2.2. Les théories du crédit
Il n'y a pas vraiment une théorie traitant les
bons BRH et le crédit, plus haut nous avons pris le soin de
présenter deux approches fondamentales de la politique monétaire
ayant rapport avec le crédit. Dans cette sous-section nous aurons
à présenter des théories élaborées sur le
concept crédit.
2.2.1. La répression financière
McKinnon et Shaw (1973) développèrent un
cadre d'analyse dont la repression financiere constitue la toile de
fond. Selon ces deux auteurs, l'intervention des pouvoirs publics dans le
fonctionnement du marché financier conduit à un
découragement de l'épargne, un rationnement du crédit et
l'affectation non optimale des ressources. Si l'État fixe arbitrairement
les taux d'intérêt réels (à travers la fixation des
taux d'intérêt nominaux) au-dessous de leurs valeurs
d'équilibre de marché, il réduit la croissance
économique dans la mesure où :
- Cela réduit la quantité de fonds
disponibles (crédit) pour l'investissement via la baisse
des dépôts bancaires ;
- Cela affecte la qualité de l'investissement par
la modification de comportement des intermédiaires
financiers.
L'analyse de McKinnon et Shaw vise donc à montrer
que, dans le cadre d'une économie réprimée
financièrement, la fixation des taux au-dessous de leur valeur
d'équilibre :
n réduit l'épargne (baisse des
dépôts bancaires) au profit de la consommation
courante;
n fixe l'investissement au-dessous de son niveau
optimal;
n détériore la qualité de
l'investissement réalisé dans la mesure où les banques
sont forcées par le gouvernement de financer des projets à
faibles rendements (secteurs prioritaires...).
Dans ce contexte, libérer le secteur financier,
principalement, réviser le niveau des taux d'intérêt
réels servis sur les dépôts (par une augmentation des taux
nominaux ou par une baisse de l'inflation) stimulera l'accumulation de
l'épargne, une augmentation des fonds prêtables (crédit) et
donc permettre la croissance de l'investissement.
L'approche de McKinnon et Shaw conclut donc,
invariablement, à souligner le caractère néfaste de la
répression financière sur l'investissement via le crédit.
Au contraire, la liberalisation financiere, parce qu'elle permettrait
le développement financier, serait à même
d'accélérer le développement
économique.
2.2.2. Les imperfections des marchés
financiers
L'approche de McKinnon et Shaw sur libéralisation
financière portant sur le fait que le marché du crédit est
purement concurrentiel et donc qu'il ne peut exister de rationnement
lorsque
les taux d'intérêt sont fixés
à leur niveau d'équilibre. Stiglitz et Weiss (1981) furent l'un
des premiers auteurs à montrer que la remise en cause de cette
hypothèse compte tenu du déséquilibre structurel des
marchés financiers serait la cause de l'échec des politiques de
libéralisation financière. Les marchés financiers ne sont
pas aussi parfaits que l'estimerait l'approche développée par Mac
Kinnon et Shaw. Ils sont des marchés particuliers et non comparables
avec le marché des biens et services par exemple pour répondre
à l'ironique question de Diaz Alejandro (1985, p. 2) : Are
banks special, and really all that different from butcher shop ?
Sur les marchés financiers, les crédits sont
échangés contre des promesses futures de remboursement. Le
non-respect de cette promesse accroît le risque lié à
l'emprunt.
Stiglitz et Weiss (1981) montrent que
l'espérance de rendement de la banque croît moins vite que le taux
d'intérêt. De ce fait, il n'y a pas de mécanismes
compétitifs qui puissent établir l'égalité entre
l'offre et la demande de fonds prêtables et le crédit sera en
permanence rationné puisque l'offre de fonds prêtables est
fonction de l'espérance de rendement tandis que la demande dépend
du taux d'intérêt. Le taux d'intérêt qui maximise le
profit de la banque est inférieur au taux d'intérêt
d'équilibre et par conséquent, certains emprunteurs seront
rationnés. En effet, les banques sont préoccupées par les
intérêts du prêt, mais aussi le niveau de risque encouru.
