et des hommes il faut pouvoir mettre cette donnée en
relation avec d'autres critères comme le niveau de diplôme ou
l'ancienneté dans le poste2. Sinon cet indicateur n'aurait
aucun intérêt. Depuis, des indicateurs précis et uniformes
pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés ont comblé ce
trou.
Puis la loi Génisson du 9 mai 2001 a consolidé
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette
loi encourage la mise en oeuvre de mesures de rattrapage tendant à
remédier aux inégalités constatées en ce qui
concerne les conditions d'accès à l'emploi, à la formation
et à la promotion professionnelle et pour ce qui est des conditions de
travail et d'emploi. La loi Génisson crée aussi une obligation de
négocier sur l'égalité professionnelle au niveau de
l'entreprise et au niveau des branches.
La loi Génisson a été renforcée
par la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale
entre les femmes et les hommes, elle-même issue de l'accord national
interprofessionnel sur la mixité et l'égalité
professionnelle signé en 2004. La loi imposait des négociations
sur des mesures de suppression des écarts de rémunérations
qui devaient avoir disparu au 31 décembre 2010.
Depuis des années le ministère de la
Solidarité et de la cohésion sociale met en place de nouvelles
règles sur ce thème. L'action menée par la ministre en
charge de l'égalité, en appui avec le Service des droits des
femmes et de l'égalité (SDFE) vise à impliquer tout un
chacun dans la mise en oeuvre de l'approche intégrée de
l'égalité pour substituer progressivement une culture de
l'égalité à une politique d'égalité. La
Charte de l'égalité entre les hommes et les femmes du 8 mars 2004
est une manifestation majeure de cet engagement de l'État en France. Ce
texte est l'acte fondateur d'une véritable dynamique de changement
social. Cette Charte porte notamment sur le respect de la dignité de la
personne et l'égalité professionnelle.
Dans le cadre des actions positives, a également
été promulguée le 27 janvier 2011 une loi fixant des
quotas de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance. Ce
texte prévoit l'instauration progressive de quotas pour aller vers la
féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises.
2 Calves G. La discrimination positive
Trois ans après la promulgation de la loi, les
instances concernées devront compter au moins 20% de femmes, six ans
après, le taux de féminisation devra atteindre 40%. Le
non-respect de ces quotas entraînera alors la nullité des
nominations à l'exception de celles des femmes.
â) Les handicapés
En matière de quotas d'embauche des handicapés
il y a eu la loi du 10 juillet 1987 qui a obligé tout employeur du
secteur privé et tout établissement public à
caractère industriel et commercial occupant 20 salariés ou plus
à employer des handicapés dans une proportion de 6% de son
effectif salarié. Dans l'intention de garantir le principe
d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs
handicapés, les employeurs sont tenus de prendre des mesures
appropriées pour les handicapés en fonction des besoins dans une
situation donnée. Cela doit leur permettre non seulement
d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant
à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser mais aussi de se
voir dispenser une formation adaptée à leurs besoins. Le refus de
prendre des mesures appropriées équivaut à une
discrimination de l'employeur.
De grandes avancées ont pu être
réalisées avec la loi du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées. Son article 2
énonce que « constitue un handicap toute limitation
d'activité ou restriction de participation à la vie en
société subie dans son environnement par une personne en raison
d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou
plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques
».
Grâce à cette loi une aide à l'emploi de
450 fois le SMIC horaire pour l'aide de base ou de 900 fois le SMIC horaire
pour l'aide majorée est accordée à la demande de
l'employeur à ses employés handicapés. La durée du
préavis de licenciement était déjà doublée
pour les bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs
handicapés comptant plus d'une unité. Cette durée de
préavis s'applique maintenant à tous les
bénéficiaires de l'obligation d'emploi, sans distinction
d'unité ou de catégorie.
Depuis 2006 les travailleurs handicapés ne sont plus
classés dans les catégories A, B et C. La Commission des droits
et de l'autonomie des personnes handicapées définit le
décompte d'obligation d'emploi de la manière suivante : «
chaque bénéficiaire de la reconnaissance « compte chacun
pour une unité s'ils ont été présents 6 mois au
moins au cours des 12 derniers mois, quelle que soit la nature du contrat de
travail ou sa durée, à l'exception de ceux sous contrat de
travail temporaire ou mis à disposition par une entreprise
extérieure qui sont pris en compte au prorata de leur temps de
présence dans l'entreprise au cours des 12 mois précédents
». L'intérêt de cette mesure est d'aligner sur le même
plan d'égalité tous les travailleurs handicapés face
à l'emploi.
Les employeurs peuvent remplir leur obligation d'emploi de
plusieurs façons : l'emploi direct, la sous-traitance ou la prestation
de services avec le milieu protégé, la conclusion d'un accord
collectif avec les syndicats de salariés agréés par le
préfet ou le versement d'une contribution. Le législateur a
souhaité rendre cette contribution versée à l'Association
de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes
handicapées (Agefiph) plus incitative. Pour cela elle a
été réévaluée à la hausse : de 400
à 600 fois le SMIC horaire contre de 300 à 500 auparavant. Les
employeurs n'ayant rempli durant 3 années consécutives leur
obligation qu'au moyen du versement d'une contribution à l'Agefiph
verront celle-ci majorée à 1500 fois le SMIC horaire.
Une loi du 19 juillet 1998 sur l'orientation relative à
la lutte contre les exclusions coordonne aussi au niveau national l'ensemble
des efforts déployés pour assurer le respect des droits
fondamentaux dans le domaine de l'emploi. Le gouvernement a par la suite
consolidé cet objectif dans son plan de cohésion sociale de
2005.
Enfin, selon une enquête réalisée en 2011
par l'Association IMS Entreprendre pour la Cité, plusieurs efforts
restent encore à fournir pour favoriser l'emploi des handicapés
et leur maintien dans l'entreprise. Plusieurs managers ne semblent pas
être réellement informés sur l'obligation d'emploi des
handicapés. Seuls 17% des managers interrogés connaissent
l'obligation légale d'atteindre 6% de salariés en situation de
handicap dans les effectifs d'une entreprise.
Une mauvaise perception de la diversité des
handicaps a été aussiconstatée. Les
managers pensent que les handicapés sensoriels (auditifs et
visuels) représentent 28% de la population handicapée, contre
16% en réalité. De la même manière, ils
surévaluent la population atteinte d'un handicap intellectuel
et/ou psychique.
En théorie, plus l'entreprise communique sur une
politique d'intégration des personnes en situation de handicap plus les
managers ont une image positive du handicap. Malheureusement, l'étude
montre que les outils de sensibilisation sont peu utilisés : 4% ont eu
une formation au management du handicap, 9% ont participé à un
forum emploi sur le handicap, 14% à un tutorat ou à l'accueil de
stagiaires handicapés, 28% à un atelier de sensibilisation
à ce sujet. Encore aujourd'hui seules 54% des entreprises
répondraient au quota de 6% fixé par la loi.
|