WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

( Télécharger le fichier original )
par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section II : Les politiques de révision de la constitution de 1991 face aux savoirs mobilisés.

Comme il fallait s'y attendre, la « rationalité synoptique »227(*) à l'oeuvre dans toute rationalité juridique s'est heurtée à la dure réalité politique burkinabé. En effet, en plus des critiques que la constitution de la IVe République a rencontrés en naissant, la pratique constitutionnelle et le jeu des acteurs vont décevoir les réglages et les attentes du pouvoir constituant originaire. Des manipulations institutionnelles aux esquives de révisions mélioratives, la loi fondamentale de 1991 a subi des avatars et trébuche encore sous le poids de ses tares congénitales. Les différents modes de socialisation des savoirs scientifiques dont il a été question dans la première partie, en entreprenant d'étudier le système politique burkinabé, avaient donc pour objectif d'éradiquer ces tares qui hypothéquaient la consolidation démocratique. Ils ont ainsi produit et charrié vers les institutions politiques « des propositions de réformes [...] riches et pertinentes228(*) » qu'il convient, dans un premier temps, de récapituler (§1), puis, dans un deuxième temps, de voir l'usage qui en a été fait par le pouvoir politique (§2).

§1 : Les propositions de réformes constitutionnelles faites sous la IVe République

En ce qui concerne les savoirs produits et mobilisés sous la IVe République, on peut parler de profusion, d'abondance. Autant elle est la République la plus longue, autant elle est celle qui a bénéficié des expertises les plus inédites. Du rapport d'international IDEA au rapport du MAEP, en passant par le collège de sages, la commission chargée des réformes politiques, le planisme burkinabé, sans oublier les études du CGD et le conseil consultatif qui est en train de s'installer, aucune République n'a eu autant de médecins dans son existence, autant de structures qui ont eu pour unique objectif d'ausculter le corps politique afin de lui administrer les remèdes adéquats et efficaces. De plus, grâce au travail de ces structures, les organes permanents d'expertise, intégrés qu'ils sont à l'ingénierie du système politique, ont permanemment disposé dans leur environnement des informations nécessaires pour mener à bien la mission d'éclairage qu'ils doivent remplir au profit des décideurs politiques. Dans ce paragraphe, il sera surtout question, d'une part, des recommandations produites par les instances externes mandatées (A) d'une manière ou d'une autre sous la IVe République et d'autre part de celles faites par les acteurs du militantisme démocratique (B). Quant aux recommandations issues des structures permanentes, nous avons préféré renvoyer la mention de leur contenu au §2 de cette deuxième section puisqu'elles ont été faites au moment où la politique institutionnelle s'effectuait et spécialement pour elle, à la demande des décideurs politiques.

A) Les recommandations des instances externes mandatées pour la mobilisation des savoirs.

Les instances mandatées pour la mobilisation des savoirs ont opéré des diagnostics scientifiques et mis à la disposition de l'État les connaissances techniques qu'elles ont jugées nécessaires au renforcement de la démocratie et à l'efficacité de ses institutions. Le Burkina Faso en a expérimenté six: il s'agit de l'équipe d'International IDEA (1), du collège de sages (2), de la commission chargée des réformes politiques (3), du planisme burkinabé (4), du mécanisme africain d'évaluation par les pairs (5) et du conseil consultatif sur les réformes politiques (6).

1) Le rapport de International IDEA

Il a également été riche en recommandations de réformes constitutionnelles. Il catalyse surtout la critique doctrinale burkinabé, sa mission étant toujours, dans les pays où il intervient, de mettre en contact le monde universitaire et le monde de la politique229(*) de façon à ce que l'interpénétration favorise l'emploi des résultats de la recherche pour le renforcement de la bonne gouvernance. Sur un total de 70 recommandations, 10 (recommandations 2, 4, 18, 19, 20, 21, 37, 41, 42, 47) traitent amplement la constitution de la IVe République. Il a notamment proposé le renforcement de la séparation des pouvoirs. Cette suggestion impliquait de renforcer l'indépendance de la justice, la capacité du parlement et de réaménager les compétences du président du Faso et du premier ministre.

