Les artistes commencèrent à imaginer les ondes
comme un paysage artistique. Le mouvement Dada, regroupant plusieurs artistes
qui étaient contre l'absurdité de la guerre, commença en
1916 à Zurich en Suisse. Les artistes voulaient trouver une autre
signification à l'art dans toutes ses formes. Dans le domaine sonore, le
mouvement Dada produisit des sons diffóents. Kurt Schwitters, Richard
Huelsenbeck and Raoul Haussman étaient les artistes du mouvement Dada
qui ont expérimenté avec la poésie du son inspiré
par l'idée de mots libres développée par
l'italien Filippo Tommaso Marinetti en 1919 (environs) qui a mené le
mouvement futuriste41. Diverses expóiences de radio futuriste
seront tentées avant la Seconde Guerre mondiale, notamment, à
Liège, par le Groupe Moderne d'Art42.
41 Un mouvement lancé en Italie par Filippo Tommaso
Marinetti en 1909 valorisant la vitesse, l'industrie et la machine.
42 LAUREYS, A.-M., La vie littéraire à
Liège entre les deux guerres, Mémoire de licence en
Philologie romane, Université de Liège, inédit.
Cité dans
http://histv2.free.fr/litterature/marinetti.htm
En même temps Luigi Russolo (1885-1947), écrivit
l'arte dei rumori (L'art du bruit) et inventa des instruments de
bruitage. Selon Russolo « La vie ancienne fut silencieuse. Le bruit
naquît avec l'invention de la machine au XIX ème siècle
». Il a estimé que le son était un
phénomène physique et le bruit sa désintégration
compliquée43. Dans l'appendice au manifeste de Marinetti, un
Art des Bruits en 1916 il fait l'inventaire de tous les bruits
possibles à rassembler dans ce qu'il appelle l'orchestre
futuriste. Il y a, selon Russolo, six classes de bruits dans
l'univers qu'il espère simuler tous par des machines dans ses
laboratoires. Le lexique des bruits est bien spécifique aux
différentes langues, et les traductions de l'italien ne peuvent
être qu'approximatives. Première classe : le hurlement
(vent), le rugissement, le ronflement (tonnerre, orgues), le mugissement (vent,
mer), la détonation, le claquement ; seconde classe : le
sifflement (serpent), le bruissement (étoffes), le chuintement (gaz,
vapeur), le halètement (souffle) ; troisième classe : le
chuchotement, le susurrement (feuilles d'arbres), le murmure, le marmottement ;
quatrième classe : le grincement, le craquement, le
grésillement, le pétillement, le frottement ;
cinquième classe : les bruits obtenus par le battement de
métal, de bois, de peau, de pierre ; sixième classe :
les bruits produits par les «voix» humaines et animales : la clameur,
le gémissement, le vagissement, le sanglot, le beuglement, le
braillement, le bourdonnement, etc (Parret, 2010).
En Mai 1924, la revue L'Impartial Français
organisa le premier concours de « littérature radiophonique »,
le jury fut composé d'écrivains et de personnalités du
monde du théâtre (Colette, Jacques Copeau, la comtesse de
Noailles, LéonPaul Fargue, Rosny Aîné, etc.). Deux premiers
prix furent en effet attribués, l'un pour ses «qualités
littéraires» et l'autre pour ses «qualités
radiogéniques». Les deux oeuvres primées en 1924 sont
Agonie de Paul Camille et Maremoto de Gabriel Germinet
(pseudonyme de Maurice Vinot) et de Pierre Cusy. La
43Luigo Russolo (1885-1947) disponible sur
http://www.occurrence.ca/multimedia/telegraf/pdf/ta_rus.pdf
première, récompensée pour ses
qualités littéraires, met en scène «un mourant qui a
pu s'emparer d'un poste d'émission de T.S.F» et sa forme est «
une simple confidence, une confession ». Maremoto (raz de
marée en italien) est « un dialogue entre un
radio-télégraphiste et un marin qui appellent
désespérément au secours par TSF, car leur navire est
entrain de couler. On entend la pluie, le vent, des bruits de chute, les
craquements de la coque. (Méadel, cité dans Hartje, 2003).
L'utilisation des ondes pour la propagande a troublé
les artistes. Bertolt Brecht le dramaturge, poète et metteur en
scène allemand, inquiété par le manque de participation du
public dans l'espace radiophonique et l'utilisation de la radio pour et par les
propagandes nazis a écrit en 1932 Der Rundfunk als
Kommunikationsapparat/La Radio comme Appareil de Communication.
44 Il constate:
La radio porte une face au lieu de deux - elle est
purement un appareil de distribution. Voici une suggestion positive : changez
cet appareil de distribution en un appareil de communication. La radio peut
être le meilleur appareil de communication dans la vie publique, un vaste
réseau de conduits. C'est-à-dire, qui sache aussi bien
transmettre que recevoir et laisser l'auditeur parler aussi bien
qu'écouter.
En 1936, Rudolph Arnheim dans son livre Radio
proposa que la radio puisse être un nouvel art. Il a basé son
hypothèse en observant la croissance de la communication sans fil en
Europe qui à ce moment là comporte 235 stations de radio. Il
postule que ce qui empêche le développement de l'art de la radio
est la hiérarchie des sens dans laquelle la vue domine l'ouïe.
