II - La décentralisation au Maroc : un choix
stratégique irréversible.
Depuis l'indépendance et jusqu'à nos jours, la
décentralisation au Maroc est passée par trois phases : celle de
démarrage du processus, une deuxième où le
développement locale est confié (avec assouplissement de la
tutelle qu'auparavant) à une élite locale élue et la phase
actuelle, de maturité, à orientation plus économique,
sociale et culturelle.
1. Première phase de la décentralisation :
Démarrage du processus de la décentralisation.
Le processus de la décentralisation moderne a
débuté par l'élaboration d'un premier cadre juridique qui
a été mis en place dès 1959 et qui a connu par la suite,
avec la pratique de la gestion locale, des changements profonds. Cette
évolution du droit des Collectivités locales, allait dans le sens
d'attribuer à ces collectivités, plus d'autonomie, plus de
compétences, plus de moyens, et une orientation économique.
L'autonomie a été élargie, dans le cadre de la
stratégie de la décentralisation, d'une façon progressive,
étudiée, mesurée et sans précipitation afin de ne
pas entrer en conflit et en contradiction avec les orientations
régionales et les orientations nationales du
développement économique et social d'une part, et d'autre part,
favoriser le développement local. L'arsenal juridique qui définit
les collectivités locales et réglemente leur fonctionnement et
leurs attributions, est composé des textes suivants :
Dahir n° 1-59-161 du 27 Safar 1379 (1 er septembre 1959), BO
n° 2445 du 4 septembre 1959, relatif à l'élection des
conseillers communaux.
Dahir n° 1-59-351 du 1er Joumada II 1379 (2 décembre
1959), BO n° 2458 du 4 décembre 1959, relatif à la division
administrative du Royaume.
Dahir n° 1-59-315 du 28 Hija 1379 (23 juin 1960), BO n°
2487 du 24 juin 1960, relatif à l'organisation communale.
Dahir n° 1-63-273 du 22 Rebia II 1383 (12 septembre 1963) BO
n° 2655 du 13 septembre 1963, relatif à l'organisation des
préfectures, provinces et leurs assemblées.
La Constitution de 1962 et celles de 1970 et 1972 ont
consolidé davantage le processus de décentralisation. Ces textes
ont défini les Communes urbaines et rurales, les préfectures et
les provinces comme étant des collectivités territoriales de
droit public, dotées de la personnalité morale et de l'autonomie
financière.
Ainsi, la réalité communale s'est entretenue, donc,
à travers le temps par l'organisation d'élections selon la
chronologie ci-après (D'après Les élections communales
2003, maillon du processus démocratique au Maroc.
Elections communales du 29 mai 1960, ces élections ont
été les premières organisées au Maroc
indépendant et régies par la loi promulguée par le dahir
1-59-162 du 27 Safar 1379 (1 septembre 1959).
Le scrutin du 28 juillet 1963 qui a été
marqué par l'entrée en vigueur du dahir du 17 avril 1963 portant
la durée du mandat des conseillers de 3 à 6 ans.
Élections communales de 3 octobre 1969. Durant cet acte de
la décentralisation, les attributions arrêtées par ces lois
citées portaient sur les affaires locales. Cependant, l'autonomie des
Conseils communaux ou des Assemblées préfectorales ou
provinciales était très limitée dans la pratique. En
effet, le contrôle des actes se faisait à priori et la tutelle
était très présente.
Ainsi, l'article 19 du dahir de 1960 (première charte
communale), cite trois attributions du Conseil communal (qui procède par
délibérations) qui sont : la préparation et le vote du
budget communal, l'approbation des comptes de l'exercice clos et donne son avis
sur des questions que lui demande l'Administration. Cependant, les autres
attributions énumérées dans l'article 20, ne sont
exécutoires qu'après avoir été approuvées
par l'autorité administrative supérieure ; Il s'agit des objets
:
la préparation du budget ordinaire additionnel, les
emprunts et la fiscalité locale ; la modification ou l'extension des
plans d'aménagement ;
les travaux neufs et les constructions nouvelles, ;
la concession, gérances et autres formes de gestion des
services publics communaux,
participation à des sociétés
d'économie mixtes ;
les acquisitions, aliénations, les transactions ou
échanges portant sur des immeubles du domaine privé ;
les changements d'affectations de bâtiments communaux
affectés à des services publics ; la dénomination des
places et voies publiques ;
l'action de justice à intenter au nom de la Commune ;
l'établissement, la suppression ou les changements des
dates des foires et des marchés.
Telles sont les attributions accordées par le
législateur à la naissance de la décentralisation. Ces
attributions sont donc fortement encadrées par une tutelle très
rigoureuse.
2. Deuxième phase de la décentralisation :
Le développement local confié (sous une tutelle
plus souple qu'auparavant) à une élite locale élue.
Après ces deux mandats, soient deux périodes de
« formation sur la gestion des affaires locales », cette organisation
a évolué particulièrement avec la publication de la charte
communale du 30 septembre 1976 : Dahir portant loi n° 1-76-583 du 5
Chaoual 1396 (30 septembre 1976) relatif à l'organisation communale et
le Dahir portant loi n° 1-76-584 du 5 Chaoual 1396 (30 septembre 1976)
relatif à l'organisation des finances des collectivités locales
et de leurs groupements (Bulletin Officiel n° 3335 bis du 1 octobre
1976)..
Pour la mise en pratique de cette charte Il y a eu les
élections communales du 12 novembre 1976. Il faut noter que cette charte
communale a constitué une avancée importante dans le processus de
la décentralisation au Maroc : On a privilégié aussi bien
l'orientation économique pour la commune que le renforcement de la
démocratie locale. A ce propos, on note un allégement de la
tutelle, une diversification des finances locales et surtout une étendue
des attributions du Conseil communal. Le président élu est
renforcé dans son statut par une investiture Royale (Article 5 de la
charte).
Dans ce cadre, l'article 30 énumère les
différentes attributions. Ainsi, le Conseil règle par ses
délibérations les affaires de la commune et, à cet effet,
décide des mesures à prendre pour assurer à la
collectivité locale son plein développement économique,
social et culturel. Le Conseil bénéficie du concours de l'Etat et
des autres personnes publiques pour assurer sa mission. En plus de la
préparation et du vote du budget de la commune, deux attributions
majeures sont à citer :
le Conseil définit le plan de développement
économique et social de la commune conformément aux orientations
et objectifs retenus par le plan national.
Le Conseil communal est préalablement informé de
tout projet devant être réalisé par l'Etat ou toute autre
collectivité ou organisme public sur le territoire de la commune.
Parmi les autres attributions du Conseil communal, on peut citer
:
Il arrête les conditions de réalisation des actions
de développement que la commune exécutera, avec l'accord des
administrations publiques ou des personnes morales de droit public, dans les
domaines relevant de leur compétence.
Il décide de la création et de l'organisation des
services publics communaux et de leur gestion, soit par voie de régie
directe ou de régie autonome, soit par concession.
Il examine les projets de plans d'aménagement ou de
développement de la commune.
Il arrête, dans les limites des attributions qui lui sont
dévolues par la loi, les conditions de conservation, d'exploitation et
de mise en valeur du domaine forestier.
Il donne son avis toutes les fois que cet avis est requis par les
lois et règlements ou qu'il est demandé par l'administration.
Cependant, la tutelle, allégée par rapport aux
textes de 1960, reste tout de même très présente que ce
soit au niveau des communes et encore plus au niveau des assemblées
préfectorales et provinciales.
En effet, l'Article 31 stipule : Ne sont exécutoires
qu'après avoir été approuvées par l'autorité
administrative supérieure, les délibérations du conseil
communal portant sur les objets suivants :
Budget communal ;
Emprunts à contracter, garanties à consentir ;
Ouverture de comptes hors budget ;
Ouverture de nouveaux crédits, relèvement de
crédits ;
Virement d'article à article ;
Fixation dans le cadre des lois et règlements en vigueur
du mode d'assiette, des tarifs et des règles de perception de diverses
taxes, redevances et droits divers perçus au profit de la commune ;
Règlements généraux de voirie, de
construction et d'hygiène dans le cadre des lois et règlements en
vigueur ;
Concessions, gérances et autres formes de gestion des
services publics communaux, participation à des sociétés
d'économie mixte et toutes questions se rapportant à ces
différents actes ;
Acquisitions, aliénations, transactions ou échanges
portant sur les immeubles du domaine privé, actes de gestion du domaine
public ;
Baux dont la durée dépasse 10 ans ;
Changement d'affectation de bâtiments communaux
affectés à des services publics ; Dénomination des places
et voies publiques lorsque cette dénomination constitue un hommage
public ou un rappel d'un événement historique ;
Acceptation ou refus de dons et legs comportant des charges ou
une affectation spéciale ; Etablissement, suppression ou changement
d'emplacement ou de date de foires ou
marchés. Des expéditions de toutes les
délibérations relatives aux objets indiqués ci-dessus sont
adressées dans la quinzaine par l'autorité locale
compétente au ministre de l'intérieur.
Par ailleurs, l'Article 32 stipule : Le ministre de
l'intérieur peut provoquer un nouvel examen par le conseil communal
d'une question dont celui-ci a déjà délibéré
s'il ne lui paraît pas possible d'approuver la délibération
prise. Il faut noter aussi que malgré la diversité des finances
locales, celles-ci restent limitées pour faire face aux nouvelles
attributions et aux attentes de la population, ce qui fait que la
dépendance financière de la Commune à l'égard de
l'Etat reste très marquée surtout pour les communes «
pauvres ».
Le processus de la décentralisation se heurtait aussi,
à son début, à d'autres problèmes parmi lesquels on
peut citer :
Le manque de moyens humains (surtout les cadres moyens et les
cadres supérieurs) ; L'analphabétisme des élus qui
méconnaissent les différents textes juridiques et donc la
méconnaissance de leurs rôles, de leurs tâches, de leurs
droits et leurs obligations. (D'après Dimension de la
décentralisation au Maroc entre le poids du passé et les
contraintes de l'avenir, Said CHIKHAOUI).
Des conflits politiques entre partis au sein du même
Conseil, et les blocages qui en résultent ;
L'absence, parfois, de l'intérêt
général au profit de l'intérêt personnel ;
La manipulation et le façonnement des résultats des
urnes ; autrement dit la non neutralité de l'Administration qu'avancent
certains partis ;
La multiplicité des textes et la non application de
certains d'entre eux ;
Les communes urbaines ont bénéficié d'un
intérét plus marqué que les communes rurales du point de
vue allocations.
La déconcentration administrative, une des conditions de
la décentralisation, a tardé d'accompagner le processus de
décentralisation, suite à des réticences de certaines
Administrations centrales à déléguer des pouvoirs et des
moyens à leurs services extérieurs ;
Pour limiter les effets de ces obstacles, l'Administration a
procédé à un vaste programme d'accompagnement des
collectivités locales, particulièrement :
Le recrutement et la formation de personnel pour les communes :
Le renforcement de la déconcentration ;
Le processus de la décentralisation continue, c'est ainsi
que se sont déroulées, après, deux élections
communales et un référendum :
élections communales du 10 juin 1983
élections communales du 16 octobre 1992 Le
référendum du 4 septembre 1992 au sujet de révision de la
Constitution de 1972.
La nouvelle Constitution, adoptée en 1992, a
renforcé le processus de la décentralisation comme elle a
créé une nouvelle collectivité locale à savoir la
région (qui n'était depuis 1971 qu'une région
économique avec une assemblée régionale consultative
simplement).
3. Troisième phase de la décentralisation (phase
de maturité) :
Une décentralisation de plus en plus effective à
orientation plus économique, sociale et culturelle.
La décentralisation est devenue une réalité
vivante dans le Maroc (D'après Les élections communales 2003,
maillon du processus démocratique au Maroc, mémoire de licence en
droit public, Faculté des sciences juridiques, économiques et
sociales de Fès, Abdelkader EL YAGOUBI).
La Constitution du 13 septembre 1996 a renforcé ce choix
stratégique irréversible.
Son article 100 stipule que, les Collectivités Locales du
Royaume sont les régions, les préfectures, les provinces et les
communes. Toute autre Collectivité Locale est créée par la
loi. Son article 101 se rapporte à l'élection du Conseil
régional : Elles (régions) élisent des assemblées
chargées de gérer démocratiquement leurs affaires dans les
conditions déterminées par la loi. Les gouverneurs
exécutent les délibérations des assemblées
provinciales, préfectorales et régionales dans les conditions
déterminées par la loi.
Effectivement, la région, nouvelle collectivité
locale a vu son organisation tracée par une loi à savoir : le
Dahir n° 1-97-84 du 23 Kaada 1417 (2 avril 1997) portant promulgation de
la loi n° 47-96 relative à l'organisation de la région (BO
n° 4470 du 3 avril 1997). Cette loi fixe le mode d'élection du
conseil régional, ses attributions, ses moyens, son mode de
fonctionnement et ses relations avec les autres
collectivités décentralisées. A noter au passage qu'il
s'agit de 16 régions. Les attributions du conseil régional
convergent principalement vers le volet économique, social et culturel
de la région : budget régional, fiscalité
régionale, plan de développement économique et social,
aménagement régional du territoire, formation professionnelle,
jeunesse et sports, culture, mesures incitatives de l'investissement
privé, etc...
Ainsi, par la région, l'architecture de la
décentralisation au Maroc est composée de trois niveaux
hiérarchiques géographiquement et complémentaires dans
leurs fonctionnements :
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Niveau 3 : Le Conseils régionaux (au nombre de 16) ;
Niveau 2 : Les Assemblée préfectorales ou
provinciales (au nombre de 70) ; Niveau 1 : Les Conseils communaux (au nombre
de 1497).
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Et le processus de la décentralisation continue avec
les élections communales du 13 juin 1997. Ce processus est enrichit,
dans son parcours, par la pratique quotidienne de la gestion locale, des
recommandations des différents colloques et séminaires sur le
sujet, des évaluations de
l'Administration, des remarques des différents partis
politiques et des syndicats, des avis des chercheurs et des ONG et des
citoyens. Dans ce cadre, fut élaborée une nouvelle charte
communale plus ambitieuse, moins contraignante (assouplissement de la tutelle),
ouvrant des pistes nouvelles pour une démocratie de proximité
(D'après Le renouveau municipal au Maroc et la philosophie du retour
à l'unité de la ville, Ali SEDJARI), et privilégiant le
volet économique, social et culturel. Il s'agit de la loi n° 78-00
portantes chartes communales, promulguée par Dahir n° 1-02-297 du
25 Rajeb 1423 (3 octobre 2002) Bulletin Officiel
n° 5058 du 16 Ramadan 1423 (21 novembre 2002)
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