CHAPITRE III : DIAGNOCTIC DES GRANDS PHENOMENES DE
CONFLITS ENTRE AGRICULTEURS ET ELEVEURS
Ce chapitre comprend deux sections. La première
concerne les dégâts aux cultures et la deuxième prend en
compte le diagnostic des modes de règlement en vigueur.
Section I. Dégâts aux cultures
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs en RCA
prennent de nombreuses formes. Du point de vue méthodologique, nous nous
focalisons sur un diagnostic des « symptômes » de conflits tels
que décrits dans notre sujet de mémoire a savoir :
1. Conflits liés : d'une part
à des destructions soit accidentelles, soit
délibérés des champs et d'autre part, à des
dégâts provoqués à travers les "champs
pièges"
2. Conflits liés à des actes
plutôt criminels d'appropriation des biens d'autrui, qui se
manifestent d'une part (i) à travers les tueries de bétail et
d'autre part, (ii) à travers des attaques collectives des
agriculteurs.
En dehors donc de ces deux grands types de conflits, nous
avons recensé d'autres conflits d'ordre plutôt mineur, qu'on peut
également classifier soit dans l'une soit dans l'autre grande
catégorie des conflits, mais que nous avons jugés moins
importants. Il s'agit plus notamment (i) des vols du bétail, (ii) des
vols de récolte, (iii) des cas d'empoisonnement de l'eau, et (v) des
conflits fonciers.
I. Destruction accidentelle/involontaire ou
délibérée des champs
Les destructions de cultures sont à l'origine de
nombreux contentieux entre agriculteurs et éleveurs. Il s'agit des
dégâts occasionnés par le bétail des éleveurs
autochtones ou transhumants. Ils vont de l'arrachage de quelques boutures de
manioc ou de pieds de maïs à la dévastation des plantations
entières. Les destructions de cultures représentent une des
situations les plus énergiquement dénoncées par les
populations autochtones de toutes les régions visitées, et sont
de loin les principales causes de conflits entre agriculteurs et
éleveurs. Les agriculteurs de la RCA parlent d'une centaine de cas de
destructions de culture pour l'année 2011.
D'après les agriculteurs, la plupart des destructions
de cultures surviennent accidentellement. Elles sont les conséquences du
manque de vigilance des bergers, ou d'éleveurs débordés
par le grand nombre d'animaux. Les dégâts les plus importants
surviennent au moment des départs et des retours des éleveurs de
transhumance, soit entre mi-septembre et mi-novembre, et de la fin du mois de
mars à la mi-mai. Les éleveurs nationaux interrogés
à ce propos affirment que les destructions ont
généralement lieu lors des escales de ravitaillement. En effet,
bien que stationnés en pleine brousse, les éleveurs sont
obligés de temps en temps de se rendre dans les villages situés
sur leur trajectoire, pour acheter aux paysans les vivres nécessaires
à leur survie. Souvent aussi, c'est la méconnaissance de la
région qui est à l'origine de dégâts : la plupart
des dévastations de champs imputées aux transhumants entrent dans
cette catégorie.
Les dégâts volontaires ont été
cités par quelques agriculteurs de la localité.
Considérés comme insignifiant par les éleveurs, ces
derniers expliquent cette pratique par l'esprit de vengeance qui anime parfois
certains parmi eux, à la suite de cas d'abattages successifs de
bétail. Il semble également (d'après bon nombre
d'éleveurs) que le manque de pâturage pendant la
saison sèche pousse certains éleveurs à orienter leur
bétail dans les champs de quelques localités qui constituent les
seules verdures en cette période de feux de brousse. Il y a des
éleveurs qui précisent que ce sont les éleveurs
transhumants qui sont généralement à l'origine de ces
problèmes.
Quelles que soient leurs causes, ces situations sont souvent
sources de conflits. Elles sont inductrices de catastrophes : pertes
financières, pénurie alimentaire, famine, incapacité
à rembourser des dettes contractées et à subvenir aux
besoins familiaux. Parfois, elles aboutissent à des conséquences
dramatiques ; des cas de violence comme des tirs au fusil et ou à la
sagaie.
I.1. Dégâts provoqués à travers
des « champs pièges »
Par champs pièges, nous désignons ici des champs
installés par les agriculteurs dans les zones affectées aux
activités d'élevage. Cette pratique est présente partout
et elle nous a été signalée par toutes les
autorités administratives et les techniciens rencontrés sur le
terrain. En RCA, la pratique de cultures en zone pastorale semble presque
normale, au mépris du zonage existant. Certaines personnes vont
jusqu'à installer leurs parcelles de cultures au-delà de 20 km
des villages.
Pour justifier leurs actes, certains agriculteurs
évoquent la baisse de fertilité des sols dans les zones agricoles
et la recherche de terres fertiles, d'autres parlent du manque de terres
à cause du temps de jachère et le développement de la
culture attelée. Mais en plus de ces raisons principales
évoquées, d'autres raisons sousjacentes ressortent de nos
entretiens avec les deux parties, à savoir : les mésententes
entre agriculteurs, l'amitié entre un agriculteur et un ardo, l'envie de
certains agriculteurs pauvres de se rapprocher des campements d'éleveurs
afin de leur servir de main d'oeuvre et de profiter des carcasses de
bétail mort, ou tout simplement la
provocation intentionnelle afin d'obtenir des rentes
financières en cas d'éventuels dégâts.
Quoi qu'il en soit, la présence des champs dans des
zones à intérêt pastoral constitue un handicap pour le
mouvement des troupeaux. De toutes les manières, ces champs finissent
irrémédiablement par être détruits par le
bétail. Face à cette situation, il semble évident que
l'installation des champs proches des couloirs de passage, des campements, etc.
révèle clairement soit une stratégie de rente de la part
des agriculteurs autochtones, soit une stratégie foncière pour
chasser les éleveurs de certains terroirs villageois.
I.1.1. Actes d'appropriation des biens des
éleveurs
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