Section 2 : La création de la CEDEAO
A travers l'expérience des regroupements de
coopération régionale, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont
témoigné de beaucoup de solidarité et d'esprit
communautaire. Ces liens se sont ainsi peu à peu soudés entre les
Etats de l'Afrique de l'Ouest divisés depuis les indépendances
par leurs différentes expériences coloniales, les clivages
linguistiques et culturels ainsi que des systèmes juridiques et
administratifs différenciés. La création de la CEDEAO
vient dans la méme logique renforcer cette volonté de s'unir.
Ainsi, créée par le Traité de Lagos le 28 Mai 1975, la
CEDEAO regroupe à l'origine seize Etats à savoir : le
Bénin, le Burkina Faso, le Cap Vert, la Côte d'Ivoire, la Gambie,
le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Libéria, le
Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la
Sierra Léone et le Togo12. Le nombre des Etats est à
présent ramené à quinze suite au retrait de la Mauritanie
en 200113. Aussi faut-il signaler que les Etats membres de la CEDEAO
occupent une superficie de 5,1 millions de km2 soit 17% de la
superficie totale du continent et avec une population estimée en 2006
à 261, 13 millions d'habitants14.
Dans ce vaste espace, la CEDEAO a pour mission de promouvoir
la coopération et le développement dans tous les domaines de
l'activité économique, d'abolir, à cette fin, les
restrictions au commerce, de supprimer les obstacles à la libre
circulation des personnes, des biens et des services, et d'harmoniser les
politiques les politiques sectorielles régionales. A travers la
création de la CEDEAO et plus particulièrement la
définition de ses objectifs, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont su
dépasser leurs différences idéologiques quant à la
manière de penser et de réaliser l'intégration
régionale. Pour rendre compte de ce débat, il convient de
12 V. Annexe 1 : Carte de la CEDEAO
13 Géographiquement, la Mauritanie se situe
a la fois a l'Ouest et au Nord de l'Afrique. Culturellement, cette nation
arabo-berbère est partagée entre les nations du Maghreb que
celles de l'Afrique noire. Membre de la CEDEAO et de l'Union du Maghreb Arabe
(UMA), la Mauritanie a finalement décidé de se retirer de
l'organisation Ouest-africaine. V. Alioune SALL, Les mutations de
l'intégration régionale des Etats de l'Afrique de l'Afrique de
l'Ouest, L'Harmattan, 2007, p.45-46
14 Rapport, Atelier régional de renforcement
des capacités pour les pays de l'Afrique de l'Ouest sur les
stratégies et les plans d'action nationaux sur la biodiversité,
2008.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
rappeler d'abord le contexte d'adoption du traité de 1975
(Paragraphe 1). C'est à ce titre
que d'aucuns considèrent que ces controverses
idéologiques sont à l'origine du caractère «
limité » des buts et objectifs de l'organisation internationale
tels que définis par le traité de
1975 (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le contexte d'adoption du
Traité de 1975. A. Les querelles de leadership sous-régional
En dépit des efforts de regroupement
déployés par les Etats ouest-africains dans le domaine de la
coopération économique, il faut dire qu'au moment de la
création de la CEDEAO, certaines réticences pesaient encore dans
la volonté politique des Etats quant à la formule
d'intégration à adopter. A cet effet, deux tendances
idéologiques peuvent être distinguées. D'une part, les
partisans d'une intégration « totale », politique
prônent un transfert important de souveraineté pour la future
organisation. Les principaux tenants de cette formule sont le
Sénégal, le Ghana et à certains égards le
Nigéria. Et d'autre part, le courant mené par la Côte
d'Ivoire se caractérise par un certain scepticisme à
l'égard des formes de regroupement ambitieuses, c'est-à-dire
celles qui impliquent le plus de transferts de souveraineté.
D'une certaine manière, cette divergence de points de
vue sur la modalité de réalisation de l'intégration trouve
ses origines dans une querelle de leadership entre les quatre plus grands
promoteurs de l'intégration dans la région15. Le
Sénégal, nostalgique d'une position prestigieuse qu'il occupait
dans l'ex Afrique occidentale française, veut s'imposer comme leader
dans le processus de regroupement dans la région avec la création
de la Fédération du Mali. Le Président Senghor avait ainsi
voulu « la réalisation d'une unité africaine dans le cadre
d'une République Fédérale dont la Fédération
du Mali constitue la première étape16.
