A. Le vide juridique originel
La pratique du maintien de la paix a véritablement vu
le jour dans la CEDEAO dans les années 1990 avec la crise
libérienne. C'est lors de son 13ème sommet, à
Banjul en mai 1990, que la CEDEAO, sous la pression du Président
nigérian Babangida, a décidé de mettre en place un
Standing Mediation Committee (SMC, soit Comité Permanent de
Médiation), qui a alors reçu pour mandat de
réfléchir aux moyens d'intervenir dans le conflit libérien
lorsque celui-ci deviendrait trop menaçant pour la stabilité
régionale. Cinq Etats composaient ce Comité : la Gambie, le
Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo. C'est à l'issue de la
troisième rencontre du SMC, le 7 août 1990 à Banjul, que le
président gambien Dawda Jawara a annoncé le déploiement
d'une force de maintien de la paix, dénommée ECOWAS
Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG)40. D'aucuns estiment que
la création de cette force d'intervention trouve son fondement à
l'article 7 du traité constitutif. En effet, cette disposition
précise les fonctions de la conférence des chefs d'Etats et de
gouvernement mais en aucun cas il a n'été question de lui
attribuer une fonction militaire. Il serait tentant de
39 C.F Article 2 du traité
révisé
40 C'est la décision A/DEC/1/8/90 du SMC de la
CEDEAO, signé le 7 août 1990 a Banjul qui a formalisé la
décision.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
rapprocher la dimension sécuritaire aux
prérogatives aussi générales que « la direction et le
contrôle général de la communauté ... en vue du
développement progressif de celle-ci et de la réalisation de ses
objectifs »41. En réalité, ce rapprochement ne
peut se justifier que par un abus de langage.
La pratique du maintien de la paix peut néanmoins
entrer dans le cadre de deux actes conclus par les Etats portant sur leur
défense. Il s'agit du traité de non-agression du 22 avril 1978 et
du protocole d'assistance mutuelle du 28 mai 1981. Pour le premier instrument,
il s'agit bien comme son nom l'indique d'un « pacte de non-agression
» qui ne saurait fournir une base légale à une
opération de maintien de la paix. Pour ce qui est du deuxième
instrument, outre que trois Etats membres de la CEDEAO n'étaient pas
parties42 à ce protocole, celui-ci ne stipule que pour
l'essentiel qu'une aide et assistance pour la défense contre une
agression ou une menace d'agression43. Il en ressort que la
première intervention menée par la CEDEAO reste difficilement
justifiable en droit, du moins dans le droit originaire de l'organisation. Il
faut attendre la révision du traité de 1993 pour combler ce vide
juridique originel notamment à travers les principes fondamentaux
auxquels ont adhéré tous les Etats membres de
l'organisation44. Surtout, face aux nombreux conflits dans la
sousrégion, la dimension sécuritaire devient une condition
préalable pour la réalisation d'une intégration politique
par la CEDEAO.
B. La nécessaire intégration de la
dimension sécuritaire dans l'intégration régionale
L'intégration de la dimension sécuritaire dans
le processus intégratif apparaît comme une nécessité
en ce qu'elle permet de créer un climat de confiance dans la
région. Si la conclusion du traité de non-agression de 1978 et
celle du protocole d'assistance mutuelle de 1981 peut être perçue
comme un préalable à la réalisation d'une politique
régionale de sécurité collective, il n'en est pas encore
question au regard des foyers de tensions qu'a connu la sous-région. Car
de toute évidence, les tensions politiques intra-étatiques
(Guinée en 2009,
41 Article 2, al 2, Traité
révisé
42 Il s'agit du Cap Vert, de la Guinée Bissau
et du Mali
43 Article 2 du protocole d'assistance mutuelle de
1978.
44 Article 4 du Traité révisé
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Côte d'Ivoire en 2002, Togo en 2005, Sierra Leone en
1997, Guinée Bissau 1998 - 1999, Libéria en 2003, Nigéria
2010, etc.) ou interétatiques (crise de la Casamance entre le
Sénégal et la Gambie) perturbent la réalisation des
programmes d'intégration régionale. Cette instabilité
politique contribue en même temps à retarder le
développement et la croissance des Etats membres et constitue une
incitation négative à l'investissement. Il est donc indispensable
d'oeuvrer à la mise en place d'un système capable de sauvegarder
et de garantir la paix et la sécurité de manière durable
dans la région.
Pour terminer, la nécessaire intégration de la
dimension sécuritaire dans la démarche intégrative
s'explique aussi par un intérét moins marqué de la
communauté internationale face à la complexité
grandissante des situations de crise dans la sous-région45.
C'est donc pour cette raison que les Etats de la sous-région, conscients
de la réticence du conseil de sécurité des Nations
à s'engager dans les crises politiques, ont décidé
d'élaborer leurs propres mécanismes de maintien et d'imposition
de la paix.
Face à tous ces enjeux, il est essentiel de repenser la
politique générale de l'intégration régionale en
Afrique de l'ouest. Sinon, des réformes importantes doivent être
envisagées afin d'accélérer le processus
d'intégration dans la sous-région.
45 Fernanda FARIA, la gestion des crises en Afrique
Subsaharienne : le rôle de l'Union Européenne, Occasional Paper,
n°55, Novembre 2004.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Approches de solutions pour la mise en oeuvre
d'une véritable intégration
régionale en Afrique de l'Ouest
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
La révision du traité constitutif de
l'organisation en 1993 a constitué une véritable
révélation dans la recherche des solutions aux différentes
contre-performances de la CEDEAO. C'est pour dire que ce toilettage du
traité originel a permis d'aboutir à d'importantes
réformes dans la vision générale de la démarche
d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. On retiendra pour
l'essentiel que le traité de 1993 marque une rupture par rapport
à un certain passé représenté par le traité
de 1975. Le renversement de logique qu'il opère est patent. Il traduit,
en effet, le passage d'une vision interétatique à une vision
supranationale. Les grandes réformes institutionnelles qui ont
été adoptées, ont permis d'adjoindre à la dimension
économique de l'intégration régionale, des questions
d'ordre politique touchant le fondement même de la souveraineté
des Etats membres.
Dans ce chapitre, il sera question d'identifier, à la
lumière du modèle d'autres organisations d'intégration
sous-régionales46, les principales innovations à
adopter afin de mieux réaliser le passage de l'intégration
économique à un modèle d'intégration politique. Ces
innovations toucheront non seulement le cadre institutionnel même de la
CEDEAO
(Section 1) mais aussi et surtout les domaines
politique et économique (Section2).
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