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Sciences et Politiques institutionnelles au Burkina Faso: élaboration et réformes de la Constitution de la IVème République

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par G. Jean Luc ZONGO
Université Ouaga II Burkina Faso - DEA sciences politiques 2011
  

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§2: Réformes et recommandations

Selon Max Weber, « les sciences, qu'elles soient normatives ou empiriques, ne peuvent rendre aux hommes politiques ou aux partis concurrents qu'un seul service, il est vrai inestimable : leur indiquer 1) que face à tel problème pratique il n'est possible de concevoir que telles ou telles prises de position « ultimes » différentes, et 2) que la situation dont il faut tenir compte au moment de choisir entre ces positions se présente de telle et telle façon281(*) ». Dans le paragraphe qui suit, nous nous efforcerons de montrer in concreto, comment les décideurs exploitent ce « service inestimable » dans la conduite des politiques étudiées. Il s'agit par conséquent de voir dans quelle mesure les réformes effectuées ont été nourries par les différentes modalités de socialisation des savoirs dont il a été question plutôt (A). En outre, de façon anticipée et ce, à partir des tendances qu'on sait, nous nous sommes demandés quel sort la perspective actuelle de réforme réserve encore non seulement aux recommandations déjà faites (mais non prise en compte), mais aussi à celles qu'elle a suscitées par sa dynamique (B).

A) Propositions de réformes et réformes effectuées

La constitution de la IVe République a fait l'objet de quatre révisions : la première est intervenue le 27 janvier 1997, la deuxième le 11 avril 2000, la troisième le 22 janvier 2002 et la dernière le 30 avril 2009. Il va sans dire qu'à l'issue de chacune de ces dates, la constitution du 02 juin 1991 n'est pas restée la même. Elle a connu des retranchements et des ajouts dont il convient de traiter de façon exhaustive.

1) La réforme constitutionnelle de 1997

Elle accède à l'agenda politique grâce exclusivement à l'action des intellectuels organiques du pouvoir et du parti au pouvoir le CDP282(*). Ils l'ont préparée à travers une série de rencontres au cours desquelles ils ont décidé de son contenu. Ils estimaient que la situation politique burkinabé, en trois (3) ans de parcours, avait évolué de telle sorte qu'il fallait revoir la loi fondamentale pour l'adapter au cours réel des choses. De façon plus précise, sous la IVe République, l'idée de réviser la constitution a été lancée, pour la première fois, par l'ODP/MT lors de ses journées parlementaires des 23, 24, 25, 26, et 27 mars 1995. Parmi une série de motions de soutien et de recommandations figurait une recommandation sur la relecture de la constitution et du code électoral283(*). Cet appel à une réforme constitutionnelle sera réitéré l'année d'après à l'occasion des journées parlementaires d'octobre 1996, alors que le parti au pouvoir, en procédant à la fusion-absorption avec certains grands partis d'opposition, se savait assez fort pour perpétrer légalement son premier coup de force constitutionnel.

a) Les recommandations de la Chambre des Représentants

La lecture du rapport d'avis élaboré à l'occasion de la réforme constitutionnelle de 1997 donne l'impression que la Chambre des Représentants a été sous l'emprise d'une logique partisane. Ses recommandations semblent n'avoir pas été rigoureusement motivées. Sur des questions fondamentales aux enjeux énormes, la Chambre a privilégié le vote plutôt que la réflexion. Elle était en effet invitée à donner son avis sur des dispositions des TITRE II, III, V, VII et XVII concernant respectivement l'État et la souveraineté du peuple, le président du Faso, le parlement, les rapports entre le gouvernement et le parlement, et les dispositions transitoires. Mais elle a étendu son avis à d'autres dispositions.

Au TITRE II, la Chambre a proposé qu'on adjoigne à l'article 31 l'adjectif « républicain » ce qui devrait donner ceci : « Le Burkina Faso est un État démocratique, unitaire, laïc et républicain » au lieu de « Le Burkina Faso est un État démocratique, unitaire et laïc. Le Faso est la forme républicaine de l'État ». À l'article 34, il est fait la proposition de prendre « Unité-Travail-Justice » comme devise et de choisir comme appellation de l'hymne nationale l'un des termes suivants : ou « l'Unité » ou la « Victoire », ou « le Faso en marche ».

Au TITRE III, l'intitulé « Du président de la République » devrait se substituer à « Du président du Faso ». La question de l'article 37 a profondément divisé la Chambre qui a procédé par vote. Sur les 107 membres présents 69 étaient pour le déverrouillage de la limitation du nombre de mandats, 24 étaient pour le maintien du verrou dont 13 souhaitaient un mandat de 7 ans renouvelables deux fois et 11 un mandat de 7 ans renouvelables une fois. 14 ont préféré s'abstenir. Elle a cependant fait preuve d'une volonté d'innovation en proposant, à l'article 38, de limiter à soixante-et-quinze ans l'âge maximum pour prétendre à la magistrature suprême.

Elle a également invité à une restructuration du TITRE V (Le parlement) par sa subdivision en deux chapitres (« CHAPITRE I : De l'Assemblée nationale » et « CHAPITRE II : De la Chambre des Représentants ») et a déconseillé de retenir « le principe que le président de l'Assemblée nationale assume la présidence du parlement ». Selon elle, ces deux institutions ne doivent pas être confondues car l'Assemblée nationale a une fonction législative alors que la Chambre représente la société civile. Elle propose d'ajouter à l'article 78 la précision que « les rapports entre les deux Chambres sont fixés par la loi ». Elle critique également l'article 87 nouveau qui prolonge la durée de la session ordinaire à 90 jours. D'après ses analyses, si les amendements de l'article 87 sont appliqués, l'Assemblée aura sept mois de session, ce qui risque de couper les élus de « leur base électorale ». L'avis recommande de retirer le droit de saisine de la Chambre des représentants au Gouvernement pour le confier désormais au Président du Faso dans le nouvel article 97. La Chambre tente également d'instituer une sorte d'avis obligatoire préalable en souhaitant d'être toujours consulté en matière de loi de finances (article 103).

En ce qui concerne le TITRE VII, elle suggère comme au TITRE V, une restructuration en deux chapitres : « CHAPITRE I : Des rapports entre le gouvernement et l'Assemblée nationale. CHAPITRE II : Des rapports entre le gouvernement et la Chambre des Représentants ».

Quant au dernier point de l'avis, le TITRE XVII qui porte sur les dispositions transitoires, la Chambre des représentants, estimant que la période transitoire est révolue et que « les institutions républicaines [sont] effectivement mises en place », considère que, hormis l'article 173, toutes les autres dispositions du TITRE XVII n'ont plus de raison d'être. En conséquence le TITRE XVII doit être supprimé, et l'article 173, rattaché désormais au TITRE XVI.

b) Contenu de la réforme

Elle a débarrassé la constitution du 11 juin 1997 des termes révolutionnaires dont les marxistes-léninistes avaient tenu à l'enguirlander, l'a doté de nouvelles expressions ainsi que de nouveaux droits ; elle a procédé à des corrections grammaticales et orthographiques et enfin à la restructuration de certaines dispositions matérielles.

Concernant le premier point, on a vu disparaître de la constitution des expressions ou affirmations dont certaines rappelaient encore la parenthèse historique ouverte par les rhétoriciens de la Révolution Démocratique et Populaire et l'apparition simultanée de termes rapprochant le modèle démocratique burkinabé en chantier d'une démocratie de type occidental. Ainsi, dans le préambule, c'est l'affirmation « fort des acquis démocratiques des masses laborieuses de nos villes et de nos campagnes » et la précision sur l'attachement du peuple burkinabé « au caractère populaire du pouvoir » qui cèdent désormais la place à la volonté du peuple souverain d'édifier un État de droit garantissant la « dignité » ainsi qu'à son attachement « au caractère démocratique du pouvoir ».

Ces substitutions, ajouts et suppressions se sont poursuivies dans le reste du corps de la constitution. Ainsi, la substitution de « la souveraineté nationale » à « la souveraineté du peuple » au titre II de la constitution intitulé autrefois « De l'État et de la souveraineté du peuple » sera répercutée dans tous les articles de la constitution qui comportaient cette notion. De même, la souveraineté étant nationale et toujours propriété du peuple, l'institution (Titre VII) par laquelle elle s'exprime et les forces armées qui sont chargées de sa défense seront désormais nationales et non plus populaires. En lieu et place d'un commandant, les forces armées seront sous la responsabilité d'un « chef d'état major général des armées ». Sont donc concernés les articles 32, 43, 48, 50, 52, 59, 78, 79, 91, 98, 103, 105, 109, 112, 115, 116, 137, 155, 157, 161, 163 et 164 de la loi fondamentale du 02 juin 1991. Poursuivant sa croisade contre la survivance du jargon révolutionnaire, la reforme de 1997 revisitera, au niveau de l'article 34, la devise nationale « la patrie ou la mort nous vaincrons » qui cédera la place à « Unité-Progrès-Justice ». Ce mouvement de nettoyage ne prendra fin que lorsque l'article 143 sera enfin amputé du membre de phrase « où siègent les organes locaux du pouvoir populaire ».

La correction grammaticale et orthographique a concerné seulement deux articles : l'article 59 et l'article 162. À l'article 59, elle a consisté à remplacer « immédiatement » par « immédiate » et à l'article 162 à substituer « de » à la conjonction de coordination « et » pour obtenir « la loi fixe les conditions de la mise en oeuvre de la procédure de révision ».

Quant à la restructuration des dispositions matérielles, elle a touché sept articles au total. Ainsi, l'article 18 s'est enrichi d'un nouveau droit social et culturel, le sport. L'article 37 qui limitait le nombre de mandats présidentiel à deux a été déverrouillé. Pour les candidats à la magistrature suprême, l'article 38 n'exige plus « d'être né de parents eux-mêmes Burkinabè de naissance ». Désormais, il suffit d « être Burkinabé de naissance » et d'être « né de parents eux-mêmes Burkinabé ». L'article 87 prolonge la durée des sessions parlementaires de 60 à 90 jours et fixe désormais la date d'ouverture de la première session au premier mercredi de mars et celle de la deuxième session au dernier mercredi de septembre. À l'article 91, la reforme procède au dépareillage de la durée du mandat de président de l'Assemblée nationale de celle des autres membres du bureau de l'Assemblée nationale. Pour compter d'alors, seul le président de l'Assemblée nationale est élu pour la durée de la magistrature. Les autres membres sont élus pour un an renouvelable. Tout comme à l'article 87, c'est au délai que les réformateurs s'intéressent lorsqu'ils arrivent à l'article 103. De quarante et cinq jours, le délai imparti à l'Assemblée nationale pour se prononcer sur le projet de loi de finances passe à soixante jours. Quant à l'article 109, le dernier alinéa inséré ouvre la possibilité de débats sans vote à la suite de l'exposé du premier ministre sur la situation de la Nation.

c) Par rapport aux avis et propositions environnants.

