CONCLUSION
Hormis l'introduction, le présent travail
comprend deux chapitres : le premier a porté sur les
typologies classiques de régime politique, dans lequel nous avons
définit les régimes présidentiel et parlementaire qui sont
considérés actuellement comme des régimes classiques
modernes et le second a analysé le régime politique
institué par la constitution de RD Congo du 18 février 2006,
où nous avons fait observé que l'actuelle constitution de la RD
Congo a instauré un régime qui n'est pas présidentiel et
qui va à l'encontre du régime parlementaire, c'est-â-dire
un régime pur hybride, ambigu et bâtard.
Cependant, il y a lieu de noter que l'opération de
classification de régimes politiques requiert une certaine
méthode. Ainsi, comme l'a souligné Eisenmann, à la
première difficulté â surmonter, celle du langage et de la
détermination des concepts, s'additionne une deuxième
difficulté, celle de la création de subdivisions,
opération qui impliquera automatiquement des erreurs puisque la
subdivision est d'ordinaire considérée par le juriste comme
préexistante et donnée48. Mais en fait, les
classifications sont choisies et élaborées par les juristes
eux-mêmes â partir des matériaux vivants qui leur sont
donnés (par exemple la présence de régimes dont les
parlementaires et le président de la République sont
élus
48Charles Eisenmann, « Essai d'une
classification théorique des formes politiques», in
Politique, 1968, p. 77.
au suffrage universel direct, et le Gouvernement
responsable devant le Parlement). Une terminologie
adaptée serait la bienvenue pour désigner ce type de
régime particulier et répandu, en présence duquel on se
trouve, à la lecture des constitutions des pays d'Europe. Il s'agit du
régime parlementaire bireprésentatif. Selon Marie-Anne Cohendet,
« parmi les régimes qui connaissent une séparation des
pouvoirs (au sens de la distinction des fonctions) : un régime
parlementaire est celui dans lequel le Gouvernement est responsable devant le
Parlement. Il est mono représentatif quand les parlementaires sont les
seuls élus directs du Peuple au sommet de l'État (ex.
Grande-Bretagne). Il est bireprésentatif quand les citoyens sont
représentés par deux organes élus au suffrage
universel direct, les parlementaires et le Président». En Europe,
on compte 15 pays pour ne citer que cela, fonctionnant de la sorte: l'Autriche,
l'Irlande, l'Islande, la France, le Portugal, la Croatie, la Lituanie, la
Bulgarie, la Macédoine, la Roumanie, la Slovénie, la Russie,
l'Ukraine, la Pologne et la Finlande.
Il est donc possible de qualifier ce régime particulier
et de le rapprocher de la classification classique sous une appellation
améliorée: « régime parlementaire
bireprésentatif ». La doctrine pourtant, a peiné
à intégrer ce régime dans les classifications
habituellement proposées, d'autant plus qu'elle a tenté de rendre
compte en même temps de la tendance au présidentialisme observable
dans certains de ces systèmes politiques. Cela a abouti, à partir
de l'exemple français dont il a beaucoup été question,
à des appellations aussi variées que : régime mixte,
hybride, « présidentiel »
(avec quelques limitations), par François Luchaire et
Gérard Cognac, « régime de principat », selon Pierre
Avril, « régime démocratique plébiscitaire »
pour Jean Gicquel.
Comme nous venons de le dire dans le titre
précédent, la constitution de la République
Démocratique du Congo du 18 février 2006 s'aperçoit dans
le classement du régime politique dit parlementaire
bireprésentatif pour deux critères retenus par Marie-Anne
Cohendet par la double représentation de la nation par deux organes
élus au suffrage universel direct, en l'occurrence l'Assemblée
Nationale et le Président de la République.
