2. PROBLEMATIQUE
La richesse de la vie sur terre est le résultat de
centaines de millions d'années d'évolution et de milliers
d'années d'expériences paysannes dans l'acclimatation des plantes
et la domestication et le dressage des animaux.
De ce fait, nous pouvons dire que les oasis, sont non
seulement des zones cultivées intensivement dans des milieux
désertiques, mais sont aussi des symboles de gestion des ressources
rares et précieuses fruit de ce savoir-faire ancestral.
Leurs organisations héritées et adaptées
au cours des siècles se sont traduites autant dans des techniques
agronomiques que des modes de gestions écologiques, des modalités
sociales, économiques et culturelles qui constituent un véritable
patrimoine répondant parfaitement à la définition
même du développement durable. La diversité de leurs
situations a produit, entre autre, de multiples stratégies de
savoir-faire et de création de richesses permettant la fixation de
populations entières dans des milieux hostiles. C'est cette
extraordinaire richesse qui a produit une représentation mythique des
oasis largement partagée dans différentes régions.
En effet, et face aux diverses contraintes naturelles et socio
économiques et aux menaces qui pèsent sur le système
oasien, les agriculteurs de ces zones ont développé des
stratégies de développement « durable » et ont mis en
oeuvres des pratiques et approches qui leur ont permis de vivre et de
s'épanouir dans ce système à équilibre fragile. Ces
agriculteurs ont ainsi, à travers le temps, cumulé un
savoir-faire appréciable en matière d'agriculture oasienne. Il va
sans dire que l'adoption du système intensif à trois
étages et l'intégration de l'élevage des petits ruminants,
l'association agriculture artisanat, la pratique d'une agriculture
orientée vers les cultures sélectionnées dominées
par les variétés à forte valeur commerciale et la
diversification des productions sont autant d'exemples qui témoignent
d'un esprit d'ingéniosité de l'agriculteur oasien.
En outre, plusieurs techniques agricoles (modes de gestion des
ressources naturelles et forme d'organisation) ont eu naissance non pas au sein
des laboratoires de recherche, mais à l'intérieur de l'oasis
suite aux pratiques, aux savoirs et aux oeuvres du paysan oasien depuis la
création de ce « paradis sur terre » qu'est l'oasis.
Durant des siècles, et comme nous l'avons
signalé plus haut, ces populations ont exploité l'oasis sans
mettre en péril la biodiversité, mieux encore ils ont toujours
pris le soin de la préserver. L'oasien, à travers les temps, a su
maintenir cette biodiversité pour des raisons liées à sa
propre sécurité, sa nourriture, son habitat et sa culture. Du
coup, nous pouvons dire que la diversité biologique et le savoir-faire
local sont étroitement liés.
Il est clair que le palmier dattier, qui constitue le pivot du
système oasien, a une importance aussi bien écologique que
socio-économique. Il fournit un aliment important pour le bétail
et constitue une base pour l'exploitation artisanale par le biais de la
vannerie, de la sparterie et d'autres produits utilisés comme
matériaux de construction qui font vivre des familles entières
(ELHOUMAIZI, 1998). D'autre part, les dattes qui sont considérées
souvent par beaucoup de consommateurs comme un fruit dessert, constituent la
base de l'alimentation des habitants du Sahara, et peuvent servir à
l'élaboration d'une gamme très étendue de produits
alimentaires de grande valeur énergétique et
diététique (DJERBI, 1982).
Le système oasien a permis de créer des zones
tampons se référant à des techniques et des traditions
sociales assurant les meilleures conditions de gestion des ressources
naturelles.
Sur le plan agronomique, le palmier dattier occupe une place
stratégique dans la stabilité socio-économique et
écologique du système oasien. La population tunisienne vivant de
la phoeniciculture est estimé à environ 10% sur le plan
quantitatif, le patrimoine génétique phoenicicole tunisien compte
environ 5400 000 palmiers (MRABET et al, 2006).
Reste à préciser que les oasis, et malgré
la place qu'occupe le palmier, se dotent d'une diversité agro
écologique permettant plusieurs productions végétales et
animales puisqu'elles constituent des zones favorables à la production
des cultures fruitières (bananes, grenades, prunes, vignes, et c.), des
cultures légumières (piments, tomates, blettes, choux, carottes,
et c.), des cultures fourragères (luzerne, sorgho, vesce avoine, etc.),
des cultures industrielles (henné, tabac, etc.), sans oublier les
semences et boutures ainsi que les produits de l'élevage (INRAT, 2006).
Or, il faut préciser que les populations anciennes qui ont vécu
dans ces milieux désertiques, ont pu organisé l'espace oasien
autour du facteur « eau » en utilisant des techniques et des
méthodes traditionnelles basées sur la gestion sociale de l'eau
pour bien maîtriser cette ressource précieuse (KABIRI, 2006).
D'ailleurs nous pouvons affirmer avec juste raison que la gestion sociale de
l'eau, par le biais des structures traditionnelles de gestion, les fameuses
« jamiyâa maiyâa » (Association d'eau), ainsi que le
savoir-faire local ont constitué jusqu'à longtemps les deux
piliers de survie des oasis.
La consultation des références bibliographiques
(études, thèses, rapports et autres) que nous avons pu faire
jusqu'à maintenant nous permet de résumer les principales
contraintes au développement de l'agriculture oasienne comme suit :
- la situation hydraulique est marquée par un
déficit important en eau dans de nombreuses parelles qui sont en voie
d'abandon.
- le système d'irrigation par submersion est un
système de gaspillage d'eau. Par manque de nivellement, de
désherbage ou d'entretien, l'eau ne circule pas rapidement dans les
planches ce qui engendre une perte énorme.
