3.4.3.
Logique de légitimation des pratiques
Nous avons parlé dans les pages
précédentes des pratiques qui sont liées à la
recherche d'une affectation au poste stratégique avec comme corollaire
de se sécuriser. Nkambo Bulamatari, un douanier, dit ce qui suit :
« Biso na douane to yibaka te, tozuaka ndambo
totikeli leta ndambo soki tolie te mosala ekotambola te, Traduction : nous
à la douane nous ne volons pas, nous prenons peu d'argent et nous
laissons peu à l'Etat. Si nous ne mangeons pas, le travail ne pourra pas
évoluer.
Paraphrasant Mazwan (2007 : 92), un douanier dit ceci : «
l'Etat doit prendre ses responsabilités en mettant les gens à
l'abri des besoins élémentaires. [...] Comment voulez-vous que
les gens se comportent lorsque l'ascenseur monte avec les recettes et descend
vide ? Qu'est-ce que l'Etat fait avec les recettes que la douane réalise
? (...) C'est la duplicité de l'Etat qui d'un côté exige la
maximisation des recettes et de l'autre ne fait rien pour améliorer les
conditions sociales de la population » ; « Notre Etat n'a rien
à nous demander parce qu'il ne nous a rien donné. C'est lui qui
favorise la fraude parce qu'il ne prend pas ses responsabilités. Il est
lui-même fraudeur parce qu'il nous demande ce qu'il n'est pas capable de
nous donner ». Cet extrait montre que le douanier est conscient des ses
actes sous la permission implicite de l'Etat.
3.4.3.
Logique de réciprocité
Cette logique met en exergue la présence de deux
parties. Dans le cadre de cette dissertation, il s'agit d'une part du
douanier appelé employé et de l'Etat congolais, appelé
employeur, d'autre part. Par conséquent, chacun a des obligations
vis-à-vis de l'autre.
Les actions du douanier visent sa sécurité que
devait assumer son employeur.
Abordant le trop peut perçu (TPP), Musatula (2006 :89)
reprend les paroles de Monsieur Toro qui déclare ce qui suit : « le
T.P.P. ne constitue pas pour moi un vol moins encore un détournement,
car l'Etat a déjà eu sa part. Le constat que je fais avec ma
propre intelligence et technicité me permet de [REAJUSTER] NON [SIDA]
c'est-à-dire salaire insuffisant difficilement acquis. »
Comme d'aucuns peuvent le constater, le douanier trouve l'Etat
congolais irresponsable, car ne remplissant pas son obligation de lui donner
un salaire décent et régulier.
La logique de réciprocité se traduit par la
pratique de feed-back ou la remise. L'octroi d'un poste stratégique est
pourvu d'intérêts réciproques. Pour le parrainé, il
bénéficie à la fois la couverture protectrice du parrain
et la promotion ou l'affectation au poste stratégique. Pour le parrain,
il profite s'il est au sein de la douane, non pas seulement le Cretch par la
remise, mais également un homme de confiance qui peut lui faire un bon
rapport. En d'autres termes, le parrainé constitue les yeux et les
oreilles du parrain dans le cadre du contrôle informel ou non
réglementaire.
Cette logique de réciprocité se traduit aussi
par le phénomène : « leisa punda, mpe punda a leisa ya
», Traduction : nourri le cheval pour que celui-ci vous nourrisse.
Le cheval ici c'est le parrain qu'il faut nourrir pour que
celui -ci vous « nourrisse » davantage, nous
défendre en cas de problème. Il veille aussi à la
promotion et à l'affectation de son parrainé au poste
stratégique.
3.4.3.2.
Logique de substitution à l'institution
La logique d'institutionnalité est une logique
liée à l'instrumentation de la douane. A cet effet, il ressort de
l'empirie que les acteurs douaniers instrumentalisent la douane en la
privatisant par une bourgeoisie bureautique.
Ils ont les objectifs souvent différents de celles de
l'institution. Cette logique d'institutionnalité est le fait que l'Etat
n'assure pas un salaire au douanier. Ce dernier s'institue à l'Etat pour
se payer lui-même sur base des pratiques de capitalisation
évoquées dans cette étude. C'est dans cette optique les
acteurs disent que la douane c'est « nous ». Elle est la «
nôtre »
Le douanier s'institue et s'érige en une force. Par la
grève, il contraint l'Etat à trouver solution à ses
préoccupations. A ce propos, le contrôleur Simba dit ceci :
« Nous sommes entrés en grève pour
trois jours, réclamant notre bonus. Le gouvernement a autorisé
notre A.D.G. de chercher l'argent sinon le gouvernement sera bloqué et
les autres pays vont agir car, les transporteurs étrangers vont saisir
leurs Ambassades à Kinshasa du préjudice leurs causé par
notre pays qui laisse les douaniers entrés en grève. »
Aussi, bien que légal, l'héritage du travail
limite les chances aux autres jeunes congolais d'être embauchés
dans cette régie financière, car la priorité est
réservée aux enfants, femmes des douaniers et d'autres
parrainés. Ceci explique l'absence de l'offre d'emploi qui jadis
s'organisait par le test d'embauche.
Que faut-il retenir de ce chapitre ?
Ce chapitre a présenté des critères non
réglementaires au regard du recrutement, de l'affectation et de la
promotion à la douane ainsi que les manières dont les acteurs
perçoivent les postes stratégiques. Il a aussi consisté
à analyser les différents mécanismes mis en place par les
acteurs dans le cadre d'occupation des postes stratégiques.
A ces mécanismes se rattachent aussi les
différentes pratiques de capitalisation des postes pour avoir de
l'argent (cretch), utile dans l'occupation et le maintien aux dits postes. S'y
ajoute également l'instrumentalisation de la loi dans les engagements,
les affectations et les promotions à la douane.
Enfin, à travers l'analyse transversale, il a
été dégagé trois catégories de logiques
à savoir : la logique du parrain ou recommandant, la logique du
parrainé (fiel ou recommandé) et la logique de
légitimation des pratiques.
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