3. Peut-on parler de diachronie?
Plusieurs linguistes, notamment Whitsitt (2005), se sont
penchés sur la question de la diachronie9 dans la prosodie
sémantique. Cette approche vise à examiner l?évolution
d?un mot au cours de son histoire, autrement dit, et dans le contexte de la
prosodie sémantique, voir s?il acquiert une connotation favorable ou
défavorable, à travers le temps.
En effet, selon Sinclair (1996:113) «Processes of
change are inescapably obvious». Mais Whitsitt (2005 : 287-8) rejette
cette idée. Pour lui, la diachronie ne peut pas être
prouvée par des corpus synchroniquement organisés. Plus encore,
il examine le verbe « set in » dans Oxford English
Dictionary, et constate que ce mot se trouvait déjà, depuis plus
de 300 ans, dans des contextes négatifs tels que : «The weather
was set in to an absolute thaw and rain». Par conséquent, il
note que:
«This would suggest that rather than thinking that
the verb did not have a negative meaning at one point, and was in a sense,
empty, but then acquired an unpleasant meaning through a history of appearing
with many negative words, it would be more plausible to think that those
negative connotations, or the possibility for such connotations, were always
already there, «in» the verb, to begin with» (Whitsitt
2005: 296)
Il commente aussi les propos de Sinclair (1996b: 113)
«In a synchronic view of language, the origins of meaning are not
under scrutiny», en ajoutant que l?analyse n?aboutit pas, non pas
parce que le linguiste décide ainsi, mais parce que le corpus
synchronique ne le permet pas.
Louw de son côté, pense que la prosodie
sémantique est intimement liée à la diachronie, comme nous
pouvons le constater avec ses propos « Prosodies are undoubtedly the
product of a long period of refinement through historical change »
(Louw 1993 : 164)
Quant à Stubbs (1995), soutenant l?idée qu?il
devrait y avoir une étude diachronique sur le phénomène de
la prosodie sémantique, il argumente de la façon suivante :
9 La diachronie (# synchronie) est l?approche qui
s?intéresse à l?évolution d?une langue au cours de son
histoire
"The selection restrictions with «cause» are not
(yet) categorical: it is not (yet) ungrammatical to collocate «cause»
with explicitly positive words. But it is easy to see how an increase in
frequency of use can tip the balance and change the system»
(Stubbs 1995: 50)
Par conséquent, selon Stubbs,
«cause» pourrait avoir une prosodie positive si les humains
l?avaient utilisé dans des contextes positifs. Ca ne serait pas
grammaticalement faux, et il n?y a aucune restriction qui l?en empéche.
Mais comme il l?a constaté dans son étude (Stubbs 1995), le verbe
« cause " a une prosodie négative dans 90% des contextes.
Il apparait en collocation avec des mots tels que cancer, crisis, accident,
delay, death, damage et trouble. Peut-être que
précédemment, le verbe « cause » était un mot
neutre, et qu?à force de l?utiliser dans des contextes négatifs,
il a acquis une connotation négative. Il pourrait être
intéressant de faire des recherches plus approfondies sur ce sujet.
Pourtant ici aussi, Whitsitt (2005 : 302) manifeste son désaccord. Pour
lui, méme s?il est établi que « cause " a aujourd?hui
endossé une connotation négative, à cause de ses
perpétuelles collocations négatives depuis de nombreuses
années, cela ne montre en aucun cas qu?un transfert de sens a
été fait. Par conséquent, selon lui, cette
hypothèse ne peut pas être prouvée.
De leurs côtés, Partington et Morley (2009),
avançant des preuves du phénomène diachronique
relié à la prosodie sémantique, soulignent que:
«Modern corpus evidence shows that both
«fraught» and «fraught with» have overall unfavourable
associations today which they seem in previous incarnations to have
lacked» Partington & Morley (2009: 152-155)
Ils ajoutent que les adverbes
«tremendously» et «terrifically», qui
étaient précédemment définis10 comme
« so as to excite terror/awe/dread ", ont été
observés dans un corpus moderne11, très souvent en
compagnie de mots à connotation positive tels que clever, engaging,
entertaining, funny, good, successful et useful. Ici aussi nous constatons
que des mots ont changé de prosodie à force de les utiliser dans
le langage quotidien. Ce qui prouve que la prosodie sémantique est
reliée à la diachronie. Enfin, Partington et Morley (2009)
10 Selon OED : (Oxford English Dictionary) un dictionnaire
anglais, comprenant plus de 600 mille termes, anciens de plus de 10
siècles.
11 SiBol 05
concluent en insistant sur l?importance de se pencher sur la
diachronie dans la prosodie sémantique :
«For a theorist of language, studying diachronic
processes can be of great value in providing insights into how and why the
language is in the condition it is today. Moreover, we suspect that such
insights can provide strong evidence for some of the basic ideas underpinning
synchronic lexical grammar theory" (Partington et Morley 2009: 156)
Stewart (2009) également, encourage les recherches
approfondies de la prosodie sémantique dans le contexte de la
diachronie. Pour ce dernier, ces recherches permettraient d?expliquer le
changement des sens des mots à travers le temps:
«A diachronic approach, on the other hand, could try
to establish how the meaning of the unit changes over the years or centuries,
or it could investigate how words bestow meanings upon each other over time
within that unit» Stewart (2009: 55)
Bien que le présent travail ne constitue en aucun cas
une étude diachronique de la prosodie sémantique, il nous a paru
nécessaire, pour la compréhension du sujet, de parler de cette
approche. D?autant plus que les arguments avancés par Sinclair (1996),
Louw (1993), Stubbs (1995), Partington et Morley (2009) et Stewart (2009), nous
semblent convaincants.
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