En effet, la constitution du 18 février 2006 ne fait
l'ombre d'aucun doute de la qualification de son régime politique en
tant que tel et surtout que l'instauration du dualisme a souvent
été pour besoin d'apporter davantage de stabilité au
système politique parlementaire. Le système dualiste est
d'origine anglaise (république de Weimer) ; il faut signaler que sous
ledit régime, le Président de la république avait le
pouvoir de contrebalancer le pouvoir législatif et obliger celui-ci
à la conciliation, et dans l'impossibilité de conciliation, la
solution radicale était l'intervention du peuple, organe souverain, pour
départager le Président avec le Parlement. Notons que le
régime politique de la constitution sous examen est ipso facto le
régime parlementaire dualiste et surtout la présence d'un
président fort face à l'Assemblée Nationale, vont à
l'encontre de « l'aspiration libérale d'équilibre des
pouvoirs », propre au régime parlementaire. Malgré le
contreseing ministériel, malgré la
responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, le régime
penche en faveur du Président quasi omnipotent qui concurrence et
corrompt le Parlement par sa terreur. Or, le dualisme consacre la double
responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et le
Président plutôt que leur mode d'élection.
De ce fait, le compromis politique, ajouté à la
pratique politique, ont corrompu l'aspiration idéale initiale des
rédacteurs de la Constitution du 18 février 2006, qui,
malgré ses vertus stabilisatrices, est un régime politique
atypique dont le classement pose problème suite aux
déséquilibres entre les pouvoirs. Il est un
régime politique bireprésentatif.
Le régime parlementaire bireprésentatif
présente deux différences importantes par
rapport au régime parlementaire authentique : un président
élu au suffrage universel direct, qui peut user ou non des pouvoirs dont
il dispose, étendus ou non. L'appellation « régime
parlementaire bireprésentatif » est idoine. Il faut tout de
même préciser qu'on ne peut traiter tous ces régimes de
façon identique en prétendant que le Président y est
toujours doté de forts pouvoirs.
A l'intérieur de cette catégorie de
régime coexistent diverses familles49. La distinction entre
régime et système est alors fondamentale à
l'appréhension du problème.
49Marie-Anne Cohendet, « La
cohabitation, leçons d'une experience », op.
cit., pp. 76-77.
Dans tous les cas, le terrain hétérogène,
ne permet pas la systématisation des observations au niveau du
régime ni au niveau du système qui dévoile une pratique
dégénérescente du pouvoir par certains présidents
de la République. L'impossible systématisation s'ajoute à
la difficulté de classer un régime du fait de son
caractère atypique : il n'est pas un régime présidentiel,
et il va à l'encontre du modèle de régime parlementaire
pur (régime hybride)50. On a pu dire que le choix de ce
régime était bien adapté a. la transition
démocratique. Serait-ce donc un régime voué a.
disparaître ou a. muer51. Cela explique les éternelles
controverses politiques et
constitutionnelles sur la modification du régime
politique. De telles controverses sur l'opportunité de réviser le
texte constitutionnel pour restreindre les compétences et le rôle
du Président de la République n'ont cours que dans les
régimes concernés par la présidentialisation du
système. Le Portugal a toiletté a. plusieurs reprises sa
Constitution ; la Finlande et la Pologne l'ont modifiée dans le sens
d'une délimitation plus précise des pouvoirs du président
ou d'une atténuation de ses compétences52. La France
s'est attelée a. la tâche par des biais détournés
avec le référendum modificatif de la durée du mandat
présidentiel et entamera une procédure de révision
constitutionnelle modificative des modalités de la responsabilité
présidentielle. Mais dans tous les pays concernés, le
Président de la
50 R. Capitant, «in Régimes
parlementaires », Mélanges Carré de
Malberg, Paris, Sirey, 1933, page 40.
51 Zilemenos Constantin, «
Naissance et évolution de la fonction de Premier ministre
dans le régime parlementaire », Paris,
L.G.D.J., 1976, pp.166 et 167.
52 Guy Carcassonne, « In
Précis de la démocratie », Paris,
Calmann-Lévy, 1994, p. 56.
République élu au suffrage universel direct
demeure. En France, certains thuriféraires réclament un
régime ostensiblement présidentiel (il faudrait supprimer la
responsabilité du Gouvernement devant le Parlement), d'autres plaident
pour un régime parlementaire épuré (c'est-â-dire
débarrassé de son Président de la République
élu au suffrage universel direct).