Concernant l'indépendance de la justice, International IDEA estime que le tendon d'Achille de la justice burkinabé est d'avoir choisi de suivre le pas du constituant français en rendant la nomination et la carrière des juges tributaires du pouvoir exécutif qui, de ce fait, peut influencer leurs décisions. « Il paraît souhaitable de réfléchir à la réévaluation du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et à l'amendement de l'article 134 de la Constitution pour renforcer l'indépendance de la justice en lui donnant les moyens de s'autogérer »230(*). Au demeurant, poursuit IDEA, « il existe une incompatibilité certaine entre l'article 134 de la Constitution et l'article 13 de l'ordonnance no 91-0052/PRES du 26 août 1991. En effet, malgré la garantie de l'indépendance effective de la magistrature, la gestion des carrières des magistrats (nominations, affectations et promotions) reste sous la tutelle de l'exécutif, transformant le CSM en une chambre d'enregistrement chargée d'entériner les décisions et les choix de l'exécutif. Une voie à explorer consisterait à modifier l'article susmentionné pour y inclure l'exigence d'un avis conforme du CSM sur les propositions du ministre de la Justice avant que celles-ci deviennent effectives231(*) ». Plus loin, il ajoute aussi que « la réhabilitation du rôle du CSM susmentionné permettrait aussi de crédibiliser l'institution judiciaire232(*) ».

Le pouvoir législatif quant à lui, est invité à « légiférer en toute sérénité pour le bien général233(*) ». Un appel à l'assagissement des rapports au sein de l'institution parlementaire est ainsi lancé. Selon le rapport IDEA, « le parti majoritaire, [...] doit faire preuve de tolérance à l'égard de l'opposition, dont il doit respecter les droits...». « Les [...] droits de l'opposition doivent être reconnus et la responsabilité individuelle du député doit être affirmée. Le dialogue et la recherche d'un consensus national sur des questions fondamentales doivent être prioritaires234(*) ». En clair il faut un statut constitutionnalisé pour l'opposition.

À propos de la question de la répartition des compétences entre le Président du Faso et le Premier ministre, le rapport, s'inspirant peut-être du cas nigérien de l'année 1995235(*), considère que « le fait que le Premier ministre et le Gouvernement ne déterminent pas mais conduisent seulement la politique de la nation (article 61) [...] peut être à l'origine de difficultés et de tensions quand la majorité parlementaire est du bord opposé de celui du chef de l'État. La crise politique peut alors s'installer au sommet de l'État236(*)».

Mais les recommandations d'International IDEA ne se cantonnent pas uniquement dans le registre de la séparation des pouvoirs. Elles abordent des questions plus controversées comme le rôle de la Chambre des représentants et du conseil économique et social, l'élargissement de la saisine de la Chambre constitutionnelle et la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Concernant le premier point, le rapport d'International IDEA recommande de mener une réflexion particulière sur le rôle, les attributions et la répartition de compétences entre la Chambre des représentants et le Conseil Économique et Social (CES). Le caractère exact de la fonction consultative que ce dernier doit exercer est remis en cause. De plus, le rapport estime que la Chambre des représentants, composée selon le même modèle, fait double emploi avec les fonctions du CES et que l'utilité des deux institutions qui sont budgétivores reste à démontrer237(*).

Au deuxième point, il est recommandé d'élargir la saisine de la Chambre constitutionnelle en ramenant le nombre de députés pouvant y procéder de 1/5 à 1/20ème ou à cinq (5) députés et d'envisager la saisine par les particuliers à certaines conditions. Le rapport conseille également « l'harmonisation des dispositions constitutionnelles concernant le rôle de la Chambre Constitutionnelle en matière d'élections législatives et présidentielle238(*) ».

Quant au dernier point, le rapport y revient itérativement239(*) tantôt pour commenter, tantôt pour donner des recommandations. Selon l'Institut, « il serait sans doute souhaitable d'effectuer un retour critique et d'engager une réflexion approfondie et sereine sur le mandat présidentiel et ses implications pour la consolidation de la démocratie au Burkina Faso en examinant les options disponibles quant à la réforme de la durée du mandat présidentiel, du nombre de mandats successifs ou des deux simultanément240(*) ». Enfin, il propose l'harmonisation de la durée des mandats présidentiels et parlementaires, et invite à réfléchir à l'extension d'une telle harmonisation à l'ensemble des « mandats publics (Président de la République, députés, Présidents de la Cour Suprême et de la CNOE241(*), etc.) afin de garantir l'indépendance de chacun de ces pouvoirs242(*) »

2) Le collège de sages

Dans la panoplie de recommandations que le collège de sages remet au président du Faso le 30 juillet 1999, les propositions de réformes constitutionnelles ne sont pas en reste. Sur plusieurs points, les sages ont réitéré des recommandations déjà faites par leur prédécesseur (IDEA).