La reforme constitutionnelle de 1997 a été peu ouverte aux avis et propositions externes à l'Assemblée des députés du peuple. D'abord, les amendements faits par le gouvernement ont été écartés en commission. Ils proposaient d'appeler l'hymne national la « la Marche du Faso », d'accorder à la Chambre des Représentants l'initiative en matière législative et constitutionnelle et de supprimer le titre X de la constitution traitant du « Conseil économique et social et des organes de contrôle ».

La Chambre des Représentants dont on a sollicitée l'avis a vu presque toutes ses recommandations écartées. Seule la garantie de la « dignité » comme droit introduit dans le préambule de la constitution a été retenu dans le rapport d'avis de la Chambre des Représentants. La surdité opposée aux interpellations de celle-ci a suscité en son temps, chez un juriste confirmé un commentaire désapprobateur. Pour celui-ci, « le refus de prendre en compte l'avis de la Chambre des Représentants est déplorable puisqu'il s'agissait d'une occasion manquée pour les élus de bénéficier de la contribution de la deuxième Chambre du parlement, contribution nécessairement instructive et qui aurait pu être d'une utilité particulière dans la consolidation de l'État de droit au Burkina Faso. En effet, était grand l'espoir que la deuxième Chambre du parlement contribue par sa réflexion, à enrichir la qualité des travaux de l'ADP en matière de révision de la constitution284(*)». Les motifs avancés étaient, de son avis, fallacieux. Elle conseillait une redéfinition de ses attributions, l'octroi d'immunités à ses membres...

La réforme a été tout aussi sourde à l'avis fait par la coalition des organisations de la société civile dénommée Collectif pour l'Observation des Élections (C.O.E) dont plusieurs des recommandations confluaient avec celles de la Chambre des représentants. Ce collectif recommandait la réduction du nombre de mandats présidentiels à deux d'une durée de cinq ans chacun... Le motif du refus d'accorder une attention à leurs recommandations était que, admis par courtoisie parce qu'il l'a demandé, il n'avait constitutionnellement ni le droit d'initiative législative, ni celui de donner des avis.

Un meilleur sort a pourtant été réservé à l'avis produit par l'état major militaire. Suite à une dissension sur la question de savoir si l'expression « chef d'état major général des forces armées nationales » étaient correcte, la hiérarchie militaire a recommandé l'appellation « chef d'état major général des armées ».

De façon plus générale, la réforme constitutionnelle de 1997 a été peu approuvée dans le reste de la société burkinabé. À en croire A.-M.-G Loada, elle était même sournoisement décriée au sein du parti au pouvoir285(*). International IDEA joindra sa voix, dans son rapport de 1998 sur la démocratie au Burkina Faso, au concert de désapprobations qui ont accueilli cette réforme, premier du genre en Afrique depuis qu'elle s'était lancée, au début des années 90, dans une nouvelle aventure démocratique286(*).

2) La réforme constitutionnelle de 2000

La révision constitutionnelle du 11 avril 2000 est la pénultième287(*) d'une série de mesures prises dans le cadre de la résolution de la crise sociale née au lendemain de l'assassinat du journaliste Norbert ZONGO à Sapouy. Elle n'est donc pas, à l'instar de la réforme constitutionnelle de 1997, une politique délibérément entreprise comme a voulu le faire croire le 4ème vice-président de l'Assemblée nationale devant la Chambre des Représentants288(*). Elle trouve donc en vérité sa source dans le bras de fer collectif/pouvoir, dans le rapport du collège des sages et dans la commission de concertation sur les réformes politiques. Pour autant, on ne saurait dire que son contenu est un reflet fidèle de l'esprit et du contenu des conclusions et recommandations de ces structures d'expertise ainsi que de la Chambre des Représentants.

a) Les recommandations de la Chambre des Représentants

Peut-être, crise sociale oblige ! Mais de façon manifeste et, de loin, contrastante avec son style lors de la précédente réforme constitutionnelle, la Chambre des Représentants a arboré une mine plus sereine, un ton plus grave et une méthode plus rationnelle dans son rapport d'avis sur la réforme constitutionnelle de 2000. D'entrée de jeu, la Chambre a pris le soin de préciser que « l'importance et l'enjeu de ce texte » l'ont contraint à se doter d'une « méthodologie particulière de travail » ayant consisté dans « l'élargissement de la CAGI saisie au fond », « la relecture des rapports des travaux du collège des sages, de la commission de concertation sur les réformes politiques, de la commission pour la réconciliation nationale » et à « auditionner le vice-président de l'Assemblée nationale » avant de passer à l'examen en plénière. La Chambre des Représentants a été à l'occasion saisie sur sept points : le mandat présidentiel, les délais pour l'organisation d'élections législatives anticipées, la déclaration des biens des premiers responsables de l'État, la présidence du parlement, la suppléance des députés, la Chambre des Représentants, et le Conseil Économique et Social (CES). Mais comme à l'accoutumée ou du moins comme lors de la précédente révision constitutionnelle, elle ne s'est pas confinée aux limites tracées par la demande d'avis. Ainsi, lorsque cela lui semblait nécessaire, elle n'a pas hésité à émettre des avis sur d'autres aspects de la réforme qui ont concerné concrètement l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, les conditions de recevabilité des propositions et amendements des députés dans la procédure législative, et le Conseil constitutionnel. En somme, dans son rapport d'avis, elle a traité de questions relatives à l'exécutif, au législatif et à leurs rapports réciproques ; au domaine de la loi et du règlement, aux instances consultative et de contrôle ainsi qu'au Conseil constitutionnel. À la fin du rapport d'avis, elle a procédé à des recommandations beaucoup plus générales dont certaines précisent celles qu'elle avait faites sous forme d'amendements au niveau des articles soumis à son examen. Concernant le rapport d'avis dans son ensemble, c'est peu de dire qu'il a été fortement motivé.

En effet, au niveau de l'exécutif, la recommandation sur l'article 37 est précédée non seulement d'une méthode comparative appliquée aux coûts et avantages de la limitation et de la non-limitation du nombre de mandats, mais aussi d'une sociologie politique africaine comparée. Selon ses propres mots, « les débats et les échanges sur cet article [...] ont été larges, riches et sereins 289(*)». C'est au bout de ces calculs (qui rappelle la théorie des choix rationnels) et au regard de ses avantages que la Chambre a proposé de limiter le nombre de mandats présidentiels à deux. Elle suggère même de ne réviser cet article que par voie référendaire uniquement, afin qu'il « ne soit pas changé au gré des humeurs290(*) ». Les réformateurs avaient aussi prévu, à l'article 43, qu'en cas de vacance de la présidence du Faso et d'occupation intérimaire de celle-ci par le président de l'Assemblée nationale, cette fonction président de l'Assemblée nationale devrait être assurée « par un des vice-présidents de celle-ci dans l'ordre de préséance ». Mais la Chambre a proposé l'abandon d'un tel ajout. Elle a par contre préconisé, dans le nouvel article 50, d'interdire, dans l'hypothèse d'une première dissolution, « une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections » et dans tous les cas, de limiter la possibilité de dissoudre l'Assemblée à trois fois par mandat présidentiels au maximum. L'examen de l'article 77 nouveau a occasionné un amendement de fond et de forme : sur le plan matériel, la Chambre suggère que le dépôt de biens faits auprès du Conseil constitutionnel soit publié au Journal Officiel. Au plan formel, il s'agit d'une simple question d'esthétique littéraire. En effet la phrase « A leur entrée en fonction et à la fin de leur exercice », est, pour le moins, une formulation malencontreuse qui tend vers la tautologie sans même l'être parfaitement. La Chambre a donc proposé en lieu et place, la phrase « Au début et à la fin de l'exercice de leur fonction, ».

Au niveau de l'institution parlementaire. Le nouvel article 91 qui a prévu un président pour le parlement se heurte à la désapprobation de la Chambre qui est restée dans sa position traditionnelle avec cette fois une argumentation longue et étayée. Remontant l'histoire du constitutionnalisme, explorant le bicaméralisme en tant que notion de droit constitutionnel, la Chambre en vient à la conclusion que « l'étude des différentes constitutions expérimentées ne fournit pas l'exemple d'un parlement bicaméral dont la présidence échoit au président d'une des deux Chambres qui la composent291(*) ». La particularité viendrait de la France où les travaux du congrès, qui est la réunion de l'Assemblée nationale et du sénat présidée par le chef de l'État, sont patronnés exceptionnellement par le président de l'Assemblée nationale. La Chambre s'est dite par conséquent très réservée sur ces nouveaux termes de l'article 91 car « le constituant burkinabé n'a pas prévu une telle instance, réunissant l'Assemblée nationale de nature politique et la Chambre des Représentants de nature apolitique. L'intérêt pratique d'une telle instance n'est pas évident292(*) ».

À propos de la suppléance des députés à l'Assemblée nationale, la recommandation de la Chambre s'est inspirée de la solution qu'avait trouvée l'article 52 de la constitution de la IIe République. Selon elle, cette solution est bien adéquate parce qu'elle permet d'assurer un minimum de stabilité et de continuité dans les fonctions de ministre, un choix réfléchi au moment des nominations des députés, une protection de ceux-ci contre les passages fictifs dans le gouvernement, une meilleure responsabilisation des députés au moment de la proposition de nomination et enfin une résolution définitive du problème de la suppléance. En conséquence, il proposait, à l'article 94 nouveau, que tout député qui démissionne ou qui décède, perde d'office son mandat parlementaire et qu'il soit remplacé par son suppléant. De nouvelles élections ne devant intervenir qu'en cas de vacance de siège. Elle estimait également que la construction de l'article 94 ancien et nouveau comportait virtuellement des problèmes. Il y a en effet selon elle, moins de problème de dire que le député est remplacé par « son » suppléant  que de dire que le député est remplacé par « un » suppléant. Il faut donc substituer à l'article indéfini « un », l'adjectif possessif « son ».

Au niveau des domaines respectifs de la loi et du règlement. La révision constitutionnelle a tenté une innovation fondamentale au nouvel article 98 en projetant d'accorder à la Chambre des Représentants l'initiative législative qui peut prendre la forme d'« un avis constituant une proposition adoptée à la majorité des ¾ de ses membres ». Dans sa recommandation, la Chambre a préféré l'adoption d'une telle proposition à la majorité simple.

Au niveau des rapports entre le gouvernement et l'Assemblée nationale. L'intervention de la Chambre a ici concerné en premier lieu, la question de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Alors qu'au niveau de l'article 118 nouveau, les réformateurs manifestaient la volonté de rendre l'Assemblée maître de son ordre du jour, la Chambre des Représentants a suggéré de laisser l'article 118 ancien tel quel, afin de toujours permettre au gouvernement, qui a un programme politique à exécuter, de faire adopter par l'Assemblée, « dans l'ordre des priorités qu'il a fixées, ses projets de loi ». Elle adopte ainsi une position semblable à celle du constituant français de 1958, position que celui-ci a cependant progressivement abandonnée par les réformes constitutionnelles de 1995293(*) et de 2008294(*).

