Section 1 : Les réformes institutionnelles
Pour attribuer une dimension supranationale au processus
d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest, la principale
réforme institutionnelle à opérer est la rupture avec la
traditionnelle prépondérance des organes inter-gouvernementaux
sur les organes intégrés. Dans cette logique, ceux-ci devront
bénéficier d'une indépendance totale dans leur
fonctionnement. De ce fait, une importance particulière devrait
être accordée au secrétariat exécutif qui, sans
être à proprement parler un secrétariat, constitue un
véritable moteur du processus d'intégration régionale.
Ainsi, le renforcement des organes intégrés doit constituer
le premier chantier des réformes institutionnelles de la
CEDEAO (Paragraphe 1).
L'acquisition de la dimension supranationale doit se traduire
aussi par la valorisation des engagements communautaires (Paragraphe
2) notamment à travers le mode d'adoption des décisions
de l'organisation et surtout leur contrôle d'exécution.
46 L'UEMOA notamment.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
Paragraphe 1 : Le renforcement des organes
intégrés
Le renforcement statutaire du secrétariat
exécutif déjà amorcé par le traité
révisé de 1993 a connu une nouvelle évolution par le
récent projet de la création de la commission de la CEDEAO
(A). Suivant la même logique, le renforcement des
organes intégrés comme le parlement et la cour de justice est
prévu afin de consolider le cadre démocratique de ces organes
intégrés (B).
A. La création de la commission de la CEDEAO
Le projet de substitution du secrétariat
exécutif par une « commission » à l'instar de l'Union
Africaine ou de l'UEMOA permet un réel renforcement de cet organe
resté depuis toujours sous la tutelle politique de la conférence
des chefs d'Etats et de gouvernement. La création d'une commission,
entité collective, dont l'existence et les pouvoirs sont voués
à la défense de l'intérêt communautaire marquera
mieux l'autonomie et l'indépendance de l'organisation internationale
vis-à-vis des Etats membres. En effet, le projet de la création
d'une commission de la CEDEAO a été décidé par la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement réunie à
Abuja en juin 2005. Le conseil des ministres avait alors retenu deux
scénarios comportant respectivement une commission de neuf membres et
une commission de quinze membres47. En référence
à la pratique des commissions de l'Union Africaine et de l'UEMOA, chaque
commissaire sera en charge d'un domaine déterminé. Cette
spécialisation est inéluctablement génératrice de
valorisation pour tous les projets d'intégration de l'organisation. Dans
le même temps, elle est un gage de visibilité de l'organisation
dans les Etats membres. Cependant, dans le but de mieux renforcer la
supranationalité dans l'organisation, il convient d'instaurer au sein de
la commission un système de rotation fondé sur
l'équité et la transparence.
Au final, une telle réforme institutionnelle doit
permettre à l'organisation de mieux s'adapter à l'environnement
international et surtout de repositionner cette dernière
vis-à-vis des populations de l'Afrique de l'Ouest qui jusque-là
ne se sentent pas impliquées dans le
47 Rapport de la cinquante-quatrième session
ordinaire des ministres, ECW/CMLIV12, Secrétariat exécutif,
Abuja, juin 2005, pp.10 et 11.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
processus d'intégration régional. L'implication
des populations dans le processus d'intégration régionale passe
aussi par la consolidation du cadre démocratique des organes comme le
parlement et la cour de justice de la communauté.
B. La consolidation du cadre démocratique du
parlement et de la cour de justice
Nous évoquerons dans ce volet les différentes
réformes institutionnelles pouvant permettre une forte implication des
populations dans le processus d'intégration régionale.
Dans ce sens, le parlement et la cour de justice de la CEDEAO
apparaissent à notre sens comme les organes les plus à
méme d'atteindre cet objectif. Pour cela, ces organes doivent au
préalable connaître certains réajustements techniques. Ces
réajustements doivent permettre à ces organes de prendre en
compte des questions relatives à la protection et à la sauvegarde
des droits des populations des Etats membres. La création du parlement
et celle de la cour de justice peuvent permettre d'assurer le respect des
droits humains et surtout assurer la pleine participation des populations
ouest-africaines au développement et à l'intégration
régionale.
Pour ce qui est du parlement de la CEDEAO, il est souhaitable
de lui conférer non seulement des pouvoirs consultatifs mais aussi des
pouvoirs de censure et de contrôle des actions de la conférence
des chefs d'Etats et de gouvernement. Afin de pouvoir jouer le rôle
d'avant-garde dans la protection des droits de l'Homme, le parlement devra
aussi disposer d'un certain pouvoir de censure à l'endroit des
gouvernements fautifs. Dans ce cadre, le parlement devra pouvoir
déclencher des enquêtes internationales sur les atteintes aux
droits de l'homme présumées ou dénoncées. Et sur la
base des résultats, le parlement pourra requérir des poursuites
contre les auteurs présumés de ces exactions. En outre, la
désignation des membres du parlement devrait se faire par
élection au suffrage universel au sein de chaque Etat. De la sorte, les
populations des Etats membres pourront se sentir réellement
impliquées dans le processus d'intégration régionale.
En ce qui concerne la cour de justice de la communauté,
elle devrait voir son domaine de compétence élargi afin d'assurer
une meilleure promotion et protection des droits de
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
l'homme dans les Etats membres. Au lieu d'être
bornée à ne connaitre que des litiges entre les Etats membres
relatifs à l'interprétation et à l'application du
traité, elle devrait, à l'instar de la cour européenne de
justice, connaitre aussi des litiges entre Etats membres et la
communauté, les litiges entre personnes privées, etc. Pour ce
fait, les personnes privées doivent avoir un accès facile et
direct à la juridiction. Or, cela semble difficile en l'état
actuel de la procédure de saisine de la cour. En effet, l'article 9 du
traité ne réserve la possibilité de saisine de la cour
qu'aux seuls Etats membres ou à la conférence des chefs d'Etats
et de gouvernement. Ce qui apparait très paradoxal car d'ordinaire, les
cas de violation des droits de l'homme résultent souvent de l'action de
l'Etat à l'endroit de ses citoyens ou ceux des autres pays. Il s'ensuit
que les atteintes aux droits de l'homme seront plus souvent la
préoccupation des individus ou des groupes d'individus que de l'Etat.
D'où l'importance d'instaurer un mécanisme d'accès facile
et direct des populations aux prétoires.
|