Après avoir diagnostiqué, entre autres, le dysfonctionnement structurel des institutions républicaines (Exécutif, Législatif, Judiciaire), l'absence de dialogue entre les acteurs de la scène politique nationale, la faillite de la séparation effective des pouvoirs (Exécutif, Législatif, Judiciaire), le non respect des règles du jeu démocratique, le refus du principe de l'alternance politique au niveau des institutions et des partis politiques, la corruption de la vie politique et enfin le discrédit dont pâtit l'image du pouvoir judiciaire aux yeux des justiciables, le collège de sages égrène les réformes nécessaires pour y remédier.

Il s'agit en premier lieu, de reformer la Chambre des représentants pour « lui conférer un caractère délibératif au niveau du parlement bicaméral » et de remodeler « en conséquence ses attributions, sa composition et le mode de désignation de ses membres243(*) ».

En deuxième lieu, il faut « revenir sur la modification de l'article 37 de la Constitution et y réintroduire le principe de la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs. En effet, sa révision en 1997, quoique conforme à l'article 164, alinéa 3 de la Constitution, touche à un point capital pour notre jeune démocratie : le principe de l'alternance politique rendu obligatoire par le texte constitutionnel de 1991244(*) ».

En troisième lieu, les sages invitent à « restructurer l'appareil judiciaire par la relecture des articles 126 et 127 de la Constitution : Suppression de la Cour suprême création des juridictions ci-après : Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d'État, Cour des comptes245(*) ». À la solution 2.3.8.1, un statut pour l'opposition est préconisé sans qu'on puisse dire s'il doit intervenir par une loi ou être intégré à la constitution.

Enfin, les sages recommandent l'extension de l'article 77 de la constitution « à tous les présidents d'institutions ainsi qu'aux directeurs des administrations publiques et des sociétés d'État qui doivent déposer la liste de leurs biens à leur entrée en fonction et à la fin de leur exercice ».

3) La commission chargée des réformes politiques

Dans le point VII de son rapport246(*) consacré à la constitution, elle fait plusieurs recommandations en s'inspirant de rapports antérieurs comme celui du collège de sages. Elle propose notamment la réintroduction du principe de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels consécutifs, le maintien du rôle consultatif de la Chambre des représentants et sa consultation obligatoire toutes les fois que les lois débattues à l'Assemblée nationale touchent : à la citoyenneté, aux droits civiques et à l'exercice des libertés publiques ; à la nationalité, à l'état et à la capacité des personnes ; aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités ; à la procédure d'harmonisation des coutumes avec les principes fondamentaux de la constitution ; à la protection de la liberté de la presse et d'accès à l'information et enfin à l'intégration des valeurs culturelles nationales. À cet arsenal de recommandations faites dans le style d'une décision de justice, la commission en ajoute d'autres telles la substitution à la cour suprême de quatre juridictions suprêmes spécialisées (Conseil constitutionnel, cour de cassation, conseil d'État et cour des comptes), l'impossibilité pour le député titulaire appelé à de hautes fonctions de reprendre son siège une fois que la moitié du mandat est entamée, et la constitutionnalisation du conseil économique et social (C.E.S).

