L'une des défaillances de marchés les plus
faciles à observer, concerne l'incapacité du marché de
crédit à se conformer aux hypothèses d'un marché
parfaitement concurrentiel. Dans un marché parfait quiconque a un projet
rentable devrait pouvoir obtenir un prêt aux taux d'intérêt
en vigueur. Si les marchés étaient parfaits et efficaces, les
banques n'exigeraient pas des garanties de leurs clients.
Or, dans la pratique, il est impossible d'obtenir un
prêt sans garantie. Cette condition peut être perçue comme
moyen permettant au marché du crédit, de gérer les
problèmes majeurs qui le perturbent, à savoir :
l'asymétrie de l'information (à l'instar du risque moral et de
l'anti-sélection ou sélection adverse ), ainsi que le
contrôle de l'exécution.
En effet, comme l'asymétrie de l'information signifie
que les prêteurs n'ont pas forcement les moyens de savoir , quels sont
parmi les nombreux projets risqués, ceux qui entraînent le plus
des risques ou si les emprunteurs ne mettront pas en oeuvre une fois le
prêt accordé, des actions différentes de celles
prévues par le contrat, les garanties collatérales peuvent
être exigées .Ces garanties peuvent également contribuer au
remboursement des emprunts.
Par le concept de marché imparfait nous l'expliquons
en fonction de la difficulté qu'éprouvent les populations pauvres
dans notre pays à entrer sur le marché de crédit les
poussant à développer les avantages spécifiques leur
permettant de contourner ces imperfections. Ce concept peut être
également développé sous l'angle des coûts
qu'occasionnent le marché de crédit pour les pauvres. Pour
éviter ces coûts, ces derniers ont intérêt à
créer leur propre marché de crédit.
Quelles sont donc ces imperfections, J.
DUNNING les classe en deux types, celles naturelles constituant
les conditions de l'offre et de la demande sur un marché, et celles
structurelles résultant des actions des participants intérieurs
ou extérieurs au marché, qui influencent les conditions de
l'offre et de la demande.13
En premier lieu, les imperfections naturelles du
marché de crédit portent sur deux thèmes : les coûts
de transaction et reposent sur la prémisse que, toute action
effectuée sur un marché coûte de l'argent que cela soit en
recherche - trouver un bon prêteur ou emprunteur - en communication, en
négociation, en
transport ou en taxe. La deuxième imperfection
naturelle provient du fait qu'un prêteur ou un emprunteur doit
détenir plusieurs informations difficiles à obtenir sur le
marché ; cette lacune amène une peur, un risque pour
l'utilisateur, créant un sentiment d'incertitude sur le
marché.
TABLEAU N° 1 : LE MARCHE IMPARFAIT
Imperfections naturelles
(Condition de l'offre et
de la demande sur un
marché du crédit.)
Les coûts de transactions :
Base : toutes actions exercées sur un marché de
crédit occasionnent un coût (en recherche - trouver un bon
prêteur ou emprunteur - en communication, en négociation, en
transport...)
La connaissance du marché :
Bases :a) incertitude sur l'obtention des informations sur le
marché de crédit (un grand nombre de joues cherchant la meilleure
opportunité) ;
b) la protection du savoir (les brevets et les droits de
propriété intellectuelle.)
Imperfections structurelles
(Actions des
participants intérieurs et
extérieurs au marché de
crédit influençant
les conditions de l'offre et de la
demande.)
Base : le pouvoir sur le marché de crédit en
détenant la position favorable (elle peut jouer sur les taux
d'intérêt, le contrôle, la réglementation, la
liquidation....)
Le gouvernement :
Base : les règles étatiques (impôts, tarifs
imposés ou autres barrières économiques.)
La position dominante de la BCC.
Source : adapté de DUNNING op cit p.
6
De plus, un grand nombre de joueurs résident dans le
marché, chacun recherchant des opportunités favorables pour ses
propres intérêts, ce qui entraîne des inconvénients
pour certaines institutions financières et les force à être
constamment à l'affût des renseignements, susceptibles de mieux
les positionner sur un marché.
Finalement le « savoir » comme tel devient un bien
souvent protégé soit par les brevets et des droits de
propriété intellectuelle, soit par tout autre instrument imposant
des règles restrictives sur le marché.
En deuxième lieu, le marché de crédit
recèle en lui des imperfections structurelles forçant les pauvres
à vouloir contourner ces obstacles. La première repose sur la
situation dominante de la banque centrale, celle - ci par sa mission, sa taille
imposante et la localisation décentralisée dans les provinces de
ses activités,
détient le pouvoir sur toute la République
Démocratique du Congo. Elle peut jouer sur le taux ou autre cible
monétaire rendant la vie difficile aux pauvres et autres IFS.
La deuxième imperfection structurelle provient du
gouvernement. Ce dernier impose des règles au marché de
crédit qui ne satisfont pas toujours les établissements de
crédit et les pauvres, comme par exemple les impôts et les
barrières économiques.
