L'absence d'assurance et de protection face aux risques est
une autre défaillance du marché ayant un impact
disproportionné sur les pauvres. L'existence des marchés
d'assurance parfaits (ou pour être techniquement plus précis, des
marchés subordonnés à l'Etat) est une hypothèse qui
est rarement respectée dans la pratique.
Les problèmes d'asymétrie de l'information et
ceux liés aux aspects de mise en oeuvre peuvent, à l'instar de
ceux qui entraînent la défaillance du marché de
crédit, être là encore tenus pour responsables du faible
recours aux mécanismes d'assurance en République
Démocratique du Congo. Même s'ils le souhaitaient, les pauvres ne
pourraient pas s'assurer contre la plupart des risques qu'ils encourent au
Congo.
Les risques non assurés sont à l'origine des
véritables détresses chez les pauvres. Les PED en
général et la République Démocratique du Congo en
particulier sont souvent confrontés aux catastrophes naturelles,
à la sécheresse ; aux conflits armés et à
l'insécurité, ainsi qu'aux chocs économiques comme les
fluctuations des prix des matières premières ; hyperinflation et
variation de change.
Mais, on a tendance à considérer ces
difficultés comme ponctuelles et à estimer que, des solutions
« provisoires » de type de « filet de
sécurité » suffisent pour mieux pouvoir se concentrer
ensuite sur les enjeux de développement plus sérieux.
Les décideurs congolais n'y voient souvent qu'un enjeu
social qui ne doit plus les détourner des considérations
macro-économiques plus cruciales, comme les mécanismes permettant
de stimuler la croissance économique à deux chiffres.
17 PAUL A.POPIEL, Système financier en
Afrique subsaharienne ; Etude de la Banque Mondiale, Washington D.C. 1995
P.201-02.
Cette vision est cependant trompeuse : on dispose aujourd'hui
de plus en plus d'éléments attestant le rôle fondamental
des risques et chocs dans le ralentissement de la croissance sans parler de
leur impact sur le revenu des pauvres et sur l'émergence
éventuelle de trappe à pauvreté. Le fait d'accorder
davantage d'attention aux pauvres pourrait donc une fois encore contribuer
à la croissance et à l'équité.
Dans les PED, comme la République Démocratique
du Congo, les ménages ont mis au point des mécanismes
sophistiqués pour faire face aux risques. Typiquement deux types des
réponses sont envisagées, : des stratégies de gestion des
risques et stratégies des réponses aux risques. Avec les
premières, ils cherchent à s'adapter aux risques qui les
menacent, soit en se lançant dans les activités moins
risquées, soit en diversifiant les risques (petit commerce, ramassage
des bois de chauffe...).
Les stratégies des réponses aux risques
impliquent quant elles des activités qui permettent de réagir
à l'impact des risques sur le revenu dont deux sont très
fréquentes : l'auto-assurance par le biais de l'épargne
(élevages bétail ou des petits ruminants qu'ils peuvent vendre si
nécessaire...) ; et le mécanisme de soutien informel, grâce
auquel les membres d'un groupe ou d'une communauté effectuent des
transferts entre-eux quand ils en ont besoin, en général selon un
principe de réciprocité.
Ces mécanismes ont cependant un coût : les
stratégies de gestion du « risque-revenu »
réduisent le revenu moyen disponible, pour faire face aux
risques et à la variabilité du revenu, par ce que l'ajustement
des portefeuilles d'actifs pour gérer les risques implique en
général d'investir dans les actifs liquides dont la
rentabilité est inférieure à celle d'immobilisations
productives. Cette stratégie affecte le revenu à long terme et
pèse sur les chances d'échapper à la pauvreté. De
fait, on constate de plus en plus que ce type des stratégies
entraîne des substantielles pertes d'efficacité pour les pauvres,
pertes que les riches, en général, mieux protégés
par leur assurance, leurs actifs et leurs crédits n'ont pas à
subir18
Tous ce qui précède prouvent l'impact
considérable et en particulier pour les pauvres, de l'absence de
mécanisme d'assurance viable et de protection en République
Démocratique du Congo, par ce que les défaillances de
marché, exacerbées par les inégalités et la
pauvreté sont à l'origine de cette situation, il serait
18-DERCON S. , « Growth and stocks : Evidence
from Rural Ethiopia. », Journal of Development Economics,
2004,vol.74,n°2 p.309-29 .
-MORDUCH, J., »Income smoothing and consumption
smoothing » in Journal of Economics Perspectives. Vol.9 p. 103-14
été 1996.
judicieux d'opter pour les initiatives susceptibles de stimuler
à la fois l'efficacité et la croissance tout en consolidant
l'équité.
Les pays développés, du moins en Europe,
surmontent en grande partie les imperfections de marché de l'assurance
grâce à une sorte de sécurité sociale universelle et
à des transferts directs de revenu sous contraintes des ressources. Pour
la République Démocratique du Congo , un PED, ce type
d'initiatives ne seraient pas rentables du fait des coûts administratifs
élevés et des besoin immenses en information. En d'autres termes
les moyens nécessaires pour mettre en place de tels systèmes ne
sont pas réunis dans notre pays.
Cependant, les programmes de transfert et d'autres «
filets de sécurité »19 ne sont pas les seuls
instruments à la disposition de décideurs, car ce sont des
mécanismes ex-post ; or, de nombreuses solutions ex-ante sont
également envisageables. Etant donné que la défaillance
sous-jacente du marché tient à l'absence du système
d'assurance, il faudrait s'intéresser davantage à des
dispositions qui inciteraient les pauvres à mieux se protéger
contre l'adversité.
On pourrait ainsi concevoir des produits d'assurance
adaptés aux pauvres, renforcer les mécanismes existants des
réponses aux risques (en soutenant notamment l'auto-assurance par le
biais de l'épargne ou les systèmes communautaires) ; et
contribuer à la gestion des risques en accordant un accès au
crédit.
Enfin, la crédibilité est une composante
essentielle des politiques visant à limiter les risques encourus par les
pauvres. Rappelons que l'une des raisons qui empêchent les pauvres de se
lancer dans les activités rentables est le fait que malgré leur
situation de pauvreté, ils ne peuvent pas prendre le risque d'aggraver
encore leur dénuement.
Un programme combinant des mécanismes ex-ante et
ex-post (offrant une assurance ex-ante et une protection ex-post contre une
aggravation de la pauvreté) pourrait contribuer à exploiter le
potentiel de nombreux pauvres et leur ouvrir des perspectives plus
indispensables à la réalisation d'activités et
d'investissement plus risqués et plus rentables. Autrement dit, un tel
programme pourrait être le facteur déclenchant d'une sortie de la
pauvreté.
Cependant, pour que les pauvres l'acceptent, ce programme
doit être crédible, en garantissant le respect de tous les
engagements, ce qui signifie qu'en cas de crise, les assurances respecteront
les contrats et les transferts seront fournis comme prévus.
19 STIGLITZ, J. , « Distinguished lecture on
Economics in Government : the private uses of public interests : incetative
and institutions », in Journal of Economics prospective, USA 1998
vol..12,2 :3-22