Il réclame la fin des pouvoirs d'action et de
dissuasion directs, remplacés par des pouvoirs de médiation et la
suppression des pouvoirs propres, pour éviter le monopole
présidentiel sur le référendum ou la dissolution par
exemple53. Pour les tenants d'un régime parlementaire
traditionnel, c'est le Premier Ministre qui doit se trouver au coeur du
dispositif exécutif : « ... Le Premier Ministre, organe des
représentants de la Nation et charnière entre parlement et
monarque, exerce, d'une manière générale, une fonction
centrale dans l'État. Il devient le véritable moteur du pouvoir
exécutif, et, par voie de conséquence, l'instrument primordial
dans l'exercice du pouvoir politique tout entier »54. Donc un
Président de la République qui cumule â la fois des
fonctions d'arbitre et d'acteur dans la vie politique est une
hérésie pour les adeptes du régime parlementaire
classique. Pourtant, cette option n'est pas systématiquement
rejetée: « nous devrions néanmoins faire une distinction
entre le chef de l'État élu et le chef de l'État
héréditaire, entre Président de la République et
Monarque. Dans le cas de l'hérédité, il est hors de
doute
53Alain Bockel et alii, Toulouse, Istanbul,
« Presses de l'Université de
Toulouse », 2000, pp. 164 et 165.
54Constantin Zilemenos, « Naissance et évolution
de la fonction de Premier ministre dans le régime
parlementaire », Paris, L.G.D.J., 1976, p.
19.
que l'irresponsabilité du chef de l'État, en
régime parlementaire, pourrait conduire a commettre des actes
incontrôlés, tandis que, dans le cas du chef de l'État
élu, une confusion pourrait se produire dans la conception de la
même personne irresponsable en tant qu'arbitre du jeu politique et
prétendant a une participation active dans l'orientation et la direction
gouvernementale. L'inadmissible en l'occurrence c'est que le même organe
ayant des compétences de régulateur veule exercer des
attributions gouvernementales propres. D'ailleurs,
l'immixtion du chef de l'État dans le travail
gouvernemental constitue un renversement des principes sur lesquels doit
être fondée la démocratie parlementaire ».
Et si le régime parlementaire bireprésentatif
constituait une troisième catégorie, sui generis ?
Plutôt que de vouloir a tout prix donner une lecture induite par la
dichotomie classique, ou de voir dans le régime parlementaire
bireprésentatif une déformation des régimes parlementaire
ou présidentiel, on pourrait admettre que c'est un type de régime
à part entière. C'est ce qu'explique Richard Moulin : les clefs
de lecture auxquelles nous sommes habitués pour diviser le monde des
régimes politiques démocratiques en deux ne sont plus
opérantes pour ce nouveau type. Pourtant, les constitutionnalistes
peinent à s'émanciper des vieux réflexes. Mais si l'on
considère ces régimes comme des entités a part
entière, cela écarte d'office les terminologies «
régime parlementaire bireprésentatif » et «
semi-présidentiel ». Or, pour des raisons logiques exposées
plus haut, on retiendra bien la terminologie de régime
parlementaire bireprésentatif pour cette étude. Le
régime parlementaire est présent car il y a
responsabilité du gouvernement devant le parlement. Le simple fait que
le Président soit élu au suffrage universel direct ne
dénature pas le régime. C'est l'usage abusif que le
Président de la République peut faire de la
légitimité tirée de l'élection directe et de ses
pouvoirs constitutionnels qui est de nature à corrompre le régime
parlementaire. Mais tous les pays concernés par un Président
élu au suffrage universel direct en régime parlementaire ne sont
pas dotés d'un Président de la République mal
intentionné ou d'un Président de la République aux
pouvoirs constitutionnels exorbitants. On ne peut donc en faire une classe
autonome fondée sur ces considérations et la notion de
régime parlementaire bireprésentatif convient tout à fait.
Ce régime s'observe un peu partout dans le monde et surtout dans
plusieurs pays d'Europe.
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