III. Gestion consensuelle et
décentralisée de l'espace agropastoral
Rappelons les principes-maîtres de la politique
centrafricaine en matière de gestion de l'espace : (i) Zonage en
portions de l'espace exclusivement affectées soit à l'agriculture
soit à l'élevage, (ii) sédentarisation des
éleveurs, (iii) appropriation et utilisation exclusive des espaces
pastoraux délimités au profit des groupements
d'intérêt pastoral, moyennant le respect d'un cahier de charges,
(iv) rotation des pâturages, et (v) réglementation de la
transhumance. Ces éléments de politique sont, dans leur fonds,
restés plus au moins inchangés depuis le temps colonial, bien
qu'ils aient été traduits par les interventions successives en
modèles selon différentes facettes : le modèle des
communes d'élevage, les ZAGROP, les UP, les AEA. Ces interventions se
sont, peut être à l'exception des associations
agriculteurs-éleveurs, plus au moins soldées par des
échecs. Certains paramètres se sont révélés
impossibles, voire irréalistes, puis se sont avérés
incompatibles avec les pratiques pastorales. Parfois les dispositions mises en
place ont même été la source structurelle de conflits. Il
convient donc de mener une réflexion approfondie sur les conditions qui
permettront d'aboutir à des dispositions de gestion plus souples et
acceptables pour les deux parties, et de ce fait plus viables dans la
durée.
III.1. Concepts de zonage en RCA
Globalement vu, le zonage de l'espace agropastoral et la
désignation des espaces exclusivement réservés à
l'élevage reste une stratégie importante à la fois pour la
sécurisation des activités pastorales et pour la
prévention des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Dans bon
nombre des zones en Afrique où les deux activités se rencontrent,
l'approche de zonage s'est avérée un passage obligé dans
la recherche d'un consensus autour du partage de l'espace, bien que selon des
facettes et des degrés de réussite différentes.
D'une perspective strictement pastorale, l'utilité du
zonage se manifeste notamment en saison des pluies, pendant le cycle
végétatif des cultures pluviales. L'existence des espaces
complètement libres d'implantation de champs est une condition
nécessaire pour assurer une alimentation rationnelle, libre de tout
stress, et pour ainsi atteindre les paramètres zootechniques
souhaités. En même temps, l'existence de ces espaces garantit que
le bétail reste, pendant cette période, à l'écart
des zones de cultures, pouvant ainsi permettre à celles-ci de finir leur
cycle sans perturbations en termes de dégâts par le
bétail.
En saison sèche le problème se pose un peu
différemment. Les animaux sont attirés aussi par les zones
agricoles, du fait des réserves pastorales dans les bas-fonds, de
l'accès aux points d'eau permanents, le pâturage
post-récolte des champs, etc.. En Centrafrique, c'est la culture
pluriannuelle du manioc qui s'oppose à l'ouverture des zones agricoles
aux troupeaux pendant la saison sèche.
Dans bon nombre de zones agro-écologiques africaines
comparables à celles de la Centrafrique, les dynamiques
démographiques puis celles liées au développement des
cultures de rente ont occasionné, dans un contexte d'inexistence de
dispositions de zonage, un morcellement plus au moins
généralisé de l'espace, qui rend l'activité
pastorale quasiment impossible. Dans le contexte du Sud-ouest burkinabé
par exemple, la conjugaison entre le développement des cultures de rente
et la migration agricole des zones plus au nord a occasionné le
départ d'une grande partie des troupeaux vers la Côte d'Ivoire et
plus récemment vers le Ghana, suite aux conflits sanglants dus à
des cas de dégâts des champs. L'existence des
dispositions anciennes en termes de zonage en Centrafrique est donc un
acquis important, qu'il s'agit de préserver.
III.1.2. Assouplir les concepts de zonage
Il convient cependant de revoir les modalités de zonage
et d'impliquer plus systématiquement les populations concernées
(agriculteurs et éleveurs) au processus, de préférence les
laisser eux-mêmes, de manière conjointe, développer les
critères de délimitation. Cette approche permet d'aboutir
à des zonages plus fonctionnels, qui pourra tenir compte d'un ensemble
de critères auparavant peu considérés comme les besoins
futurs en terres fertiles, l'accès à des points d'eau permanents,
les mises en défens nécessaires liés à la
dégradation des pâturages, etc. L'approche utilisée dans le
cadre de l'AEA de Didango Mandjo semble plus au moins répondre à
cette exigence.
