INTRODUCTION
La défiscalisation des investissements locatifs repose
sur un principe simple qui est celui d'offrir la possibilité { des
ménages ayant des revenus importants d'être exonérés
d'impôt pendant un certain nombre d'années. Pour cela, il leur
faut investir dans un logement neuf qu'ils auront pour obligation de louer
pendant une période donnée.
Ce système d'incitation fiscale a été mis
en place depuis la fin des années 1980 en France. Il constitue un mode
de production de logement qui mobilise des capitaux privés pour
constituer une nouvelle offre en logements locatifs. Ce type de dispositif va
à l'encontre d'une politique interventionniste et régulatrice de
l'Etat qui prévalait pourtant jusqu'{ la fin des années
70.1
La défiscalisation, parce qu'elle entraine une
production massive de nouveaux logements, offre l'avantage de détendre
le marché de la location privée. Or, ce marché est
essentiel pour permettre la mobilité des ménages et il constitue
une étape fondamentale dans la réalisation de leur parcours
résidentiel. Cette politique se trouve également au coeur
d'enjeux économiques, le secteur du bâtiment représentant
un secteur majeur de l'économie nationale.
Ce système est toutefois souvent décrié
car l'Etat n'a créé aucun dispositif permettant de le
réguler. La défiscalisation apparait ainsi comme reposant sur la
logique unilatérale de l'investisseur induisant de fait une relation
uniquement d'ordre économique entre l'offre et la demande.
Des lois spécifiques aux départements et
territoires d'outre-mer ont été instaurées depuis le
début des dispositifs de défiscalisation. Elles permettent
souvent un avantage fiscal bien plus intéressant qu'en métropole,
s'inscrivant ainsi dans une longue tradition d'incitation fiscale comme facteur
de développement de ces territoires. L'impact de la
défiscalisation sur ces espaces se révèle alors
très prégnant notamment parce que de
1 Vergriete, Les mécanismes de la production du
logement à la Réunion, non publié,10 p.
nombreux investisseurs métropolitains y ont investi,
soucieux de tirer un maximum davantage de ces dispositifs.
Nous allons ici nous intéresser au cas de l'ile de la
Réunion. Cette ile de l'océan indien se révèle
être l'un des meilleurs exemples d'un territoire marqué par la
défiscalisation.
Avant toute chose, il est impératif de rappeler le
contexte particulier de ce département d'outremer situé { plus de
10 000 km de la France métropolitaine. La Réunion est une Ile
volcanique marquée par un relief très accidenté rendant
son aménagement difficile et concentrant sa population sur la zone
littorale de plus en plus saturée. Habitée dès le XIX
ème siècle, son développement s'est fondé sur la
culture du caféier puis sur la culture de la canne à sucre. Elle
a connu tout au long de son histoire des difficultés économiques
et sociales majeures.
FIGURE 1: CARTE DE L'ILE DE LA REUNION
Source : Hachette, 2008
C'est en 1946 qu'elle devient département ce qui
permettra d'améliorer le niveau de vie des habitants et de voir se
développer de nombreuses infrastructures. C'est également avec la
départementalisation que se met petit à petit en place une
politique en matière d'habitat. Il a fallu notamment rattraper le retard
en matière de construction de logements sociaux. En effet, alors que
l'histoire de l'habitat social, au sens d'une intervention de l'Etat a
débuté avec la révolution industrielle en
métropole, ce n'est qu'{ partir de la seconde moitié du XX
ème siècle que cela commence à la Réunion. La
départementalisation a ainsi été accompagnée d'une
succession de politiques destinées { répondre { l'urgence de la
situation.
Dans les années 80, il a été
décidé de mettre en place une première loi de
défiscalisation des investissements outre-mer. Ce dispositif
s'inscrivait alors dans la continuité d'une politique d'incitation
fiscale au développement économique des territoires et
départements d'outre-mer. Ce dispositif avait pour objectif
affiché de :
-relancer le bâtiment
-baisser les prix des loyers
-libérer des logements anciens en baissant les prix
-permettre aux catégories intermédiaires de se
loger hors du parc de logements sociaux.2
D'autres lois suivront et auront un impact plus ou moins
important sur la dynamique du marché et sur la réponse
apportée aux besoins en logement des habitants. Ce sont toutefois les
années 2000 qui sont le plus marquées par l'impact de la
défiscalisation.
Aujourd'hui, l'ile compte 800 000 habitants et on estime
qu'environ 25 000 personnes sont en attente d'un logement. La question du
logement est primordiale à la Réunion, et certains comparent la
situation actuelle à celle de « la France métropolitaine
dans les années 60 »3. Mais construire en masse des
logements comme ce fut le cas ces dernières années ne
résout pas si facilement une question aussi complexe. A la
Réunion, la population se caractérise notamment par une
précarité de ses habitants relativement plus importante que sur
le territoire métropolitain. On compte par exemple près de 20%
2 AGORAH : La défiscalisation des investissements
outre mer, 1995
3 Entretien avec M Zimberger, SIDR
de chômeurs contre environ 10% en métropole. Ce
département est également celui qui compte le plus d'allocataire
du Revenu de Solidarité Active(RSA)
L'accroissement de la population, bien que s'étant
ralenti, reste rapide. L'île devrait ainsi atteindre le million
d'habitant en 2030 et elle voit le nombre de ses ménages croître
à une vitesse deux fois plus rapide ce qui laisse présager des
enjeux d'autant plus importants en matière de développement de
l'offre en habitat.
