2.4. Les théories sur la modélisation VAR
Pourquoi les modèles VAR ? D'où
viennent-ils ?
Le corps principal de la plupart des ouvrages en
économétrie est consacré aux modèles de
régressions à équation unique et les méthodes de
régression à équations simultanées. Pour illustrer
le premier type de modèle, on peut imaginer la fonction de demande
d'automobiles. Si l'on se base sur la théorie économique, on
admet que la demande d'automobiles est une fonction de leur prix, des
dépenses publicitaires, du revenu du consommateur, du taux
d'intérêt et d'autres variables pertinentes (par exemple la taille
de la famille, la distance du lieu de travail, etc.). À partir de
séries chronologiques, on estime un modèle approprié de la
demande d'automobiles, qui peut servir à la prévision de la
demande d'automobiles pour le futur. Les seconds modèles, à
leur
15 Professeur
d'économie à l'Université Paris-Nord.
apogée pendant les années 60 et 70, des
modèles élaborés de l'économie américaine
basés sur les équations simultanées dominèrent la
prévision économétrique. Depuis lors, la séduction
de tels modèles s'est tassée en raison de leurs faibles
performances, particulièrement depuis les chocs pétroliers de
1973 et 1979, dus aux embargos de l'OPEP et aussi en raison des critiques de
Granger-Sims et de Lucas.
Les modèles à séries temporelles
multivariées et plus particulièrement les modèles VAR
(modèle autorégressif vectoriel : Vector
Autoregressive)16 sont maintenant reconnus pour fournir une
alternative aux modèles économiques structurels17. Il
est aussi vrai que la théorie économique n'est pas toujours
suffisante pour déterminer la spécification correcte entre les
variables et dans ce cas, il faut en quelques sortes laisser les
données, et non pas le théoricien, déterminer la structure
dynamique du modèle, voir le nombre optimal des variables
retardées. C'est exactement l'idée soutenue par les
modèles VAR qui sont des modèles très utiles et ont
été introduits par Sims (1980) comme formulation alternative aux
modèles traditionnels structurels à plusieurs équations.
Par contre, on entend par modèle structurel, une formalisation
théorique du fonctionnement de l'économie où chaque
équation du modèle permet de donner des interprétations
causales et où le modèle, dans son ensemble, représente
une version testable de la théorie économique (par exemple, les
deux modèles évoqués plus haut). Cependant, comme nous
l'avons déjà mentionné, les perturbations
économiques des années 70 (crises pétrolières,
récession mondiale, ...) ont invalidé les prévisions
délivrées par les modèles
macroéconométriques). Ceux-ci ont nécessité de
perpétuelles ré-spécifications et ré-estimations.
Ce phénomène s'est accompagné d'un nombre croissant de
travaux qui montraient le faible pouvoir prédictif des modèles
structurels par rapport à celui des modèles
univariés.
Les trois plus célèbres articles qui ont
rejeté l'approche conventionnelle des modèles structurels sont
ceux de Granger (1969), Sims (1980) et Lucas (1976).
16
Les VAR sont souvent considérés comme des
modélisations athéoriques dans lesquelles le modélisateur
peut se passer de toute théorie économique pour modéliser
le comportement dynamique de variables économiques.
17 Peu après leur
apparition, certains (Sims, 1980) et Litterman (1979, 1986) pensaient que les
VAR seraient plus performants pour faire de la prévision que les
modèles à équations structurelles (Greene, 2005 ; p.
568)
Ces auteurs18 réfutaient
l'idée que les relations économiques sont réellement
gouvernées par la simultanéité. Ils refusaient
d'introduire le concept de variables exogènes dans leurs travaux. Cette
stratégie les amenait à n'utiliser essentiellement que des
équations linéaires aux différences, à ne pas
insister sur des tests d'hypothèses économiques et à
s'intéresser plutôt aux problèmes de
prévision.
2.4.1. La critique de Lucas (1976)
Les équations d'inspiration keynésienne
décrivaient un modèle structurel de décisions
(consommation, investissement...) qui ne reposaient pas sur des
hypothèses réalistes de comportement individuel. L'inflation et
le chômage très élevé des années 70
s'inséraient très mal dans un cadre théorique
keynésien. Du point de vue du paradigme sous-jacent, la critique la plus
gênante faite aux modèles structurels est celle de Lucas (1976),
qui avance l'idée que les paramètres des « règles de
décision » contenus dans les systèmes d'équations
structurelles sont modifiées par un changement de politique
économique, même-si les règles elles-mêmes sont
parfaitement appropriées.
Selon la critique de Lucas (1976), les principales
équations de comportement des modèles
macroéconométriques ne sont en fait que des formes
réduites, dont les paramètres ne sont pas invariants à la
forme de la politique économique. Tant que ces modèles sont
utilisés pour effectuer des exercices de prévision, leur
utilisation n'est pas forcément remise en cause. En revanche, ils ne
peuvent en aucun cas être utilisés pour analyser des
multiplicateurs liés à la politique économique. Ainsi,
pour Lucas et Sargent (1979), une telle analyse ne peut s'effectuer qu'en
abandonnant ce cadre au profit d'une modélisation structurelle
cohérente et de la détermination explicite des formes
réduites compatibles avec un ensemble de restrictions associées
aux conditions d'équilibre et aux schémas
d'anticipation.
18
Mais Granger, Sims et Lucas ne sont que des
successeurs d'économètres qui, dans les années 60-70, ont
voulu développer « l'ingénierie sociale ».
Déjà Kendall (1960) avait produit une sorte de manifeste
prônant l'étude des systèmes de rétro-contrôle
comme l'analyse la plus fructueuse des problèmes de politique
économique. La justification de cette approche était l'analogie
du fonctionnement de l'économie à un servo-mécanisme. Box
et Jenkins (1976) ont largement représenté le point culminant de
ce type de travaux sur les séries univariées. Le
développement du contrôle optimal dans les années 60 a
également orienté une génération
d'économètres vers le concept de l'ingénierie pour qui
l'estimation structurelle était une désillusion.
En clair, Lucas a mentionné que les relations
existantes entre les variables économiques peuvent changer lorsque la
politique économique varie, auquel cas les paramètres
estimés d'un modèle de régression seront de peu
d'utilité pour la prévision : les paramètres
estimés d'un modèle économétrique dépendent
de la politique appliquée au moment de l'estimation du modèle et
se modifieront si la politique change. En bref, les paramètres ne sont
pas stables lorsque la politique économique varie. Par exemple, en
octobre 1979, le FED modifie spectaculairement sa politique monétaire.
Au lieu d'avoir pour objectif principal la fixation du taux
d'intérêt, il annonça que désormais il
contrôlerait la croissance de la masse monétaire. Face à un
changement si prononcé, un modèle économétrique
estimé à partir de données passées n'aurait que peu
de valeur face à la nouvelle politique.
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