- la destruction du palmier dattier, par le recours des
oasiens à l'extraction du vin de palme « legmi » comme source
facile d'entrée d'argent, pourrait bouleverser le milieu oasien
notamment en raison de son importance dans la création du
microclimat,
- la baisse du revenu agricole oasien est devenue un facteur
qui pousse les jeunes à fuir l'agriculture et les amène à
émigrer pour chercher des revenus meilleurs dans les secteurs des
bâtiments et des services (ROMDHANE, 2004),
- le fait urbain : par la création du complexe
industriel et la diversification des activités économiques,
Gabès est devenue un pole d'attraction pour la main-d'oeuvre du centre
et du sud et connaît un accroissement démographique important qui
s'est traduit par une explosion du périmètre communal en
dépit des oasis.
Si nous mettons l'accent sur l'une des problématiques
des oasis, à savoir la main d'oeuvre, l'apparition d'offres d'emplois
salariés dans un premier temps à l'étranger puis
localement dans les industries, l'administration et diverses autres
activités non agricoles à fortement attiré la force de
travail de l'oasis et a provoqué un désintérêt des
jeunes générations pour l'activité agricole. L'agriculture
oasienne est de plus en plus pratiquée à temps partiel
(ABDEDAEIM, 1997). Elle est, même, devenue pour certains, surtout les
fonctionnaires, une activité de « jardinage » et pour
d'autres, un attachement à un patrimoine familial sans plus. Tout cela,
qui s'ajoute aux mutations socio-économiques dans ce nouveau contexte de
mondialisation, fait que nous assistons de plus en plus à une perte du
savoir-faire local, à une utilisation de techniques inappropriée
à l'oasis (rigoles en ciment), à une introduction de
spéculations non compatibles avec les ressources oasiennes
(élevage bovin), à la déserte de la main d'oeuvre jeune,
au démantèlement des service d'encadrement et d'accompagnement
des oasiens (Désengagement de l'Etat), bref à l'accroissement du
phénomène d'abandon (déprise agricole) ce qui met en
péril la survie des oasis considérée comme « grenier
» de la biodiversité et du savoir-faire local (CHETOUI et HAMROUN,
2004).
Il va sans dire que la situation des oasis traditionnelles est
presque alarmante. La reconversion des palmeraies a entraîné une
érosion génétique sévère de la
diversité génétique de patrimoine phoenicicole (CHETOUI et
HAMROUN, 2004). Cette reconversion a favorisé la disparition progressive
de certaines variétés présentant des intérêts
socio-économiques et même technique importants (MRABET et al.,
2006).
Nous n'ajoutons rien de neuf lorsque nous signalons que
l'augmentation du coüt du travail, due à la raréfaction de
la main-d'oeuvre (manque de pollinisateurs des palmiers), d'une part et
à l'effondrement des prix des dattes communes, d'autre part, conduit les
exploitants à ne plus recourir à certains travaux ou à les
faire moins fréquemment (pollinisation, toilettage des palmiers, etc.).
Il en résulte une diminution des rendements et des revenus, ce qui
entraîne un important manque à gagner (LASSAUX, 2004).
Si nous continuons notre réflexion sur la
problématique, nous disons que les mutations socioéconomiques
qu'a connue la région de Gabès depuis l'installation des usines
chimiques au début des années 70, en premier temps et
l'instauration du programme d'ajustement structurel au milieu des années
80, en second temps, ont eu des effets néfastes sur les oasis.
En effet, plusieurs auteurs (BECHRAOUI, 1980 ; ABDEDAEIM,
1997, etc.) ont montré que l'impact négatif du secteur industriel
sur les oasis était multiple :
- sur le plan social, par les offres d'emplois annuels
(quelques milliers), par le développement et la diversification des
activités économiques qu'elle a entraînés (services,
Bâtiment,
transport, industrie, émigration vers la Libye et
l'Europe, etc.) il a poussé les jeunes à déserter
l'agriculture oasienne,
- sur le plan agricole, par la consommation énorme
d'eau, il a favorisé le rabattement des nappes souterraines et donc il
est le premier responsable de la problématique de l'eau,
- sur le plan démographique, par la presque
multiplication de la population de la ville de Gabès ce qui a
provoqué une extension urbaine au dépend de l'espace oasien
(emprise du bâtit sur l'espace vert),
- sur le plan écologique, par la pollution chimique
qu'il a engendré, il a participé à la destruction de
l'étage supérieure des oasis à savoir les arbres fruitiers
et surtout le palmier (plusieurs centaines de procès gagnés par
les oasiens contre le Groupe Chimique Tunisien). D'un autre côté,
l'application du Programme d'Ajustement Structurel (PAS) à partir de
1986 n'a fait qu'aggraver la situation. Avant cette date, l'Office des
périmètres irrigués assurait l'encadrement des oasiens
(vulgarisation technique, accompagnement dans l'installation des nouveaux
projets, relais avec les autres services, etc.) leur ravitaillement en intrants
à des prix subventionnés et surtout leur facilitant la
commercialisation des produits. La suppression de cet office a mis les oasiens
seuls face aux lois du marché ce qui a provoqué la
paupérisation d'une masse non négligeable d'entre-deux et a
donné une raison de plus aux jeunes oasiens de déserter
définitivement l'activité oasienne, d'où
l'accélération du phénomène de déprise
agricole (abandon des parcelles) qui était, jusque là,
étrange à l'oasis (BEN SAAD, 2004).
Si on ajoute à cela individualisme et
égoïsme, comme nouvelles valeurs sociales dans ce nouveau contexte
de mondialisation, nous pouvons affirmer avec juste raison que la transmission
du savoir-faire local, entre générations, n'est plus à
l'ordre du jour des oasiens.
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