Chapitre 3. La Diaspora
Historiquement le mot diaspora est associé à la
dispersion de la communauté juive. Selon le dictionnaire le Petit
Robert de la langue française le mot diaspora est
d'origine grecque (diaspeirô/dispersion), il s'agit de la
dispersion à travers le monde antique des Juifs exilés de leur
pays. Dans Le Robert Dictionnaire Culturel en langue française
le mot diaspora signifie : la dispersion (d'une ethnie), ensemble des
membres dispersés d'un groupe social ou ethnique. La diaspora
tchèque, arabe, chinoise.
Toutefois, le mot diaspora est employé depuis les
années 80 pour décrire les peuples d'un certain pays ou
communauté qui ont quitté leur pays d'origine pour des raisons
diverses. (Celikpala, 2006) Gérard François Dumont dans son livre
Démographie Politique : Les Lois de la Géopolitique des
Populations définit une diaspora comme « un ensemble
d'individus vivant sur un territoire avec lequel ils entretiennent des
relations régulières, symboliques ou mythologiques ».
Robin Cohen dans Global Diasporas (2008) identifie cinq types de
diasporas : Africains et Arméniens comme diaspora de victimes ;
les travailleurs indiens sous-contrat comme diaspora de main d'oeuvres
; les chinois et les libanais comme diaspora de commerce ; les
sionistes et les sikhs comme diaspora marquée par l'imaginaire de
leur patrie ; et les Parsis et Sindhis de Mumbai comme diaspora
déterritorialisée
Le mot « diaspora » est utilisé normalement
par les académiciens, journalistes et politiciens pour décrire
les peuples qui habitent loin de leur pays d'origine (Celikpala, 2006). On
dégage trois critères pour qu'un groupe soit décrit comme
diaspora. Premièrement, il faut qu'il soit dispersé dans deux
lieux ou plus en dehors de leur pays d'origine. Ensuite, il faut que la
communauté y ait
direction de Jean Pierre Rioux p. 270
demeuré longtemps ou définitivement. Enfin, il
faut qu'il y ait des échanges culturels et économiques entre les
groupes demeurant dans plusieurs pays. La communication et les voyages entre
les nouveaux pays et le pays d'origine sont inclus dans cette catégorie.
(Hears cité dans Celikpala, 2006).
Expliquant l'identité diasporique Stuart Hall dans son
article Penser la Diaspora : chez soi de loin47 parle de
force du « cordon ombilical » dans les diasporas ;
l'identification associative avec les cultures des origines reste très
forte, même dans la deuxième et troisième
génération, bien que le «lieu d'origine ne soit plus la
seule source d'identification. « La pauvreté, le
sousdéveloppement, le manque d'opportunités - les traces
omniprésentes de l'Empire48 peuvent contraindre les
populations pauvres à migrer, provoquant l'éparpillement et la
dispersion. Pourtant, au fond de notre coeur dit l'auteur, nous sommes
convaincus que chaque dissémination porte en elle la promesse d'un
retour rédempteur »(Hall, 2007:246). La conception
fermée de la diaspora repose sur la construction d'une frontière
exclusive, sur une conception essentialisée de l'altérité
de « l'Autre » et sur une opposition fixe entre le dedans et le
dehors (Hall, 2007:251).
Prenant l'exemple de la diaspora aux Caraïbes, Hall
explique que la diaspora a un sentiment de délocalisation avec son pays
d'origine. Les membres d'une diaspora aussi expérimentent un
mélange ou une hybridité non seulement avec les résidents
du pays où ils demeurent mais aussi avec les autres diasporas.
L'Isère et Grenoble sont une terre d'immigration depuis
longtemps. Cette région a accueilli les travailleurs et les
commerçants non seulement des pays limitrophes mais aussi des pays
africains, asiatiques et d'Amérique du Sud.
47 Hall, Stuart. Penser la diaspora dans Identités et
Cultures Politiques des Cultural Studies ; Editions Amsterdam ; Paris :
2007
48 Par empire l'auteur entend, semble-t-il la puissance
dominante dans le lieu de départ.
Nous avons retenu pour notre étude trois de ces
diasporas.
3.1 La Diaspora Juive
Selon Robin Cohen, cette communauté représente
la notion classique de la diaspora par suite de leurs expériences
historiques de persécutions, les immigrations et les mélanges (ou
hybridité) avec les peuples du plusieurs régions du monde.