En second lieu, la Chambre s'est prononcé sur l'article 120 qui interdit aux députés de faire des propositions de lois et des amendements qui diminuent les ressources publiques ou, qui augmentent ou aggravent les charges publiques. Elle a suggéré de restreindre cette restriction aux propositions et amendements portant sur la loi de finances uniquement.

Au niveau des instances consultatives et de contrôle. À ce niveau, face à la volonté affichée des réformateurs de refondre totalement le TITRE X, la Chambre a recommandé la conservation en l'état du TITRE (« DES ORGANES DE CONTRÔLE, INSTANCES ET ORGANES CONSULTATIFS »), et de ne pas lui substituer l'intitulé suivant : « DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL ET DES ORGANES DE CONTRÔLES ». En effet, la Chambre considère que ce nouvel intitulé vient priver le législateur du droit de créer d'autres organes consultatifs à l'avenir. En revanche, elle a invité les réformateurs à lui préférer le titre suivant : « DES INSTANCES ET ORGANES CONSULTATIFS ET DE CONTRÔLE ». Elle a ensuite suggéré de résumer dans l'article 141 nouveau, les dispositions des articles 141 et 142 anciens. Enfin, elle a proposé d'instituer le Conseil Économique et social à l'article 142 nouveau.

Au niveau du Conseil constitutionnel. Dans un premier temps, la Chambre des Représentants a critiqué longuement avec arguments juridiques à l'appui, le nouvel article 152 qui voulait conférer au Conseil Constitutionnel une compétence en matière d'élections locales. Elle considère une telle innovation comme juridiquement contre-productive et pratiquement impossible. Juridiquement, cette disposition rendrait le Conseil constitutionnel « compétent pour connaître du contentieux de l'élection des conseillers provinciaux, présidents et vice-présidents des conseils provinciaux, des conseillés municipaux et des maires295(*) ». Or selon la Chambre, « ce contentieux relève présentement de la juridiction administrative conformément à l'ordonnance n°92-013/PRES du 20 avril 1992 modifiée par la loi n°003/97/ADP du 29 février 1997 portant code électoral ». Ce serait ainsi « étendre la compétence de la juridiction constitutionnelle à des élections autres que nationales ». En outre, selon la Chambre, « au simple plan du droit comparé, on constatera que l'étude des systèmes juridiques ayant la même inspiration que le nôtre, milite pour le maintien de la compétence de la juridiction administrative en matière de contentieux nés d'élections locales296(*) ». Sur le plan pratique, « le volume possible de recours et leur portée locale milite contre une telle compétence297(*)». Au regard de toutes ces imperfections, la Chambre a proposé une autre formulation de l'article 152 qui limite les travers qu'elle a relevés et intègre les observations qu'elle a faites : « le Conseil constitutionnel est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. Il est chargé de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que la conformité des traités et accords internationaux avec la constitution. Il interprète les dispositions de la constitution. Il contrôle la régularité, la transparence et la sincérité du référendum, des élections présidentielles et législatives. Il est juge du contentieux électoral et proclame les résultats définitifs des élections ».

Dans un deuxième temps, elle a critiqué le fait que le projet de réforme ne précise pas les conditions de nomination du président du Conseil constitutionnel comme il le fait pour les autres membres de la juridiction. Elle considère en outre que « le mécanisme relatif au renouvellement régulier des deux premiers tiers devant aboutir au renouvellement régulier » soit décrit par une loi organique. Elle a donc suggéré cette nouvelle formulation qui tient compte de ses remarques : « le Conseil constitutionnel comprend dix membres : - le président du Conseil constitutionnel nommé par le Président du Faso ; - trois personnalités nommées par le Président du Faso ; - trois magistrats nommés par le Président du Faso sur proposition du ministre de la justice ; - trois personnalités nommées par le Président de l'Assemblée Nationale ; Sauf pour son Président, les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour un mandat unique de neuf (9) ans. Dans la loi organique, il sera décrit le mécanisme relatif au renouvellement des deux premiers tiers devant aboutir au renouvellement régulier. Les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement ou du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi ».

Au niveau des recommandations globales. Pour finir, elle a recommandé à l'Assemblée Nationale de créer une commission technique dont la mission serait de lire la constitution afin de « la mettre à l'abri des fréquents amendements ». Elle a également suggéré que l'immunité parlementaire des Représentants soit consacrée par la constitution, que l'alinéa 3 de l'article 97 ancien soit remodelé pour tenir compte de l'initiative législative dont jouira désormais la Chambre des Représentants et que la nomination du président du Conseil constitutionnel par le Président du Faso soit proposée par ses pairs.

b) Le contenu de la réforme

Elle est de loin la plus importante de toutes les réformes constitutionnelles non seulement par son étendue mais aussi par son contenu. Alors que des dispositions toutes neuves sont introduites, on remarque aussi que dans beaucoup de cas, le pouvoir constituant dérivé s'est contenté d'une simple restructuration des normes anciennes. Mais de façon plus précise on peut dire que cette réforme touche tous les pouvoirs dans l'État et s'étend également aux organes de contrôle et instances consultatives.

D'abord en ce qui concerne l'exécutif.

Le Président du Faso. Cette réforme s'ouvre avec l'article 37 qui traite de la question de la durée et du nombre de mandats présidentiels qu'un citoyen burkinabè a le droit d'exercer dans la République. Sur la question de la limitation du nombre de mandats, elle opère un retour aux dispositions originelles de la constitution de 1991 en offrant la possibilité au président sortant de renouveler une seule fois son mandat. En rappel, cette limitation avait été supprimée par la loi constitutionnelle de 1997. Quant à la durée du mandat, elle a été réduite de sept ans (7) à cinq ans (5). À l'article 43, il a semblé nécessaire de préciser que le mandat du président de l'Assemblée nationale en cas de vacance de la Présidence du Faso est provisoire. Les délais pour l'organisation des élections dans cette hypothèse ont été allongés, passant de « vingt et un jours au moins et quarante jours au plus » à « trente jours au moins et soixante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l'empêchement ». Le serment du président de la République, prévu à l'article 44 se fait non plus devant la Cour suprême298(*) mais plutôt devant le Conseil constitutionnel qui, selon les nouvelles dispositions introduites, reçoit en la même occasion sa déclaration écrite de biens. C'est également à cette institution qu'échoit la compétence de procéder au constat préalable à l'entrée en vigueur automatique de la loi lorsqu'après les délais requis le Président du Faso a manqué à l'obligation constitutionnelle de promulguer les lois conformément à l'article 48. Quant aux articles 49 et 50 nouveaux, ils le contraignent respectivement de prendre avis auprès du président de l'Assemblée nationale en plus de ceux qu'il aura recueillis chez le Premier ministre et chez le président de la Chambre des Représentants avant de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur toutes questions d'intérêt national » ou de « prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale ». De même, dans la mise en oeuvre des pouvoirs de crise que lui reconnaît la constitution, le Président du Faso devra, aux termes du nouvel article 59, consulter au préalable, en plus des présidents de l'Assemblée nationale et de la Chambre des Représentants, le président du Conseil constitutionnel en lieu et place de la défunte Cour Suprême.

Le gouvernement. La réforme a effleuré aussi au passage le gouvernement, dont les membres, avec la suppression de la Cour Suprême, doivent désormais aux termes du nouvel article 77, « déposer la liste de leurs biens auprès du Conseil constitutionnel ». Cet article étend cette obligation « à tous les Présidents des Institutions consacrées par la Constitution, ainsi qu'à d'autres personnalités dont la liste est déterminée par la loi ».

Au niveau de l'Assemblée nationale. Dans le nouvel article 80, la réforme constitutionnelle de 2000 commence par permuter certaines dispositions, avant d'édicter l'obligation pour l'Assemblée nationale de consulter la Chambre des Représentants pour l'adoption des lois relatives à : « -la citoyenneté, les droits civiques et l'exercice des libertés publiques ; -la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ; -la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la Constitution ; -la protection de la liberté de presse et l'accès à l'information ; -l'intégration des valeurs culturelles nationales ». Mais avant de continuer, il convient de signaler qu'auparavant, le nouvel article 50, a procédé à des réaménagements et à des ajouts en ce qui concerne l'hypothèse de la dissolution de l'Assemblée nationale. Ainsi, les délais d'organisation des élections ont été revus à la hausse passant de « vingt et un jours au moins et quarante jours au plus» à « trente jours au moins et soixante jours au plus après la dissolution ». En outre, la portée de la dissolution a été davantage explicitée par les dispositions des derniers alinéas qui précisent que « l'Assemblée nationale dissoute ne peut se réunir » mais que « toutefois, le mandat des députés n'expire qu'à la date de validation du mandat des membres de la nouvelle Assemblée nationale ». Quant au nouvel article 91, il a institué un président du parlement en la personne du Président de l'Assemblée nationale. Aux termes des nouvelles dispositions, celui-ci « préside les réunions communes des deux Chambres. Celles-ci sont décidées par le Bureau de l'Assemblée, lorsque les circonstances l'exigent. Le Président du Parlement prend les actes relatifs à l'Assemblée nationale et à la Chambre des Représentants, conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi. Il convoque et installe la Chambre des Représentants ». Il faut également signaler les innovations effectuées au niveau des articles 94, 111 et 120 nouveaux. Le premier confie à la loi la compétence pour dresser « la liste des hautes fonctions » pouvant happer définitivement ou temporairement les députés de l'hémicycle et provoquer des problèmes de succession ou de reprise des sièges abandonnés. Pour prévenir les conflits éventuels, l'article 94 dispose que le député qui « cesse d'exercer ses fonctions au plus tard à la fin de la moitié de la législature, [...] peut reprendre son siège ; au-delà de cette date, il ne peut le reprendre qu'en cas de vacance de siège par décès ou démission du suppléant ». Le second article ouvre aux députés une nouvelle possibilité de poser des « questions d'actualité » en plus « des questions écrites, des questions orales avec ou sans débat ». Le dernier article desserre amplement la camisole de force mise autrefois à la source de leur créativité législative par la disposition constitutionnelle qui leur interdisait de faire des propositions ou amendements ayant pour conséquence « soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Le nouvel article 120 limite cette interdiction aux propositions et amendements « concernant la loi de finances ». Enfin, pour six (6) des articles touchés au niveau de l'Assemblée nationale, la réforme a consisté à substituer les termes « Conseil constitutionnel » ou « Cour des comptes » à respectivement « Cour Suprême » ou « Chambre des comptes de la Cour Suprême » pour tenir compte de la réforme de celle-ci. Ainsi, le Conseil constitutionnel et la cour des comptes ont hérités des compétences consultatives, décisionnelles et techniques que la Cour suprême exerçait au profit de l'Assemblée nationale. Ces substitutions concernent les nouveaux articles 86, 90, 97, 105, 107 et 123.