« L'oeil donne une impression complete du monde, mais
l'oreille donne une
44Lander, Dan ; Radiocasting musings on Radio and
Art. Disponible sur
http://cec.concordia.ca/econtact/Radiophonic/Radiocasting.htm.
Comment [e1]: Correction
impression incomplete. L'essence de diffusion est
l'unité, il apporte par les moyens auditifs l'essence d'un
événement, le processus de pensée, une
représentation... la dominance sensorielle d'un visuel sur l'auditif est
telle dans notre vie qu'il est difficile à accepter le monde auditif
avec une transition vers le monde visuel. Donc, il y a une opinion qui se
généralise à propos du sans fil. »
L'autre raison du retard de l'art de la radio était la
dominance de la musique. La musique a gagné en importance grâce
à sa valorisation comme condition sine qua non d'art du son.
L'auto-réfóentialité de la musique a affaibli,
banalisé et effacé les résultats sociaux et imaginaires
des autres systèmes de sons. (Kahn, 1990).
En 1933, Filipino Tommaso Marinetti et Pino Masnata ont
écrit un manifeste La radia, qui accompagna Le
manifeste pour le Futuriste par Marinetti dans laquelle ils
envisagent la radio comme un des modes de communication plus avancée que
le théâtre (qui avait été selon eux tué par
la radio et le cinéma sonore) et du livre (coupable de la myopie de
l'humanité). Ce manifeste fut basé sur l'idée des mots
libres (parole in liberta).
Par ailleurs les contrôles gouvernementaux sur les
diffusions ont bloqué les intentions des artistes pour utiliser la radio
dans un but artistique du fait qu'elle était employée comme
vecteur de propagande. Circonvenir les influences militaro-industrielles et
diffuser d'une manière par laquelle les sons ne soient pas
détournés par les puissants, étant donné que la
radio avait des racines militaires, était un défi pour les
artistes (Lander, 1999). Pourtant, les artistes continuaient à
développer ces moyens de diffusion.
La puissance de la radio pour créer des effets «
quasi magiques » par le moyen
du son a été
démontrée lors de la diffusion de La Guerre des Mondes
(de H.G.
Wells) par Orson Wells en 1938 sur CBS, aux Etats-Unis. Cette
histoire d'une invasion extra-terrestre convainquit les auditeurs que les
événements diffusés par la radio étaient
réels. Six millions d'auditeurs crurent qu'il s'agissait d'une
émission d'information et un million céda à la
panique.45Les artistes furent fascinés par ce nouveau moyen
de communication et voulurent l'utiliser non seulement dans des buts
artistiques mais aussi pour développer un art sonore.
Marinetti et Kurt Schwitters se sont intéressés
à la manipulation du son par la technologie. Pendant les années
30, Marinetti produisit cinq pièces radiophoniques, en mélangeant
les sons de feu, d'eau, et de voix humaines. Il a aussi utilisé le
son rrrrr d'une moto (Lander, 1990). Cette collection de sons est
intitulée Radio Sintesi. Mais cet ouvrage n'a jamais
été diffusé. Dans son ouvrage La Radio (1933),
inspiré de mots libres par Marinetti, Pino Masnata a
proposé que les éléments de la structure linguistique
(conjonction, adverbes, adjectifs, etc.) soient éliminés pour la
réduire aux mots essentiels. Les mots libérés peuvent
être utilisés pour créer une imagination sans fil
(sic).
Néanmoins les conditions imposées par l'Etat
pour l'utilisation de la radio ont empêché le développement
de la radio comme « le huitième art ». En 1947,
l'émission, Pour en Finir avec le Jugement de Dieu
créée par Antonin Artaud acteur, dramaturge, poète et
peintre français était censurée par crainte que l'ouvrage
ne véhicule un sentiment de peur. L'enregistrement était
composé de sons, cris, hurlements, grognements, onomatopées.
Artaud a envisagé la bouche comme le seul émetteur de sons. Selon
Allen S. Weiss, cet ouvrage peut être rangé dans le domaine de
radio phantasme (Lander,1999).
Selon Hélène Eck l'art de la radio ne se
développa pas à cause de sa dépendance
du
théâtre. « Il paraissait évident dans les
années trente que « le huitième art »
45 Influence, Ibid p.31
s'identifiait au théâtre radiophonique soit
en quête d'une nouvelle définition. Il reste très
étroitement dépendant du modèle théâtral
traditionnel, s'attache aux notions d'oeuvres et d'auteur, seules capables de
hisser la radio au rang des Arts » écrit Eck46.
En plus les usages des stéréotypes et les
descriptions banales ont rendu l'art radiophonique inefficace. « C'est
de l'ordre de la fine moustache par laquelle, dans les Westerns se
démontré la traîtrise » (Veille, 1952 cité
dans Eck, 1990). Les accompagnements parasites les plus fréquemment
décriés sont les récitant, cet auxiliaire postiche dont la
voix neutre est plate et décrit le décor et assure les
transitions entre les scenes, la musique d'ambiance où
l'atmosphère destinée à suggérer un cadre spatial,
enfin et surtout le bruitage exagéré, cette multiplication
d'indices sonores qui n'épargnent à l'auditeur ni les bruits des
voitures , d'ascenseur, de clef, ni ceux de porte ouverte, puis fermée
pour évoquer un retour à la maison » (Meriminode,1945
cité dans Eck, 1990)
46 Hélène Eck: A la recherche d'un art
radiophonique dans la vie culturelle sous Vichy, sous la