Le leadership ghanéen se manifeste par les visions
panafricanistes de son président Kwame N'KRUMAH. La vision politique de
ce dernier est exprimée dans son ouvrage au
15 Sénégal, Ghana, Nigéria et
Côte d'Ivoire.
16 Paul DECRAENE cité par Alioune SALL, op.
Cit... p.33
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
titre si révélateur : « Africa must be
united » ou « L'Afrique doit s'unir ». Au demeurant, le
Ghana peut aussi revendiquer la paternité de la première
initiative de regroupement d'Etats souverains dans la sous région,
l'Union des Etats de l'Afrique de l'Ouest (UEAO) créée en
Novembre 1958.
Le Nigéria quant à lui s'appuie tout simplement
sur sa puissance économique et démographique pour s'attribuer un
rôle de leader dans le processus d'intégration dans la
sousrégion. C'est surtout l'occasion en 1975 pour lui d'intégrer
véritablement une organisation ouest africaine. En effet, les
précédents regroupements à savoir l'UMOA ou la CEAO
essentiellement francophones avaient pour vocation de sauvegarder le
pré-carré français et surtout de contrer le poids du
Nigéria dans la région.
Ainsi donc, le Sénégal, le Ghana et le
Nigéria favorables à une intégration très
poussée ont fait front au leadership ivoirien hostile à un tel
processus. En réalité, l'attitude ivoirienne peut s'expliquer par
le comportement en général de certains Etats relativement bien
pourvus par la nature qui refusent à se joindre à des
communautés inégalitaires et nécessairement
redistributrices. Pour faire échec aux ambitions du
Sénégal et du Ghana, la Côte d'Ivoire initie l' «
Union Sahel - Bénin » et le « Conseil de l'Entente » pour
concrétiser ses réticences à l'égard de toute
construction supranationale.
B. L'historique de l'adoption du traité de 1975
Le concept de la création d'une communauté de
l'Afrique de l'Ouest remonte à 1964 et au président
libérien William Tubman qui en a lancé l'idée. Un accord a
été signé entre le Libéria, la Côte d'Ivoire,
la Guinée et la Sierra Leone en février 1965, mais celui-ci n'a
pas abouti. En 1972, le général Gowon du Nigéria et le
général Eyadema ont relancé ce projet, et ont rendu visite
à douze pays, leur demandant leurs contributions pour la
réalisation du projet. Une réunion a été
organisée à Lomé en vue d'étudier une proposition
de traité. Une réunion d'experts et de juristes s'est tenue
à Accra en janvier 1974 ainsi qu'une réunion de ministres
à Monrovia en janvier 1975. Ces deux conférences ont
examiné soigneusement la proposition de traité. Finalement,
quinze pays d'Afrique de l'Ouest ont signé le traité pour une
communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest le 28 mai
1975 à Lagos. Les protocoles établissant la CEDEAO ont
été signés à Lomé au Togo le 5 novembre
1976.
Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO
A la suite de l'UDAO et de l'UDEAO, la CEDEAO vient poursuivre
l'oeuvre d'intégration économique de la sous-région comme
le témoignent les buts et objectifs de la CEDEAO.
Paragraphe 2 : Les objectifs et missions de la
CEDEAO. A. Les buts et objectifs de la CEDEAO
Les buts et objectifs de la CEDEAO tels que définis par
le Traité de 1975 sont essentiellement de l'ordre de la
coopération. C'est ce qui ressort des dispositions de l'article de 2 du
Traité de 1975 qui dispose que « le but de la communauté est
de promouvoir la coopération et le développement dans tous les
domaines de l'activité économique »17. Par
conséquent, si donc le Traité de 1975 fait
référence à la coopération, cela signifie que les
Etats membres ont décidé de mettre en oeuvre une politique
destinée à rendre plus intimes leurs relations dans le domaine
économique grâce à des mécanismes permanents sans
renoncer pour autant à leur souveraineté et à leur
indépendance. C'est donc à juste titre que l'alinéa 3 du
Préambule du Traité de 1975 met un accent particulier sur «
l'intégration économique »18.
Etant essentiellement une organisation d' «
intégration économique », la CEDEAO vise en vertu de
l'article 3 de son traité constitutif à «promouvoir la
coopération et l'intégration dans la perspective d'une Union
économique de l'Afrique de l'Ouest en vue d'élever le niveau de
vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité
économique, de renforcer les relations entre les Etats membres et de
contribuer au progrès et au développement du continent africain.
»19.
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