Au niveau du pouvoir judiciaire. À ce niveau, l'une des innovations majeures de cette réforme est la suppression de la Cour Suprême. Aux termes de l'article 126 nouveau, «  les juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif au Burkina Faso sont : - la Cour de Cassation ; - le Conseil d'État ; - la Cour des Comptes ; - les Cours et les Tribunaux institués par la loi. Ces juridictions appliquent la loi en vigueur ». Dans cette optique, l'article suivant, c'est-à-dire l'article 127 nouveau, institue au Burkina Faso trois ordres de juridiction en disposant que « la Cour de Cassation est la juridiction supérieure de l'ordre judiciaire. Le Conseil d'État est la juridiction supérieure de l'ordre administratif. La Cour des Comptes est la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques ». Leur composition, organisation, fonctionnement et attributions doivent, aux termes de l'article 127 nouveau, être fixés par une loi organique. La substitution de ces différentes juridictions à la Cour Suprême a entrainée des modifications mineures au niveau des articles 134 et 137 consistant à remplacer les termes « Cour Suprême » par l'une ou l'autre des nouvelles juridictions supérieures.

On peut également ajouter, au titre des innovations majeures, la création d'un Conseil constitutionnel qui hérite des compétences de la Chambre constitutionnelle de la défunte Cour Suprême. Un titre particulier, le TITRE XIV, lui est désormais particulièrement consacré. Comme on l'a déjà fait remarquer dans certains de nos développements précédents, le Conseil constitutionnel exercera ainsi les différents rôles que le pouvoir constituant originaire avait confiés à la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême. Donc, mutatis mutandis, certains articles restent les mêmes sauf dans les parties où les termes « Conseil constitutionnel » remplacent « Chambre constitutionnelle ». Il en est ainsi des articles 150, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159 et 160 de la constitution. Cependant l'article 152 nouveau innove en inscrivant explicitement les « ordonnances » dans la compétence du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, et en faisant de « la sincérité » un critère de plus dans son contrôle des consultations référendaires et électorales.

Aux niveaux des organes de contrôle et instances consultatives. La réforme constitutionnelle de 2000, tout en gommant les termes « instances consultatives » du TITRE X, y effectue, à l'article 141 nouveau, la constitutionnalisation du Conseil Économique et Social (CES) auquel il donne une compétence consultative. Désormais, le TITRE X s'intitule « Du Conseil Économique et Social et des organes de contrôle ». Celui-ci est exclusivement mis au service du gouvernement et du Président du Faso.

Quant à l'article 142 nouveau, il reprend l'article 141 ancien en supprimant la possibilité pour la loi de créer aussi « des instances et organes consultatifs » à l'avenir.

c) Par rapport aux avis et propositions environnants.

La réforme constitutionnelle de 2000 est intervenue dans un contexte où l'environnement politique national s'est davantage enrichi en connaissances sur les questions de techniques constitutionnelles, démocratiques et de bonne gouvernance au Burkina Faso. En effet, non seulement elle a été précédée et préparée par le Collège de Sages et la commission chargée des réformes politiques mais aussi, International IDEA avait déjà publié, deux ans auparavant, son rapport sur la démocratie au Burkina Faso. De même, le plan national de bonne gouvernance avait déjà été élaboré. Mieux, dans un sursaut d'honneur, comme s'il répondait au défi lancé par l'auteur de « l'acte II du processus démocratique au Burkina Faso299(*) », la Chambre des Représentants a rendu à cette occasion l'un de ses meilleurs avis et sans conteste, le meilleur avis rendu en matière de loi constitutionnelle. Si en termes d'ouverture, la réforme constitutionnelle n'a certes pas pu se faufiler de façon indemne entre les avis et propositions environnants, il faut dire qu'en somme, le bilan est mitigé.

Ouverture et réception des avis et propositions environnants. Les appels à rétablir la limitation du nombre de mandats présidentiels a finalement été entendu. Beaucoup d'intellectuels et d'organismes d'expertise avaient, sur la base d'une analyse scientifique relevant de la sociologie politique, estimé que, au regard de la jeunesse de la démocratie burkinabé, de la configuration des forces politiques qui l'animent, et de la persistance des processus électoraux ténébreux et parfois désordonnés, la révision constitutionnelle de 1997 en sa partie relative à l'article 37, marquait un recul du processus démocratique au Burkina Faso. Le collectif pour l'observation des élections, International IDEA, le collège de sages, la commission chargée des réformes politiques et la Chambre des Représentants (la dernière à rejoindre la ligue), étaient unanimes à ce propos dès avant la date de la réforme constitutionnelle de 2000. L'idée a grimpé de branche en branche, depuis la base, pour atteindre l'exécutif et l'Assemblée nationale. Elle est passée du rapport d'International IDEA sur la démocratie au Burkina Faso au rapport d'avis de la Chambre des Représentants en passant d'abord par celui du collège des sages et de la commission chargée des réformes politiques.

On peut également énumérer au nombre des recommandations honorées, l'insertion de la sincérité comme nouveau critère de contrôle en matière de contentieux électoral, le remaniement des compétences de la Chambre des Représentants, la constitutionnalisation du Conseil Économique et Social, la suppression de la Cour suprême, l'extension de l'obligation de dépôt de biens aux présidents d'institutions comme des recommandations provenant principalement de l'environnement externe du pouvoir politique.

En effet, la sincérité comme critère de contrôle a été suggérée par le rapport d'International IDEA rendu public en 1998. On peut donc penser que l'idée vient de là, puisque dans son rapport annuel de 1999300(*), International IDEA avait constaté avec satisfaction que le rapport du collège de sages s'était déjà, sur certains points, inspiré de sa réflexion sur la démocratie au Burkina Faso. Le remaniement des compétences de la Chambre des Représentants est un problème qui avait été soulevé également par International IDEA dans son rapport sur la démocratie, dans des termes interrogatifs. Il recommandait une réflexion particulière sur son rôle, ses attributions et la répartition des compétences entre elle et le Conseil Économique et social. Mais c'est le collège de sages et la commission chargée des réformes politiques qui ont proposé concrètement ce qu'il fallait faire. Le premier suggérait en effet dans son rapport de lui donner un caractère délibératif tandis que le second proposait plutôt une obligation de la consulter dans certaines matières. Ces deux propositions sont parvenues ensemble à l'Assemblée nationale qui a retenue la dernière. La constitutionnalisation du Conseil économique et social a été quant à elle exclusivement recommandée par la commission chargée des réformes politiques. Enfin, en ce qui concerne l'extension de l'obligation de dépôt des biens aux présidents d'institutions devant le Conseil constitutionnel et la suppression de la cour suprême, elles ont été toutes deux préconisées par le collège de sages. Pour la substitution des quatre juridictions à la Cour suprême, celui-ci s'est inspiré des travaux du forum sur la justice tenu à Bobo Dioulasso en 1998. Il a été relayé dans cette recommandation par la commission chargée des réformes politiques qui a vu également sa recommandation sur la suppléance acceptée. Quant à l'idée d'étendre l'obligation de dépôt des biens devant le Conseil constitutionnel aux présidents d'institutions, elle lui est propre mais n'a été qu'en partie respectée, l'Assemblée nationale rejetant la suggestion de l'étendre aussi aux directeurs des administrations publiques et des sociétés d'État.

D'autres recommandations suivies ont émané de structures faisant partie intégrante de l'ingénierie étatique, et présentent ainsi la particularité d'être faite au moment de la réforme et spécialement pour la réforme. C'est donc le lieu, ainsi que nous l'avons signalé au début de ce paragraphe, de parler des suggestions tombées dans l'oreille du réformateur en provenance des structures permanentes telles que la Chambre des Représentants. Si l'on exclut la recommandation sur la nécessité de rétablir à l'article 37 (dont il a déjà été question), la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux et celle de réduire leur durée d'exécution de sept à cinq ans chacun, elles ne sont qu'au nombre de trois. Il s'agit d'abord de l'article 43 nouveau qui projetait de prévoir, en cas de vacance de la présidence du Faso et de l'exercice subséquent de cette fonction de façon intérimaire par le président de l'Assemblée nationale, de prévoir que le siège vacant de la présidence de cette dernière soit immédiatement occupé par un de ses vice-présidents dans « l'ordre de préséance ». La Chambre a suggéré d'abandonner une telle solution. Il y a ensuite l'article 118 dont la Chambre a recommandé le maintien en l'état afin de permettre au gouvernement de mener ses actions prioritaires. C'est enfin, l'article 120 où elle a suggéré de limiter l'irrecevabilité des propositions et amendements pour cause d'atteinte à l'équilibre budgétaire à la matière de la loi de finances.

Fermeture aux recommandations de la Chambre des Représentants : rejet ou options ? Si les réformateurs n'ont retenu que trois des quinze recommandations faites par la Chambre des Représentants, cela signifie que 80% de ses suggestions ont été rejetées et que, par supposition, celles qui ont été ainsi écartées peuvent être considérées comme ayant été bien moindres en qualité technique que les options qui leur ont disputé victorieusement le privilège d'être pris en compte. Mais cela est-il vraiment le cas ?

Sur le strict plan de la rationalité scientifique, on peut considérer que la proposition faite au législateur par la Chambre, de disposer que le président du Conseil constitutionnel est soit nommé par le président du Faso, soit nommé par le président du Faso sur proposition de ses pairs, lui donne la possibilité de faire un choix, étant donné que théoriquement c'est-à-dire en dehors de toutes considérations pratiques et contextuelles, aucune des solutions ne peut être considérée, en soi, comme supérieure à l'autre. Dans la période pré-pratique et pré-contextuelle de l'une ou l'autre de ses dispositions, il est difficile de disserter sérieusement sur leur efficacité pratique à moins d'être à la fois non seulement juriste ou politiste mais aussi praticien d'un art qui relève de l'un ou l'autre des modules du charlatanisme (prophétie, divination, médium, cartomancie, etc.) ; même si l'on peut quand même espérer qu'une telle technique, en combinant désignation par les pairs avec la nomination par le chef de l'État, instaure une sorte d'équilibre entre reconnaissance à l'égard des pairs et reconnaissance à l'égard du chef de l'État, équilibre qui peut ajouter un plus dans la quête de l'indépendance indispensable à l'exercice de la tâche dont est investi l'institution. Il ne s'agit toutefois que d'un espoir. De la même façon, on peut estimer que le décideur qui rejette la proposition d'interdire une nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale dans l'année suivant les élections consécutives à une première dissolution et de limiter le nombre de dissolutions à trois par mandat, fait une option si l'on considère qu'un peuple a le droit d'opérer un choix entre la prévoyance renforcée contre l'inconnu de l'avenir, et la foi inébranlable en la stabilité du présent. Peuvent également relever de l'option, les recommandations sur la suppléance des députés.