Cette situation de crise du logement implique donc de trouver
des solutions permettant d'offrir { tous les réunionnais un logement
décent. Faire en sorte que les logements produits permettent de
répondre aux besoins de la population se révèle un enjeu
fondamental. On peut à ce titre considérer que les
réponses à apporter aux besoins en logement se déclinent
selon trois modalités :
- Une modalité quantitative : consistant { accroitre le
volume de l'offre
- Une modalité économique : veillant { ce que
l'offre soit financièrement accessible y compris pour ceux dont les
moyens sont limités
- Une modalité qualitative : visant à ce que
l'offre disponible et accessible réponde à un besoin de normes
assurant à tous un logement « digne et décent »
adapté a ses besoins.4
La défiscalisation repose ainsi sur un système
d'incitation fiscale dont les modalités diffèrent entre la
métropole et l'outre-mer parce que les contextes territoriaux semblent
eux-mêmes appeler à des réponses distinctes.
La différence ne s'arrête toutefois pas
uniquement { un avantage financier plus ou moins intéressant. Les lois
destinées { l'outremer présentent également des
modalités différentes. Certaines lois de défiscalisation
ont ainsi incité, avec des avantages fiscaux d'autant plus
intéressants, les investisseurs { acquérir des logements dont la
location serait destinée à des ménages dits
intermédiaires avec des loyers plafonnés fixés par la loi.
Lesdits ménages intermédiaires seraient désignés en
fonction de leurs revenus dont les plafonds seraient également
fixés par la loi.
4 Driant JC, Les politiques du logement en France,
Paris, La documentation française,2009, 185 p
La différence réside désormais
également dans les modalités de financement du logement social.
Un nouveau dispositif permet en effet d'utiliser la défiscalisation pour
financer des opérations de logements sociaux dans les
départements d'outre mer. Ce type de défiscalisation est
inédit et marque un tournant dans les modes de production de logement
social.
Nous considérons comme logement social tout logement
qui est « accessible aux ménages à faibles ressources
parce qu'il est offert à un prix fixé à un niveau
inférieur à celui du marché ou parce que son accès
est réservé aux ménages dont les revenus sont
inférieur à un plafond » 5et qui est
géré par un bailleur social. Nous l'opposons au logement
privé qui lui peut faire l'objet, comme nous venons de le
préciser, d'un loyer plafonné et d'une obligation de respect de
conditions de ressources mais qui n'est pas géré par un bailleur
social.
Ce nouveau mode de financement du logement social introduit
des financements privés dans la réalisation d'opérations
de logement sociaux et cela après 20 ans de défiscalisation
destiné au secteur privé. Cependant, même si ces
incitations fiscales existent depuis de nombreuses années comme nous
l'avons précisé ce sont surtout les années 2000 qui ont
été fortement marquées par la défiscalisation. En
effet, en 2003 est apparu la loi Girardin sur la défiscalisation des
investissements dans l'outre-mer. Ce dispositif très intéressant
a eu des conséquences importante en terme de production de logements
notamment à la Réunion, et ce jusqu'an 2008, date { laquelle il
n'a plus eu de succès. La défiscalisation a alors
été réorientée en faveur du logement social.
Nous souhaitons ainsi a travers ce mémoire interroger
l'adéquation ou l'inadéquation entre les logements produits
grâce à la défiscalisation depuis le début des
années 2000 et les besoins réels des réunionnais les moins
solvables. Nous nous concentrerons ainsi sur l'analyse de la concordance entre
l'offre résultant de la défiscalisation et la demande des
ménages les plus en difficultés au regard des modalités
quantitatives, qualitatives et économiques.
5 Amzallag, Taffin, Le logement social, Paris, l'extenso
éditions, 2ème édition, 2010, 127 p
L'hypothèse développée est que la
défiscalisation du logement privé et du logement social {
l'oeuvre depuis quelques années apporte des réponses aux besoins
en logements des réunionnais mais que celles ci ne sont pas
entièrement satisfaisantes.
La question de la défiscalisation du logement social
sera au coeur de nos préoccupations. En effet, le caractère
inédit de ce nouveau dispositif face { l'ampleur des besoins en
logements locatifs sociaux nous pousse à regarder avec d'autant plus
d'acuité la pertinence de ce dispositif.
Nous avons tenu compte principalement de la
défiscalisation des investissements locatifs. Toutefois, les dispositifs
de défiscalisation visent également les primo accédants.
Notre analyse ne tiendra pas compte de ce type de défiscalisation, elle
ne fera que l'évoquer.
Les ménages sur lesquels porte notre analyse sont tous
ceux qui rentrent dans les critères de la loi Girardin pour les
logements issus de la défiscalisation destinés à
l'intermédiaire. C'est selon cette définition que nous
utiliserons le terme de « catégorie > ou « ménage
intermédiaire >.6
Ce travail de recherche se base sur de nombreuses ressources
bibliographiques mais surtout sur des entretiens d'acteurs. L'actualité
du nouveau dispositif de défiscalisation du logement social n'a pas
encore entrainé une production d'étude ou de recherche sur ce
sujet. La parole des acteurs rencontrés constitue donc une ressource
d'information primordiale.
Notre travail sera présenté en trois grandes
parties. La première reviendra sur la politique de l'habitat à la
Réunion afin de contextualiser notre propos. La seconde reviendra
principalement sur les réponses apportées par la
défiscalisation du logement privé destinées à des
catégories intermédiaires et ses conséquences tandis qu'en
parallèle la production de logements sociaux chutait
considérablement. Enfin, la troisième partie abordera le
thème de la défiscalisation du logement social afin de savoir
6 Cette définition de ménage intermédiaire
se base sur des critères financiers : 29 000 euros de revenus mensuel
pour une personne seule,52 000 pour un couple, 55 000 pour un couple avec une
personne à charge etc....
dans quelle mesure elle peut constituer ou pas un levier à
la production de logements locatifs sociaux.
|