§3. Quelle est alors la nomenclature politique de ce
régime ?
S'appuyant sur les affirmations tant des animateurs politiques
que de la société civile et confrontant l'exercice des pouvoirs
en République Démocratique du Congo, d'une part, nous observons
que le régime politique de la Constitution du 18 février 2006 est
consacré à une organisation fonctionnelle et indépendance
organique, et que la vraisemblance de tel régime laisse conclure que la
responsabilité du gouvernement devant le parlement est quasiment
inexistante. D'autre part, l'analyse des théories chères de
Montesquieu41, relative à la classification des
régimes politiques et l'article 146 de la
41 Régime de confusion des pouvoirs au profit
de l'exécutif et celui de séparation des pouvoirs (régime
classique)
constitution en étude, font croire au régime
parlementaire, or, sous pareil régime, c'est au premier
ministre, chef de gouvernement issu de la majorité qu'appartiendrait
l'essentiel des pouvoirs.
En définitive, la quasi-inexistence de la
responsabilité du gouvernement devant le parlement se justifie par le
fait que le Président qui est élu au même titre que les
députés nationaux, c'est-à-dire au suffrage universel
direct et que d'importants pouvoirs lui sont consacrés par la
constitution, qui en principe, dans les régimes parlementaires
classiques sont le domaine du Premier Ministre issu de la majorité et
responsable devant l'Assemblée Nationale pour défendre la
conduite de la politique de la nation, laisse voir de quelle manière
l'exécutif est quasiment irresponsable. Le Chef de l'Etat, qui est
politiquement irresponsable emporte avec lui plusieurs pouvoirs que le pouvoir
législatif ne peut pas contrôler, moins encore, entreprendre une
action et cela met en péril le principe de liberté politique. La
réalité en République Démocratique du Congo en est
que le Président de la république est à la fois gouverneur
et régulateur42.
Le régime de la Constitution du 18 février 2006
est un régime atypique que l'on qualifie de Mixte de par son
caractère hybride, il n'est pas présidentiel et va à
l'encontre du régime parlementaire. Cela à nos yeux reste
insuffisant pour rejeter le régime de la Constitution du 18
février 2006 tout entier pour le
42 Articles 69, 79 à 83, 85 et 88 de la
Constitution du 18 février 2006.
qualifier de non classique, conscient des imperfections
liées toujours aux oeuvres humaines et par conséquent, nous
retiendrons ce régime comme tel et l'approcherons des régimes
classiques sous une appellation commode et améliorée pour des
motifs détaillés dans les paragraphes qui suivent. Nous disons
avec Marie-Anne Cohendet que ce régime est un régime
parlementaire bireprésentatif43.
Mais tous les auteurs ne se contentent pas de la seule
responsabilité. A ce propos, il y a divergence doctrinale44.
Certains adjoignent a. la responsabilité politique du Gouvernement
devant le Parlement le critère de la dissolution du Parlement par
l'exécutif (donc une révocabilité mutuelle) pour
appréhender le régime parlementaire, ainsi pensent Duguit et
Hauriou. Yves Mény et Olivier Duhamel observent que le régime
parlementaire est le régime « au sein duquel les pouvoirs publics
collaborent et dépendent l'un de l'autre » et que « l'harmonie
fonctionnelle peut cependant être rompue, de manière
réciproque : le renvoi prématuré des députés
devant les électeurs par le biais de la dissolution étant la
contrepartie normale au retrait du gouvernement consécutif a. la mise en
cause de sa responsabilité ». De même Philippe Lauvaux
explique que dans le régime parlementaire « se trouvent
consacrés le principe de la responsabilité ministérielle
devant le Parlement et, en contrepartie, le droit dont dispose
généralement l'Exécutif de prononcer la dissolution de
celui-ci »45. Or
43 Marie-Anne Cohendet, « La
cohabitation, leçons d'une expérience
», Paris, L.G.D.J., 1979, p.74.
44Gwenaël le Brazidec, in René
Capitant, Carl Schmitt : « crise et réforme du
parlementarisme », de Weimar à la Cinquième
république, op. cit.,page 62.