Le modèle simple d' ESWARAN et
KOTWAL14
Si l'on considère les inégalités de
dotations initiales en actif, il est évident qu'il s'agit probablement
là d'une défaillance du marché particulièrement
dangereuse pour les pauvres qui, au-delà de considérations de
équité peut signifier que ceux-ci sont incapables d'utiliser
leurs autres actifs aussi efficacement que les riches. Dans un texte devenu
classique, ESWARAN et KOTWAL développent un
modèle simple permettant d'en illustrer les conséquences.
Nous en donnons dans ce travail une version plus
simplifiée : prenons un village de fermiers possédant tous de
superficies de terrain et de quantités de main d'oeuvre
différentes. Une technologie de production efficace implique d'utiliser
comme intrants de base : la terre, la main d'oeuvre et les engrais chimiques.
On part du principe que le marché du travail, de la terre et des engrais
fonctionnent correctement : au prix du marché les échanges se
font sans restrictions.
Cependant, comme le marché du crédit n'est pas
parfait, le seul moyen d'obtenir un emprunt est d'utiliser la terre comme
garantie, tous les intrants devant être payés en espèce. De
par sa nature, l'activité agricole exige que l'on utilise tous les
intrants en début de saison. Autrement dit, il faut avoir un fonds de
roulement pour pouvoir acquérir les intrants.
L'exploitant riche en terre peut facilement se procurer des
engrais et, si besoin, louer d'autres terres et de la main d'oeuvre
supplémentaire afin d'assurer une utilisation optimale des ressources.
Le fermier pauvre en terre doit de son côté trouver d'autres
moyens pour réunir l'argent nécessaire à son
activité. Il peut le faire en travaillant pour d'autres fermiers ou en
louant ses propres terres.
De façon générale, on constate que le
fermier pauvre utilise ses actifs (terre et main d'oeuvre) de manière
moins efficace que le riche ; il utilisera moins d'engrais que le niveau
optimal et consacrera plus de travail par unité de terre que le
minimum requis pour être efficace. Le fait qu'il soit
pauvre en actifs le rend inefficace.
Dans cet exemple, l'inégalité des actifs
combinée aux défaillances du marché provoquent une
différence d'efficacité entre riche et pauvre. Non seulement le
riche gagne puisque il possède plus de ressources, mais en outre il peut
les utiliser plus efficacement. Les défaillances du marché
renforcent les inégalités initiales. Si le marché du
crédit fonctionne mieux ou/et s'il y avait une distribution des
ressources plus équitable, on constatera une amélioration de
l'efficacité et de l'équité.
L'intérêt de ce modèle stylisé dans
ce travail ne se limite pas aux activités agricoles ; de façon
générale ; si la participation aux activités lucratives
nécessite un versement initial ou des frais d'établissement, ceux
qui ont un accès limité au marché de crédit
pourraient être exclus.
Le cas de la République Démocratique du Congo
est intéressant à cet égard. Alors que les
activités non agricoles sont réputées pour
l'enrichissement qu'elles peuvent entraîner, l'accès à
certains activités tout a fait banales - l'élevage de
bétail et de volaille, les échanges, le petit commerce ou
l'artisanat - exige des investissements relativement importants.
Les résultats de plusieurs recherches empiriques
menées à Kinshasa où le revenu tiré des
activités non agricoles joue un rôle vital dans plusieurs
ménages montrent que les individus les moins dotés en actifs
limitent leurs activités non agricoles à des activités de
ramassage des caillasses, des bois de chauffage, des cartons ou à la
fabrication d'objets artisanaux nécessitant peu d'investissement
initial, alors que d'autres arrivent à des activités non
agricoles rentables ( petite boutique, petit magasin, cybercafé,
Bureautique, cabine téléphonique,...)
Ce modèle, certes statique, présente des
implications dynamiques potentielles qui semblent être intuitivement
très séduisantes. Les individus ayant un patrimoine limité
ne peuvent pas accéder aux activités lucratives et se trouvent
piégés dans leurs professions respectives.
Rappelons que l'on appelle « trappe à
pauvreté » une situation d'équilibre dans la pauvreté
dont on ne peut sortir sans soutien extérieur - a travers un appui
exceptionnel apporté à ce groupe comme une politique de
redistribution ou même une aide internationale - ou sans un changement
radical du fonctionnement des marchés, comme marché de
crédit dont il est question dans cette étude.
En République Démocratique du Congo, les
trappes à pauvreté et pertes d'efficacité globales et de
croissance dues à la pauvreté et aux inégalités, se
combinent aux défaillances de marché de crédit, de sorte
que, certaines personnes ne peuvent pas saisir les occasions d'investissements
propices à la croissance
économique du pays - non seulement dans le capital
physique ou dans les activités rentables, mais aussi dans le capital
humain.15