4) L'apport du planisme burkinabé

L'analyse du planisme burkinabé en rapport avec les questions institutionnelles étudiées est intéressante dans la mesure où elle révèle que le discours scientifique fait par les autres acteurs qui se manifestent dans la problématique des politiques institutionnelles est admis par les planificateurs qui ne sont nul autre que l'État et les partenaires techniques et financiers. Si les recommandations qu'ils font s'édictent dans des termes qui laissent à l'État le soin de choisir les moyens techniques qu'il juge appropriés pour résoudre les problèmes identifiés, les diagnostics qu'ils établissent n'en rejoignent pas moins cependant ceux établis par les structures ad hoc d'expertise et les acteurs du militantisme démocratique. L'apport du planisme burkinabé réside donc dans les diagnostics scientifiques qu'il fait des institutions politiques. Ils aboutissent à la conclusion qu'un renouveau politico-administratif est indispensable. Tous, en effet, relèvent comme défauts à corriger l'hégémonie du parti majoritaire et sa mainmise sur le système politique, les défaillances de l'institution législative, la faiblesse et l'indépendance ineffective du pouvoir judiciaire et quelque fois les problèmes qui faussent le jeu électoral. Seul le plan stratégique de développement du parlement, en raison de sa spécificité, ne soulève pas des questions relatives au pouvoir judiciaire. En outre, l'étude prospective « Burkina 2025 » et le document de stratégie pays 2001-2007 (Burkina Faso-Communauté Européenne) se distinguent de tous les autres en posant la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels comme une épine de la démocratie burkinabé. Le document provisoire de la Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement durable (SCADD) notamment, fait siennes les analyses du MAEP sur le régime politique burkinabé247(*).

5) Le mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP).

Le mécanisme africain d'évaluation par les pairs a contribué à donner une vision objective des institutions politiques burkinabé. Il a aussi recommandé un certain nombre de solutions techniques susceptibles de les fortifier et de les rendre aptes à conduire à bien le processus démocratique engagé depuis 1991.

Le rapport du MAEP souligne le retard que connaît le Burkina Faso en matière de consolidation démocratique. Le pays est encore loin de cette étape du processus démocratique à cause entre autres de l'ineffectivité de la séparation des pouvoirs et du pluralisme politique, du problème de la transhumance politique, de l'intrusion des chefs religieux et coutumiers dans le processus électoral, de la faible capacité technique et institutionnelle de l'Assemblée nationale, du déséquilibre des pouvoirs au profit du président du Faso et de la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Pour le perfectionnement de la démocratie, il préconise de constitutionnaliser la CENI et le Conseil supérieur de la communication248(*), de réviser la constitution pour élargir la saisine du Conseil Constitutionnel aux juridictions et sous certaines conditions aux individus, et de soumettre le Président de cette institution aux mêmes garanties d'indépendance statutaire que les autres membres (mandat de neuf ans non renouvelable)249(*), de réviser la constitution pour soustraire la justice et le Conseil supérieur de la magistrature de l'emprise de l'exécutif250(*) , de régler par un large consensus la controverse sur la limitation du nombre de mandats présidentiels et, à long terme, d'instaurer un meilleur équilibre institutionnel entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire251(*).

En somme, on remarque que le rapport d'évaluation du MAEP fait des constats et propose des solutions semblables à d'autres rapports comme celui d'International IDEA. Les acteurs du militantisme démocratique suggèrent également des solutions semblables.

6) Le conseil consultatif sur les réformes politiques

Ce nouvel organe n'est pas encore installé. On ne peut donc rien dire pour l'instant sur son apport cognitif dans les politiques institutionnelles dont il est question actuellement.

B) Les recommandations des acteurs du militantisme démocratique

Le militantisme démocratique charrie dans l'espace public des diagnostics objectifs et pertinents de même que les ressources intellectuelles nécessaires qui pourraient permettre de consolider la démocratie par le raffinement des institutions qui sont chargées de la mettre en oeuvre. Il est le fait des intellectuels engagés (1), des associations (2), et des think tank de la bonne gouvernance démocratique comme le CGD (3) par exemple.

