Chapitre 2 - L'interprétation des termes
conventionnels
En toute rigueur juridique, le juge français
nouvellement compétent s'attache désormais au texte de la
convention, et à lui seul, pour en dégager le sens. Sa
méthode est donc simple, son interprétation littérale.
Cependant, cette méthode propre au juge va le conduire paradoxalement
à avoir recours de manière subsidiaire à son droit
interne, puisque l'une des particularités des conventions fiscales est
de renvoyer pour certaines notions aux qualifications nationales.
Section 1 - L'interprétation littérale
des conventions fiscales
Le juge fiscal dans son office d'interprète, applique
donc la méthode de l'interprétation littérale ; ainsi, il
s'en tient à la lettre du traité pour dégager le sens
d'une disposition, c'est-àdire qu'il n'ajoute pas de signification
à ce qui est écrit en se fondant sur des éléments
extérieurs.
On pourrait considérer que cette méthode n'est
en fait pas une interprétation, mais simplement une application,
puisqu'elle se borne à appliquer dans les faits ce qui est écrit.
La distinction entre ces deux notions qui vont de pair dans le processus du
travail du juge est ténue : où commence l'une, ou finit l'autre ?
Il n'est pas aisé d'apporter une réponse à cette question,
d'autant plus que pendant un temps la jurisprudence du Conseil d'État,
compétent pour appliquer mais pas pour interpréter,
forçait la logique de la distinction en considérant que nulle
interprétation n'était nécessaire en présence de
termes clairs, afin de pouvoir in fine effectuer cette tâche,
indépendamment du ministre normalement compétent.
La distinction a cependant perdu de son intérêt
depuis que les deux relèvent de la compétence du juge ; on peut
néanmoins dire que l'interprétation littérale est au moins
une analyse du sens et de la portée des termes, afin de s'assurer qu'ils
sont assez efficaces pour être applicables, quand l'application est leur
mise en oeuvre. L'interprétation, aussi stricte soit-elle, est encore
l'extraction du sens d'une disposition à l'instrumentum de la
convention fiscale, peu importe que celle-ci ajoute ou non à son
contenu.
L'interprétation littérale des conventions fiscales
par le Conseil d'État est désormais bien établie par sa
jurisprudence. Dans la décision dite « des crédits
d'impôts italiens » de
2000 72 tout d'abord, le Conseil d'État
avait considéré que « en faisant une application stricte
de ces stipulations (de la convention fiscale franco-italienne du 29
octobre 1958), [...], la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas
entaché son arrêt d'erreur de droit ». Cette
décision a été suivie par une affaire « Schneider
Electric » 73, dont la question centrale était de
savoir si l'article 209 B du Code général des impôts, qui
est une mesure anti-évasion française, était compatible
avec la convention fiscale franco-suisse de 1966. Dans sa décision, le
Conseil d'État a réaffirmé son attachement à
l'interprétation littérale des conventions fiscales et a
écarté l'application de la loi interne : «
Considérant qu'à supposer même qu'il soit établi
qu'un objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ait
été assigné à la convention franco-suisse, cet
objectif ne permet pas, faute de stipulation expresse le prévoyant, de
déroger aux règles énoncées par cette convention
».
On le voit distinctement dans ce considérant, la
méthode adoptée par le juge fiscal s'oppose directement à
celle longtemps privilégiée par le ministre prenant en compte des
éléments extérieurs au texte, qui est celle de
l'interprétation téléologique. Celle-ci s'attache non
seulement aux termes conventionnels, mais également à l'objectif
servi par le traité, afin de dégager le sens des dispositions
à la lumière de ce dernier. Il n'est pas question ici de juger du
bien fondé de cette méthode mais d'observer que le juge
administratif français la rejette explicitement en ne
s'intéressant dans son interprétation qu'aux termes des
dispositions qu'il lui faut appliquer.
On peut toutefois rappeler que depuis peu, s'est ajouté
à l'objectif initial de lutte contre la double-imposition juridique,
celui de la lutte contre l'évasion fiscale ; les deux objectifs, sans
pour autant être incompatibles, demeurent assez opposés, puisque
la raison d'être des clauses anti-abus est justement de limiter le
premier objectif pour servir le second. Cet antagonisme, qui mène les
rédacteurs des traités à prendre en compte les
intérêts des contribuables en regard de ceux des finances
publiques, peut donc, pour le juge appliquant une méthode
d'interprétation fondée sur la finalité du texte,
s'avérer être au mieux inutile, au pire dangereux, en rendant
aléatoire le résultat de son exégèse.
Cette méthode d'interprétation, courante chez
les juges étrangers, est justement celle préconisée par la
Convention de Vienne sur le droit des traités en son article 31,
intitulé « Règle générale
d'interprétation ». Cet article dispose qu'un traité
« doit être interprété de
72 CE, 24 mai 2000, ministre c. CRCAM Normand (n°
209 699-209 891).
73 CAA Paris, 30 janvier 2001, SA Schneider (n° 96
1408) confirmée par CE. Ass., 28 juin 2002, Sté Schneider
Electric (n° 232 276).
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but ». Le tout premier principe
d'interprétation codifié de la coutume internationale n'a donc
pas cours en France, cela confirme, s'il était besoin, que la Convention
de Vienne ne fait pas partie des normes que suit le juge fiscal
français.
Le premier à regretter un tel choix quant à la
méthode se trouve être le gouvernement qui pendant longtemps
pratiqua une interprétation constructive, prenant en compte l'objectif
de lutte contre la double-imposition afin d'ajouter des conditions
d'applicabilité des bénéfices conventionnels ou de
justifier l'application des ses mesures internes de lutte contre
l'évasion fiscale. En la matière l'affaire Schneider est
significative puisque le ministre y défend cette interprétation
afin de faire reconnaître que la société en cause n'est pas
victime elle-même d'une double-imposition et par suite ne peut
prétendre au bénéfice de la convention dont c'est l'objet
(en effet le mécanisme de l'art. 209 B du CGI rend imposable entre les
mains de la société mère française les
bénéfices versés par sa filiale située et
déjà imposée à l'étranger, mais n'assujettit
pas une seconde fois la filiale). Les conclusions du rapporteur public sur la
décision du Conseil d' État sont également claires :
« Nous pensons que le ministre soutient à juste titre qu'il
faut tenir compte de l'objet des conventions fiscales dans
l'interprétation de leurs stipulations, et donc notamment de celles qui
fixent leur champ d'application. » 74.
Le choix de la méthode littérale, en plus
d'offrir un résultat prévisible pour le contribuable, a le
mérite de garantir à l'État cocontractant que rien en
dehors de ce qui a été convenu ne sera utilisé pour mettre
en oeuvre les mécanismes conventionnels. Ainsi il est de la seule
responsabilité des États de s'assurer de la clarté d'un
texte ; si ceux-ci s'entendent pour que les termes soient
interprétés à la lumière de l'objectif de lutte
contre la double-imposition, libre à eux d'en disposer ainsi et de la
sorte le juge s'y tiendra. Dans le cas contraire, le juge n'a pas à
prendre en compte d'élément extérieurs.
Le résultat de l'interprétation littérale
des termes conventionnels est donc simple : la plupart des notions propres au
système d'élimination des doubles impositions sont
définies clairement par le traité, le juge s'en tient donc
à celles-ci. Puis pour les notions ayant une qualification juridique en
droit interne, le traité renvoie le juge aux définitions de son
droit national. Le juge applique donc les définitions nationales qu'il
connait dans le respect de la convention.
74 S. AUSTRY, L' interprétation des
conventions internationales de droit fiscal, concl. sur CE Ass., 28 juin
2002, Ministre c/ Sté Schneider Electric, RFDA, 2002, p.
1124.
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