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La gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la commune de Navaka en République Centrafricaine

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par Alain Guy Ghislain GOTHARD
ESD Bangui -  2012
  

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II. Structuration de l'espace agropastorale en Centrafrique

Depuis le temps colonial, l'Etat centrafricain a développé des stratégies pour la structuration de l'espace agropastoral. Elle s'est notamment traduite en une politique de zonage, qui consistait en une définition explicite de secteurs réservés pour la pâture et d'autres pour l'agriculture, partant de l'hypothèse que le meilleur moyen pour le développement harmonieux de ces deux activités serait leur séparation physique. Successivement, plusieurs campagnes de délimitations furent menées, en commençant avec l'expérimentation du Dr. Desrotour en 1968 dans l'Ouest centrafricain. La reforme agraire et foncière des années 1970 a permis de diviser en secteurs quasiment l'ensemble des territoires touchés par l'élevage au Centre et à l'Ouest.

Ces dispositions anciennes furent renforcées dans les années 8026. Plusieurs projets d'appui au secteur de l'élevage qui se sont succédé, avaient fait de la désignation et du développement des zones d'élevage un axe central de leur intervention27. Au départ, les communes d'élevage ont servi de base pour le développement de cette politique. Le zonage renferme également des zones mixtes, désignées zones de transhumance pendant la saison sèche, ainsi qu'un réseau de couloirs de passage reliant les zones pastorales entre elles et assurant les passages vers les territoires voisins.

26

Cf. p.ex. Procès verbal de la délimitation des différentes zones de culture et d'élevage du 20.6.1986, Inspection agricole de la

Nana-Mambere

27 Projet Développement Elevage Ouest (1980 - 1986), cofinancé par l'IDA, le FIDA, la France et la CEE, puis le Projet National de développement de l'Elevage (PNDE, 1986-1992), cofinancement FED, IDA/FIDA et FAC

Les motifs sous-jacents de cette politique visaient une certaine sédentarisation des éleveurs et la création d'une base foncière pour la gestion rationnelle des parcours. A cet effet, des unités de parcours dites « interfleuves » devaient être recensées et classifiées, afin d'y gérer la présence des éleveurs, organisés en « Groupements d'Intérêt Pastoral (GIP) ». En fonction de l'évolution des pâturages, ils devaient transhumer entre les différentes unités de parcours. Un vaste réseau de pistes a été construit, devant permettre au service de l'élevage d'observer l'évolution des pâturages et d'organiser les mouvements28.

Une des principales faiblesses de cette tentative de formalisation du zonage associée à une gestion rotative des parcours, était le fait que celle-ci aurait été plus ou moins imposée par le haut et jamais correctement négociée avec les populations autochtones résidant dans les villages. D'autre part, l'initiative visant à « instaurer une gestion communautaire disciplinée de l'espace selon les prescriptions des pastoralistes »29 s'est avérée largement incompatible avec la logique pastorale à base de décisions individuelles des Peuhl Mbororo30.

Ces conclusions, puis le processus dramatique de dégradation des savanes pastorales ont amené l'Etat centrafricain et les projets d'élevage de faire évoluer les conceptions. Il en a résulté la définition des « Zones d'Action Agropastorales (ZAGROP) », approche qui s'apparente à celle de la « gestion des terroirs »31 et qui réduit les interventions à une échelle plus limitée et maîtrisable. L'approche

28 BOUTRAIS., J., Des Peul en savanes humides. Développement pastoral dans l`Ouest Centrafricain

ème

29

Rapport 2 semestre 1983 du Sous projet Agropastoral dans la commune d'élevage de l'Ombella Mpoko

30

BEHNKE, R., SCOONES, I, 1993, Rethinking Range Ecologie, BOUTRAIS, ouvrage cité

31

ANKOGUI-MPOKO, G., F., Sociétés rurales, territoires et gestion de l'espace en RCA. La difficile intégration de l'élevage et

de l'agriculture au nord-est de Bambari.