1) L'engagement intellectuel

L'action des intellectuels engagés produit une vision objective du régime politique burkinabé et des éventuelles solutions qui pourraient permettre de le perfectionner. De leurs interventions se dégagent une qualification unanime de la nature du régime politique burkinabé. Dépassant  « l'auto-compréhension symbolique252(*) » que les dirigeants ont des institutions qu'ils animent, ils en livrent la vraie facette par une approche plus noétique. Il s'en dégage une vision convergente de la nature du pouvoir politique burkinabé. Ils sont conscients d'avoir en face d'eux un pouvoir autoritaire dont la préoccupation majeure n'est pas la démocratie et l'alternance qu'elle implique mais uniquement la conservation du pouvoir. C'est une démocratie de façade, une démocrature couverte du cérémonial de la démocratie. Tantôt il est question de clan, tantôt de caste, toute chose qui évoque l'idée d'une démocratie confisquée par une classe déterminée. Le chef de l'État, au regard du nombre d'année passée au pouvoir et des prérogatives qu'il détient de la constitution, est un obstacle à la consolidation démocratique. « L'hyperprésidentialisme » qui en découle est également dénoncé. Les réformes que proposent les tenants du régime sont considérées comme insuffisantes pour asseoir une véritable démocratie. Il s'agit en fait de réformettes. En réalité, le pouvoir n'engage des réformes que s'il est certain qu'elles n'entameront pas son hégémonie. À cette lecture locale certains adjoignent celle de spécialistes étrangers comme Hilgers et Mazocchetti, dont les analyses viennent corroborer celles que faisait déjà la doctrine nationale. Voila pour le diagnostic.

Quant aux solutions que ces intellectuels proposent, elles sont inspirées par une démarche à la fois théorique, comparative et contextuelle. Si des divergences existent sur le régime politique qui pourrait convenir le mieux au Burkina Faso (présidentiel pour les uns, parlementaire pour les autres), l'unanimité s'est cependant faite autour de la nécessité de garder en l'état l'article 37 de la constitution qui porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. Il doit même être inséré parmi les articles intangibles. Cette limitation et son maintien définitif est considéré comme une solution sine qua non de la consolidation démocratique et il est hors de question de la considérer comme antidémocratique. Dès les premiers pas de la IVe République, certains ont estimés qu'il fallait revoir la répartition des compétences entre le président de la République et son premier ministre pour éviter le pire. D'autres recommandaient de revoir les compétences de certaines institutions comme la Chambre des représentants. Ils rappellent également à l'État ses obligations internationales en matière de bonne gouvernance notamment à travers le rappel des principes que les États membres de l'Union africaine et de la CEDEAO doivent observer dans l'édification des règles du jeu démocratique. Constitutionnaliser certaines valeurs et trouver un statut à la chefferie traditionnelle sont aussi vu comme des solutions à même de renforcer la consolidation démocratique. Parfois, face à un pouvoir vibrion qui crie sur les toits qu'il faut des réformes pour consolider la démocratie, mais dont la volonté de conserver toujours le pouvoir ne trompe aucun d'entre eux, ces intellectuels se contentent de le renvoyer aux recommandations des rapports qui ont été produits, et dont la pertinence n'a pas encore été démentie.

2) Les associations

Le collectif pour l'observation des élections. Depuis sa création au début des années 90, le collectif pour l'observation des élections s'est intéressé à certaines politiques institutionnelles. Ainsi, lors de la révision de 1997, il a produit un document de suggestions à l'endroit de l'Assemblée des députés du peuple où il demandait de permettre les candidatures indépendantes en révisant le code électoral, d'imposer le bulletin unique et l'urne transparente, d'abandonner la condition de la nationalité burkinabé de naissance des parents pour les candidats à la présidence du Faso, de réduire la durée du mandat présidentiel à cinq (5) ans renouvelable une seule fois, et d'ouvrir à certaines conditions, la saisine de la Chambre constitutionnelle aux particuliers253(*).

Le MBDHP (Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples). En plus de relayer parfois la voix des intellectuels en faisant siennes leurs observations critiques sur le régime politique et les recommandations dont ils l'accompagnent, certaines associations produisent elles-mêmes périodiquement des rapports dans leur domaine d'activité. L'élaboration de ces rapports nécessite le passage par des diagnostics scientifiques et leur rédaction s'achève toujours par des recommandations à l'adresse du pouvoir politique. C'est le cas du MBDHP (Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples). Selon Maître Halidou Ouedraogo, l' objectif poursuivi, c'est de « mettre à la disposition de la population, des institutions politiques et administratives, des parlementaires, de notre organisation et du Burkina Faso, une mesure d'appréciation de la situation politique, économique, sociale et culturelle de notre pays254(*) ». Dans son premier rapport, il formulait donc le voeu que « les destinataires du présent rapport en fassent bon usage, le complètent, l'exploitent et agissent à nos côtés pour un État de droit et une consolidation de la démocratie au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde 255(*)». Dans cette perspective, le MBDHP a produit trois rapports depuis 1994 : en 1994-1995, en 1996-2000 et en 2008-2009.

Dans son rapport de 1994-1995, le MBDHP constatait qu'« en droit l'indépendance du pouvoir judiciaire se trouve compromise, non seulement par le fait que celui qui doit la garantir se trouve être le président du Faso, président du conseil des ministres mais encore par l'organisation du CSM256(*) ». Par conséquent, « le pouvoir judiciaire jouit d'une indépendance formelle vis-à-vis du pouvoir exécutif et reste subordonné au pouvoir politique257(*) ». En guise de recommandations, il invitait au renforcement de l'indépendance de la justice258(*), et à l'ouverture du prétoire du juge constitutionnel à tout citoyen259(*).

Le rapport de 1996-2002 fait le même constat en ce qui concerne l'indépendance de la justice. Selon ce rapport, « La justice ressemble à un pouvoir domestiqué. Les difficultés du pouvoir judiciaire montrent bien qu'au niveau de l'exécutif on n'est pas prêt à accepter une indépendance réelle de la magistrature. A côté des déclarations officielles sur l'indépendance de la magistrature et sur la séparation des pouvoirs, on observe un immobilisme de la justice qui a fini par la discréditer260(*) ». Le MBHP a saisi l'occasion de ce rapport pour critiquer la révision constitutionnelle de 1997 qui, selon lui, « a contribué à la dégradation de l'atmosphère politique en rendant illusoire toute possibilité d'alternance réelle à la tête de l'État, quand on sait les conditions dans lesquelles se déroulent généralement les élections261(*) ». De même, il déplore le fait qu'en 2002, le chef de l'État ait initié la révision de la constitution sans consulter la Chambre des Représentants262(*).

Quant au dernier rapport récemment publié, il maintient le constat des rapports passés sur l'institution judiciaire. Il relève que le Conseil supérieur de la magistrature « ne joue aucun rôle décisif dans les questions liées à l'indépendance de la magistrature ». Celui-ci est confiné à l'examen des questions d'affectation de magistrats. Il dénonce également l'ineffectivité de la garantie constitutionnelle de l'inamovibilité du juge et le fait que le pouvoir de nomination des juges dévolu au pouvoir exécutif, est utilisé pour nommer des "juges acquis" à sa cause263(*). Selon le rapport, toutes ces défaillances contribuent à rendre ineffectives « les dispositions de l'article 125 de la constitution264(*) » qui confient au pouvoir judiciaire la protection des droits et libertés reconnues.

Comme on l'a vu, l'action militante des partis politiques contribuent également à la socialisation des savoirs scientifiques sur les institutions politiques burkinabé. Mais étant donnés qu'ils font généralement la promotion et la remobilisation de ces savoirs déjà produits et mobilisés, il serait assez redondant et fastidieux de faire cas des recommandations ainsi remobilisées.

3) Les think tanks : le cas du CGD

Le Centre pour la Gouvernance Démocratique s'est assigné comme mission la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie au Burkina Faso. Pour mener à bien sa tâche, il conduit et réalise des activités de recherche sur le système politique burkinabé. Ces études sont presque toujours assorties de recommandations dont le but est de contribuer à améliorer le système de gouvernance démocratique au Burkina Faso. Dans le cadre de ses plans stratégiques d'action, un nombre important de recommandations faites suite à des études menées selon les techniques de la recherche-action s'adressent particulièrement à la constitution de la IVe République. Ces recommandations peuvent être regroupées en deux grandes catégories. Il y a d'une part, les propositions qui visent à donner, à la phase préparatoire de toute initiative de révision constitutionnelle, une ambiance démocratique sereine et un fondement légitime et rationnel obligatoirement convaincant, et, d'autre part, les propositions concrètes de réformes de la constitution.

