1.1.3. DU POINT DE VUE
ÉDUCATIF
En Belgique francophone, il est fréquent de rencontrer une
équipe éducative collaborant avec le personnel soignant des
hôpitaux généraux ou spécialisés traitant les
TCA. Mais cette équipe ne travaille pas avec les adolescents atteints
d'AM. Ceci pour différentes raisons que je vais brièvement
exposer :
Pour les hôpitaux généraux, ces raisons me
semblent légitimes car l'hospitalisation est toujours faite dans
l'urgence. Il y a un danger physique vital important, à traiter
rapidement d'une façon médicale. Les jeunes patients sont si
faibles physiquement qu'ils restent alités, sous baxter et gavés
par sondes. Par contre, pour les hôpitaux spécialisés
psychiatriques, les raisons restent à mon sens quelques peu floues,
voire arbitraires. Car ici, le danger vital n'est plus compromis à court
terme, les jeunes sont hospitalisés à moyen ou long terme et ils
participent à diverses activités thérapeutiques et
scolaires selon certaines conditions. Notons que dans ces hôpitaux ayant
toujours une unité psychiatrique dédiée aux TCA, les
autres adolescents atteints de troubles psychiatriques et les adultes atteints
de TCA sont toujours encadrés par une équipe éducative et
participent à des projets éducatifs (sportifs, culturels,
artistiques...). Alors pourquoi les adolescents souffrant de TCA n'ont-ils pas
accès à cette prise en charge éducative ?
Les explications récoltées sont les
suivantes :
- Ce public très fragilisé par cette affection
demande une attention toute particulière et des soins avant tout
médicaux et psychologiques, qui en plus du suivi scolaire prennent tout
le temps et l'énergie des patients.
- De plus de par leur jeune âge, doublant leur
fragilité, et le fait que l'AM ne soit pas vraiment ni une
névrose ni une psychose, les adolescents ne seront pas
mélangés avec des patients adultes ou des patients ayant une
autre pathologie psychiatrique que les TCA. Cela ni dans les actes du
quotidien, ni pour participer à des activités collectives
organisées.
- Finalement, je citerai quelques réponses courtes telles
que : On ne peut pas faire n'importe quoi avec ce public. Il serait
tellement facile de mal faire en voulant bien faire. Il faut être bien
formé et informé, etc.
La première réponse ne me satisfait pas, car d'une
part, la prise en charge éducative se fait dans le quotidien des ces
jeunes et donc ne prend pas du temps mais en fait partie. D'autre part, en ce
qui concerne les projets éducatifs, l'ESP peut proposer des
activités relaxantes ou sublimant l'énergie par la
création. Ensuite, la deuxième réponse me semble
être totalement hors-sujet, car un suivi éducatif n'implique pas
des contacts avec les patients d'autres unités, surtout si c'est
clairement déconseillé préalablement. Et finalement, face
aux dernières réponses, je reste bouche bée en me
demandant : Mais que pensent-ils donc de la fonction d'ESP ? Que l'on
travaille et que l'on réalise des activités sans
réfléchir, sans but, sans préparation... sans se
préoccuper du contexte de travail, de ses acteurs et de leurs
besoins...
C'est seulement vers 1990, que des Éducateurs
Spécialisés (ESP) vont être intégrés pour la
première fois dans l'équipe pluridisciplinaire prenant en charge
l'AM de l'adolescente d'une clinique psychiatrique bruxelloise : La
clinique La Ramée. Actuellement encore, cette clinique reste
l'exemple unique de cette intégration des ESP dans ce cadre particulier
de travail. Depuis, les ESP y ont trouvé un rôle important dans
l'accompagnement des actes quotidiens et le travail de nursing dont l'objectif
premier est de soutenir le cadre thérapeutique. Néanmoins,
l'équipe d'ESP n'a pas de projet éducatif proprement
défini et cela pour des raisons similaires à celles
précitées ci-dessus. Dans les deux derniers chapitres de cet
ouvrage, je compléterai la description du travail des ESP dans cette
clinique et je proposerai un projet éducatif adapté pour prouver
de la pertinence de l'action éducative en ce domaine.
De ce parcours historique, nous retiendrons que l'AM n'est pas
une maladie au sens propre mais plutôt un TCA ayant des
origines et des conséquences bio-psycho-sociales graves et
multiples. Mais aussi soulignons, que c'est l'image corporelle
qui est perturbée et l'importance des
facteurs relationnels et des caractéristiques de la personnalité
pris en compte pour l'évaluation du diagnostique de l'AM. Nous
garderons aussi en tête que l'ESP est le dernier arrivé dans
l'équipe des acteurs professionnels de la prise en charge de l'AM de
l'adolescente à l'hôpital psychiatrique. Et que certaines facettes
de l'action éducative, dont le projet éducatif, restent encore
à être découvertes tout en prenant une certaine
indépendance face à l'action médicale.
|