45Philippe Lauvaux, « Les grandes
démocraties contemporaines », Paris,
Puf, 1998, 2èmeédition, page 155.
la dissolution, présente dans la plupart des
régimes parlementaires, n'y figure pas systématiquement. Elle
participe certes à l'équilibre des pouvoirs, mais elle n'est pas
un élément fondamental de définition du régime
parlementaire. Le critère le plus important est bien celui de la
responsabilité du gouvernement devant la chambre des
représentants, de la confiance. La responsabilité et la confiance
ne sont que les corollaires du principe majoritaire et du système
représentatif qui sous-tend le régime parlementaire. Cela
écarte les critères strictement techniques en faveur d'autres
plus politiques, et ainsi le régime parlementaire peut fonctionner sans
dissolution46. Cela peut dépendre selon que l'on se place
dans une perspective moniste ou dualiste du régime parlementaire.
D'autres auteurs, qui retiennent pour le régime
parlementaire la notion de responsabilité comme critère principal
de définition, utilisent comme critère discriminant pour
identifier le régime présidentiel, non seulement l'absence de
responsabilité, mais aussi les modalités d'élection des
organes. Le régime présidentiel se caractériserait par
l'élection directe ou quasi directe du président. Pourtant ce
n'est pas le seul régime dans lequel le président est élu
directement ou quasi directement par le peuple. Dans certains régimes
parlementaires aussi on trouve des présidents élus au suffrage
universel direct ou quasi direct. Concernant l'élection quasi directe,
on peut citer la Finlande jusqu'en 1994, et concernant l'élection
directe tous les autres pays européens traités dans cette
étude, cités par
46Boris Mirkine-Guetzévitch, «
in Les Constitutions européennes
», tome 1, Paris, Puf, 1951, pages 22, 24 et 25.
ordre chronologique des constitutions : l'Autriche, l'Irlande,
l'Islande, la France, le Portugal, la Croatie, la Lituanie, la Bulgarie, la
Macédoine, la Roumanie, la Slovénie, la Russie, l'Ukraine et la
Pologne. Le critère de l'élection n'est donc pas adapté
pour distinguer le régime présidentiel du régime
parlementaire.
Maurice Duverger propose une nouvelle classe pour isoler ces
régimes politiques: la catégorie des régimes
«semi-présidentiels». Elle s'appuie sur
l'élément décisif qui relève selon lui du
régime présidentiel : l'élection directe ou quasi directe
du président de la République et au régime parlementaire :
la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Mais cette vision
est contestable. Car on ne peut logiquement concevoir que deux classes qui sont
habituellement présentées comme opposées, soient en
théorie comme en réalité mêlées pour en
fabriquer une troisième. On préférera qualifier ces
régimes, parlementaires ou présidentiels, de «
bireprésentatifs ». C'est-â-dire
que ces deux régimes ont en commun les modalités
d'élection du président de la République et des
parlementaires, au suffrage universel direct ou quasi-direct. Les
régimes « semi-présidentiels » emprunteraient au
régime parlementaire et présidentiel.
En résumé, par opposition au régime
parlementaire, le régime présidentiel est celui
dans lequel le gouvernement n'est pas responsable devant le parlement. Et pour
cause, il n'existe même pas de gouvernement au sens parlementaire du
terme puisque le président est entouré d'un cabinet de ministres
qu'il désigne lui-même sans que la chambre ne soit
consultée. Il
est admis qu'il s'agit d'un régime de séparation
stricte des pouvoirs, ce qui n'est pas totalement satisfaisant puisque, ainsi
comme l'a démontré Michel TROPER, une séparation stricte
des pouvoirs ne peut qu'aboutir à un blocage des institutions en cas de
litige, entraînant la mort du régime47. Elle n'existe
pas au sens strict du terme car même en régime
présidentiel, l'exécutif monocéphale
bénéficie de certains moyens de pression sur le pouvoir
législatif, et peut le neutraliser, ce qui atténue le
préjugé de séparation stricte. A l'opposé, en
régime parlementaire, le gouvernement est constitutionnellement
responsable devant le Parlement (c'est pourquoi on parle de séparation
souple des pouvoirs). Ces deux régimes figurent parmi les formes de
gouvernement démocratique les plus répandues et peuvent
être, l'un comme l'autre, bireprésentatifs.
47Michel Troper, « in La separation des
pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française
», Paris, L.G.D.J., 1980, page 12.
|