Au titre de la première catégorie, l'innovation consiste à mettre de la procédure et recommander le respect de certains critères dans la phase préparatoire c'est-à-dire pré-parlementaire. Il s'agit de bannir la précipitation grâce à un certain nombre de préalables. Sur ces préalables des révisions constitutionnelles, il ressort clairement du code de bonne conduite265(*) proposé par les organisations de la société civile sous-régionale, que les initiateurs des révisions constitutionnelles doivent observer un certain nombre de règles. Comme le résume CGD infos266(*) , ces règles commandent aux initiateurs, entre autres : « - d'offrir l'opportunité de larges et véritables débats citoyens ; d'étendre la procédure sur une période raisonnable (au moins 12 mois) ; - de refléter l'intérêt général et la volonté du peuple ; - de faire en sorte que la révision ne bénéficie en aucun cas à ceux qui en prennent l'initiative ; en particulier, aucun Chef de l'État en exercice ne doit modifier la Constitution pour étendre, avec effet rétroactif, la durée ou le nombre de mandats présidentiels ; - de mettre en place un cadre institutionnel adéquat garantissant un niveau minimum d'expertise technique».

Quant à la deuxième catégorie, elle est constituées d'une série de proposition de réformes constitutionnelles concrètes, recommandées pour améliorer le système politique, renforcer le constitutionnalisme et permettre l'avènement d'une démocratie consolidée. Certaines de ces réformes préconisent l'introduction de nouvelles normes constitutionnelles ou la restructuration de celles qui existent, tandis que d'autres conseillent la constitutionnalisation de certaines institutions républicaines.

Ainsi, à la suite d'une enquête sur les valeurs267(*), menée sous l'égide du World Value Survey (WVA), le CGD a proposé la constitutionnalisation d'un certain nombre de valeurs partagées par la majorité des Burkinabé et considérées par le CGD comme ayant une « dimension démocratique» : il s'agit « du respect de la parole donnée, de la probité, de l'intégrité, de la solidarité et de la loyauté ». La constitutionnalisation de ces valeurs permettrait, selon l'institution, « d'irradier toute la société, la classe politique, les juges et la société civile ». Ainsi, le juge par exemple, disposerait d'un code éthique grâce à cette insertion dans la constitution.

Sur ce registre de la restructuration ou de l'introduction de nouvelles normes, le CGD a également fait la proposition de revoir « le jour de passage des questions orales en plénière (mardi ou jeudi) pour une plus grande participation des députés, car les vendredis coïncident souvent avec leur départ en province 268(*)». Mais les propositions suivantes marqueront sans doute un bond en avant sur la voie de la consolidation démocratique si elles étaient suivies. Il s'agit de celles qui invitent à :

- abaisser le nombre de députés nécessaires pour saisir le Conseil constitutionnel ou à consacrer l'action populaire à l'instar du Bénin et à constitutionnaliser certaines règles électorales « notamment l'adéquation entre le découpage électoral, le nombre de sièges à pourvoir et le mode de scrutin269(*) » ;

- instituer le contrôle juridictionnel du pouvoir de révision de la constitution270(*)

- élever suffisamment le niveau de la majorité qualifiée nécessaire pour l'adoption de toute proposition de révision constitutionnelle de manière à réduire sérieusement les risques de modification fantaisiste ou au profit d'intérêts privés271(*).

- prescrire que les animateurs des institutions qui initient et/ou contribuent à l'adoption d'amendements de la Constitution n'en tirent pas personnellement profit272(*).

- assortir la forme codifiée de la proposition de révision d'un document (qui peut être l'exposé des motifs plus étoffé) qui mette en exergue les éléments établissant la nécessité de la révision, l'utilité et la pertinence de l'opération, et ce, quels que soient l'initiateur de la loi et l'étape du processus de la révision273(*).

- restaurer le constitutionnalisme par un rééquilibrage du pouvoir d'État c'est-à-dire « moins de tendances présidentialistes et une revalorisation des pouvoirs législatif et judiciaire274(*) » ;

- promouvoir au rang de principe intangible la limitation du nombre de mandats présidentiels275(*) ;

- émanciper le Conseil supérieur de la magistrature du pouvoir politique276(*) ;

- réformer le Conseil constitutionnel277(*) (prérogatives, composition, saisine...) ;

- redéfinir et constitutionnaliser le statut des anciens chefs d'État en vue de leur conférer l'immunité juridictionnelle dans le cadre d'une justice transitionnelle278(*) ;

Au titre de la constitutionnalisation, le CGD a suggéré de trouver à la chefferie traditionnelle burkinabé un statut constitutionnel279(*) que l'exemple ghanéen pourrait servir de parangon. En outre, il a estimé que l'opposition burkinabé (comme celle du Sénégal) et la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) devraient jouir d'une reconnaissance constitutionnelle280(*) et non d'un simple statut législatif.

