II. Structuration de l'espace agropastorale en
Centrafrique
Depuis le temps colonial, l'Etat centrafricain a
développé des stratégies pour la structuration de l'espace
agropastoral. Elle s'est notamment traduite en une politique de zonage, qui
consistait en une définition explicite de secteurs
réservés pour la pâture et d'autres pour l'agriculture,
partant de l'hypothèse que le meilleur moyen pour le
développement harmonieux de ces deux activités serait leur
séparation physique. Successivement, plusieurs campagnes de
délimitations furent menées, en commençant avec
l'expérimentation du Dr. Desrotour en 1968 dans l'Ouest centrafricain.
La reforme agraire et foncière des années 1970 a permis de
diviser en secteurs quasiment l'ensemble des territoires touchés par
l'élevage au Centre et à l'Ouest.
Ces dispositions anciennes furent renforcées dans les
années 8026. Plusieurs projets d'appui au secteur de
l'élevage qui se sont succédé, avaient fait de la
désignation et du développement des zones d'élevage un axe
central de leur intervention27. Au départ, les communes
d'élevage ont servi de base pour le développement de cette
politique. Le zonage renferme également des zones mixtes,
désignées zones de transhumance pendant la saison sèche,
ainsi qu'un réseau de couloirs de passage reliant les zones pastorales
entre elles et assurant les passages vers les territoires voisins.
26
Cf. p.ex. Procès verbal de la délimitation des
différentes zones de culture et d'élevage du 20.6.1986,
Inspection agricole de la
Nana-Mambere
27 Projet Développement Elevage Ouest (1980 - 1986),
cofinancé par l'IDA, le FIDA, la France et la CEE, puis le Projet
National de développement de l'Elevage (PNDE, 1986-1992), cofinancement
FED, IDA/FIDA et FAC
Les motifs sous-jacents de cette politique visaient une
certaine sédentarisation des éleveurs et la création d'une
base foncière pour la gestion rationnelle des parcours. A cet effet, des
unités de parcours dites « interfleuves » devaient être
recensées et classifiées, afin d'y gérer la
présence des éleveurs, organisés en « Groupements
d'Intérêt Pastoral (GIP) ». En fonction de l'évolution
des pâturages, ils devaient transhumer entre les différentes
unités de parcours. Un vaste réseau de pistes a été
construit, devant permettre au service de l'élevage d'observer
l'évolution des pâturages et d'organiser les
mouvements28.
Une des principales faiblesses de cette tentative de
formalisation du zonage associée à une gestion rotative des
parcours, était le fait que celle-ci aurait été plus ou
moins imposée par le haut et jamais correctement négociée
avec les populations autochtones résidant dans les villages. D'autre
part, l'initiative visant à « instaurer une gestion communautaire
disciplinée de l'espace selon les prescriptions des pastoralistes
»29 s'est avérée largement incompatible avec la
logique pastorale à base de décisions individuelles des Peuhl
Mbororo30.
Ces conclusions, puis le processus dramatique de
dégradation des savanes pastorales ont amené l'Etat centrafricain
et les projets d'élevage de faire évoluer les conceptions. Il en
a résulté la définition des « Zones d'Action
Agropastorales (ZAGROP) », approche qui s'apparente à celle de la
« gestion des terroirs »31 et qui réduit les
interventions à une échelle plus limitée et
maîtrisable. L'approche
28 BOUTRAIS., J., Des Peul en savanes humides.
Développement pastoral dans l`Ouest Centrafricain
ème
29
Rapport 2 semestre 1983 du Sous projet Agropastoral dans la
commune d'élevage de l'Ombella Mpoko
30
BEHNKE, R., SCOONES, I, 1993, Rethinking Range Ecologie,
BOUTRAIS, ouvrage cité
31
ANKOGUI-MPOKO, G., F., Sociétés rurales,
territoires et gestion de l'espace en RCA. La difficile intégration de
l'élevage et
de l'agriculture au nord-est de Bambari.
consistait en la délimitation des zones d'une
superficie d'un maximum de 50 000 à 100 000 ha, devant être
prioritairement implantées dans des zones sociologiquement
homogènes à majorité d'éleveurs. Elle impliquait
l'affectation aux éleveurs d'un titre foncier sur cet espace,
consacré par des décrets présidentiels, puis le plein
droit de la nationalité centrafricaine. L'idée était d'une
part, de garantir aux éleveurs l'utilisation définitive des
pâturages délimités, sans que cette utilisation soit remise
en cause sous la pression agricole et d'autre part, faire en sorte que les
éleveurs y jouissent d'un droit d'exploitation exclusif,
c'est-àdire qu'ils puissent refuser l'accès à des tierces
parties (transhumants externes). Ceci pour pouvoir mettre en oeuvre un
schéma de gestion rationnelle, impliquant mises en défens, ainsi
que pour minimiser la propagation de maladies.
