CHAPITRE II. LES MODALITES ET LES LIMITES DE LA GESTION DU
RISQUE DE CONTREPARTIE A LA COMMERCIAL BANK-CAMEROUN
Le choix des méthodes de notation interne constitue une
opportunité pour les banques. En effet, le nouvel accord de Bâle
incite les établissements de crédit à mener une
réflexion dynamique sur l'emploi de leur capital, afin de piloter de
façon globale leurs activités en intégrant le coût
du risque.
La problématique qui est la nôtre dans ce travail
est celle de savoir si les outils utilisés par la CBC pour
décider de l'octroi ou non de crédits aux petites et moyennes
entreprises conduit à une prise de décision efficace de la part
des dirigeants.
Dans ce chapitre, il s'agira pour nous dans un premier temps
d'étudier dans le détail la procédure et les outils
utilisés à la CBC, et dans un second temps de présenter le
cas que nous avons retenu pour cette étude. La vérification de
nos hypothèses se fera par l'étude du taux d'impayés de
l'échantillon de PME retenu.
SECTION I. Les outils de gestion du risque de contrepartie
à la CBC
Paragraphe I. Le MRC
(Module de Rating du Crédit)
En rappel, les règles prudentielles issues de Bale II
concernant l'exigence minimale de fonds propres, notamment le pilier I,
instituent le rapport suivant :
Fonds propres réglementaires
Risque de crédit
Risque de marché
Risque opérationnel
>=8%
+
+
Pour calculer les exigences en fonds propres pour chaque type
de risque, une série d'options est proposée aux
établissements de crédit :
· L'approche standard, dans laquelle les actifs sont
affectés de coefficients de pondération en fonction des
risques;
· Les approches fondées sur les notations internes
(simple et avancées) qui sont les méthodes internes de mesure du
risque de crédit. Elles reposent sur l'appréciation par les
banques elles-mêmes de leur risque de crédit.
C'est cette dernière approche qui a été
retenue pour la conception du Module de Rating de Crédit (MRC)
employé à la CBC. Cet outil a été
développé pour permettre aux personnes impliquées dans le
montage des dossiers de crédit de:
· Procéder à la notation financière
(rating) du client sur la base des états financiers et des informations
qualitatives ;
· Attribuer des notes aux concours à partir de la
nature de la garantie associée ;
· Calculer la perte probable pour chaque type de
concours, sur la base de ces notes ;
· Produire aisément une analyse
financière ;
· Renforcer l'objectivité dans la prise de
décision sur les dossiers de crédit.
Le système de notation MRC comporte deux
dimensions :
· La première représente une estimation du
risque de défaut de l'emprunteur à travers l'analyse de facteurs
qualitatifs et quantitatifs, et permet de classer les clients en neuf classes
de rating.
· La deuxième quant à elle
représente une estimation du risque propre lié à la
facilité de crédit, en combinant la probabilité de
défaut de l'emprunteur aux variables d'ajustement du crédit
(Encours, garanties et durées).
A. Estimation du risque de
défaut de l'emprunteur
L'estimation du risque de défaut de l'emprunteur passe
par l'analyse de facteurs quantitatifs et qualitatifs, et conduit à une
classification des clients en neuf classes de rating:
1. Les facteurs quantitatifs
Le processus de notation commence par l'évaluation de
la solidité financière globale de l'entreprise. Cette
appréciation passe par l'analyse de quelques ratios
significatifs à savoir :
· Activité et trésorerie :
l'appréciation de la situation de l'activité de
l'entreprise et de sa trésorerie passe par l'appréciation des
délais de rotation des stocks, créances clients, dettes
fournisseurs et des liquidités. Les délais de rotation permettent
de connaître la vitesse avec laquelle l'entreprise réalise les
éléments de ses actifs. A ce niveau, l'analyste appréciera
également le poids des frais financiers dans le chiffre d'affaires et
dans l'excédent de trésorerie d'exploitation de l'entreprise,
représentant la dépendance de cette dernière
vis-à-vis des capitaux extérieurs.
· Rentabilité : l'analyse
de la rentabilité se fait par l'appréciation du pourcentage de la
marge brute, du résultat net et de l'excédent brut d'exploitation
dans le chiffre d'affaires. L'analyste appréciera
également la part du résultat net affecté aux dividendes
et la rentabilité des actifs économiques (résultat
net/Actif économiques).
· Structure financière : il
s'agit à ce niveau de déterminer si l'entreprise pourra faire
face à ses engagements le moment venu. On appréciera à cet
effet la part des fonds propres dans le total bilan, le rapport de
l'endettement aux fonds propres et le cash flow. À ce niveau, on
appréciera également le taux de vétusté des
immobilisations (Amortissements/ Immobilisations amortissables).