Ainsi, le taux d'intérêt fixé par la banque peut affecter
le risque global qu'elle encoure soit par l'effet de sélection adverse
qui se traduit par l'exclusion des emprunteurs potentiels ou soit par l'effet
d'incitation. Ces deux effets liés aux problèmes
d'asymétrie d'information sur les marchés financiers sont
résolus par les banques selon Stiglitz et Weiss (1981) en rationnant
à chaque date certains agents même si ces derniers sont
prêts à payer des taux d'intérêt plus
élevés. Les banques ne feront donc pas de crédit puisque
la probabilité de défaut associée aux nouveaux prêts
est élevée.
Bien que le rationnement de crédit à la
Stiglitz-Weiss (1981) soit une illustration pratique des problèmes
d'asymétrie d'information sur le marché financier, son existence
(du rationnement) semble être un phénomène
intrinsèque au fonctionnement du secteur financier selon les auteurs. En
effet, Bester (1985) propose une solution aux problèmes de rationnement
de crédit en permettant aux banques d'utiliser de façon
compétitive le taux d'intérêt et les garanties pour
sélectionner les emprunteurs ; ce qui n'est pas le cas chez Stiglitz et
Weiss où le rationnement se fait en fonction du taux
d'intérêt qui maximise le profit de la banque. De façon
spécifique, les
emprunteurs moins risqués acceptent des
garanties élevées contre des taux d'intérêt faibles.
Aussi les banques peuvent utiliser les collatéraux pour permettre aux
entrepreneurs non risqués de se révéler.
L'équilibre de rationnement est souvent mélangeant (le cas de
Stiglitz et Weiss, 1981), alors que le mécanisme d'auto-sélection
proposé par Bester (1985) à travers les garanties11 et
le taux d'intérêt permet à la banque de sélectionner
le bon risque du mauvais, et d'obtenir un équilibre séparateur
sans rationnement de crédit12.
Par contre, Hellwig (1987) montre qu'une
légère modification dans la séquence des jeux peut avoir
des implications majeures en ce qui concerne l'équilibre de Bester.
Hellwig considère un jeu à deux étapes de Rothschild et
Stiglitz (1976) et Wilson (1977) dans un modèle comparable à
celui de Bester, où dans un premier temps la partie non informée
(les banques) offrent des contrats de dettes aux emprunteurs, qui choisissent
parmi les offres disponibles dans un second temps. Les résultats obtenus
montrent que le seul candidat pour l'équilibre séquentiel dans
des stratégies pures de cette mise en oeuvre est l'équilibre
séparateur de Bester (1985). Cependant, si la proportion des
bons risques dans la population est
élevée, l'équilibre séparateur n'est pas Pareto
optimal par rapport à l'équilibre mélangeant. Hellwig
(1987) étend le processus à un jeu à trois étapes,
et montre que si dans un premier temps les banques annoncent leur
préférence en ce qui concerne les taux d'intérêt,
l'équilibre mélangeant domine l'équilibre
séparateur13. Ainsi, l'équilibre de rationnement de
Stiglitz et Weiss peut persister malgré l'existence d'un
mécanisme séquentiel de sélection du risque.
L'asymétrie d'information sur le marché
peut avoir d'autres conséquences que le rationnement de crédit
comme l'évoquent les auteurs précédents. Une contribution
intéressante a été réalisée par De Meza et
Webb (1987), qui va dans ce sens. Les deux auteurs construisent un
11 Il serait
intéressant de faire remarquer qu'il y a une hypothèse
sous-jacente au modèle de Bester (1985), qui est que les bons risques
disposent de fortes garanties. Cette hypothèse, propre à tous les
modèles avec collatéraux est discutable.
12 Toutefois, étant
donné que le niveau de taux d'intérêt débiteur ne
peut être infini tout comme la richesse des individus
(collatéraux), il subsiste des situations pour lesquelles les contrats
incitatifs séparateurs cessent d'être optimaux (Deshons et
Freixas, 1987).