L'Isère est une région qui a joué un rôle important
dans l'histoire de la communauté juive. La ville de Vienne, sur les
bords du Rhône, était l'un des premiers endroits en Europe
où les juifs se sont installés après que l'ethnarque de
Judée Archelaus y fut exilé par l'Empereur Auguste en l'an 6 de
notre ère et où il mourut en l'an 16 de notre ère
(Rosenman).. Selon un mémoire d' A. Prudhomme, Archiviste de
l'Isère en 1883, les persécutions et humiliations contre la
communauté juive eurent lieu en Dauphiné pendant le XIVème
et XVème siècle. Le roi Louis XI, là comme ailleurs, fit
preuve de sens politique, révoqua quelques mesures prises avant lui
contre les juifs du Dauphiné et diminua les charges qui leur
étaient imposées. Mais ce ne fut pas un vrai soulagement (Havet,
1883). Les juifs continuaient à vivre en Isère au XVIème
(Vial, 2001). Cette communauté continua à se développer
aux siècles suivants.
En 1928, l'Association culturelle Israélite fut
fondée à Grenoble par Prosper Troujman, Lucien Lévy,
Rudolph Fischl, M. Serfaty, et Myriam Dubois. Prosper Troujman possède
et dirige les magasins de la Providence, rue Thiers. Rudolph Fischl est
à la tête de l'une des plus importantes ganteries et Myriam Dubois
est l'épouse d'un magistrat. Dès 1933, cette petite
communauté voit arriver les premiers proscrits des lois d'exceptions
allemandes. La situation s'est dégradée pendant la
décennie, à cause de l'augmentation du taux de chômage, de
la chute de la production et du peu de stabilité politique. Cette
situation a contribué à l'atmosphère de xénophobie
(Ciarrocca, 2005). En juin
1940, après l'invasion allemande et la création
du gouvernement de Vichy, des juifs alsaciens et parisiens rejoignent
l'Isère puis, entre les étés de 1941 et 1942, des juifs
Polonais. Ces derniers constituent alors la moitié des juifs
étrangers du département. Au début de l'année 1943,
de très nombreux juifs d'Autriche, d'Allemagne et de Roumanie se sont
également réfugiés dans la région
grenobloise49.
Les montagnes qui cernent Isère ont facilité
l'évasion de juifs. Ils étaient quelques vingt mille
essaimés dans un rayon d'une trentaine de kilomètres,
jusqu'à Voreppe et Voiron, le plateau de Petites-Roches, où les
sanatoriums de Saint-Hilaire-du-Touvet (ceux du « Rhône » et
des « Etudiants » ) accueillirent de faux malades. ; ils se
réfugièrent également dans les petits villages du balcon
de la chaîne de Belledone, du Vercors : Villard de Lans, Méaudre
et Autrans, et plus au Sud Prélenfrey, et son préventorium pour
enfants Alors que la loi du 2 juin 1941 exigeait un recensement des juifs afin
des pouvoir les exclure de certaines professions, la grande majorité de
ces juifs ne se trouvaient pas sur les listes de recensement du gouvernement de
Vichy, car ils vivaient sous une identité d'emprunt (Yagîl, 2005 :
196, 197).
En dépit du fait que le régime dit de Vichy
représentait l'Etat français, il était sous le
contrôle allemand qui s'est installé dans la partie Nord de la
France. Les juifs étaient discriminés et déportés
par la politique antisémite suivie dans la région sous la
direction du Maréchal Pétain. En revanche on retrouve plusieurs
exemples de sauvetage de juifs, particulièrement par des
communautés religieuses et des fonctionnaires qui leur étaient
favorables en Isère50.
49 Etre Juif à Grenoble entre 1939 et 1945 : Expositions
au Musée de la Résistance, Grenoble.
50 Yagil, Limore ; Resistance et Sauvetage de Juifs dans le
département de l'Isère (1940-44) ; Guerre mondiale et conflits
contemporaines ; 2003/4 n°212. Disponible sur www.cairn.info.
Aujourd'hui il y a 6000 (environ) 51 juifs qui
vivent en Isère. Ils sont actifs dans des organisations comme le Conseil
Représentatif des Institutions juives de France de Grenoble-Isère
(CRIF), Le Cercle Bernard Lazare, etc.
|