Section 2 - Les conditions d'obligation fiscale
Pour prétendre au bénéfice des
dispositions conventionnelles, la condition de résidence est donc
déterminante. Cependant elle n'est pas suffisante et doit être
affinée, en raison du mécanisme particulier des conventions
fiscales conduisant à une diminution, voir à une suppression
d'imposition dans le pays où le juge statue.
Les États ont donc restreint le champ d'application
personnel des traités fiscaux, en excluant de la catégorie des
résidents au sens du droit interne ceux n'étant pas soumis
à une obligation fiscale « normale » dans leur pays. Lorsque
la définition de la résidence résulte des formulations
conventionnelles, des clauses particulières limitent les
exonérations aux revenus
88 Pour plus de développements, voir : T. VERBIEST
et E. WÉRY, Le droit de l'internet et de la
société de l'information : droits européen, belge et
français, Bruxelles, Larcier, coll. Création Information
Communication, 2001, pp. 389 et s.
effectivement imposés à l'étranger.
En effet, si une personne n'est pas imposée dans son
pays de résidence, elle ne peut pas subir de double-imposition et le
bénéfice de la convention conduirait à l'exonérer
en France pour un revenu non imposé à l'étranger ; il y
aurait donc double-exonération, phénomène contre lequel
les États luttent au moins autant que contre la double-imposition et qui
les conduisent à préciser le critère de
résidence.
Avant même que des clauses en ce sens apparaissent dans
les conventions fiscales, le juge français entendait déjà
la formulation du renvoi au droit interne « assujettie à
l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa
résidence, de son siège de direction ou de tout autre
critère de nature analogue » d'une manière
réaliste, c'est-à-dire qu'il ne fallait pas simplement que le
résident se trouve en théorie dans le champ d'application de
l'impôt national, mais qu'il y soit effectivement soumis.
De plus, à cette condition d'effectivité de
l'obligation fiscale s'est ajoutée celle de sa non limitation, de sorte
que ne sont considérées comme résidents que les personnes
soumises à l'impôt pour l'ensemble de leurs revenus et non pas
seulement pour ceux générés dans leur pays de
résidence. Cette interprétation du juge reprend en fait le sens
donné à l'obligation fiscale illimitée des personnes
domiciliées fiscalement en France d'après l'article 4 A du CGI
qui dispose que « Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal
sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs
revenus. ».
Cette construction du sens à donner à la «
résidence », à l'aide des notions de droit fiscal
français, se fait en vertu de la clause générale de renvoi
au droit interne prévue pour préciser les termes ou expressions
non définies par la convention.
Cette signification est désormais reprise dans
certaines conventions fiscales qui précisent que « Toutefois,
cette expression [résident d'un État contractant] ne
comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans
cet État que pour les revenus de sources situées dans cet
État ou pour la fortune qui y est située. »
89. Par conséquent, que la convention renvoyant au droit
interne prévoit cette condition ou non, le juge français peut
entendre le terme de « résident du pays contractant » comme la
personne effectivement assujettie dans cet État à un impôt
frappant l'intégralité de ses revenus.
En ce qui concerne les conventions prévoyant une
définition conventionnelle de la
89 Formulation présente dans les conventions conclues avec
l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, Les États-Unis d'Amérique et
dans le modèle de convention OCDE de 2008, article 4 § 1.
résidence, citées précédemment
(avec la Belgique et avec le Luxembourg), il n'est pas possible d'ajouter des
conditions en se fondant sur le sens du droit interne puisque le terme de
résident y est défini. Cependant des mesures équivalentes
sont prévues afin d'assurer que les exonérations dans un pays
soient consenties à des personnes payant effectivement l'impôt
dans l'autre, mais de manière spécifique, c'est-à-dire que
ces dispositions ne sont valables que pour les impôts frappant certains
types de revenus ; ce sont les « subject to tax provisions
».
La convention fiscale passée avec la Belgique
prévoit à ce propos que l'exonération de certains revenus
(dividendes) de source française en Belgique soit conditionnée
à une retenue à la source effective 90. Concernant ces
mêmes revenus de source belge reçus en France, il n'est pas
prévu de méthode similaire, mais cela tient au fait que c'est la
méthode de l'imputation qui est adoptée. De la sorte aucune
double-exonération n'est possible.