Afin de pallier les problèmes des champs pièges
le long des couloirs de passage, la délimitation et le
balisage de ces couloirs créeraient des situations moins ambiguës,
rendant cette pratique plus difficile. Quant à l'utilisation des zones
agricoles en saison sèche par le bétail, les règles
à mettre en place pourraient être conçues de manière
plus souple. Bon nombre d'éleveurs nous ont confirmé lors de
notre tournée, que lorsque les bases de partage de l'espace entre
éleveurs et agriculteurs sont saines et qu'il existe des règles
conjointement convenues et réciproquement respectées,
l'écartement des troupeaux des champs pérennes pose beaucoup
moins de problèmes. Pour les cultures de manioc, la confection de
clôtures, une pratique répandue à travers
toute l'Afrique, est une solution à envisager pour réduire les
risques de divagation. Au cas où cette possibilité
d'accéder à la zone agricole serait accordée aux
éleveurs, il serait cependant important qu'un dispositif de concertation
sur les dates d'ouverture et de fermeture soit convenu.
RECOMMANDATION
La réussite des plans de communication et de
sensibilisations suggérées dépend d'un ensemble de
conditions préalables, qui nécessitent un appui de la part du
gouvernement et d'autres parties concernées. Pour ce faire les
recommandations suivantes pourraient être mises en oeuvre:
Sur le plan communication, information et
sensibilisation:
Organisation d'une rencontre pour harmoniser les textes sur le
foncier grâce à un consensus national entre Etat,
Collectivités locales, organisations paysannes, autorités
coutumières et religieuses, société civile etc..).
* Tenue d'un débat sur le foncier et la
sécurisation foncière en vue de l'élaboration d'une
politique de migration.
* appui à la création d'un mécanisme
permanent de prévention et de gestion des conflits entre agriculteurs et
éleveurs à travers la mise en place d'un cadre spécial de
concertation permanente (au niveau village, département, commune),
impliquant les responsables coutumiers et religieux.
Ce mécanisme aura pour objectifs d'une part, la
sensibilisation et la promotion de la communication entre les
différentes communautés et d'autre part, la prévention et
la gestion des différends qui pourraient survenir entre agriculteurs et
éleveurs. Ce cadre jouera le rôle d'interface entre les
communautés et la justice.
La structure pourra mener des activités de
prévention et de règlement des conflits avant, pendant et
après les saisons pluvieuses à travers des sorties de
sensibilisation.
* sensibilisation et implication des responsables coutumiers
aux différentes activités sur le terrain, prenant en compte leur
influence, respect dont ils jouissent sur le terrain dans le monde rural. Il
importe, à ce titre, de valoriser
les mécanismes traditionnels de gestion des conflits en
confiant des responsabilités aux responsables coutumiers. L'organisation
d'ateliers de formation sur la gestion des conflits pourrait renforcer leurs
capacités dans la prévention et la gestion des conflits.
* valorisation des solutions locales traditionnelles ou nouvelles
de préservation, de gestion et de contrôle des ressources
naturelles.
Elaboration et mise en place d'un plaidoyer auprès des
autorités politiques et administratives en vue de l'adoption
d'instruments juridiques souples et adaptés au contexte, à
l'évolution de l'élevage et à la gestion des ressources
naturelles sur le plan national.
* Le renforcement du partenariat avec les radios
communautaires existantes grâce à la création et à
l'animation de programmes intégrés de communication et de
sensibilisation adaptés aux réalités
socio-économiques de chaque région. Ces programmes d'animation et
de sensibilisation doivent également être menés de
manière à fédérer toutes les
sensibilités.
* organisation et renforcement de l'IEC/CCC à travers
les prestations de troupes de théâtres, organisations à
base communautaire qui se distinguent par leur grande capacité
organisationnelle, infrastructurelle et surtout par leur grande
expérience en matière de mobilisation et de sensibilisation
communautaire.
* renforcement de la création et de la diffusion
d'outils d'animation et de sensibilisation culturellement adaptés
à la prévention et à la gestion des conflits (boîtes
à images, affiches, fascicules, films vidéo, scènes de
théâtre filmées dans les principales langues
nationales).
* organisation périodique de fora regroupant tous les
intervenants en matière de gestion des ressources naturelles
(agriculteurs, éleveurs, services techniques, administration,
sécurité, responsables coutumiers).
* traduction dans les principales langues nationales et large
diffusion des différents textes relatifs au pastoralisme en direction de
l'ensemble des producteurs (agriculteurs, éleveurs, etc.).
* sensibilisation des populations, pour éviter la
pratique de « l'auto justice ».
* institution de séances d'éducation et de
sensibilisation au profit des élèves en matière de gestion
des ressources naturelles, de cohabitation inter communautaire et de
prévention des conflits
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