Au total, cinq ZAGROP ont été
créées, plusieurs autres sont restées à
l'étape d'étude, du fait de certaines lourdeurs administratives
et de manque de financement32. Aujourd'hui, seulement deux ZAGROP
semblent encore être fonctionnelles.
II.1. ZAGROP33
La mise en place des ZAGROP n'a pas non plus suivi des
étapes préalables de négociation, les agriculteurs n'ont
été impliqués qu'à la dernière minute, ce
qui explique les contestations fréquentes. Suite aux difficultés
auxquelles se sont heurtées les ZAGROP, l'ANDE a promu dans les
années 90 la création d' « Unités
Pastorales (UP) », basées sur les groupements
d'éleveurs plus restreints. Les UP devraient comprendre quatre ou cinq
familles d'éleveurs d'une même lignée, possédant 300
- 500 têtes, et un territoire de 2 500 à 5 000 hectares, sur
lesquels
32
Le PNDE avait prévu de mettre en place jusqu'à 18
ZAGROP
PICARD, J., MODIBO., W., C., MBAIKI, L., ARDITI., C., Etude
socio-économique des éleveurs Peuls de Centrafrique
33
Source : BEREKOUTOU, M., Exposé sur les ZAGROP, 1991
celles-ci étaient censées d'opérer un
système de rotation (puis de respecter une charge ne dépassant
pas 6 ha/UBT). L'approche, qui est davantage basée sur une appropriation
foncière d'un espace pastoral par des éleveurs, souvent à
titre de subdivisions de ZA-GROP, s'est également heurtée
à plusieurs problèmes techniques et organisationnels, notamment
le risque d'appropriation de celles-ci par certains grands propriétaires
de bétail. Sa mise en oeuvre s'est limitée à
l'officialisation seulement de deux UPs.
A partir du constat qu'aucune gestion durable de l'espace ne
pouvait réussir sans la participation des autres acteurs sur place,
l'ANDE a finalement opté en 1995 pour une meilleure prise en compte des
agriculteurs à travers la création d'« Associations
Eleveurs-Agriculteurs (AEA) » et la gestion conjointe de
l'espace agropastoral commun. Le principe de séparation physique des
activités d'élevage et d'agriculture a été
maintenu, ainsi que le principe d'attribution exclusive des espaces au compte
des groupements membres de l'AEA. La différence par rapport aux ZAGROP
est que la gestion comprend à la fois les zones agricoles et pastorales
et s'opère désormais de manière conjointe entre les deux
communautés. En outre, l'approche vise la définition des
conditions techniques et institutionnelles par les adhérents
eux-mêmes et non par quelques responsables. Au-delà de l'aspect de
gestion durable, les AEA ont pour mission de régler les conflits entre
les deux groupes (dévastation des champs, tueries de bétail
etc.).
L'approche a été promue par le programme CEASAP
dans le cadre du PDEGP. Suite aux mutineries successives et les
difficultés associées à la gestion du projet, les
décaissements ont été arrêtés en 1997. De ce
fait, seuls trois AEA ont pu être créées, dont une dans
l'Est, une dans l'Ouest, et une au Centre.
Face aux contestations grandissantes par rapport à la
présence des éleveurs dans certaines zones, de nos jours,
c'est la recherche des titres fonciers par des initiatives individuelles
(groupements), qui prend de plus en plus de l'ampleur. Cette pratique,
qui constitue la principale solution préconisée
par certains éleveurs, est notamment observable dans les zones
forestières. Elle se heurte cependant à des grandes
difficultés administratives et des coûts importants liés
à l'acceptation du principe par les populations autochtones.
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