De la même manière la convention conclue avec le
Luxembourg pose une condition d'imposition effective et dans des conditions
normales par le pays de résidence, afin accorder une exonération
concernant les dividendes, les intérêts et les redevances. Cette
condition fait même l'objet d'une procédure spéciale
puisque pour bénéficier de l'exonération de retenue
à la source, le contribuable doit produire une attestation de
l'État de résidence certifiant que ces revenus « seront
soumis aux impôts directs, dans les conditions du droit commun, dans
l'État où elle a son domicile fiscal. » 91.
Certaines conventions excluent des situations, dans lesquelles
se trouvent des personnes pourtant résidentes d'un des États au
sens du droit interne, de leur champ d'application général. Il
s'agit des clauses anti-abus d'exclusion totale, qui sont parfois contenues
dans l'article précisant les qualités requises pour être
résident. On peut citer les clauses de bénéficiaire
apparent de revenus (à distinguer de la clause de
bénéficiaire effectif spéciale, plus courante) et de
personne physique imposable sur une base forfaitaire, qui excluent ces
situations du champ d'application personnel de la convention. Alors que la
première exclut du bénéfice conventionnel toutes les
situations où une personne interposée perçoit des revenus
pour le compte d'une autre, ceci afin de bénéficier de la
convention, la seconde réserve le même traitement aux situations
d'imposition dans des conditions particulières telles que
résultant d'un régime spécial d'imposition des
résidents suisses. Celuici instaure une obligation fiscale
limitée en déterminant l'assiette de l'impôt sur une base
forfaitaire, d'après la valeur locative des habitations
possédées par le résident ; cependant
90 Convention franco-belge du 10 mars 1964,
modifiée par l'avenant du 15 février 1971, article 19 A.
91 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958, modifiée par l'avenant du 8 septembre 1970, article 10
bis.
l'exclusion est levée lorsque le montant de
l'impôt payé est égal ou supérieur à celui
qu'il aurait été si l'imposition avait frappé ses revenus.
Ces dispositifs sont tous deux prévus de manière originale dans
la convention avec la Suisse 92.
D'autres traités fiscaux excluent directement des
catégories de personnes qui bénéficient de régimes
fiscaux privilégiés. C'est le cas de la convention avec le
Luxembourg qui prévoit que celle-ci « ne devait pas s'appliquer
aux sociétés holding au sens de la législation
particulière luxembourgeoise. » 93 (Holdings type 1929, devant
disparaître au 31 décembre 2010 94).
Dans ces conditions, la marge d'interprétation du juge
est nulle et il ne peut que constater que le traité ne s'applique pas
à ces personnes. On constate néanmoins que ces exclusions
ponctuelles de la catégorie de résident peuvent parfois faire
doublon avec d'autres dispositifs plus généraux, ou tout au moins
leur faire perdre en intérêt, et que leur multiplication excessive
conduirait à vider de substance les conventions fiscales de lutte contre
la double-imposition.
À l'inverse, on peut indiquer que certaines
conventions, en plus des conditions de résidence, prévoient des
listes de personnes qui doivent bénéficier de leurs dispositions
en tant que résidentes d'un État. Celles-ci sont « cet
État [lui-même], ses subdivisions politiques et ses
collectivités locales, ainsi que leurs personnes morales de droit
public » 95 .
Enfin, la convention avec les États-Unis ajoute
à cette liste de manière exceptionnelle des personnes
résidentes, même si elles ne sont pas soumises à
l'impôt. Il s'agit pour les résidents américains des
trusts de retraite (fonds de pension) ou autres trusts
d'investissement et pour les résidents français des
sociétés d'investissements à capital variable (SICAV),
sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) et
sociétés de placement à prépondérance
immobilière à capital variable (SPPICAV) 96. Cette
inclusion répond plus à une logique économique visant
à favoriser les investissements croisés qu'à un
raisonnement juridique ; le juge dans ce cas doit faire prévaloir la
règle spéciale.
92 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 2 a et b.
93 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958, échange de lettres du 8 septembre 1970.
94 Voir supra n° 26
95 Formulation présente dans les conventions conclues avec
le Royaume-Uni, Les États-Unis d'Amérique et dans le
modèle de convention OCDE de 2008, article 4 § 1.
96 Convention franco-américaine du 31
aout 1994, modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 4 § 2
b.
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