Chapitre 1. La Représentation
La notion de représentation nous a paru essentielle
pour construire notre objet d'étude. En effet, elle va intervenir
à plusieurs niveaux, et en particulier dans celui de la
compréhension du phénomène diasporique et dans celui des
médias qui portent, transportent, médiatisent les valeurs,
communications, informations, et toutes sortes d'interactions entre migrants et
pays d'immigration. C'est pourquoi nous avons éprouvé le besoin
d'y avoir recours.
La représentation est une image, un symbole ou une
idée liée à un endroit, une culture ou un système
qui nous aide à faire une relation avec eux. Parfois la
représentation est une composition d'images, de voix, de
mots-clés qui rendent vivant un objet ou un endroit pour le reste du
monde. Nos impressions positives ou négatives sont influencées
par les représentations qu'on s'est données. La
représentation est toujours par rapport à un Autre - que l'on
distingue comme différent de nous au niveau du physique, de la couleur,
de la langue, des vêtements, des moeurs, etc. De mon point de vue la
représentation est créée par quelque chose ou quelqu'un
qui vit une réalité intérieure pour quelque chose ou
quelqu'un en dehors de la réalité objective qui l'a
générée. Quand un individu ou un groupe entre dans un
milieu différent de celui auquel il est habitué, il est pris par
un souci de présentation. Au début il est embarrassé - il
ne reconnaît ni lui-même ni les autres. Par conséquent, il
commence à se reconstruire lui-même dans un milieu étranger
en s'appuyant sur quelques notions, images et idées de soi
enregistrées dans son imagination ainsi que dans l'imagination des
indigènes locaux. Désormais, l'individu ou le groupe commence
à se représenter. Donc le créateur de
représentations inconsciemment crée une image ou un symbole avec
lesquels le monde du dehors peut faire une relation avec la
réalité du dedans. Les pratiques des représentations
impliquent toujours une position d'où l'on parle ou d'où l'on
écrit - une position d'énonciation (Hall, 2007 : 227).
1.1 Représentation Collective et Sociale - Durkheim
et Moscovici
Au début, l'idée de représentation
était présente dans le domaine philosophique, par la suite elle
a été introduite dans le domaine de la sociologie. Ce concept de
représentation est fondamental et en même temps
transdisciplinaire, et, d'après Moscovici, elle permet
d' « étudier les comportements et les rapports
sociaux sans les déformer ni les simplifier »
Néanmoins, la théorie de la
représentation sociale est basée sur la théorie de
représentation collective développée par Emile Durkheim
(1858 -1917), sociologue français, dans son ouvrage
Représentations Individuelles et Représentations Collectives
en 1898. Pour Durkheim, l'individu est influencé par le groupe
auquel il appartient et il y a une différence entre les perceptions
individuelles et celles de la société. La société
est une entité différente de l'individu. La société
limite l'individu et elle pousse l'individu à penser et à agir
d'une certaine manière. Les limites imposées par la
société se manifestent sur les institutions sociales. Pour
Durkheim le premier système de représentation est religieux.
Durkheim soutient que les éléments sociaux sont plus
dominants que les idées individuelles.
Ensuite la notion de représentation sociale a
été élaborée par Serge Moscovici (1925- ), un
sociologue français d'origine roumaine qui a aussi introduit la notion
en psychologie sociale. Ses idées de représentation
créées par les médias et celles
générées par les spécialistes sont
intéressantes à notre époque. Dans son ouvrage La
psychanalyse, son image et son public - Etude de la représentation
sociale de la psychanalyse paru 1961, Moscovici développe
l'idée de Durkheim que l'individu est influencé par la
société. Selon Moscovici il y a une interaction constante entre
l'individu et la société et l'individu fait partie de la
société et l'influence. Pour Moscovici la notion de
représentation est influencée par les medias. «La
révolution provoquée par les communications de masse, la
diffusion des savoirs scientifiques et techniques transforment les modes de
pensée et créent des contenus nouveaux » Et puis
« Une notion ou une science qui ne reste pas l'apanage d'un
individu ou d'une élite restreinte, subit, par sa circulation toute une
série de métamorphoses qui la font changer de contenu et de
structure. La nouvelle structure est celle d'une représentation au sens
strict du mot, à la fois abstraite et imagée,
réfléchie et concrète.». Moscovici explique que
les représentations sont à la fois générées
et générantes.
Selon Moscovici, les représentations sont
générées par les spécialistes «ce qui les
marque d'une certaine autonomie. Nous savons qu'il existe une certaine
catégorie de personnes ayant pour métier de les fabriquer. Ce
sont tous ceux qui se consacrent à la diffusion des connaissances
scientifiques et artistiques : médecins, thérapeutes,
travailleurs sociaux, animateurs culturels, spécialistes des
médias et du marketing politique. A maints égards, ils
s'apparentent aux faiseurs de mythes des civilisations plus anciennes. Leur
savoir-faire est codifié et transmis, conférant à ceux qui
le possèdent une autorité certaine. »
1.1.1 J.C Abric et Denise Jodelet
La théorie de noyau central de représentation
présentée par J.C. Abric (1984, 1989) définit la
représentation comme une fonction qui permet à un individu ou
à un groupe d'avoir le vrai sens du monde ; les diverses
représentations du monde aident à comprendre la
réalité. D'après Abric la représentation sert
d'organisatrice et porte un caractère stable. Elle aide l'individu
à prendre une position sur ses valeurs et idées par rapport
à la société. La représentation sociale est un
ensemble d'éléments d'un groupe représenté. Il
porte des éléments stables, et cohérents entre eux.
L'absence d'un élément va rendre la représentation
incohérente. Selon Abric, la représentation est à la fois
« le produit et le processus d'une activité mentale par
laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est
confronté et lui attribue une signification
spécifique ». Elle est déterminée par
plusieurs facteurs - par le sujet lui-même (son histoire, son
vécu), par le système social et idéologique dans lequel il
existe, par les moyens avec lesquels il se connecte avec le système
social (Abric, 1989). Abric explique que la représentation sert de guide
pour l'action.
Plus récemment c'est la théorie de la sociologue
Denise Jodelet qui a marqué le développement de la
théorie de la représentation. Jodelet a élaboré son
idée de représentation dans son ouvrage La Folie et la
Représentation Sociale paru en 1989. Selon Jodelet
« la notion de représentation sociale désigne une
forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les
contenus manifestent l'opération de processus génératifs
et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne
une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont
des modalités de pensée pratique orientées vers la
communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement
social, matériel et idéel». Donc, c'est le groupe qui
produit une représentation de soi-même. Il absorbe la
réalité et la transforme pour le monde. La production de
représentation est un acte de pensée. Selon Jodelet les
représentations sociales sont des systèmes
d'interprétation régissant notre relation au monde et aux autres,
orientant et organisant les conduites et les communications sociales.
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