Paragraphe 2 : La prépondérance de
l'inter-gouvernementalisme
Ce handicap est davantage la résultante de l'absence de
dimension supranationale dans les démarches d'intégration
régionale entreprises au niveau de la sous-région et
particulièrement à travers la CEDEAO. Dans une certaine mesure,
cette prépondérance de l'inter-gouvernementalisme se justifie par
le fait que la CEDEAO est à la base une organisation
d'intégration économique. C'est pourquoi, les Etats membres sont
beaucoup plus prudents et cherchent à garantir leur présence dans
les grandes instances décisionnelles de l'organisation afin de veiller
à la sauvegarde de leurs intéréts particuliers. C'est donc
à juste titre que l'inter-gouvernementalisme est beaucoup
développé au niveau de la conférence des
chefs d'Etats (A) et du conseil des ministres
(B).
A. L'inter-gouvernementalisme au niveau de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
La prééminence de l'inter-gouvernementalisme au
niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
résulte du fait que le traité constitutif de la CEDEAO place cet
organe au sommet de la hiérarchie institutionnelle de
l'organisation35. Or, il s'avère aussi que la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, comme son nom
l'indique, n'est composée que « des chefs d'Etats et/ou de
gouvernement des Etats membres »36. Cette tendance à
accorder la primauté à un organe composé exclusivement de
représentants gouvernementaux dans la pyramide institutionnelle rend
manifestement compte de l'intergouvernementalisme qui prévaut au niveau
de la CEDEAO. Il s'en suit que l'organisation fonctionne beaucoup plus dans une
logique interétatique. Dans un tel environnement, il est donc logique
que les Etats membres rechignent à transférer des parts de leur
souveraineté aux organes communautaires. Etant donné que les
Etats membres tiennent à conserver une certaine tutelle politique sur le
fonctionnement méme de l'organisation régionale qui devrait en
principe avoir une certaine autonomie politique de gestion afin de mieux servir
les intérêts, non pas de quelques Etats membres « plus
puissants », mais de l'ensemble de la communauté.
35 L'alinéa premier de l'article 7 du
traité révisé parle d' « institution suprême de
la communauté »
36 Idem
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Un autre aspect nuisible de l'inter-gouvernementalisme au
niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
réside dans la concentration de tous les pouvoirs essentiels et
importants de la communauté dans cet organe. Aux termes de
l'alinéa 2 de l'article 7 du traité révisé, la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement « est
chargée d'assurer la direction et le contrôle
général de la communauté ... ». Il serait très
dangereux de faire d'un organe aussi politique que la conférence des
chefs d'Etats et de gouvernement, l'organe de conception, d'orientation et de
contrôle de l'organisation régionale. En effet, dans la prise des
décisions, les chefs d'Etats et de gouvernement seront toujours
tentés de faire primer les préoccupations nationales sur
l'intérêt général communautaire et de ce fait, ils
accorderont beaucoup plus d'importance à la dimension politique des
projets intégrateurs plutôt qu'à la dimension technique qui
devrait être mise en avant.
Mise à part la conférence des chefs d'Etats et
de gouvernement, l'intergouvernementalisme est aussi très
accentué au niveau du conseil des ministres.
B. L'inter-gouvernementalisme au niveau du conseil
des ministres
Deuxième organe communautaire, le conseil des ministres
est également composé de délégués
gouvernementaux. Outre les ministres des affaires étrangères, le
conseil des ministres peut réunir des ministres disposant de
portefeuilles plus techniques comme par exemple l'industrie, les finances, le
plan, les transports, les affaires sociales, la culture ou la justice. Il
s'agit a priori de technocrates ayant pour mission principale de veiller au
fonctionnement et au développement de la communauté. Toutefois,
une déficience institutionnelle non négligeable peut être
décelée au niveau de cet organe. Cette déficience
réside dans la dépendance du conseil des ministres à la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernements. En effet, en
matière de politique générale de la communauté, le
conseil des ministres ne peut que formuler des recommandations à
l'encontre de la conférence des chefs d'Etats ou ne peut agir que sur
délégation de la conférence37. Ce manque
d'autonomie décisionnelle a pour conséquence la faible propension
du conseil des ministres à prendre des
37 Article 10, al 3, (a), (c), (d), (i) du
traité révisé.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
initiatives très novatrices de peur de voir ses
décisions modifiées ou annulées par la conférence
des chefs d'Etats. Pour Gonidec, il s'agit là d'une reproduction dans la
sphère des organisations internationales africaines, de la structure des
appareils d'Etats où les chefs d'Etats et de gouvernement
détiennent la réalité du pouvoir et occupent une place
centrale dans les constitutions nationales38.
Un autre handicap du conseil des ministres réside dans
la périodicité de ses rencontres. En effet, l'article 11 du
traité révisé prévoit deux sessions ordinaires par
an dont l'une précédent immédiatement celle de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Comparé à
la pratique du conseil des ministres de l'Union Européenne, ce nombre
est très insuffisant. Le conseil des ministres de l'Union
Européenne tient en réalité cinquante à soixante
sessions par an avec la participation soit des ministres des affaires
étrangères soit des ministres spécialisés. Cette
périodicité des sessions a l'avantage de veiller et de rendre
compte l'application de certaines décisions prises au
préalable.
Le diagnostic des facteurs justifiant les contre-performances
de la CEDEAO ne se limitent pas seulement aux insuffisances institutionnelles.
En effet, l'organisation est de plus en plus confrontée à des
défis politiques qui n'avaient pas été prévus dans
son traité constitutif.
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