* 227 M. Crozier, E. Friedberg, L'acteur et le système. Éditions du seuil 1981, pp 307 et s.

* 228 Cf. Forum des citoyens et citoyennes de l'alternance, 2ème édition, 1er et 2 mai 2011, document de travail, P. 43.

* 229 Cf. supra

* 230 Rapport IDEA, p. 12

* 231 Ibid., p.93

* 232 Ibid., p.94

* 233 Ibid., p.48

* 234 Ibid., p.48

* 235 Cf. Gérard Conac, succès et crises du constitutionnalisme africain (introduction), in Les Constitutions africaines publiées en langues françaises, 1997, t.2 , La Documentation française, Bruxelles, Bruylant

* 236Rapport IDEA, p. 76

* 237 Ibid., p.49

* 238 Ibid., p.76

* 239 Ibid., pp. 25, 30, 67 et 75

* 240 Ibid., p. 75

* 241 CNOE (Commission Nationale d'Organisation des Élections) devenue, dans la logique des réformes engagées au lendemain du drame de Sapouy, CENI (Commission Électorale nationale Indépendante).

* 242 Rapport IDEA, p.76

* 243 Rapport du collège de sages, solution 2.2.9

* 244 Ibid. Solution 2.3.1.

* 245 Ibid., Solution 2.3.2.

* 246 Sidwaya N°3920 du 27 décembre 1999, p.11

* 247 Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) 2011-2015, p. 26

* 248 Cf. MAEP, Rapport d'évaluation du Burkina Faso, p. 124

* 249 Ibid. p. 113

* 250 Ibid. p. 130

* 251 Ibid. p. 124

* 252 E. Voegelin, La Nouvelle science du politique, op. Cit., p. 8

* 253 Procès-verbal de la Séance Plénière du 27 janvier 1997 sur la révision de la constitution.

* 254 MBDHP rapport sur les droits humains 1994-1995, p. 1

* 255 Ibid., p. 1

* 256 Ibid., p. 6

* 257 Ibid., p. 7

* 258 Ibid., p. 60

* 259 Ibid., p. 61

* 260 MBDHP Rapports sur l'état des droits humains au Burkina Faso. Période : 1996-2002 p. 105

* 261 Ibid., p. 90

* 262 Ibid., p. 91

* 263 MBDHP rapport sur les droits humains 2008-2009, p. 14

* 264 Ibid., p. 16

* 265 Constitutionnalisme et révisions constitutionnelle en Afrique de l'Ouest : Burkina, Bénin, Sénégal; 2009, p. 30 et s, http://www.cgd-igd.org/

* 266 CGD Info Numéro 0006 - 2009 Le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? http://www.cgd-igd.org/

* 267 CGD, rapport atelier sur les burkinabé et leurs valeurs, jeudi 13 novembre 2008, http://www.cgd-igd.org/

* 268 CGD, le travail parlementaire au Burkina Faso : première session ordinaire de l'année 2009 http://www.cgd-igd.org/

* 269 L'alternance et les règles du jeu démocratique au Burkina Faso ; http://www.cgd-igd.org/

* 270 Constitutionnalisme et révisions constitutionnelle en Afrique de l'Ouest : Burkina, Bénin, Sénégal ; op cit.

* 271 Ibid. Nous avons estimé que certaines des idées contenues dans le code de bonne conduite ne peuvent être efficacement effectives que par une reforme de la constitution.

* 272 Ibid.

* 273 Ibid.

* 274 Ibid.

* 275 CGD Infos, le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? Op cit.

* 276 Ibid.

* 277Ibid.

* 278 Ibid.

* 279 Cf. écrit du Pr. A. Loada in L'Observateur-Paalga du vendredi 15 juin 2007, repris dans « ateliers de Kaya et de ziniare du samedi 27 décembre 2008 sur les valeurs démocratiques constitutionnelles et traditionnelles » et dans « CGD Infos, le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? » Op cit. http://www.cgd-igd.org/

* 280 L'alternance et les règles du jeu démocratique au Burkina Faso ; op cit. La proposition de constitutionnaliser la CENI est également reprise dans « CGD Infos, le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? » Op cit.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984