2. Analyse qualitative
En deuxième lieu, cinq principaux paramètres non
financiers sont analysés. Cette analyse se fait sur la base d'un
questionnaire qui résume la façon dont le gestionnaire
perçoit l'entreprise. Les questions sont regroupées en fonction
des paramètres sus mentionnés et par ordre décroissant de
risque ; de 1 à 7 avec la note zéro pour non applicable. Le
modèle de questionnaire utilisé à la CBC est donné
en annexe.
a) Management
La qualité de l'équipe dirigeante et le mode de
gouvernance de l'entreprise sont des éléments très
importants à prendre en considération dans la
détermination du niveau de risque de l'emprunteur. En effet, il est
primordial pour l'analyste de s'assurer que les procédures et
l'organisation au sein de l'entreprise sont fiables, qu'il n'y a pas de tension
sociale en son sein, que la séparation des fonctions est une
réalité,etc.
L'analyste s'intéressera ici au degré de
qualification des dirigeants, à l'existence effective d'un plan de
succession et de gouvernance au sein de l'entreprise. La
sincérité et la fiabilité des états financiers
seront appréciées par l'opinion formulée par le
commissaire aux comptes sur les états financiers de la
société.
Un accent sera également mis dans cette rubrique sur
la qualité du système de gestion, sur l'existence d'un
état de rapprochement entre les prévisions et les
réalisations et le cas échéant sur la
périodicité du système de suivi.
La moyenne des notes obtenues dans cette rubrique fait l'objet
d'une pondération de 10% pour la détermination du rating
final.
b) Le marché/ Secteur d'activité
Pour déterminer le risque de contrepartie, il est
important de connaître le secteur dans lequel l'emprunteur exerce son
activité et la concurrence à laquelle il doit faire face. Il
s'agira ici de savoir comment le client apprécie l'évolution du
marché/ secteur dans lequel il exerce son activité,
d'apprécier la dépendance de ce secteur vis-à-vis des
variations de la conjoncture économique, de mesurer l'impact de la
perte de clients pour l'entreprise, d'apprécier le degré de
dépendance vis-à-vis des fournisseurs.
Le pourcentage d'activité réalisé
à l'étranger, qu'il s'agisse du chiffres d'affaires
réalisé ou des matières premières importées
est aussi un élément important dans l'appréciation du
risque de contrepartie. En effet, il est souvent difficile de maitriser les
tendances et la conjoncture des pays étrangers et la dépendance
du client vis-à-vis de l'extérieur peut constituer un
élément d'incertitude quant au remboursement du crédit. Il
peut arriver que les fluctuations des cours des devises entrainent une
rentrée de fonds moindre et conduisent de ce fait à un risque de
défaut plus élevé.
Enfin, à ce niveau l'analyste tentera d'avoir une
idée sur la performance du système de production et de
distribution et sur la qualité et la diversité des produits.
Cette partie fera l'objet d'une pondération de 15% dans
le rating final.
c) Relations bancaires
Représentant un pourcentage de 20% dans la note finale
du client, l'appréciation des relations bancaires fait
référence au mode de fonctionnement du compte du client. Il
s'agira dans cette rubrique de vérifier si le compte courant du client
fonctionne dans les limites autorisées. La réponse à cette
question permet d'avoir une idée du volume d'affaires confié par
le client à la banque : le compte est-il structurellement
créditeur ou débiteur ? L'appréciation des mouvements
des comptes du client permet également de connaître sa
capacité à honorer ses engagements. Il s'agit ici de voir si les
comptes de l'entreprise ont fait l'objet d'une saisie ces deux dernières
années, de voir si l'entreprise entretient de bonnes relations avec les
autres banques du secteur et l'état des concours enregistrés
à la centrale des risques.
d) La situation financière
C'est cet élément qui compte le plus dans le
rating final du client (30%). On y reprend le score obtenu lors du rating
financier de l'entreprise. En rappel, ce score était fonction du chiffre
d'affaires de l'emprunteur, de la part du résultat d'exploitation dans
ce chiffre d'affaires, du niveau des fonds propres nets, du niveau
d'endettement, de la liquidité générale et du niveau de
couverture des intérêts par le cash flow.
A ce niveau, il est également fait état de la
situation de fortune du promoteur. Les garanties étant un moyen de
réduire le risque couru par le banquier, l'importance de la fortune du
promoteur est une assurance pour la banque quant au sort éventuel du
crédit.
e) Évolution de l'entreprise
Dans ce point, l'analyste apprécie l'évolution
de l'entreprise depuis le dernier exercice et émet un jugement sur ses
perspectives d'activité. La lecture des états financiers de
l'entreprise donne une idée de sa capacité à faire face
à ses engagements, qu'il s'agisse d'engagements existants ou
d'engagements prévisionnels. Elle représente un pourcentage de
25% dans la note finale.
L'étude de cette partie s'achève par le jugement
fait par l'analyste sur les risques présentés par l'entreprise et
leur niveau de couverture.
L'analyse des facteurs qualitatifs et quantitatifs conduit
à un rating du client en fonction des notes qui lui ont
été attribuées.
B. Le rating et la
détermination de la probabilité de défaut du
client
1. Le rating final du client
La note finale obtenue par le client correspond au niveau de
risque qu'il fait courir à la banque. Ces risques, notés de 1
à 9 ont été regroupés en six catégories.
· La classe « risque
excellent » : elle concerne les entreprises
notées 1 ou 2. Ces notes, 1 correspondant à un niveau de risque
jugé « extrêmement solide »
par le MRC et 2 à un niveau de risque jugé
« très solide », correspondent aux
risques les plus faibles, qui procurent une sécurité maximale
à la banque.
· La classe « risque
bon » : elle concerne les entreprises notées 3
par le MRC, correspondant à un niveau de risque jugé
« solide ».
Les clients notés 1,2 ou 3 sont donc à
conquérir et/ou à garder absolument en portefeuille.
· La classe « risque
modéré » : elle est relative aux clients
notés 4 « risque
adéquat » ou 5 « risque
moyen » par le MRC. Elle correspond au niveau de risque
acceptable par la banque. Cependant, dans ces cas de figure, il convient de
prévoir des garanties pour couvrir le risque résiduel de la
banque en cas d'accident de parcours.
· La classe « risque
élevé » : elle concerne les entreprises
notées 6 « fragile » par le MRC. A
ce niveau, il est recommandé de s'abstenir de tout concours
supplémentaire et le cas échéant, d'envisager un
désengagement.
· La classe « risque très
élevé » : elle fait
référence aux entreprises notées 7
« très fragile » ou 8
« extrêmement fragile » par le MRC.
En règle générale, la note 7 indique que le dossier est en
mauvaise condition, connaît des difficultés de remboursement et
que des mesures correctives doivent être prises sans tarder. Pour ces
dossiers qui méritent une attention particulière, il est
recommandé de s'abstenir de prendre des engagements pour les nouveaux
clients et de se désengager pour les anciens.
La note 8 signifie que le client est confronté à
de graves problèmes de fonctionnement et peut être en
défaut par conséquent ; ici les actifs de la banque sont
menacés. La restructuration du projet ou toute autre forme de
réorganisation est requise pratiquement avec certitude pour
préserver les intérêts de la banque. Les crédits
classés dans cette catégorie sont à surveiller de
très près.
· La classe « risque de perte
probable » : elle est relative aux entreprises
notées 9 « douteux » par le MRC. La note
9 signifie que le client est en défaut et que le transfert du dossier au
contentieux pour recouvrement forcé est la seule solution possible
à envisager.
2. La détermination de la probabilité de
défaut
A chaque classe de rating est associée une
probabilité de défaut (PD) calquée sur celle de la
Standard & Poor's, telle que reprise dans le tableau ci-dessous :
Tableau 2.
Probabilités de défaut par classes de rating
|
Créances saines
|
Crédit à surveiller
|
Créances douteuses
|
Classe de rating
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
7
|
8
|
9
|
S&P
|
AAA
|
AA
|
A
|
BBB
|
BB
|
B
|
CCC
|
CC-C
|
-
|
PD 1 an
|
0,06%
|
0,17%
|
0,40%
|
2,11%
|
7,95%
|
19,81%
|
33,02%
|
47,75%
|
-
|
PD 5 ans
|
0,38%
|
0,76%
|
1,48%
|
5,92%
|
20,59%
|
40,66%
|
48%
|
66,41%
|
-
|
Source : Manuel de
présentation MRC Commercial Bank-Cameroun
3. La détermination de la perte
probable
La deuxième dimension du système de notation
représente quant à elle une estimation du risque propre
liée à la facilité de crédit, en combinant la
probabilité de défaut de l'emprunteur aux variables d'ajustement
du crédit (encours, garanties et durées).