13
Par contre lorsque la séquence de
révélation des préférences est inversée
entre les entrepreneurs et la banque dans le modèle de Hellwig (1987),
c'est-à-dire que les entrepreneurs annoncent le montant de garantie
qu'elles sont prêtes à offrir dans un premier temps ; dans un
deuxième temps, compte tenu des garanties offertes par les
entrepreneurs, les banques annoncent le niveau de taux d'intérêt.
Enfin dans l'étape 3, les entrepreneurs choisissent parmi les contrats
compétitifs. Dans ce jeu, l'équilibre séquentiel est
l'équilibre séparateur.
modèle, où l'asymétrie
d'information entre prêteurs et emprunteurs n'entraîne pas le
rationnement de crédit, mais conduit à un excès
d'investissement par rapport à son niveau socialement admissible. La
différence fondamentale entre le modèle de De Meza et Webb et
celui de Stiglitz et Weiss (1981), est que la rentabilité moyenne des
projets varie dans le premier, alors qu'elle est constante dans le second.
Aussi, contrairement à Stiglitz et Weiss (1981), dans le modèle
de De Meza et Webb, les taux d'intérêt élevés
n'attirent pas les mauvais risques. Par conséquent, ce n'est pas
l'asymétrie d'information qui conduit au rationnement du crédit
dans le modèle de Stiglitz et Weiss (1981) selon De Meza et Webb, mais
plutôt la nature du contrat de dette comme le suggère
également Williamson (1986, 1987).
Cho (1986) réalise une contribution alternative
qui justifie en partie l'échec des politiques de libéralisation
financière en prenant en compte les imperfections des marchés
financiers sans faire référence au rationnement du crédit
à la Stiglitz et Weiss (1981). En effet, il estime que l'échec
des politiques de libéralisation financière est surtout
lié à l'inefficience des marchés boursiers. Cho (1986)
avance que le déficit économique à lui seul ne saurait
expliquer les politiques de répression financière, mais
plutôt le faible niveau de développement, les problèmes
structurels, les imperfections du marché boursier et la
prépondérance des prêts bancaires dans le financement des
entreprises. Il identifie 2 types de contraintes sur le marché du
crédit où différents taux d'intérêt peuvent
s'établir suivant les caractéristiques des emprunteurs : les
contraintes exogènes qui sont d'ordre légal ou institutionnel,
comme le plafonnement des taux d'intérêt ; les contraintes
endogènes liées aux coûts de l'information qui permettent
d'appréhender le risque de chaque client. Pour Cho (1986), même si
la libéralisation bancaire supprime le plafonnement des taux
d'intérêt et assure la compétitivité bancaire,
l'amélioration de l'efficience de l'allocation du capital n'est pas
garantie si les contraintes informationnelles ne sont pas levées. Ces
imperfections au niveau du système d'information peuvent faire que
l'espérance de rendement du prêt octroyé par la banque
à une entreprise i peut être
supérieure à celle d'une entreprise j,
malgré que l'entreprise j soit plus productive
que l'entreprise i. Cho (1986) conclut qu'en absence
de marché boursier, si le gouvernement n'est pas corrompu et a le
même niveau d'information que les agents économiques, il pourrait
accroître l'efficience de l'allocation du crédit en obligeant les
banques à emprunter aux groupes d'entrepreneurs rationnés. Mankiw
(1986), montre aussi que l'inefficience dans les mécanismes d'allocation
du crédit sur le marché financier due au fait que les emprunteurs
ont plus d'information sur leur risque que les prêteurs,
peut être améliorée par
l'intervention de l'Etat. Il fustige les augmentations de taux
d'intérêt liées à la libéralisation
financière en avançant que de faibles variations du taux sans
risque peuvent entraîner de grandes modifications dans la prise du
risque, dans l'allocation du crédit et dans l'efficience de
l'équilibre du marché. Enfin, Mankiw (1986) suggère que
les marchés financiers ne peuvent pas fonctionner de façon libre
comme le préconisent certains auteurs et que l'intervention de l'Etat
est très importante, surtout pour assumer la fonction de prêteur
en dernier ressort.
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