À l'opposé, il y a des recommandations dont la nécessité et la pertinence sont tellement évidentes que leur rejet intrigue profondément. Il convient ici de commencer par les plus évidents, en l'occurrence, les fautes d'orthographe et de grammaire. Le maintien de la formulation « à leur entrée en fonction et à la fin de leur exercice » de l'article 77 est manifestement inexplicable. La construction de cette phrase est clairement inadéquate et ne vaut rien par rapport cette autre formulation suggérée par la Chambre : « au début et à la fin de l'exercice de leur fonction... ». Elle a le mérite de la clarté et est déchargée du pléonasme défectueux. Il est également évident que, disposer que le député est remplacé par « son » suppléant et non par « un » suppléant, a le mérite d'éviter les tergiversations et la compétition entre plusieurs suppléants pour la conquête du poste resté vacant, et de permettre une succession douce par la grâce de sa clarté et de sa précision. L'affaire Ouali301(*) a, en tout cas, montré que le pronom indéfini « un » pouvait créer plus d'une contestation, et ajouter des contestations aux contestations.

En dehors même de la syntaxe, il nous semble que scientifiquement, certaines des recommandations de la Chambre auraient dû bénéficier d'attention et de considération. En premier lieu, il y a la recommandation déconseillant une présidence commune du parlement par le président de l'Assemblée nationale. Malgré l'argumentation donnée par la Chambre, le législateur est passé outre. Les principes de l'indépendance et de l'autonomie, caractéristiques de l'intellectuel, de l'expert et de l'organe d'expertise devraient prévaloir sur toute autre considération. L'institution d'une présidence commune prive symboliquement la Chambre de ces caractéristiques. En plus, et suivant en cela l'argumentation de la Chambre dans son entièreté, la nature divergente de ces deux institutions auraient dû dissuader de cette entreprise.

En second lieu, il y a le problème de la non-précision des conditions de nomination du président du Conseil constitutionnel. Si l'on s'en tient à la Constitution, on ne sait pas d'où vient le président du Conseil constitutionnel. En effet, les dispositions de l'article 152 selon lesquelles « le Conseil constitutionnel comprend, outre son Président, trois (3) magistrats nommés par le Président du Faso sur proposition du ministre de la justice, trois (3) personnalités nommées par le Président du Faso, trois (3) personnalités nommées par le Président de l'Assemblée nationale » ne précisent aucunement qui nomme le président du Conseil constitutionnel. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une erreur, qui provient d'une transposition mutatis mutandis des dispositions concernant la Chambre constitutionnelle de la cour suprême dont on savait que le président était en même temps le président de la Chambre constitutionnelle. Mais au fond, il s'agit d'un choix délibéré, car si tel était le cas, les différentes révisions constitutionnelles effectuées en 2002 et 2009 auraient permis de corriger l'erreur. Si seize jours plus tard, la même Assemblée, dans une loi organique302(*) disposait en son article 2, alinéa 1 que « le Conseil constitutionnel comprend un président nommé par le président du Faso », il n'en demeure pas moins que cet état de faits reste critiquable : par la négligence de cette recommandation, le président du Conseil constitutionnel burkinabé reste privé d'un statut constitutionnel précis (c'est-à-dire inscrit dans la constitution même) en comparaison avec celui de ses pairs dont il préside cependant les travaux.

En troisième lieu, et ce, au regard de ce qui vient d'être relevé, la recommandation de créer une commission technique de relecture de la constitution pour éviter les révisions fréquentes, devrait apparaître aux yeux des réformateurs, comme une nécessité impérieuse. Ce qui n'a pourtant pas été le cas.

En quatrième lieu, le rejet de la suggestion de disposer qu'à l'avenir l'article 37 ne puisse être modifié que par référendum n'est pas du tout logique. Il l'est d'autant moins qu'il ressort des débats en plénière que la fixation de la durée du mandat à cinq ans a été motivée par la Chambre303(*) dont l'argumentaire à cette fin, en raison de sa cohérence et de ses enchâssements internes, ne peut qu'être pris en entier ou rejeté.

Le rejet des propositions de la Chambre des représentants au niveau du TITRE X, est tout aussi critiquable à plusieurs égards : comme l'a dit la Chambre des Représentants, intituler ce titre comme l'ont projeté et réalisé les réformateurs, clôt effectivement la possibilité pour le législateur de créer d'autres instances et organes consultatifs ou en tout cas la rend acrobatique dans le futur. En outre, le maintien intact des dispositions de l'ancien article 141304(*) pour les seuls organes de contrôle prévus à l'article 142 nouveau est très malencontreux et fâcheux pour une société qui se dit démocratique, laïque, républicaine et libérale. Si dans le domaine économique, le contrôle s'entend bien pour des questions techniques d'économie et s'applique en l'occurrence à des choses, on se demande comment un tel contrôle pourrait s'établir en matière sociale et culturelle sans faire basculer l'État dans une sorte de totalitarisme. En dehors de la justice, du code pénal, de la police et de la gendarmerie, y a-t-il encore une autre façon de contrôler le social et le culturel ?

Partons encore d'un autre point de vue que nous exposerons en deux constats, pour expliquer une autre incohérence dont est entachée le TITRE X. D'abord : le Conseil Économique et Social (CES) n'est même pas un organe de contrôle. C'est plutôt un organe consultatif dont la compétence s'étend selon l'article 141 actuel aux domaines « économique, social ou culturel ». Ensuite : les organes de contrôle dont l'article 142 envisage la création pour exercer un contrôle en matière sociale ou culturelle ne sont pas encore une réalité. C'est une simple possibilité que l'on ouvre pour l'avenir. Si l'on additionne les deux constats, la logique aurait voulu que l'intitulé du TITRE X soit plus abstrait conformément à la recommandation de la Chambre des Représentants. En effet, la formulation de cette dernière : « des instances et organes consultatifs ou de contrôle » convient mieux au contenu du TITRE X en ce qu'il contient virtuellement, non seulement le Conseil Économique et Social, qui est un organe consultatif, mais aussi les organes de contrôle dont on ouvre la possibilité de création pour contrôler le social ou le culturel dans le futur, mais qui, contrairement au CES sont encore absents de la Constitution. Peut-être ne s'agit-il là que d'une pure question de logique formelle et d'esthétique littéraire. Mais le jeu en vaut la chandelle parce que du reste, leur méconnaissance sape les principes de base de la légistique juridique.

Enfin, la recommandation relative à la compétence du Conseil constitutionnel en matière de contentieux électoral illustre parfaitement la surdité du politique à l'égard de « l'inestimable service305(*) » de la science dont parlait M Weber. Malgré l'argumentaire solide étayé par la référence à des textes juridiques pour démontrer qu'il risque d'y avoir un conflit entre d'un côté le Conseil constitutionnel et de l'autre les tribunaux administratifs et le Conseil d'État, le législateur burkinabé est passé outre. L'appel à « l'harmonisation des dispositions constitutionnelles concernant le rôle de la Chambre Constitutionnelle en matière d'élections législatives et présidentielle306(*) » avait même déjà été lancé par le Rapport d'International IDEA. Ce n'est qu'en 2009 qu'il est revenu là-dessus pour corriger l'erreur par une nouvelle loi constitutionnelle. Ce qui nous dispense fort heureusement d'autres commentaires.

3) La réforme constitutionnelle du 22 janvier 2002

Elle intervient dans un contexte social beaucoup plus apaisé. La crise provoquée par le drame Sapouy, apparaît de plus en plus lointaine dans la mémoire des populations. C'est ce moment-là que le pouvoir a choisi pour introduire à l'Assemblée un projet de loi constitutionnelle visant la suppression de la Chambre des Représentants.

a) Le contenu de la reforme

La réforme constitutionnelle de 2002 a été presque chirurgicale. Initiée par le président du Faso lui-même elle avait pour objet la suppression de la Chambre des Représentants. Hormis la retouche apportée à l'article 85, aucun autre article de la constitution n'a été principalement visé. La suppression de la Chambre des Représentants au niveau de l'article 78 de la constitution a conduit à biffer sa mention dans toutes les autres dispositions constitutionnelles qui en contenaient : il s'agit des articles 49, 50, 51, 59, 79, 81, 91, 97, 133, 155 et 157.

En ce qui concerne l'article 85, l'innovation a consisté à introduire un alinéa premier qui déclare que « tout mandat impératif est nul ». Si la révision constitutionnelle de 1997 avait abandonné la théorie de la souveraineté populaire au profit de celle de la souveraineté nationale, ni le pouvoir constituant dérivé de 1997, ni celui de 2000 n'avaient tiré la conséquence nécessaire de ce changement de référence. Il est vrai que pour des constitutionnalistes chevronnés, la question ne se pose pas. La précision serait superfétatoire. Mais pour le reste des citoyens, il n'est pas évident que la souveraineté nationale implique logiquement la nullité du mandat impératif.

b) Par rapport aux avis et propositions environnants.

Par rapport aux connaissances techniques environnantes, produites de 1997 à 2002, aucune n'a été de nouveau prise en compte. Si la Chambre des Représentants a été supprimée, d'après le rapport de la commission chargée des affaires générales et institutionnelles (CAGIDH), pour des motifs politiques et accessoirement économiques, rien ne permet de dire qu'elle a été opérée en réponse à la remarque faite par International IDEA dans son rapport sur la démocratie au Burkina Faso en 1998. Alors que ce rapport appelait à mener une réflexion particulière sur le rôle, les attributions et la répartition de compétences entre la Chambre des Représentants et le Conseil Économique et Social, et estimait que l'utilité de ces deux institutions budgétivores, composée de la même manière, étaient encore à démontrer, le secrétaire général du gouvernement et du conseil des ministres demandait, devant la commission qui a refusé à la Chambre des Représentants l'initiative de la loi en 2000, la suppression de celle-ci au motif que « dans ses attributions actuelles, [rien ne lui confère] les caractéristiques du deuxième organe constitutionnel du système bicaméral307(*) ». Ce qui exigerait selon lui, une « rationalisation ». Il ajoutait à ces motifs, le fait que « l'expérience des parlements bicaméraux révèle une lourdeur administrative, source de lenteur, en sus des coûts de fonctionnement très élevés pour les fragiles économies de nos États308(*) ».

Au contraire, par la suppression de la Chambre des Représentants, le Président du Faso rayait de la constitution, une des recommandations importantes faite à la fois par le collège de sages et par la commission chargée des réformes politiques : donner à la Chambre des Représentants plus de possibilités d'influer sur le travail parlementaire dans le but de l'améliorer. Cette recommandation avait pourtant été ouvertement acceptée par les députés.

Il y a cependant eu une tentative échouée de prendre en considération une des recommandations faite par la Chambre des Représentants dans son rapport d'avis pour la révision constitutionnelle de 2000. Elle avait en effet critiqué la formulation du TITRE X en relevant notamment qu'il fermait la possibilité de créer d'autres organes consultatifs à l'avenir. Dans l'objectif affiché de créer une Conférence générale de la Nation en lieu et place de la Chambre des Représentants, le gouvernement a préconisé la rectification du TITRE X afin de permettre cela juridiquement. Ainsi, à la question posée par la CAGI de savoir s'il était « opportun de modifier à nouveau le TITRE X de la constitution », le secrétaire général du gouvernement répondait : « Oui. Dans la logique du projet de révision constitutionnelle, le réaménagement du TITRE X autoriserait la création par la loi d'autres instances consultatives à côté du Conseil Économique et Social309(*) ». Mais la commission a rejeté cette proposition.

Pour le reste, tous les autres aspects des rapports produits jusque là, qu'il s'agisse du rapport d'International IDEA, de celui du collège de sages, de la commission chargée des réformes politiques ou encore, plus récemment, du rapport d'avis de la Chambre des Représentants elle-même, n'ont attiré l'attention du pouvoir constituant dérivé de 2002 jusqu'au nouveau déclenchement de la procédure de révision constitutionnelle en 2009.

4) La réforme constitutionnelle de 2009

Elle intervient dans un contexte plus ou moins paisible. Initiée par un groupe de député provenant aussi bien de la majorité parlementaire que de l'opposition, elle n'est pas plus étendue que celle de 2002.

a) Le contenu de la reforme

Elle a consisté à modifier les articles 85 et 152 de la Constitution. Le nouvel article 85 interdit désormais le nomadisme politique. Il n'est plus permis à un député élu dans un parti politique de rejoindre un autre parti politique en cours de législature. Il dispose clairement que même si le mandat impératif est nul, « tout député qui démissionne librement de son parti ou de sa formation politique en cours de législature est de droit déchu de son mandat et remplacé par un suppléant ».

Quant à l'article 152 nouveau, il met un terme à la confusion qui existait entre le Conseil d'État et le Conseil Constitutionnel en matière de contrôle des élections locales et de jugement du contentieux électoral. Désormais, seul le conseil d'État est compétent pour contrôler les élections locales et résoudre le contentieux qui en résulte.

b) Par rapport aux avis et recommandations environnants

L'Assemblée nationale semble avoir été sensible à l'indignation que suscitaient dans l'opinion, les cas de migrations de députés d'un parti politique vers un autre parti politique au cours de leur mandat.

On constate également que l'Assemblée nationale prend en compte finalement l'appel lancé par International IDEA dans son rapport sur la démocratie au Burkina en 1998 et repris par la Chambre des Représentants dans son rapport d'avis pour la révision constitutionnelle de 2000. Les deux rapports avaient en effet recommandé que l'on réserve à la compétence du Conseil constitutionnel (Chambre constitutionnelle en 1998), uniquement le contrôle et la résolution du contentieux des élections ayant une envergure nationale. En revanche, les autres rapports dans les parties où ils n'ont pas été suivies semblent être tombés définitivement dans l'oubli : le rapport d'International IDEA sur la démocratie au Burkina, le rapport du collège de sages, les rapports du MBDHP, le rapport de la Commission chargée des réformes politiques, et celui de la Chambre des représentants. De même, ni les interpellations du Pr Augustin Loada sur la question de la chefferie traditionnelle en 2007310(*), ni les études menées par le CGD en 2008 sur les valeurs démocratiques constitutionnelles et traditionnelles  des burkinabé311(*), n'ont intéressé l'Assemblée nationale. De même, le rapport du MAEP, sollicité par les autorités politiques burkinabé, n'a pas trouvé une meilleure attention. Les réformes que l'on envisage actuellement lui réserveront-elles peut-être un sort beaucoup plus enviable ?

B) Propositions de réformes et projets actuels de réformes

L'agenda politique burkinabé s'apprête encore à inscrire dans ses pages une nouvelle vague de réformes politiques et institutionnelles qui pourrait inclure largement la constitution du 2 juin 1991. En effet, dans l'espace public burkinabé, il est constamment question de réformes politiques et institutionnelles depuis l'année 2008312(*). De façon officielle, le discours du chef de l'État lors du 49ème anniversaire de l'indépendance nationale313(*) a marqué une étape importante dans l'émergence d'une éventuelle politique institutionnelle visant à restructurer entre autres le dispositif juridique constitutionnel. Le rapport du MAEP sur le Burkina Faso finalisé courant 2008 devrait confirmer cette tendance en ce qu'il doit être logiquement suivi de la mise en oeuvre des recommandations proposées. Les choses se sont davantage précisées depuis la nomination d'« un ministre d'État, ministre auprès de la présidence chargée des Réformes politiques, lors du dernier renouvellement du gouvernement314(*) ». C'est dire que finalement l'idée est parvenue, que le problème est pris en charge, mais que le contenu reste indéterminé. Cependant, la thèse de l'inégalité des acteurs face à l'agenda politique et l'histoire des autres politiques déjà étudiées nous permettent dès maintenant d'envisager ce que pourrait être le contenu futur des politiques institutionnelles d'autant plus que les acteurs dominants qui ont accaparé les politiques précédentes tiennent encore le devant de la scène avec une vision claire du contenu de la réforme. On peut donc comparer les réformes qu'ils projettent (1) à la somme totale des recommandations (2) qui existent et qui sont toujours valables pour le système politique burkinabé.

1) Les projets actuels de réformes

Depuis le discours du président du Faso, le 11 décembre 2009 (fête de l'indépendance du Burkina Faso), les responsables de son parti politique le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès, parti majoritaire à l'Assemblée nationale) ont mis sur la table les réformes qu'ils entendent conduire pour perfectionner le régime politique burkinabé. En rappel, il faut noter que c'est ce même parti qui avait eu l'initiative, lors de ses journées parlementaires315(*) de 1994 et 1995, de la révision constitutionnelle de 1997 qui avait notamment rayé de la constitution la limitation du nombre de mandats présidentiel à deux. Il revient à nouveau, après avoir endossé celle de 2000 au nom du Président de la République. Il est soutenu dans son nouveau projet comme d'ailleurs dans le tout premier, par la mouvance présidentielle regroupée dans l'AMP316(*) (Alliance des partis et formations politiques de la mouvance présidentielle 35 partis) et dispose d'intellectuels organiques qui, conduit par le président du parti lui-même et par ailleurs président de l'Assemblée nationale, défendent farouchement le projet. Le contenu du projet317(*) à venir, officiellement approuvé et rendu public lors du troisième congrès extraordinaire du parti tenu les 6 et 7 août 2010 au cours duquel le chef de l'État a réitéré son appel à des réformes politiques par un message318(*), s'inspire beaucoup de l'écrit d'un intellectuel organique du parti319(*). La révision envisagée comporte les points suivants :

Le préambule : sans qu'on puisse le dire avec certitude, l'idée de mettre en exergue l'intégrité comme valeur républicaine à l'instar de celle de probité, de transparence, d'impartialité et de solidarité, pourrait figurer dans le préambule.

Le TITRE III intitulé « Du président du Faso » : le CDP préconise encore de réviser l'article 37 pour supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux parce que cette limitation est antidémocratique. Il veut également que tout candidat à la présidence du Faso soit seulement burkinabé de naissance. Mais il rejette la limite d'âge que proposait son intellectuel organique320(*) pour être candidat à la présidence.

Le TITRE V de la constitution portant sur le parlement : il envisage de revoir les rapports entre le parlement et le gouvernement. Il s'agit concrètement de soumettre la déclaration de politique générale du premier ministre à débat et au vote et de l'obliger à rendre sa démission si la majorité absolue des députés n'adhèrent pas à son programme. Il apparaît ici que le parti a fait un pas en 1997, puis il a attendu 14 ans pour faire un autre pas. En effet, avant la loi constitutionnelle de 1997, la déclaration de politique générale n'était pas du tout soumise à débats. Elle était unilatérale. Les réformateurs ont introduit les débats en 1997. Aujourd'hui, ils proposent en plus des débats un vote dont les résultats pourraient obliger le premier ministre désigné par le Président du Faso à la démission. Ainsi, le Premier ministre du Burkina, dont la mission est seulement de conduire la politique de la nation (article 61 de la Constitution) fixée par le Président du Faso (article 36 de la Constitution) devra être sanctionné pour sa conception et son contenu, alors même qu'il ne l'a pas encore conduite. Dans les pays où cela est faisable, c'est le gouvernement qui détermine et qui conduit la politique de la nation (ex. article 20 de la Constitution française de 1958). De même la présentation de l'état de la nation à l'Assemblée nationale devrait faire l'objet soit d'une motion de censure soit d'une recommandation. Tout ceci dans le but de renforcer, selon les dirigeants du parti, la place et le rôle du Parlement dans le paysage institutionnel, notamment par la consolidation de son pouvoir de contrôle sur l'exécutif. Il est en outre proposé la création d'un sénat afin de revenir à un parlement bicaméral qu'on avait jugé budgétivore et facteur de lourdeur administrative lors de la réforme constitutionnelle qui a supprimé la Chambre des représentants (2002).

Le TITRE XIV portant sur le Conseil constitutionnel : il est prévu à ce niveau de nommer désormais deux juristes confirmés pour renforcer la capacité et l'opérationnalité de l'institution. Ainsi, sur les neuf membres que doit comprendre le futur Conseil constitutionnel, deux seulement devront être des techniciens du droit. Eux seulement jugeraient selon le droit, et les sept autres selon d'autres critères.

Ce contenu permet de faire un rapport avec les différents diagnostics et recommandations faites par les structures non partisanes d'expertise telles que les think tank de la démocratie et de la bonne gouvernance, les intellectuels engagés, les structures ad hoc d'expertise et la société civile dans son ensemble depuis le début du processus démocratique.

2) La solde totale réformes/recommandations de 1997 à nos jours.

L'analyse du contenu projeté pour les réformes à venir montre clairement que le CDP met presque de côté, sans aucune argumentation sérieuse tendant à admettre ou rejeter point par point, les différentes productions de diagnostics et de connaissances techniques visant le perfectionnement du même système politique dans le sens d'une consolidation démocratique ; comme si dans l'État il était le seul apte à discourir véridiquement sur le statut du pouvoir politique. Seule la question des valeurs à mettre en exergue évoque l'étude réalisée par le CGD sur les Burkinabé et leurs valeurs321(*), et rendu public le jeudi 13 novembre 2008. Mais, le CDP, tout en mentionnant dans son projet la probité, l'intégrité, la transparence, l'impartialité et la solidarité comme valeurs républicaines, omet « le respect de la parole donnée » et l'idée du CGD de constitutionnaliser ces valeurs pour en faire un code d'éthique pour le juge.

Cette analyse des positions d'un parti politique comme relevant ou reflétant les positions de l'État, et la possibilité qui en résulte, par suite logique, de considérer aussi ses rapports avec la science comme les rapports du pouvoir politique lui-même avec la science, sont rendues possibles et valables par la nature du CDP que beaucoup d'analystes ont considéré successivement, depuis 1997 comme s'identifiant à l'État322(*). Il faut donc sans crainte considéré que, dans le rejet, l'acceptation ou la négligence des diagnostics et des connaissances techniques produites au profit du pouvoir politique, le parti majoritaire y a sa part de responsabilité, lui qui domine sans partage non seulement l'État, mais aussi l'institution étatique principalement chargée de la conduite des politiques institutionnelles en matière constitutionnelle, c'est-à-dire le parlement.