Les garanties sont représentées par classes de
couverture (rating de garantie), obtenue en fonction des taux de recouvrement
de la facilité de crédit en cas de défaillance du client,
comme on peut le voir dans le tableau ci-après :
Tableau 3. Tableau de
correspondance garanties-taux de couverture
Classe de couverture
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
Taux de couverture
|
>100%
|
80-100%
|
60-80%
|
40-60%
|
20-40%
|
5-20%
|
0-5%
|
Néant
|
Source : Manuel de
présentation MRC
La combinaison de ces deux dimensions permet de
déterminer la perte probable (PP) selon la formule ci-dessous :
PP=Probabilité de défaut × Encours
× (1-Taux de couverture)
Paragraphe II. Les
programmes de crédit
La Commercial Bank-Cameroun a mis sur pied des programmes de
crédit, spécialement adressés aux petites et moyennes
entreprises, dans lesquels le risque est évalué non pas au niveau
de chaque entreprise prise individuellement, mais au niveau de la nature du
crédit sur laquelle le programme est adossé. Ainsi, chaque
année, un montant approuvé par les instances
décisionnelles de la banque est dédié au financement d'un
segment de l'activité (importations, mobilisations de poste) des clients
sous forme d'un produit précis (crédit documentaire, escompte
d'effets, prêt scolaire...). L'octroi du crédit se fait sous la
condition de l'éligibilité du client au programme (portant sur
son chiffre d'affaires, et sur son résultat) et du respect des
conditions de tirage (garanties). Il s'agit d'un moyen d'octroi de
crédit simplifié très standardisé, destiné
aux clients dont le profil ne permet pas souvent l'approche classique
d'étude de crédit, soit parce que ne disposant pas d'états
financiers, soit parce que ceux-ci ne sont pas fiables, et dont le but est de
minimiser les coûts d'exploitation liés au temps de traitement
d'un dossier classique.
Compte tenu de la particularité des clients cibles, le
programme de crédit est un financement adossé au flux de
trésorerie (cash flow), et basé sur une opération bien
déterminée, et qui tient compte du cycle du fonds de
roulement.
La première étape du programme est la
détermination d'une clientèle cible ; il peut s'agir de PMEs
en amont ou en aval des activités d'une grande entreprise cliente de la
banque ou de particuliers. Ensuite, il convient d'opérer une
classification de la clientèle cible en trois ou quatre
catégories de risque (selon la qualité du risque). La
troisième étape est la détermination du produit pour
lequel le programme de crédit est mis en place. Ensuite, le montant
global du programme de crédit à faire approuver par le
comité de crédit au conseil d'administration est
déterminé. Après cette étape, il convient de fixer
le montant maximal à octroyer par client de chaque catégorie de
risque. Ensuite, il faut définir les conditions à remplir pour
l'octroi de crédit et procéder enfin à un octroi
standardisé sur la base du formulaire développé selon les
spécificités du programme du crédit.
Dans le cas des avances sur factures (mobilisation d'un
règlement futur sur la base des documents tels que la domiciliation, le
bon de commande, les bordereaux de règlement ou de livraison partielle),
les conditions d'éligibilité sont être en relation avec la
banque, avoir un agrément de son fournisseur, justifier d'une
expérience d'au moins 3 ans dans le secteur, être adjudicataire du
marché. Les conditions de tirage sont l'obligation de produire les
copies originales de la commande, les bordereaux de livraison partiels, une
attestation de virement irrévocable et un billet à ordre
équivalent au montant sollicité.
Nous avons pris l'exemple d'un formulaire de crédit
relais pour crédit documentaire. En rappel, le crédit relais est
un crédit mis en place dans l'attente d'une recette future qui permettra
son remboursement. Dans le cas d'espèce, la banque s'engage, suivant
l'ordre et pour le compte de son client importateur, à verser à
un tiers exportateur (bénéficiaire) dans un délai
déterminé via une banque intermédiaire, un montant
déterminé contre la remise de documents strictement conformes
justifiant la valeur et l'expédition des marchandises.
Dans cette méthode d'octroi de crédit, le rating
est fait non pas au niveau du client mais au niveau de chaque programme. Ainsi,
après avoir déterminé le montant des pertes
prévisionnelles pour chaque programme, une note est attribuée
à chaque programme en fonction du taux de pertes.
La correspondance est faite comme l'indique le tableau
suivant :
Tableau 4. Tableau de
correspondance rating/Taux de perte des programmes de crédit
Classe Rating
|
Taux de perte par an
|
1
|
0 à 0,06%
|
2
|
0,06% à 0,17%
|
3
|
0,17% à 0,40%
|
4
|
0,40% à 2,11%
|
5
|
2,11% à 7,95%
|
6
|
7,95% à 19,81%
|
7
|
19,81% à 33,02%
|
8
|
33,02% à 47,75%
|
Source : manuel d'utilisation du
MRC
Ne seront retenus que les programmes de crédit ayant
une note de risque inférieur à 7.
Cette méthode permet de répondre à de
nombreux problèmes suscités par l'utilisation du MRC pour les
petites entreprises. En effet, comme nous l'avons relevé, dans de
nombreux cas, les états financiers de ces entreprises ne sont pas
fiables. De plus, les coûts engendrés par l'étude de tels
dossiers sont relativement élevés, comparés au gain que
ces clients apportent à la banque.
Dans la section suivante, nous ferons l'application du
modèle MRC à un exemple, et procèderons enfin à des
critiques et suggestions du modèle.
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