consistait en la délimitation des zones d'une superficie d'un maximum de 50 000 à 100 000 ha, devant être prioritairement implantées dans des zones sociologiquement homogènes à majorité d'éleveurs. Elle impliquait l'affectation aux éleveurs d'un titre foncier sur cet espace, consacré par des décrets présidentiels, puis le plein droit de la nationalité centrafricaine. L'idée était d'une part, de garantir aux éleveurs l'utilisation définitive des pâturages délimités, sans que cette utilisation soit remise en cause sous la pression agricole et d'autre part, faire en sorte que les éleveurs y jouissent d'un droit d'exploitation exclusif, c'est-àdire qu'ils puissent refuser l'accès à des tierces parties (transhumants externes). Ceci pour pouvoir mettre en oeuvre un schéma de gestion rationnelle, impliquant mises en défens, ainsi que pour minimiser la propagation de maladies.

Au total, cinq ZAGROP ont été créées, plusieurs autres sont restées à l'étape d'étude, du fait de certaines lourdeurs administratives et de manque de financement32. Aujourd'hui, seulement deux ZAGROP semblent encore être fonctionnelles.

II.1. ZAGROP33

La mise en place des ZAGROP n'a pas non plus suivi des étapes préalables de négociation, les agriculteurs n'ont été impliqués qu'à la dernière minute, ce qui explique les contestations fréquentes. Suite aux difficultés auxquelles se sont heurtées les ZAGROP, l'ANDE a promu dans les années 90 la création d' « Unités Pastorales (UP) », basées sur les groupements d'éleveurs plus restreints. Les UP devraient comprendre quatre ou cinq familles d'éleveurs d'une même lignée, possédant 300 - 500 têtes, et un territoire de 2 500 à 5 000 hectares, sur lesquels

32

Le PNDE avait prévu de mettre en place jusqu'à 18 ZAGROP

PICARD, J., MODIBO., W., C., MBAIKI, L., ARDITI., C., Etude socio-économique des éleveurs Peuls de Centrafrique

33

Source : BEREKOUTOU, M., Exposé sur les ZAGROP, 1991

celles-ci étaient censées d'opérer un système de rotation (puis de respecter une charge ne dépassant pas 6 ha/UBT). L'approche, qui est davantage basée sur une appropriation foncière d'un espace pastoral par des éleveurs, souvent à titre de subdivisions de ZA-GROP, s'est également heurtée à plusieurs problèmes techniques et organisationnels, notamment le risque d'appropriation de celles-ci par certains grands propriétaires de bétail. Sa mise en oeuvre s'est limitée à l'officialisation seulement de deux UPs.

A partir du constat qu'aucune gestion durable de l'espace ne pouvait réussir sans la participation des autres acteurs sur place, l'ANDE a finalement opté en 1995 pour une meilleure prise en compte des agriculteurs à travers la création d'« Associations Eleveurs-Agriculteurs (AEA) » et la gestion conjointe de l'espace agropastoral commun. Le principe de séparation physique des activités d'élevage et d'agriculture a été maintenu, ainsi que le principe d'attribution exclusive des espaces au compte des groupements membres de l'AEA. La différence par rapport aux ZAGROP est que la gestion comprend à la fois les zones agricoles et pastorales et s'opère désormais de manière conjointe entre les deux communautés. En outre, l'approche vise la définition des conditions techniques et institutionnelles par les adhérents eux-mêmes et non par quelques responsables. Au-delà de l'aspect de gestion durable, les AEA ont pour mission de régler les conflits entre les deux groupes (dévastation des champs, tueries de bétail etc.).

L'approche a été promue par le programme CEASAP dans le cadre du PDEGP. Suite aux mutineries successives et les difficultés associées à la gestion du projet, les décaissements ont été arrêtés en 1997. De ce fait, seuls trois AEA ont pu être créées, dont une dans l'Est, une dans l'Ouest, et une au Centre.

Face aux contestations grandissantes par rapport à la présence des éleveurs dans
certaines zones, de nos jours, c'est la recherche des titres fonciers par des initiatives
individuelles (groupements), qui prend de plus en plus de l'ampleur. Cette pratique,

qui constitue la principale solution préconisée par certains éleveurs, est notamment observable dans les zones forestières. Elle se heurte cependant à des grandes difficultés administratives et des coûts importants liés à l'acceptation du principe par les populations autochtones.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote