A- Rationnement du crédit et conditions « hors
Prix » : l'analyse de Modigliani et
Jaffee
D.M. Jaffee et F. Modigliani ont les premiers
présenté une analyse du comportement du rationnement du
crédit par les banques. Ils le définissent comme « la
situation dans laquelle la demande de crédit commercial excède
l'offre de ces crédits au taux d'intérêt commercial
pratiqué par les banques ». Le prix, le taux d'intérêt
n'équilibre donc pas l'offre et la demande sans que cela puisse
être attribué à une pratique d'administration du
marché par les pouvoirs publics.
Cette situation trouve son origine dans le
comportement des banques. Jaffee et Modigliani en proposent
l'interprétation suivante. Les banques etablissent des
clivages au sein de leur clientele en fonction du risque qu'elle
represente. Elles aboutissent ainsi à
l'établissement de classes qui regroupent les clients à
l'égard desquels elles ont un comportement homogène et en
particulier à l'égard desquels elles pratiquent les mêmes
taux d'intérêt.
Mais les clients situés à
l'intérieur d'une même classe de taux d'intérêt
représentent pour les banques des risques différenciés. Il
est donc rationnel du point de vue de ces dernières de limiter leur
crédit aux clients à l'égard desquels elles pratiqueraient
un taux d'intérêt plus élevé, si les taux
étaient fixés en fonction de chaque cas particulier, et,
inversement de ne pas rationner
les clients pour lesquels une attribution individuelle
de crédit se ferait à un taux plus faible que celui de la classe
dont ils relèvent. Les banques ont une fonction d'offre
specifique pour chaque demandeur. La spécification de la
fonction d'offre s'opère au travers des conditions « hors prix
». Celles-ci concernent les conditions d'obtention du crédit :
échéances de remboursement, garanties hypothèque, ou
garantie sur le patrimoine personnel, apport personnel à
l'opération... Au travers des conditions hors prix les banques
sélectionnent leurs clients en posant des conditions d'accès
inégales en fonction du risque qu'elles estiment encourir.
Si les taux d'intérêt augmentent, le
degré de rationnement augmente. En effet, le risque de défaut
présenté par certains clients sera accru par
l'élévation de la charge d'intérêt. Le rationnement
portera donc plus fortement sur le demandeur de crédit
déjà rationné. L'incidence de l'aggravation du
rationnement sera donc très différente selon les
catégories de clients. Elle sera totalement évitée
à certains et beaucoup plus rigoureuses que ne l'indique l'observation
globale pour d'autres. Prise en compte de la part de marché, et
conditions hors prix se conjuguent pour défavoriser dans l'octroi du
crédit les petites entreprises par rapport aux firmes
importantes.
Ces pratiques microéconomiques de rationnement
peuvent être renforcées par la mise en oeuvre d'une politique
globale de limitation du crédit par la Banque centrale.
B- Rationnement du crédit en information
imparfaite : le modèle de Joseph Stiglitz et Andrew Weiss
(1981)14
Le modèle présenté par Stiglitz
et Weiss poursuit l'introduction de la notation d'asymétrie
d'information et de son application au marché du crédit. Le fait
stylisé à expliquer est le suivant : lorsque le niveau de risque
du débiteur augmente, les banques n'augmentent pas les taux
d'intérêt qu'elles exigent, mais préfèrent rationner
le crédit, c'est-à-dire refuser le prêt. Si le
marché fonctionne correctement, les agents qui demandent le bien et ceux
qui l'offrent gagneraient pourtant à une hausse du prix : les offreurs
d'une manière évidente, et les demandeurs car ils ne seraient
plus rationnés.
Pourquoi donc le taux d'intérêt n'agit-il
pas comme un prix habituel qui équilibre le marché, ici celui du
crédit ? Cela s'explique par l'existence d'une asymétrie
d'information : le
14 J. STIGLITZ ET A. WEISS
« Credit rationing in markets with imperfect information » The
American Economic Review, vol. 71, n°3, 1981, pp. 93-410.
débiteur connaît le risque du projet
qu'il entreprend (risque de sélection adverse) ou peut modifier sa prise
de risque (risque de hasard moral), alors que la banque ne peut que l'estimer.
L'augmentation du taux d'intérêt implique une hausse du
degré de risque couru par la banque car elle rend trop coûteux
pour l'entrepreneur les projets non risqués (qui rapportent moins). La
banque préfèrera alors ne pas accorder de crédit
plutôt que d'augmenter le coût du crédit.
Le modèle développé par Stiglitz
et Weiss incorpore donc à la fois l'argument de la sélection
adverse et celui du hasard moral. Les entrepreneurs prennent des
décisions plus risqués lorsque le taux d'intérêt
augmente et les projets moins risqués deviennent moins profitables au
fur et à mesure que le taux d'intérêt augmente.
La banque a de nombreux moyens pour affiner son
information et se couvrir, par exemple en exigeant des collatéraux, mais
cela n'élimine pas le rationnement du crédit.
1- Le credit comme situation d'information
imparfaite
Pourquoi le crédit est-il rationné ?
L'égalité entre l'offre et la demande sur un marché
demeure la principale représentation de l'équilibre
économique. Cette égalité se réalise grâce
à la flexibilité des prix, destinée à ajuster au
mieux l'offre et la demande. Si les prix faisaient leur travail, il ne pourrait
y avoir de situation de rationnement, puisque l'excès de demande d'un
bien serait immédiatement résorbé par une hausse du prix
du bien considéré. Le prix est en matière de crédit
le taux d'intérêt rémunérant les prêteurs
c'est-à-dire les banques. Le comportement des emprunteurs : les
entreprises, lie, selon ces auteurs, acceptation du taux d'intérêt
sur le crédit et évaluation de leur propre risque. Si
l'emprunteur anticipe un risque faible de défaut de remboursement de son
emprunt, il n'accepte pas un taux d'intérêt élevé.
Stiglitz et Weiss vont plus loin : un taux d'intérêt
élevé accroît l'attractivité des projets les plus
risqués pour les entreprises. Du point de vue de la banque, le taux de
remboursement anticipé est plus bas. Un niveau élevé des
taux d'intérêt conduit donc les emprunteurs à des choix
contraires aux intérêts des prêteurs.
Le taux de rendement du prêt anticipé par
la banque peut donc croître moins vite que le taux d'intérêt
et peut même décroître alors que ce dernier s'accroît.
Il existe un taux d'intérêt qui
maximise le rendement de la banque soit
t* ce taux.
Taux de rendement attendu par la banque
~^* Taux d'intérêt
Le Taux d'intéret optimum pour la banque
Il est concevable qu'au taux ~^* la demande de
crédit excède l'offre de crédit. Le mécanisme
d'ajustement attendu de l'offre et de la demande implique alors que les prix :
le taux d'intérêt s'élève sous la poussée de
la demande ? offre et demande s'équilibrent alors à des
quantités moindres pour un prix plus élevé. Ce taux
d'intérêt qui ajusterait offre et demande n'est pas le taux
d'intérêt optimum pour la banque. Compte tenu de son
appréciation sur les emprunts risqués qui lie le niveau du taux
d'intérêt et niveau de risque du projet, la banque ne
prêtera pas à
un demandeur qui accepte de payer plus que le taux
~^*. À ce taux pourraient s'ajouter les conditions hors prix notamment
des garanties sur les ressources à l'entreprise. Mais en accroissant les
conditions hors prix de ses prêts la banque diminuera l'aversion pour le
risque de ces emprunteurs et donc son propre taux de rendement.
Les emprunteurs n'obtiennent donc pas des prêts
même s'ils acceptent de payer un taux d'intérêt plus
élevé : il y a rationnement du crédit.
2- L'equilibre de rationnement
Par rapport à l'analyse traditionnelle de
détermination de l'équilibre sur le marché du
crédit le modèle de Stiglitz et Weiss ajoute une composante
à la détermination de l'équilibre : le taux de rendement
anticipé des crédits l'.
La demande de crédit est une fonction
décroissante du taux d'intérêt payé par les
emprunteurs. Soit Lo cette fonction.
L'offre de crédit Ls est fonction de ~^, taux
de rendement anticipé des crédits. Le modèle pose
l'hypothèse que ce taux est une fonction décroissante du risque
du crédit. L'offre de crédit ne dépend donc pas de la
même variable que la demande.
Ces conditions expliquent que le taux
d'intérêt rm auquel offre et demande s'égalisent
:
- ne soit pas optimal pour l'un des agents : les
banques
- ne soit pas une position d'équilibre
stable.
À ce taux les banques ne maximisent pas leur
profit. Les clients qui acceptent de payer ce taux sont des clients à
gros risque. À cet effet direct sur le risque des banques s'ajoute un
effet indirect : des clients sont évincés du marché parce
que le risque qu'ils anticipent quant à leur opération ne
justifie pas de payer ce taux :
Si chaque emprunteur, ou si chaque catégorie
d'emprunteur, a une distribution de rendement anticipé de son projet
è, Stiglitz et Weiss proposent de considérer que les emprunteurs
peuvent être répartis en deux (2) groupes :
- un groupe adverse au risque qui emprunte jusqu'à
un taux d'intérêt r1. - un groupe risqué qui emprunte
jusqu'à un taux d'intérêt r2.
ri. < r2
Soit ~ (~^) la fonction qui exprime la relation entre
la charge d'intérêt des emprunteurs et le taux de rendement
anticipé de la banque par dollar emprunté. La fonction ~ (~^)
n'est pas une fonction monotone parce que certains emprunteurs sortiront du
marché à un niveau de taux d'intérêt >
r1.
Au taux d'intérêt optimum ~^* la demande de
crédit excède l'offre d'un montant z
mais toute banque qui accroîtrait son taux
d'intérêt au-delà ~^* verrait diminuer son rendement par
dollar prêté. Tant que l'excès de demande
représenté par z, n'est pas satisfait le taux
d'intérêt pratiqué est ~^*.
Au niveau ~^* l'équilibre réalisé
est donc un équilibre de rationnement établi en fonction des
anticipations des banques sur les risques encourus par leurs clients et de la
relation opérée par les emprunteurs entre le risque de leur
projet et le taux d'intérêt qu'ils acceptent de payer.
L'analyse de Stiglitz et Weiss est importante à
plusieurs titres :
1- Elle éclaire par une démonstration
théorique formalisée (dont il a été proposé
ici une version aussi simplifiée que possible) le comportement de
rationnement des banques sur le marché du crédit en soulignant
l'importance de deux (2) variables essentielles : l'appréciation du
risque et l'anticipation de la rentabilité du projet.
2- Elle établit l'existence d'un
équilibre de rationnement en déterminant au niveau
micro-économique les raisons pour lesquelles les mécanismes
d'ajustement de l'offre et de la demande par le prix, ici le taux
d'intérêt ne jouent pas leur rôle.
3- Cette analyse a eu un impact important sur la
théorie économique en raison de ses implications sur une
hypothèse fondamentale de l'analyse économique : les prix
équilibrent les marchés. La conclusion ultime de Stiglitz et
Weiss est en effet que la loi de l'offre et de la demande n'est en fait pas une
loi, et qu'elle ne devrait pas être comprise comme une hypothèse
rendue nécessaire par l'analyse de la concurrence. Pour ces auteurs
c'est plutôt un résultat généré par les
hypothèses implicites selon lesquelles les prix n'ont ni effet de tri ni
effet d'incitation.
Le résultat habituel de la théorie
économique : les prix équilibrent les marchés est celui
d'un modèle particulier et n'est pas une propriété
générale des marchés. Le chômage et le rationnement
du crédit écrivent Stiglitz et Weiss « ne sont pas des
fantasmes », ils caractérisent l'économie
réelle.
|