Dans cette perspective, on peut déjà noter que le parti en question produit une vision restrictive des problèmes qui, de son point de vue, hypothèquent la consolidation de la démocratie au Burkina Faso. Alors que les structures ad hoc d'expertise, les think tank de la démocratie et de la bonne gouvernance, les intellectuels engagés, les associations ont généralement une approche globale, systématique du régime politique, à travers des diagnostics et des recommandations de même taille, l'État et le parti au pouvoir ont une approche sélective, spécifique de ce qu'ils considèrent comme problèmes épineux à résoudre. Leur approche est sélective non seulement par rapport au régime politique pris dans son ensemble, mais aussi par rapport à chacune des institutions que comporte ce régime politique. À la vision bornée du parti s'oppose ainsi la vision large du reste des acteurs de la vie politique.

Le parti néglige ensuite toutes les autres recommandations, aussi bien les plus lointaines que les plus proches, c'est-à-dire, celles qui ont été faites aussi bien dans les années 90 que dans les années 2000-2010, celles qui ont été suggérées par des structures intégrées comme la Chambre des Représentants que par des structures externes à l'ingénierie étatique comme les think tanks de la démocratie, les intellectuels engagés, les associations et les structures ad hoc d'expertise, le MAEP (Mécanisme Africain d'Évaluation par les Pairs) compris.

Ainsi, concernant la Présidence du Faso en tant qu'institution, aucune des structures d'expertise mises en place n'a jamais analysé la limitation du nombre de mandats présidentiels comme antidémocratique, et par suite, suggéré sa suppression. International IDEA qui a regroupé des experts dont certains étaient proches du parti au pouvoir pour la rédaction de son rapport voyait dans la révision modifiant le mandat du président de la République un défi auquel pourrait être confronté le développement démocratique au Burkina Faso. « Adoptée dans l'urgence, cette réforme laisse planer des doutes sur l'avenir démocratique du Burkina, surtout si elle devait se conjuguer avec une hégémonie durable du parti majoritaire323(*) ». La « sophocratie324(*) » réhabilitée avec le collège de sages, la commission chargée des réformes politiques, la Chambre des Représentants, certains documents de coopération économique et le MAEP ont tous la même approche de cette question de la limitation du nombre de mandats présidentiels au Burkina Faso. En outre, les récentes études du CGD325(*) en collaboration avec Afro-baromètre ont démontré bien avant la tenue du congrès extraordinaire du parti majoritaire, que les Africains et les Burkinabé en particulier, sont, dans leur large majorité, favorables à la limitation du nombre de mandats présidentiels dans leurs pays. Certains d'entre eux ont proposé, qu'en plus de son rétablissement, on le rende intangible ou difficilement modifiable. C'est le cas du CGD326(*) qui a proposé son insertion dans les matières intangibles qui sont protégées de toute révision constitutionnelle par l'article 165 de la constitution, et de la Chambre des représentants qui, dans son rapport d'avis de 2000, proposait qu'il ne puisse être révisé que par référendum et de la fameuse pétition des quatre mousquetaires327(*). International IDEA recommandait en outre que la durée des mandats présidentiels et parlementaires fasse l'objet d'une harmonisation qui pourrait même s'étendre à tous « les mandats publics (Président de la République, députés, Présidents de la Cour Suprême et de la CNOE [aujourd'hui CENI], etc.) afin de garantir l'indépendance de chacun de ces pouvoirs328(*) ».

Les propositions suggérant le réaménagement des compétences du président de la République et du premier ministre dans le but de prévenir les conflits éventuels même lointains, n'ont pas subi un sort meilleur (Laurent Bado 1992; IDEA, 1998). Pour préserver l'autorité des constitutions, le CGD préconisait en 2009 de redéfinir et constitutionnaliser le statut des anciens chefs d'État en vue de leur conférer l'immunité juridictionnelle dans le cadre d'une justice transitionnelle. Dans le même sens, le CGD (2009) invitait à restaurer le constitutionnalisme par un rééquilibrage de la distribution du pouvoir d'État c'est-à-dire « moins de tendances présidentialistes et une revalorisation des pouvoirs législatif et judiciaire329(*) ».

Concernant le pouvoir législatif. Qu'il s'agisse du rapport d'International IDEA, du rapport du collège de sages, du planisme burkinabé, du Centre pour la Gouvernance Démocratique ou des intellectuels engagés, le diagnostic est le même : le parlement burkinabé n'est pas efficace dans l'exercice du contrôle qu'il doit appliquer à l'action du gouvernement et cette défaillance s'aggrave avec l'hégémonie du parti au pouvoir. Si la crise Norbert ZONGO avait permis de revoir certaines normes330(*) (qui ne rentrent pas dans le champ d'investigation de la présente étude) et de remédier un tant soit peu à cette mainmise d'un seul parti sur l'institution législative, d'autres mesures préconisées n'ont jamais été mise en oeuvre ou ont seulement fait l'objet d'une promesse de mise en oeuvre: c'est le cas de la proposition d'International IDEA d'élargir la saisine de la Chambre constitutionnelle (aujourd'hui Conseil Constitutionnel) en permettant à 1/20ème des députés ou à 5 d'entre eux de pouvoir saisir la juridiction constitutionnelle. Cette recommandation a été également faite par le CGD à l'issue de son monitoring réalisé au profit de l'Assemblée nationale en 2009. Au cours de cette même étude, il a suggéré de revoir le jour de passage des questions orales en plénière (mardi ou jeudi) pour une plus grande participation des députés, car les vendredis coïncident souvent avec leur départ en province.

Au niveau du pouvoir judiciaire. Les points de vue convergent également pour dire qu'il n'est pas indépendant et que les structures qui l'administrent, l'arsenal juridique qui l'encadre et sur lequel il tient, ne permettent pas cette indépendance vitale à l'émergence d'une justice crédible indispensable à l'enracinement de la démocratie. Tel est le diagnostic que l'on retrouve dans le rapport d'international IDEA, dans celui du MAEP, dans les études du CGD et dans le planisme burkinabé tel que nous l'avons décrit. International IDEA et le CGD (2009) ont notamment recommandé de réaménager le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Pour l'institut, il faut amender l'article 134 de la constitution et donner au Conseil supérieur de la Magistrature, les moyens de s'autogérer.

Concernant le Conseil constitutionnel. Qu'il puisse être saisi aussi par les particuliers, voilà une proposition que l'on retrouve au niveau du rapport d'international IDEA, et des études du CGD menées bien avant le congrès extraordinaire du parti majoritaire. La Chambre des représentants avait également proposé dans son rapport d'avis de 2000, que le président du Conseil constitutionnel soit désigné par ses pairs et qu'il ait un statut constitutionnel précis. Quant au CGD, celui-ci avait notamment suggéré en 2009, de réformer le Conseil constitutionnel lui-même dans sa composition, ses prérogatives et sa saisine. Le 20 juillet 2010, il est revenu en détail sur les maux de l'institution dans une conférence de presse où il publiait en même temps son livre 331(*)sur les décisions de la justice constitutionnelle burkinabé de 1960 à nos jours. Il y proposait notamment que les membres du Conseil Constitutionnel soient élus ou recruter sur concours comme les magistrats. Il émettait aussi l'idée d'un mandat ad vitam aeternam pour son président, un changement de la nature de la juridiction pour la rapprocher de la nature des juridictions judiciaires, et l'extension de sa compétence aux droits fondamentaux garantis par la constitution.

Au niveau du pouvoir de révision de la constitution. De façon générale, la question des modalités d'édiction des règles du jeu démocratique a été une préoccupation pour nombre de structures d'expertise et pour d'autres acteurs des politiques institutionnelles. Ceux-ci ont toujours préconisé une procédure consensuelle pour leur définition. De telles recommandations se retrouvent dans le rapport d'international IDEA, celui du collège de sages et enfin celui du MAEP. Mais, c'est le CGD qui, après une étude comparative menée en 2009 sur le constitutionnalisme en Afrique de l'Ouest à travers particulièrement l'exemple du Benin, du Burkina et du Sénégal, a élaboré concrètement une éthique des révisions constitutionnelles à l'adresse des États d'Afrique de l'Ouest. Appelée « code de bonne conduite en manière de révision constitutionnelle », elle a fait l'objet d'une adoption solennelle par les organisations de la société civile sous-régionale en 2009. Ce code contient un certain nombre de règles dont l'objectif est de rendre sereines les révisions constitutionnelles. Il préconise ainsi d'offrir l'opportunité de larges et véritables débats citoyens, d'étendre la procédure sur une période raisonnable (au moins 12 mois), de faire en sorte que la révision ne bénéficie en aucun cas à ceux qui en prennent l'initiative ; qu'aucun Chef d'État en exercice ne puisse modifier la Constitution pour étendre, avec effet rétroactif, la durée ou le nombre de mandats présidentiels, d'élever suffisamment le niveau de la majorité qualifiée nécessaire pour l'adoption de toute proposition de révision constitutionnelle de manière à réduire sérieusement les risques de modification fantaisiste ou au profit d'intérêts privés, de mettre en place un cadre institutionnel adéquat garantissant un niveau minimum d'expertise technique, de joindre à la forme codifiée de la proposition de révision un document qui thèse profondément sur sa nécessité, son utilité et sa pertinence, et que par-dessus tout l'initiative reflète l'intérêt général et la volonté du peuple332(*). De même, le CGD essaie d'innover en proposant d'instituer un contrôle juridictionnel du pouvoir de révision de la constitution, idée que l'on sait être en débat dans la doctrine constitutionnelle française et d'ailleurs. Mais la manière dont le projet actuel de révision constitutionnelle a été lancé met déjà à mal les principes élémentaires de ce code. La nomination d'un ministre chargé des réformes politiques au lieu de la mise en place d'une commission technique comme l'avait préconisé la Chambre des représentants ou le directeur exécutif du CGD333(*), peut signifier à quel point le parti majoritaire entend s'annexer la conduite des politiques institutionnelles envisagées.

Autres recommandations tombées dans l'oubli ou définitivement négligées. Il s'agit en premier lieu des appels aux corrections de fautes de syntaxes que la loi fondamentale héberge encore aujourd'hui. Il en va ainsi de l'article 77 et de l'article 94. On peut y ajouter la formulation du TITRE X que la Chambre des Représentants avait critiqué dans son rapport d'avis pour la révision constitutionnelle de 2000.

En deuxième lieu, elle avait aussi suggéré dans ses recommandations pour la réforme constitutionnelle de 1997, la suppression du TITRE XVII sur la période transitoire, considérant que les institutions étaient maintenant établies. La même Chambre, donnant suite à l'idée du collège de sages dont on a rejeté la suggestion d'étendre la déclaration des biens aux directeurs des administrations publiques et des sociétés d'État, proposait en 2000 que le dépôt des biens au niveau du Conseil constitutionnel soit suivi d'une publication au journal officiel.

En troisième lieu, on peut relever que les exhortations du CGD et de son directeur exécutif 334(*) concernant le statut de la chefferie traditionnelle n'ont jusque là reçu aucune attention. Ni la révision constitutionnelle de 2009 ni celle que l'on envisage actuellement ne se sont préoccupées de cette question. Le CGD proposait notamment de s'inspirer du cas ghanéen pour trouver un statut à la chefferie traditionnelle burkinabé. Dans une étude intitulée « L'alternance et les règles du jeu démocratique au Burkina Faso », le CGD appelait également à constitutionnaliser certaines règles électorales « notamment l'adéquation entre le découpage électoral, le nombre de sièges à pourvoir et le mode de scrutin » et à doter l'opposition politique burkinabé (comme celle du Sénégal) et la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) d'une reconnaissance constitutionnelle.

Ce récapitulatif sur les propositions de réformes et les réformes effectuées permettent finalement de déterminer la nature, les enjeux et le paradigme politico-intellectuel de la production et de la mobilisation des savoirs scientifiques dans les politiques institutionnelles étudiées.

* 281 Weber M, Essais sur la théorie de la science. Quatrième essai : «Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » dans les sciences sociologiques et économiques» (1917) Traduction de l'Allemand et introduit
par Julien Freund. Version numérique, p13 Site web: http://classiques.uqac.ca/

* 282 D'abord ODP/MT (Organisation pour la Démocratie et le Progrès/Mouvement du Travail), il prend en 1996 la dénomination de Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP).

* 283Recommandation sur la relecture de la constitution et du code électoral : « Les 3èmes journées du groupe parlementaire ODP/MT tenues à Banfora du 23 au 27 mars 1995. -Considérant l'état actuel de démocratisation de notre pays ;- Appréciant le fonctionnement des institutions de la IVe République après trois années de pratique démocratique ; - Estimant que la pratique peut et doit contribuer à améliorer les textes fondamentaux qui régissent notre démocratie ; - Recommande au Bureau exécutif national de prendre toutes dispositions utiles pour procéder à une relecture très prochaine de la constitution et du code électoral ». Jeudi 30 mars 1995, Sidwaya, n°2734

* 284 GARANÉ Amidou, L'acte II du processus démocratique au Burkina Faso : portée juridique et politique de la loi du 14 février 1997 portant révision de la constitution; Revue burkinabè de droit, 1997, n°33, p.33-59

* 285 Loada Augustin, La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone ; Revue électronique Afrilex n°03/2003

* 286 Ibid.

* 287 La journée nationale du pardon nous apparaissant comme la mesure ayant couronné la politique de décrispation sociale engagée depuis le drame de Sapouy.

* 288 Cf. Rapport d'avis de la Chambre des Représentants, 11 mars 2000, partie annexe : Questions des Représentants et réponses du 4ème vice-président de l'Assemblée Nationale.

* 289 Ibid., p11

* 290 Ibid., p12

* 291 Ibid., p.19.

* 292 Ibid., p.20

* 293 Cf. rapport du comité Balladur, Chapitre I (A-1-« partage de l'ordre du jour »)

* 294 Cf. article 23 de la « LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République » modifiant l'article 48.

* 295 Rapport d'avis de la Chambre des Représentants, Op. cit, p31

* 296 Ibid., p30

* 297 Ibid., p31

* 298 Dont nous parlerons plus loin de l'éclatement en plusieurs juridictions supérieures lors de cette réforme.

* 299 GARANÉ Amidou, L'acte II du processus démocratique au Burkina Faso : portée juridique et politique de la loi du 14 février 1997 portant révision de la constitution; op cit. A propos de la Chambre des Représentants, l'auteur s'exprimait en effet en ces termes : « Ayant accusé énormément de retard dans sa mise en place par rapport aux autres institutions prévues par la Constitution, elle devra convaincre de son opportunité et de son utilité pratique dans l'univers constitutionnel du Burkina. Démunie du moindre rôle législatif, elle devra convaincre de sa notoriété à travers ses avis. La Chambre des Représentants, au regard de l'ensemble de ces insuffisances, réunit nécessairement contre elle, tous les facteurs d'inefficacité et de marginalisation croissante ».

* 300 International IDEA, La démocratie en devenir, rapport annuel 1999, p. 25 http://www.idea.int/about/upload/ar1999_fr.pdf. Quoique que le rapport parle de Conseil des sages, il ne fait aucun doute qu'il s'agit du même collège de sages.

* 301 Cf. Décision n°2010-015/CC portant déchéance et remplacement par un suppléant du député Mihyemba Louis Armand Ouali. M. Louis Armand Ouali est un député à l'Assemblée nationale qui, ayant quitté son parti (le Rassemblement pour le Développement du Burkina RDB) pour un autre parti (l'Union pour le Progrès et le Changement UPC), est tombé sous les coups de la nouvelle disposition constitutionnelle sur le nomadisme politique (adoptée en 2009). Mais invoquant le principe de la non-rétroactivité pour contester cette décision, il a aussi rejeté la désignation de la personne qui devait le suppléer.

* 302 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et procédure applicable devant lui. On peut même se demander si, sur le plan strictement juridique, cette loi organique respecte absolument la constitution. En effet celle-ci dispose en son article 160 qu'« une loi organique fixe l'organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel et détermine la procédure applicable devant lui », étant entendu qu'elle a déjà fixé elle-même sa composition et ses attributions. Or cette loi organique, comme son titre l'indique, défonce manifestement des portes ouvertes en allant traiter encore de la composition et des attributions du Conseil constitutionnel.

* 303 Procès-verbal de la séance plénière du mardi 11 avril 2000, p20.

* 304 L'article 141 ancien « Des organes de contrôle, des instances et organes consultatifs sont créés par loi. Leur compétence recouvre les questions à caractère économique, social et culturel d'intérêt national. La composition, les attributions et le fonctionnement de ces organes de contrôle, instances et organes consultatifs sont fixés par la loi » est repris en partie dans l'article 142 nouveau « Des organes de contrôle sont créés par la loi. Leur compétence recouvre des questions à caractère économique, social et culturel d'intérêt national. La composition, les attributions et le fonctionnement de ces organes de contrôle sont fixés par la loi ».

* 305 Weber M, Essais sur la théorie de la science. Quatrième essai : «Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » dans les sciences sociologiques et économiques», op cit. p13

* 306 Rapport IDEA, p.76

* 307 Cf. le rapport de la Commission chargée des affaires générales et institutionnelles (CAGI), dossier n°05 relatif au projet de loi portant révision de la constitution, p 3.

* 308 Ibid. p. 3.

* 309 Ibid. p. 5

* 310 Cf. écrit du Pr. A. Loada in L'Observateur-Paalga du vendredi 15 juin 2007

* 311 Cf. CGD, « Ateliers de Kaya et de ziniare du samedi 27 décembre 2008 sur les valeurs démocratiques constitutionnelles et traditionnelles », 2008 http://www.cgd-igd.org/

* 312 Voir Manifeste des refondateurs du 5 avril 2008, l'interview de Salif Diallo, Ambassadeur du Burkina en Autriche, 8 juillet 2009

* 313 Le chef de l'État affirmait dans ce discours « La construction de la démocratie et de l'État de droit est une oeuvre de longue haleine qui exige de nous, un esprit d'ouverture et le respect de l'autre. A ce titre, j'invite l'ensemble des citoyens à approfondir les réflexions sur les réformes politiques indispensables à l'enracinement, dans notre société, des valeurs de démocratie et de citoyenneté responsable ».

* 314 Cf. Décret N°2011-004 PRES/PM portant composition du Gouvernement.

* 315 Voir supra

* 316 Cf. Le pays du 12 aout 2010 où ils font une déclaration en ce sens.

* 317 Cf. rapport de synthèse du troisième congrès extraordinaire du CDP in http://www.cdp-burkina.org

* 318 Cf. Bendré mardi 10 août 2010, Congrès extraordinaire du CDP.

* 319 Cf. Mahama Sawadogo, Le pays du 18 mai 2010

* 320 Ibid.

* 321 CGD, rapport atelier sur les burkinabé et leurs valeurs, jeudi 13 novembre 2008, op. cit.

* 322 Le rapport IDEA par exemple affirmait que, « Nonobstant l'affirmation du multipartisme et du pluralisme politique, le pouvoir, exécutif, législatif et même judiciaire, reste concentré entre les mains du parti majoritaire, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) », cf. la démocratie au Burkina, p. 25. On peut citer aussi le rapport du collège de sages qui dans sa deuxième partie consacrée au « Domaine politique et administratif » notait au point « 2.1.7. Le contrôle effectif de l'appareil d'État par un seul parti », le CDP bien entendu. Le plan national de bonne gouvernance n'est pas en reste : il évoque le « verrouillage du jeu parlementaire et démocratique par le parti majoritaire» (p 9) et s'inquiète que « Sur le plan politique, la prépondérance du parti majoritaire, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), sur les institutions de la République pourrait constituer un risque de monopolisation des pouvoirs si des garde-fous ne sont pas érigés » p. 8. Le même constat est établi par le rapport du MAEP  aux pages 9, 36, 37, 59, 73, 74 et notamment 101 où il met au passif du régime politique « l'interpénétration du parti majoritaire et de l'État dans toutes ses instances et structures ». Quant au CGD, dans une étude publiée en 2009, après avoir noté la « persistance du phénomène "parti-État" » à travers le CDP, constate que celui-ci « organise une parfaite confusion entre les activités du parti et celles qui relèvent de l'État », cf. CGD, l'alternance et les règles du jeu démocratique au Burkina Faso, p 56, http://www.cgd-igd.org et, sous une forme interrogative par le Document de stratégie pays 2001-2007 (Burkina Faso-Communauté européenne) : « Dans le contexte burkinabé, il est légitime de se demander si l'hégémonie du parti majoritaire ne constitue pas un frein à l'épanouissement de la démocratie » p. 13

* 323 International IDEA, La démocratie au Burkina Faso, rapport de 1998, p. 25

* 324 Meynaud, J, La technocratie. Mythe ou réalité?, op. cit., p. 202

* 325 « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique : le cas du Burkina Faso »

* 326 CGD Infos, le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? Op cit.

* 327 Cf. Supra : intellectuel collectif.

* 328 Rapport IDEA, La démocratie au Burkina Faso, op. cit. p.76

* 329 Constitutionnalisme et révisions constitutionnelles en Afrique de l'Ouest : Burkina, Bénin, Sénégal ; op cit.

* 330 Révision du code électoral et adoption d'un mode de scrutin plus équitable.

* 331 Avis et décisions commentés de la justice constitutionnelle burkinabé de 1960 a nos jours, CGD, 2010

* 332 Constitutionnalisme et révisions constitutionnelles en Afrique de l'Ouest : Burkina, Bénin, Sénégal ; op cit.

* 333 "La révision de notre constitution ne doit pas être l'affaire du seul CDP" Le Pays jeudi 31 décembre 2009

* 334 Cf. écrit du Pr. A. Loada in L'Observateur-Paalga du vendredi 15 juin 2007, repris dans « ateliers de Kaya et de ziniare du samedi 27 décembre 2008 sur les valeurs démocratiques constitutionnelles et traditionnelles » et dans « CGD Infos, le projet de révision de la constitution de juin 1991 : une manoeuvre dolosive ? » Op cit. http://www.cgd-igd.org/

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard