Section 2 : Des défis politiques
Ces défis politiques ont trait à des
thématiques qui n'étaient pas prises en compte au moment de la
création de la CEDEAO. Mais la pratique actuelle de l'organisation
oblige celle-ci à prendre position par rapport à ces questions.
Il s'agit d'une part du problème de
transfert de souveraineté (Paragraphe 1)
et la prise en compte de la dimension sécuritaire dans
l'intégration régionale (Paragraphe 2).
38 Gonidec cité par Luaba Lumu NTUMBA in
Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la CEDEAO, la CEEAC et
la ZEP.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Paragraphe 1 : La problématique de la
souveraineté
L'efficacité de la CEDEAO nécessite
réellement de la part des Etats membres un transfert conséquent
de souveraineté aux organes et institutions communautaires. Cette
condition devra permettre à l'organisation de véritablement
réaliser l'intégration régionale en mettant la
priorité sur les intérêts communautaires. Mais si de
nombreuses tentatives de constitution formelle d'intégration
régionale se sont soldées par un échec, cela est dü
en grande partie à la réticence des Etats membres à
consentir un certain partage de souveraineté. Ce constat se
démontre à travers la consécration de la règle du
consensus dans la prise des
décisions (A) mais aussi au final par la
faible portée de ces décisions (B).
A. La consécration de la règle du
consensus
L'alinéa 2 de l'article 9 du traité
révisé, relatif aux décisions de la conférence des
chefs d'Etats et de gouvernement dispose : « sauf dispositions contraires
du présent traité ou d'un protocole, les décisions de la
conférence sont adoptées par consensus, à la
majorité des deux tiers des Etats membres ». Cette
consécration de la règle du consensus ou encore celle de
l'unanimité tend à assurer le respect du principe de la
souveraineté des Etats membres. Car en effet, en vertu de la
règle du consensus, aucune obligation ne peut être imposée
à un Etat membre en dehors d'un engagement ou d'un acte exprès de
volonté de sa part. Par la règle du consensus, la
procédure de décisions aboutit en général à
des solutions de compromis. C'est ce qu'exprime Quoc Dinh en soutenant que
l'unanimité de façade que semble préserver le compromis,
cache le plus souvent une «coalition d'insatisfaits». Le consensus
permet donc de déguiser des désaccords entre les Etats membres.
Les décisions prises dans une telle condition réduit
considérablement la capacité d'impulsion et d'innovation des
instances communautaires et ne peuvent pas entretenir ou renforcer la dynamique
intégrative au sein de l'organisation.
Dans cette mesure, la question du partage de
souveraineté apparaît comme un défi pour les Etats membres
de la CEDEAO. Parmi les autres défis, il faut aussi relever la faible
portée des décisions de l'organisation régionale.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
B. La faible portée des décisions
prises au sein de l'organisation
Cette faible portée des décisions
régionales est d'abord une résultante de la règle du
consensus. En effet, étant donné que les décisions sont
prises par compromis, les Etats ayant exprimé un désaccord lors
de leur adoption ne sont pas toujours disposés à les appliquer
convenablement. Cette tendance fragilise ainsi le cadre juridique de
l'organisation. Ensuite, le second facteur pouvant justifier cette faible
portée des décisions régionales réside dans le fait
que les organes de la CEDEAO ne disposent pas d'une variété
d'instruments juridiques dont la teneur normative est bien définie. En
effet, la conférence des chefs d'Etats ainsi que le conseil des
ministres agissent par voie de directives et de décisions. Cependant, ni
l'article 9, ni l'article 12 ne précisent la teneur normative des
décisions de la conférence ni celle des règlements du
conseil des ministres. Devant cette imprécision, il appartient donc
à la conférence des chefs d'Etats et au conseil des ministres de
déterminer les règles à suivre pour la notification,
l'entrée en vigueur et l'application de leurs actes.
Comparativement, la pratique de l'Union Européenne
laisse entrevoir une panoplie d'instruments juridiques utilisés par le
Conseil et la Commission de l'Union Européenne. L'article 189 du
traité de Rome distingue en effet des directives des règlements,
des décisions et des recommandations. Au sommet de cette
hiérarchie se trouvent les règlements qui ont une portée
générale et impersonnelle comparable à celle d'une loi au
plan interne. La directive ne lie les Etats que sur le résultat final
alors que la décision constitue un acte obligatoire pour les
destinataires qu'elle désigne et n'a donc pas une portée
générale comme les règlements. Enfin, les recommandations
n'ont aucune force contraignante et ne sont que des instruments
d'orientation.
De par cette analyse comparative, il apparaît que
l'intégration régionale ne pourra significativement progresser
que si les actes communautaires produisent des effets dans les Etats
membres.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Paragraphe 2 : La dimension sécuritaire
dans l'intégration régionale
La CEDEAO, qui est une organisation dont la finalité
première était économique39, a mis sur pied une
force ouest africaine de maintien de la paix : l'ECOMOG. Dès lors, on
peut s'interroger sur les bases légales des décisions prises par
l'organisation dans le domaine sécuritaire. En effet, la question de la
dimension sécuritaire se pose dans l'organisation régionale sous
un double angle. Il se pose d'abord le problème de la base légale
qui fonde la création de cette force puisqu'on constate un vide
juridique avéré dans le traité constitutif
(A). Ensuite, l'intégration de la
dimension sécuritaire dans les objectifs de l'organisation s'impose
comme une nécessité du fait d'un manque de coopération
politique interétatique, condition sine qua non pouvant
garantir la cohésion politique des Etats membres
(B).
|