Section 1 : Les insuffisances institutionnelles de la
CEDEAO
Le premier handicap du cadre institutionnel de la CEDEAO est
manifestement la quasi inexistence d'organes intégrés du moins le
caractère embryonnaire de ceux existants
(Paragraphe 1). D'une certaine manière,
ce caractère embryonnaire résulte du fait que les organes de
la CEDEAO fonctionnent dans une logique
inter-gouvernementaliste (Paragraphe 2) en ce qu'ils ne
sont composés que de délégués et
représentants
gouvernementaux. Or, dans le cas de l'Union Européenne,
par exemple, les organes communautaires sont composés d'agents
internationaux indépendants vis-à-vis de leurs gouvernements.
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Paragraphe 1 : Le caractère embryonnaire des
organes intégrés
De prime abord, il faut signaler que les organes
intégrés sont des institutions communautaires dans lesquelles les
Etats membres s'y impliquent à travers les prises de décision,
l'exécution et le suivi des actes communautaires. Dans la structure
organisationnelle de la CEDEAO, deux organes peuvent ainsi être
qualifiés d'organes intégrés. Il s'agit du
secrétariat général et de la cour de justice de la
communauté. Les insuffisances de ces deux institutions sont
respectivement l'inadaptation du secrétariat exécutif aux
objectifs de
l'intégration régionale (A) et
d'autre part le caractère limité des compétences de la
cour de
justice (B).
A. L'inadaptation du secrétariat
général aux objectifs de l'intégration régionale
Ce handicap résulte sans doute de la faible
portée des prérogatives accordées à cet organe. En
effet, l'analyse de l'article 20 du traité révisé
révèle que le secrétariat exécutif n'est rien
d'autre qu'un organe technico-administratif chargé de l'administration
courante de la communauté et de ses institutions. L'article 19 du
traité révisé qualifie méme le secrétaire
exécutif de « principal fonctionnaire exécutif » de la
communauté. Dans cette mesure, le secrétariat
général est chargé de suivre constamment le fonctionnement
de la communauté et d'en rendre compte au conseil des ministres et
à la conférence des chefs d'Etats à travers des rapports
d'activités réguliers. De ce fait, le secrétariat
général est lourdement handicapé par une absence manifeste
d'un pouvoir réel en matière de prise de décision. Cette
absence de pouvoir de décision fait que le secrétariat
exécutif n'est rien d'autre qu'un organe sous tutelle politique de la
conférence des chefs d'Etats et du conseil des ministres. Dans un tel
environnement institutionnel, le secrétariat exécutif ne peut
véritablement pas jouer le rôle de levier de l'intégration
régionale à l'instar de la commission de l'Union
Européenne composée de technocrates indépendants. La force
de la commission de l'Union Européenne est qu'elle constitue une
représentation autonome et détient des compétences
d'initiative, de contrôle et d'exécution. Ainsi, contrairement au
secrétariat exécutif de la CEDEAO qui ne joue qu'un
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rôle technico-administratif, la commission de l'UE par
contre représente un véritable contrepoids par rapport au conseil
des ministres et à la conférence des chefs d'Etats.
Par conséquent, l'absence d'un tel organe
exécutif intégré dans le cadre institutionnel de la CEDEAO
fait que le poids des Etats membres dans les rouages de la communauté
tend à freiner les initiatives et les innovations intégratives.
C'est à ce titre que le secrétariat exécutif
présente un caractère embryonnaire et de ce fait cet organe ne
peut pas jouer son rôle de pivot dans les projets d'intégration
dans la communauté. C'est le méme constat qui se dégage de
l'analyse du fonctionnement de l'organe garant de l'ordre juridique de la
communauté à savoir la cour de justice de la CEDEAO.
B. La cour de justice de la CEDEAO, une juridiction
à compétence limitée.
La création d'une cour de justice par le traité
révisé de 1993 témoignait de l'intérêt que
les Etats membres accordaient à la dimension juridique de
l'intégration33. Dans ce sens, la cour de justice devrait
assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application des
dispositions du traité constitutif ou le règlement des
différends. Ainsi, elle devrait être en principe le catalyseur de
l'intégration régionale comme cela a été le cas de
la cour de justice des communautés européennes34.
Cependant, la cour de justice de la CEDEAO ne joue pas effectivement ce
rôle catalyseur dans la promotion du droit communautaire du fait qu'elle
souffre de trois déficiences particulières.
Il s'agit d'abord du domaine de compétence très
limité de la cour de justice de la communauté. En effet, selon
les articles 11 et 56 du protocole relatif à la cour de justice, la
compétence de celle-ci s'étend au règlement des
différends qui surgissent entre les Etats membres, excluant de ce fait
les litiges entre la communauté et les Etats membres, les litiges entre
les institutions et les litiges entre des particuliers (personnes physiques ou
morales) et la communauté. Or, il apparaît que la cour de justice
pourrait efficacement garantir le droit
33 Il faudrait signaler que la création de la
cour de justice a été prévue dans le traité
révisé mais la cour n'a existé réellement
qu'à partir de 2001.
34 LECOURT, L'Europe des juges, cité par Luaba
Lumu NTUMBA in Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la
CEDEAO, la CEAC et la ZEP.
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communautaire en étant compétente pour trancher
une gamme plus large de litige. Signalons cependant qu'en janvier 2005, lors du
sommet des chefs d'Etats réunis à Accra au Ghana, il a
été adopté un amendement introduisant la
possibilité pour les individus de saisir directement la cour
après épuisement de toutes les voies de recours contentieuses ou
arbitrales au plan interne.
La deuxième carence de la cour de justice de la
communauté est relative à son indépendance. En effet,
l'alinéa 2 de l'article 15 du traité révisé
précise que la composition, le statut ainsi que la compétence de
la cour doivent être déterminés par un protocole y
afférent. Etant donné que seule la conférence des chefs
d'Etats est à méme d'adopter ce protocole, cette disposition
diminue l'autonomie de la juridiction communautaire dans la mesure où
elle fait dépendre la fixation et les modifications de son statut d'un
organe politique intergouvernemental. Cette situation compromet
inéluctablement l'indépendance de la justice vis-à-vis du
politique.
Le dernier défaut institutionnel de la cour de justice
de la CEDEAO réside dans les mécanismes de règlement des
différends définis par le protocole de la cour de justice de la
CEDEAO. Aux termes de l'article 56 du protocole de la cour de justice, tout
litige ou différend au sujet de l'interprétation ou de
l'application du droit communautaire est réglé à l'amiable
par accord direct entre les parties en cause. Ce n'est que lorsque les parties
ne parviennent pas à régler ledit litige ou différend que
l'une d'entre elles peut en saisir la cour de justice de la communauté.
L'inconvénient de cette procédure est de fragiliser le
fonctionnement du système communautaire car l'obligation de passer au
préalable par un règlement diplomatique bilatéral des
litiges nés de l'interprétation ou de l'application du
traité communautaire introduit des risques d'affecter
l'uniformité du droit communautaire.
Hormis le secrétariat exécutif et la cour de
justice, les organes décisionnels de l'organisation comme la
conférence des chefs d'Etats et le conseil des ministres comportent
aussi des insuffisances institutionnelles. Celles-ci ont trait à
l'inter-étatisme accru qui caractérise ces organes. On y remarque
en effet la prépondérance de l'intergouvernementalisme.
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